UNE CRISE SANS PRÉCÉDENT APPELLE UNE RÉACTION SANS PRÉCÉDENT DE L’UE

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Depuis près de trois ans maintenant (depuis le début de la crise Covid), l’agriculture européenne est confrontée à un défi après l’autre et à une crise après l’autre. Les conséquences cumulées de ces défis se poursuivent et, même, s’amplifient, alors qu’ils ne font plus la Une des journaux. Et cela constituera une menace sérieuse pour l’agriculture européenne – et pour la sécurité alimentaire mondiale – dans les mois à venir sans réaction de la part des institutions communautaires.

Pendant la pandémie de Covid, les agriculteurs se sont organisés pour assurer un approvisionnement de qualité, en quantité et en temps voulu à tous les Européens ainsi qu’aux pays tiers. Afin de rebondir après la fermeture des marchés liée à cette période, la Commission européenne avait proposé d’inclure une enveloppe de 20 milliards d’euros pour l’agriculture dans son plan de relance européen. Mais les chefs d’État et de gouvernement ont finalement opté pour une enveloppe étroite, réduite de plus de la moitié du montant initial (8 milliards). Cette enveloppe limitée laissait une assez grande souplesse d’utilisation aux États membres. En fait, une très faible partie a été utilisée pour financer des investissements de relance.

Néanmoins, les effets économiques de la crise sanitaire ont persisté pour les acteurs économiques avec une augmentation du coûts des intrants et des consommations intermédiaires sous le double effet d’une reprise de la consommation mondiale et de goulots d’étranglement chez les fournisseurs, principalement en Asie. Cette hausse des coûts de production n’a été que très partiellement répercutée sur le secteur aval. Elle a affaibli les marges des filières agricoles et des agriculteurs.

A partir de l’automne 2021, la dégradation de la situation entre la Russie et l’Ukraine a créé des tensions sur les prix de l’énergie. Elle s’est transformée en une crise profonde avec l’agression de la Russie contre l’Ukraine. Le blocus des ports ukrainiens et les craintes sur la sécurité alimentaire ont entraîné des flambées de prix des produits agricoles. Ces hausses de prix agricoles n’ont été que marginalement répercutées sur les agriculteurs, car la majorité de la production de grandes cultures avait déjà été vendue ou sous-traitée auparavant. Les négociants ont été les principaux bénéficiaires. En ce qui concerne la production animale, la hausse des prix des denrées alimentaires a annihilé tout effet positif potentiel des augmentations de prix.

Aujourd’hui, les prix agricoles tendent vers les niveaux d’avant l’invasion de l’Ukraine. Toutefois, les prix des intrants, notamment des engrais, restent extrêmement élevés, en raison des incertitudes sur le marché du gaz. Ni celles-ci, ni l’annonce de la fermeture d’usines d’engrais en Europe, ne laissent présager une détente de la situation. Si la baisse des prix agricoles mondiaux peut détourner les projecteurs des fondamentaux des marchés agricoles, la crainte d’une agriculture européenne aux prises avec les conséquences d’une telle compression des prix est réelle.

Afin de limiter l’impact de la crise ukrainienne sur la production agricole européenne, l’Union européenne a permis aux États membres d’agir de manière désordonnée, en fonction de leur capacité à mobiliser des ressources budgétaires nationales. 9 États membres ont présenté des mesures d’aides d’État pour leur agriculture depuis avril 2022 (Allemagne, Pologne, Italie, France, Estonie, République tchèque, Slovénie, Autriche, Bulgarie) avec des écarts importants dans le niveau de soutien, générant des frictions sur le marché intérieur.

Ces mesures, pour ceux qui ont pu en bénéficier, sont de nature à atténuer une partie des difficultés actuelles, mais elles n’anticipent pas le scénario qui se dessine d’une baisse des prix de marché et d’un maintien des coûts de production au plus haut.

Dans le même temps, l’Union européenne a connu l’une des pires sécheresses. 14 des 27 États membres ont été sévèrement touchés (Portugal, Italie, Espagne, France, Irlande, Belgique, Luxembourg, République tchèque, Slovaquie et Croatie). Outre la production de colza, d’autres cultures sont en baisse, ce qui fragilise encore plus les comptes des exploitations. Quant à la production de fourrage, elle est dans un état très préoccupant et menace la survie de nombreux agriculteurs. Déjà confrontés à la hausse des prix des aliments pour animaux et à d’autres facteurs de production dus à la guerre en Ukraine, ils doivent maintenant faire face à un besoin en fourrage qu’ils risquent d’avoir beaucoup de mal à satisfaire d’ici l’automne. Dans ces conditions, des décisions de décapitalisation accélérées sont à prévoir, avec pour corollaire un déséquilibre entre l’offre et la demande qui pourrait conduire à un retournement des prix et à une spirale descendante grave.

Source: JRC, European Commission

En ce qui concerne la production en 2022/23, aucun secteur ne semble à l’abri d’une baisse du chiffre d’affaires et d’une hausse des coûts de production ; ni le secteur animal, ni le secteur végétal. En effet, c’est dans les prochaines semaines que se joue la capacité de l’agriculture européenne à assurer le bon fonctionnement des marchés (européens et pour sa part de responsabilité dans l’approvisionnement des marchés mondiaux) pour les 18 prochains mois. Les décisions de paiement anticipé des aides de la PAC constituent une aide ponctuelle de trésorerie, mais ne suffiront pas à casser la spirale, loin de là. Face à une situation comme celle que nous connaissons, le maintien du potentiel productif européen et des agriculteurs au premier rang de notre sécurité alimentaire passe nécessairement par des baisses de charges et des aides financières (sur fonds frais) à décider et à mettre en œuvre de manière urgente.

La rentrée du Parlement et de la Commission européenne après l’été doit être le moment d’agir, d’agir pour une Europe solidaire, aux côtés de ses agriculteurs.