RÉPONSE DE FARM EUROPE A LA CONSULTATION DE LA CHAMBRE DES LORDS BRITANNIQUE INTITULEE :RÉPONDRE A la volatilité des prix: Bâtir un secteur agricole plus résilient.

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La Chambre des Lords du Parlement britannique a lancé avant Noël, une consultation sur la volatilité des prix et la résilience de l’agriculture. Un débat sur le sujet a été lancé dans le cadre de cette assemblée début janvier.

Farm Europe a été invité à contribuer au débat à travers une contribution écrite. Voici les réponses aux questions soulevées :

  • Quel est le rôle des politiques publiques dans l’atténuation de l’impact de la volatilité potentielle des prix? Dans quelle mesure la réponse devrait-elle être un effort partagé entre les institutions européennes et les gouvernements des États membres? Quels sont les différents rôles de l’industrie d’une part et les agriculteurs individuels sur l’autre?

Les moteurs de la volatilité des prix sont en effet multiples et complexes. Les évènements climatiques extrêmes sont rendus plus fréquents en raison du réchauffement climatique, de l’accroîssement de la demande alimentaire à la en lien avec l’évolution de population mondiale et des revenus, ainsi que les liens accrus entre les marchés financiers et les marchés des matières premières. L’ensemble de ces facteurs joue un rôle important.

Aucun des moteurs de la volatilité des prix présentés ci-dessus n’est susceptible d’être endigué de façon adéquate par les agriculteurs à un niveau individuel ou par d’autres acteurs des filières agro-alimentaires isolément. Par conséquent, il est du ressort des politiques publiques de répondre à ces enjeux de façon à en limiter les impacts négatifs.

La résilience du secteur agricole sous-tend l’approvisionnement des citoyens européens en aliments sûr, durable et à des prix abordables, de même qu’elle se doit d’assurer une certaine stabilité financière aux agriculteurs de l’UE. Un secteur agricole résilient est un secteur en mesure de faire face aux risques de manière efficace, et de prendre des mesures pour atténuer les effets plus importants de la volatilité des prix mondiaux.

La politique agricole étant une politique commune de l’Union européenne de longue date, à travers la Politique agricole commune (PAC), celle-ci devrait donc être le cadre adéquat pour des politiques permettant d’atténuer les effets négatifs de la volatilité des prix.

La PAC ne peut pas atteindre cet objectif sans engager un dialogue, et déléguer un certain nombre d’éléménts, aux autorités des États membres et à des acteurs du secteur privé. Une pallette large d’instruments doit être activée pour mener ce type de politique, qui, pour partie, seraient plus efficaces à l’échelle nationale ou régionale, ou avec des acteurs publics et privés. Les partenariats public-privé pourraient être un modèle dans ce domaine.

Les agriculteurs sont, de loin, le groupe le plus affecté et concerné. Ils devraient bénéficier des mesures d’atténuation mises en oeuvre. Les agriculteurs devraient également être appelés à contribuer à ces mesures de façon raisonnable et équilibrée.

Pour sa part, l’industrie doit également fournir autant que possible de la stabilité au secteur agricole. A cet égard, une répartition plus équilibrée des bénéfices à travers la chaîne de valeur ajoutée est nécessaire.

  • Les réponses politiques publiques doivent-elles faire une distinction entre le soutien à la résilience de l’industrie dans son ensemble, l’appui à la résilience des secteurs spécifiques et le soutien à la résilience des unités individuelles de l’activité?

Il est difficile de renforcer la résilience de l’ensemble des filières agro-alimentaire sans soutenir, en premier lieu, les unités économiques individuelles de l’amont que sont les exploitations agricoles.

De plus, des mesures ciblées à des secteurs qui font face à des difficultés spécifiques pourraient être un moyen d’accroître l’efficacité globale du mécanisme. Le « one size fits all » ne fonctinne pas en la matière – et des soutiens ciblés sont plus efficaces et pertinents que des politiques globales.

  • Actuellement, quels sont les éléments clés de la gestion du risque de prix de l’industrie? Quels outils sont en outre nécessaires?

