LE PLAN INDUSTRIEL DU GREEN DEAL : L’AGRICULTURE DOIT ÊTRE PRIVILÉGIÉE VIA UN DISPOSITIF VÉRITABLEMENT EUROPÉEN

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La Commission européenne a présenté une communication intitulée « Un plan industriel « Green Deal » pour l’ère du net-zéro », qui servira de base de réflexion aux chefs d’Etat et de gouvernement la semaine prochaine. Elle a également annoncé qu’une proposition de Fonds européen de souveraineté (FSE) sera faite dans le contexte de la révision du cadre financier pluriannuel avant l’été 2023. Le plan et le FSE sont censés être la réponse de l’UE à la loi sur la réduction de l’inflation (IRA) déclenchée par les États-Unis, qui subventionne fortement les actions contre le changement climatique, mais aussi pour tenter de coordonner davantage l’approche européenne après une année très intensive en aides d’État, en particulier en France et l’Allemagne.

La communication défend la poursuite du soutien par le biais d’aides d’État à toutes les technologies renouvelables et au soutien des « installations innovantes de biocarburants avancés ». Cependant, la communication est muette sur le soutien à la transition vers une agriculture plus verte, contrairement à ce qu’ont fait les États-Unis dans l’IRA. Contrairement aux États-Unis, la Commission ignore un secteur économique qui est essentiel pour atteindre une économie nette zéro dans l’UE.

La transition vers une agriculture plus verte

Pour donner l’ampleur du défi, il est nécessaire de jeter un coup d’œil à l’approche américaine tout en gardant à l’esprit que l’inflation sapera sérieusement la capacité de levier de la Politique agricole commune (PAC) en Europe. Globalement, il manquera environ 85 milliards d’euros pour maintenir la puissance de feu économique de la PAC sur la période 2021-2027 par rapport à 2020, ce qui signifie tout simplement moins d’investissements, moins de capacité à préparer l’avenir.

Du côté américain, en plus des programmes habituels de soutien agricole, environ 20 milliards de dollars de fonds de l’IRA soutiendront des programmes environnementaux de l’USDA. Cet investissement supplémentaire aidera les agriculteurs à mettre en œuvre des pratiques qui réduisent les émissions de gaz à effet de serre et augmentent le stockage du carbone dans leurs sols et leurs arbres. Il apportera une aide financière ou une assistance technique pour effectuer la transition.

À l’heure où l’agriculture de l’UE accuse déjà un sérieux retard d’investissement par rapport aux États-Unis dans les nouvelles technologies et les nouveaux procédés qui réduisent les émissions et l’utilisation d’intrants, ce paquet d’investissements creusera encore un peu plus l’écart de durabilité et de compétitivité. Les propositions de la Commission dans le cadre du « Green Deal » visent des objectifs très ambitieux en matière de réduction de l’utilisation des intrants. Le secteur agricole est également chargé de réduire les émissions et d’augmenter le captage du carbone. Mais, à ce stade, cette démarche n’est accompagnée d’aucun plan d’investissement significatif, tout étant ramené au budget déjà fragilisé et utilisé par ailleurs de la PAC.

Pourtant, un retard avec l’IRA créerait un déséquilibre croissant entre les agricultures des deux côtés de l’Atlantique, sapant le leadership de l’UE en matière de technologies agricoles vertes et compétitives. Si aucune action supplémentaire n’est entreprise, les objectifs climatiques et environnementaux seront compromis, et la compétitivité de l’agriculture de l’UE en souffrira également. Outre le changement climatique et l’environnement, la sécurité et la souveraineté alimentaires de l’UE seraient remises en question, car l’écart des prix de l’énergie continuera à éroder la compétitivité de l’UE.

Transition vers l’énergie verte

L’IRA prévoit également un investissement de 14 milliards de dollars pour aider les exploitations agricoles et les coopératives à passer à l’énergie propre. En plus des incitations et des mandats actuels, l’IRA investit 500 millions de dollars supplémentaires pour développer l’infrastructure associée aux biocarburants et élargir la disponibilité de ces carburants renouvelables comme l’E15, l’E85 et le B20. En outre, elle prolonge les crédits d’impôt pour le biodiesel et le carburant aviation durable (SAF).

Les industries vertes de l’UE, telles que la production de biocarburants durables, sont déjà confrontées à de sérieux vents contraires lorsqu’elles concurrencent les États-Unis et d’autres producteurs clef, notamment en raison des coûts énergétiques beaucoup plus élevés. La production européenne de biocarburants est de loin la principale contribution à la décarbonisation du secteur des transports. Les objectifs plus élevés de réduction des GES proposés par la Commission, en cours de discussion par les co-législateurs, feront de la contribution de tous les biocarburants durables un élément déterminant pour atteindre ces objectifs.

Si les désavantages concurrentiels actuels persistent, en plus des nouvelles subventions américaines de l’IRA, il sera inévitable que de nouveaux investissements nécessaires traversent l’Atlantique, et que les exploitations européennes existantes luttent pour survivre. La demande de biocarburants de l’UE pour la décarbonisation des transports serait satisfaite par des importations en provenance des États-Unis et d’autres grands producteurs, au détriment des industries basées dans l’UE.

Le plan industriel « Green Deal » et le FSE devraient donc viser à mettre sur un pied d’égalité avec les États-Unis les secteurs de l’UE qui sont essentiels à la lutte contre le changement climatique, comme la production durable de biocarburants, sans exception. Ne pas le faire remettrait profondément en cause les nouveaux investissements dans l’UE, et compromettrait les objectifs ambitieux de l’UE en matière de réduction des GES, de capture du carbone et de protection de l’environnement.

Un fonds européen d’au moins 40 milliards d’euros est nécessaire

Le plan industriel « Green Deal » et le FSE doivent donc prévoir une enveloppe supplémentaire destinée à soutenir les investissements dans l’agriculture dans les nouvelles technologies et les nouveaux processus qui réduisent les émissions et l’utilisation des intrants. Ils doivent également créer les bonnes incitations pour augmenter la capture du carbone, parallèlement aux économies de carbone, et pour produire de l’énergie propre. Dans l’ensemble, un sursaut de la capacité d’investissement de la PAC sera nécessaire dès la période 2023-2025 pour que l’Europe reste dans le jeu, sur la voie de la réalisation de son ambition verte, pour garantir un secteur agroalimentaire dynamique en Europe et pour éviter une fuite des investissements pour l’économie verte de l’autre côté de l’Atlantique.

Au moins 40 milliards d’euros doivent être mobilisés au niveau de l’Union européenne, et non pas seulement via des aides d’État, certes nécessaires, mais qui risquent de générer une Europe à plusieurs vitesses mettant à mal le marché intérieur. Ce fonds doit être complété par un cadre réglementaire offrant une visibilité aux acteurs économiques à l’heure où un défi démographique majeur se profile dans le secteur agricole et où les acteurs économiques ont besoin de signaux clairs.