Réforme de la PAC: un projet de renationalisation qui coûterait 20% au revenu des agriculteurs

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Communiqué de presse – 1/6/2018

La Commission européenne a désormais mis sur la table l’ensemble des éléments de sa stratégie agricole pour la période 2021-2027 : les propositions budgétaires, présentées le 2 mai dernier ; et les propositions de réforme de la Politique agricole commune dévoilées officiellement aujourd’hui.

Les deux propositions entraineraient de façon cumulée une baisse du revenu des agriculteurs européens comprise entre 16 et 20%. D’une part, l’impact de la baisse de 12% du budget de la PAC, provoquerait une chute de plus de 8% en moyenne communautaire, avec des effets négatifs particulièrement forts pour les secteurs des grandes cultures, du lait et de la viande, selon l’analyse présentée par Farm Europe, le 2 mai dernier. D’autre part, de l’aveu même de la Commission européenne, dans son étude d’impact, les propositions de réforme présentée le 1erjuin génèreraient une baisse supplémentaire comprise entre 8 et 10% du revenu agricole selon les options retenues par les Etats membres dans ce scénario de large renationalisation de la PAC proposé.

Une telle stratégie, aux conséquences économiques négatives et aux impacts environnementaux incertains, orienterait inéluctablement l’agriculture européenne vers une restructuration massive, provoquant la sortie de nombreux agriculteurs avec l’abandon de certains territoires et l’intensification ailleurs, ainsi qu’une course à l’agrandissement des exploitations, malgré les propositions en matière de dégressivité et de plafonnement. Elle va à l’encontre de la transition de l’agriculture européenne vers des modèles plus durables tant en matière économique qu’environnementale. De plus, elle freinerait la capacité d’investissement et le renouvellement des générations, malgré les outils en faveur des jeunes qui ne pourraient compenser la baisse de revenus, annoncée par ailleurs.

Aucune garantie d’une PAC plus simple, des risques majeurs de fragmentation du marché communautaire

Malgré les mises en garde, notamment du rapport Dorfmann, voté à une large majorité par le Parlement européen, le 30 mai, la Commission européenne a persisté dans sa volonté de proposer une renationalisation forte et une bureaucratisation de la Politique agricole commune qui constituent les éléments centraux de sa proposition à travers le « Nouveau Mécanisme de Mise en œuvre ».

Certes, la Commission européenne a finalement proposé une base commune aux aides directes à travers le principe d’une super-conditionnalité qui intègrerait les 30% d’aides vertes actuelles. Mais les modalités exactes de cette super-conditionnalité sont laissées pour une large part au libre-arbitre des Etats membres.

De fait, cette proposition ne constitue en aucune mesure une simplification pour les agriculteurs : tout dépendra de la mise en œuvre potentiellement divergente qui en serait faite par les Etats membres, si ce projet était adopté tel quel.

De plus, bien que cherchant à mettre en avant une connotation environnementale, elle n’offre absolument aucune garantie en matière d’environnement, étant donné que des paramètres clefs seraient définis non pas à l’échelle européenne, mais à l’échelle des Etats membres, voire des régions. C’est la conclusion même de l’étude d’impact de la Commission sur ce sujet.

De manière inquiétante, une telle évolution mettrait en compétition forte les cadres règlementaires des différentes Etats membres avec naturellement des avantages en matière de compétitivité pour les moins-disants en matière environnementale. Notons que l’ « Eco-scheme » proposé comme un nouveau verdissement non défini au plan communautaire n’est pour l’essentiel qu’une mesure agro-environnementale comme elles existent déjà dans le cadre du développement rural, à la différence qu’il serait possible pour les Etats membres de rendre ces soutiens incitatifs, et non pas seulement « compensatoires ».

Des principes économiques intéressants, mais qui restent des déclarations d’intention

Sur le volet économique, la Commission pose trois principes intéressants : l’obligation pour les Etats membres de mettre en place des mesures de gestion des risques, la mise en place de programmes opérationnels pour structurer les filières ainsi que la réforme de la réserve de crise pour la rendre pluriannuelle et donc plus opérationnelle. Toutefois, ces orientations constituent à ce stade des déclarations d’intention plus que de véritables avancées. En effet, aucun moyen suffisant n’est prévu pour ces trois outils : soit les Etats membres restent libres de mobiliser des financements symboliques ou efficaces, soit la proposition limite financièrement l’efficacité de l’approche proposée comme c’est le cas pour les programmes opérationnels.

Par ailleurs, au-delà du caractère pour le moins inquiétant pour la cohésion du marché intérieur que constitue la nouvelle ergonomie proposée par la proposition de Nouveau Mécanisme de Mise en œuvre (New Delivery Mechanism), déjà soulevé par Farm Europe en novembre dernier, s’ajoute une proposition de glissement de la PAC vers un programme principalement géré de façon technocratique, dans une relation bilatérale entre les administrations agricoles nationales et les services de la Commission européenne. Cette dernière entend obtenir le pouvoir de valider l’ensemble des choix de chaque Etat membre et de chaque région, tant pour l’usage du 1erpilier que du second. Le Parlement européen et le Conseil des ministres de l’agriculture de l’UE, en tant qu’institutions, se verraient dépossédés de l’essentiel de leurs prérogatives. Même les éléments adoptés dans les actes de base par les co-législateurs seraient soumis à l’approbation des services de la Commission dans le cadre du droit de regard systématique de celle-ci pour les stratégies nationales.