Une gestion efficace des risques peut atténuer les effets négatifs de la volatilité des prix. Selon les propres mots de l’OCDE, «la gestion des risques en agriculture est maintenant un outil essentiel pour permettre aux agriculteurs d’anticiper, d’éviter et de réagir aux chocs. Un système de gestion des risques efficace pour l’agriculture permettra de préserver le niveau de vie de ceux qui dépendent de l’agriculture, de renforcer la viabilité des entreprises agricoles, et de créer un environnement qui soutient les investissements dans le secteur agricole « .

En réponse à cette question, il est donc utile de distinguer entre le niveau « exploitation agricole » et celui de l’industrie agroalimentaire. Il a actuellement de grandes différences d’un secteur à l’autre. Les secteurs qui ont des coopératives puissantes sont dans une position très différente de ceux qui ont seulement des acteurs privés. Les coopératives appartenant aux agriculteurs ont dans une certaine mesure plus de possibilités et de moyens pour atténuer l’impact de la volatilité des prix.

Au niveau des exploitations, des instruments sont disponibles dans le cadre de la PAC. Ils concernent les prix d’intervention publique pour certains produits (céréales, viande de bœuf, les produits laitiers), fixés à un niveau bas pour garantir qu’ils ne sont déclenchées que dans des situations extrêmes ; les soutiens au stockage privé lorsque les prix baissent en-deçà des niveaux établis (porc, produits laitiers) ; et les soutiens indirects aux organisations de producteurs dans le secteur des fruits et légumes permettant de retirer du marché les excédents de production. En plus de ces instruments, existe la possibilité, pour les États membres, de soutenir les régimes d’assurance grâce à des fonds issus du «deuxième pilier».

Au niveau de l’agro-industrie et des coopératives, il existe également des mécanismes financiers de couverture des risques, disponibles pour quelques produits et marchés spécifiques. Actuellement, dans l’UE, les marchés à termes ne concernent que deux produits et sont disponibles seulement pour deux marchés – le blé (à Paris) et le sucre (à Londres). Les marchés à terme, même étendus à d’autres produits de base, ne peuvent couvrir que partiellement les productions agricoles. Il est, par exemple, concevable d’avoir un marché à terme pour le lait écrémé en poudre, mais pas pour la production de fromage très diversifiée. A ces limitations, inhérentes à l’instrument, doit être ajouté le fait qu’ils nécessitent pour être utilisés des connaissances hautement spécialisées.

Les mécanismes existants actuellement ont montré qu’ils sont insuffisants lorsqu’une crise de déclenche, comme en témoigne la récente crise dans le secteur laitier. Les mécanismes d’assurance sont trop peu nombreux, et trop faibles pour fournir un soutien approprié à la chute de prix d’un secteur donné.

À l’heure actuelle la PAC consacre 1% de son budget aux soutiens aux mécanismes d’assurance, alors qu’à l’inverse 60% des dépenses va aux aides directes au revenu (paiements directs), indépendamment des fluctuations de marché.

Un nouveau cadre pour le renforcement des mécanismes d’assurance, avec un soutien appriorié de la PAC, est un outil fondamental qui devrait être développé.

 

  • Quel effet a la marchandisation des produits agricoles UE sur la capacité des agriculteurs à réagir aux risques de manière efficace? Quels moyens actuels pour les agriculteurs pour atténuer les effets sur l’exploitation des marchés mondiaux de matières premières volatiles et des fluctuations monétaires?

La « commoditisation » des produits agricoles doit être analysée en lien avec le renforcement des relations d’une part entre les marchés financiers et marchés des matières premières, et d’autres part au sein même du marché des commodités entre l’agriculture et les autres matières premières (énergie, métaux).

Ces développements ont contribué à augmenter la volatilité des prix et donc à exposer davantage les agriculteurs à des fluctuations de prix plus fortes que ce qui devrait être la norme dans le cadre d’une relation normale entre l’offre et la demande. Les instruments dont disposent les agriculteurs pour faire face à ces risques sont actuellement plutôt limité – quelques régimes d’assurance dispersés, et encore moins d’instruments de couverture. La disponibilité d’informations pertinentes et précises sur les marchés est également un domaine où il y a encore une marge d’amélioration.

  • Quels sont les obstacles à une gestion des risques plus efficace à la ferme: mécanismes de fixation de prix à plus long terme, diversification, travail coopératif et crédit-bail, etc ? Comment ces obstacles peuvent être surmontés et quel est le rôle de l’UE et des politiques publiques nationales ?

La gestion des risques liés aux prix, à l’échelle des exploitations, est affaiblie par l’absence d’instruments suffisamment bien dotés, en particulier le manque de régimes d’assurance ad hoc.

La diversification des productions à l’échelle d’une exploitation contribue à limiter les risques. Toutefois, il y a des limites à ce qu’un agriculteur peut faire en la matière. Les contraintes liées aux sols, au climat, à la technologie et au capital sont bien connues.

Pour leur part, les coopératives peuvent aider à stabiliser les prix, mais seulement dans la limite de leurs capacités financières et contractuelles. Les contrats à terme sont également utiles, mais ils ont une portée très limitée.

Dès lors, l’UE et les politiques publiques nationales ont un rôle à jouer, en fournissant des régimes d’assurance appropriés entre les secteurs et les pays.

De plus, les politiques publiques à l’échelle européenne et nationale devraient également définir le cadre adéquat pour une meilleure transmission des prix et une répartition plus équilibrée de la valeur ajoutée au sein de la chaîne alimentaires.

  • Les instruments fondés sur le marché sont-ils adaptés aux situations actuelles? Comment l’introduction de nouveaux outils financiers pourrait elle être conçue pour éviter des effets spéculatifs indésirables ?

Des mécanismes d’assurance contre la baisse brutale et importante des prix  ou bien contre les mauvaises récoltes peuvent être apportés par le marché, avec un appui adéquat de fonds publics européens et nationaux de façon à garantir un système de couverture des pertes pour les assureurs privés et rendre le niveau des primes abordable pour les agriculteurs.

En raison des besoins financiers très conséquents associés aux régimes d’assurance des prix, ces mécanismes devraient être conçus et pris en charge au niveau de l’UE, à travers un financement de la PAC. Il est irréaliste, en effet, de s’attendre à ce que des mécanismes d’assurance-prix se construisent uniquement au niveau national ou régional, étant donné les besoins financiers nécessaires pour faire face des chutes de prix importantes.

Une autre voie ouverte aux acteurs du marché est d’étendre l’utilisation de contrats entre les agriculteurs ou leurs coopératives, et les acheteurs (agro-industrie, commerce de gros et de détail). Celle-ci pourrait également contribuer à augmenter la stabilité des prix et aider à anticiper l’évolution des cours.

  • Quel jugement sur les conditions actuelles d’accès au financement des investissements? Quel rôle pour la Banque européenne d’investissement pour soutenir l’investissement dans les exploitations? Quels autres instruments susceptibles d’améliorer l’accès au financement dans un environnement volatile?

L’investissement est la clé du développement d’une agriculture durable et compétitive. Un des plus grands problèmes auxquels sont confrontés les agriculteurs qui sont prêts à investir ou ont investi par le passé est : comment rembourser les prêts – et donc prendre des engagements financiers – dans un environnement de prix volatile?

La Banque européenne d’investissement pourrait s’engager et apporter un soutien financier aux prêteurs au sein de l’Union européenne. La BEI pourrait offrir du crédit aux prêteurs sur mesure pour améliorer les conditions et faciliter l’accès au crédit pour l’investissement des agriculteurs.

  • Quel est le niveau d’information disponible pour les agriculteurs afin qu’ils puissent utiliser des instruments d’arbitrage sur les marchés et voire envisager d’autres options au niveau de leurs fermes? Comment la disponibilité des connaissances pourrait être améliorée?

Les organes consultatifs nationaux sont des plateformes d’informations pour les agriculteurs. Des avancées devraient être réalisées pour fournir encore davantage de données pertinentes sur comment les agriculteurs peuvent bénéficier d’outils fondés sur le marché pour atténuer la volatilité et accroître la résilience, y compris les assurances, les contrats et les marchés futurs.

Aussi, les autorités nationales pourraient offrir des outils de formation aux agriculteurs ou à leurs représentants permettant de renforcer le niveau de compréhension sur le fonctionnement des mécanismes de contractualisation et des marchés à terme.

  • Quel devrait être le rôle de l’innovation dans la création d’un secteur agricole plus résilient? L’investissement dans la recherche scientifique et celui lui à la dissémination sont-ils suffisants?

L’innovation est une clé pour l’avenir du secteur agricole. Elle peut aider les agriculteurs à faire face à des événements météorologiques extrêmes, notamment à travers des semences plus résistantes ou meilleure gestion des sols.

Pour encourager l’innovation, les efforts de recherche sont primordiaux. Durant les dernières décennies, l’augmentation de la productivité s’est enrayé, ce qui compromet la capacité du secteur agricole à satisfaire une demande mondiale accrue venant d’une population plus nombreuse et plus riche, en particulier dans les pays émergents.

Il est important de souligner qu’en parallèle du tassement de l’augmentation de la productivité agricole, ces dernières décennies ont également vu une baisse des efforts en matière de recherche agricole. Cette tendance doit être inversée si nous voulons mettre la planète en position de fournir assez de nourriture pour population en augmentation.

Les organismes publics et privés au niveau de européen et nationaux devraient travailler de concert pour favoriser la recherche agro-alimentaire, et en diffuser les résultats.

  • Dans quelle mesure la politique agricole de l’UE aide-t-elle réellement les agriculteurs à atténuer l’impact de la volatilité potentielle des prix? La gestion du risque prix doit-il devenir un objectif explicite de la politique agricole commune, voire une priorité marquée avec des outils spécifiques ? Quels changements à long terme devraient être apportés à la politique agricole commune pour soutenir l’industrie agricole pour répondre au risque de prix plus efficacement? Les régimes d’assurance doivent-ils jouer un rôle plus important?

La PAC actuelle tente de stabiliser les revenus agricoles par le biais d’aides directes aux revenus, indépendamment de l’évolution des prix.

Comme mentionné précédemment, 60% du budget de la PAC va a ce type d’outils, et seulement 1% aux mécanismes d’assurance. A cela s’ajoute le fait que la PAC fournit un certain nombre de filets de sécurité pour certains secteurs clés : céréales, produits laitiers, bœuf, porc, fruits et légumes. Toutefois, ces mesures se sont révélées insuffisantes pour répondre aux chutes de prix les plus importantes, entraînant des pertes de revenus considérables pour les agriculteurs actifs sur les secteurs les plus touchés, effondrements qui mettent en péril la capacité des agriculteurs à investir, à moderniser leurs exploitations et à faire face à la volatilité des prix.

Pour renforcer le niveau de résilience du secteur agricole, des mesures explicites fortes devraient être mises en œuvre qui permettent de répondre aux risques de prix dans la PAC. En particulier, les régimes d’assurance devraient être dotés d’une réelle existance au sein de la PAC avec un niveau de financement adéquat.

Ces régimes d’assurance devraient être fournis au niveau national ou régional, par des organismes privés ou publics, et être bien adaptés aux besoins des agriculteurs. Ils devraient être disponibles au niveau européen, pour tous les agriculteurs qui souhaitent y souscrire. Comme évoqué précédemment, les fonds publics devraient fournir des incitants aux companies d’assurance et rendre ces régimes d’assurance viables pour les agriculteurs, ceci étant faisable uniquement avec des soutiens de niveau européen.

D’un côté, l’assurance devrait être abordable pour les agriculteurs et, de l’autre, les compagnies d’assurance devraient avoir des garanties appropriées quant à la couverture des pertes majeures.

Dès lors, des progrès en ce sens pourraient être réalisés en deux étapes.

A court terme, des ressources supplémentaires pourraient être transférées des aides directes vers un soutien accru aux régimes d’assurance. Cela nécessiterait un examen à mi-parcours de la PAC actuelle qui permettrait, en augmentant la part des aides directes au revenu «premier pilier», qui pourrait être transféré vers le «second pilier».

Toutefois, à moyen et à long terme, la PAC a besoin d’une révision plus fondamentale autour de trois principaux objectifs pour une politique commune : soutenir la résilience du secteur, promouvoir l’agriculture durable, et de stimuler la croissance par l’innovation et l’investissement en particulier. Il est difficile à défendre que d’orienter 60% des ressources sur l’aide directe aux revenus, indépendamment des fluctuations des prix du marché, soit la bonne voie à suivre.

Dans un second temps,­ la PAC pourrait être structurée autour de ces trois objectifs clés. Dans cette nouvelle perspective, les régimes d’assurance seraient un pilier important au sein de la PAC réformée, qui favoriserait la résilience.