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Les travaux
Double performance des filières agricoles européennes
Octobre 2017
Double performance des filières agricoles européennes – Une condition première : Procurer aux acteurs économiques les moyens d’agir pour une plus grande stabilité économique.
Depuis plus de deux décennies, l’ABC des décideurs politiques (Commission en tête, Conseil et Parlement européen) est une plus grande proximité entre les producteurs agricoles et les évolutions des marchés, ou, selon l’expression maintenant consacrée « l’orientation par les marchés des productions agricoles ».
Cependant, au-delà de la rhétorique ou de l’incantation, une question revient avec insistance depuis 2008 : la PAC s’est-elle elle-même adaptée aux marchés, à leurs évolutions et leurs caractéristiques afin de, précisément, permettre aux filières agricoles et agro-alimentaires d’être pleinement sur les marchés et d’en être des acteurs à 100% ?
Le postulat économique pris par les décideurs durant toute de la période 2003-2013 a été de couper au maximum les liens entre aides publiques et productions, les marchés devant présider aux choix des agriculteurs dans leurs actes de produire sans intervention aucune extérieure. En d’autres termes, la logique des réformes de 2003 et de l’adaptation de 2008 visaient à octroyer une aide au revenu, forfaitaire et annuelle, par hectare aux agriculteurs, pour quasi « solde de tous comptes », en maintenant, par ailleurs, un nombre réduit de filets de sécurité pouvant être activés à des niveaux bas (voire très bas et non opérationnel pour le secteur viande bovine) en cas de crises profondes de marché.
Limitée à ces outils dans son cadre économique, la PAC a semblé osciller entre l’hypothèse d’un fonctionnement parfait des marchés ou celui d’une agriculture européenne qui eut demeurée protégée de la volatilité grandissante des marchés mondiaux quand bien même l’Union européenne ouvrait ses frontières et visait à une présence renforcée des produits agricoles et agro-alimentaires européens sur les marchés mondiaux, sans soutiens publics.
Dans ce lien désiré entre agricultures européennes et marchés mondiaux, les secteurs agricoles de l’Union européenne se sont largement trouvés démunis face à l’accroissement de volatilité des marchés, volatilité se renforçant tant en amplitude qu’en fréquence et devenant depuis les années 2007-2009 une donne nouvelle non contestée des marchés agricoles et alimentaires mondiaux.
De fait, si les aides directes du 1er pilier de la PAC constituent le socle de base de la protection du revenu agricole au niveau européen, elles apparaissent de plus en plus insuffisantes pour couvrir l’ensemble des risques auxquels sont confrontés les agriculteurs :
- – Aéas climatiques renforcés dans le contexte du changement climatique. Plus une année ne se passe sans que des aides d’urgence doivent être débloquées, ici pour des grêles, là pour de la sècheresse ou des inondations.
- – Volatilité accrue des prix, un déséquilibre de quelques pourcentages entre offres et demandes sur les marchés mondiaux pouvant se répercuter en des variations brusques et d’amplitudes non proportionnelles sur les prix payés aux producteurs quand bien même les débouchés mondiaux ne représentent d’une fraction minoritaire pour les productions affectées. Cet effet domino a particulièrement affecté le secteur laitier européen depuis 2009.
- – Des aléas sanitaires plus fréquents du fait d’échanges croissants entre régions, entre pays et avec les pays tiers impliquant des risques inhérents supérieurs, plus difficilement maîtrisables, et parfois nouveaux.
- – Des dysfonctionnements majeurs de marchés en cas de crises profondes. Des baisses brusques de prix liées à un excès d’offre pouvant induire, notamment pour des productions à cycle court, un comportement individuel opposé à une logique collective de résolution ou d’atténuation de crise : accroître sa production pour pallier par le volume à la baisse de la marge. De telles spirales où les acteurs économiques individuels « creusent leur propre tombe » en espérant y enterrer, plus vite qu’eux, leurs voisins, sont destructrices de valeur, coûteuses in fine en finances publiques appelées en dernier recours à la rescousse. Mais, en plus, elles affectent en premier les acteurs économiques d’avenir, ceux-là mêmes ayant investi récemment pour accroître leur productivité et que la crise laisse les premiers exsangues.
Alors que selon les filières agricoles, ce sont 10 à 40 % de la production européenne qui est valorisée à l’exportation, certaines voix appellent – souvent avec démagogie – soit un repli de l’UE sur elle-même, à un retour plus ou moins déguisé à des politiques des années 70’ de prix garantis élevés (dont le résultat serait aussi un isolationnisme destructeur et à contre courant de la recherche de valeur) soit à une fonctionnarisation des agriculteurs auxquels il serait réfuter le droit d’entreprise pour n’être plus qu’instruments d’une volonté politique sociétale oubliant la fonction première productrice de l’agriculture. Ces deux voies doivent être dénoncées avec force et leurs propositions, qui sont tout sauf tournées vers l’avenir, écartées. Elles ne conduiraient qu’à une paupérisation des filières agricoles, des zones rurales – à commencer par les plus fragiles – et de l’Union européenne dans son ensemble ; ou à une sur-administration menant à une impasse budgétaire et économique.
Au contraire, l’Union européenne doit prendre le parti de l’ambition. Elle doit avoir le courage de reconnaître et traiter le secteur agricole comme un secteur économique à part entière et d’affirmer son importance économique pour l’Union européenne.
Pour cela, elle doit en premier lieu réaffirmer la légitimité des aides directes du 1er pilier de la PAC qui constitue un socle économique de base de la stabilité du secteur agricole au regard :
- – d’un côté des demandes non rémunérées par les marchés auxquelles il lui est demandé de répondre ;
- – du coût des standards de qualité européens voulus tant par le législateur que le consommateur ;
- – et enfin du droit des agriculteurs européens à avoir accès à un niveau de vie équitable, en Europe, alors que qu’il est encore en moyenne inférieur de 40% à celui des autres secteurs économiques et ne saurait être raisonné au regard des standards économiques très hétérogènes de leurs concurrents mondiaux.Face à ces aléas, l’Union européenne doit changer de pied et privilégier une gestion économique et entrepreneuriale responsable :
- – qui place les agriculteurs au cœur des décisions à prendre pour faire face aux aléas climatiques et retournements des marchés ;
- – qui place l’Union européenne face à ses responsabilités pour accompagner de façon structurée les secteurs agricoles lors des cas de crises particulièrement graves. En amont des négociations européennes liées à la proposition dite Omnibus Financier de la Commission, le Global Food Forum 2016 a travaillé sur les adaptations souhaitables de la PAC actuelle afin que les agriculteurs européens soient en état, dès 2018, de bâtir volontairement des stratégies de protection renforcée de leurs entreprises face aux aléas climatiques et à la volatilité des marchés.
A cet égard, le Global Food Forum 2016 a retenu trois types d’outils faisant la synthèse de l’efficacité et l’efficience économique devant être proposés dés 2018 par la PAC aux agriculteurs :
- – Une incitation effective à la couverture du risque climatique par les agriculteurs, via un cofinancement PAC (à 65%) de primes d’assurances récolte se déclenchant à partir de 20 % de pertes constatées sur la base d’indices. Alors que le risque climatique est le risque le plus fréquent, le plus imprévisible et le plus destructeur que l’agriculture connaît, il n’est plus tenable de rester dans une gestion « politique » de ces risques, avec des enveloppes d’urgence dépendantes des disponibilités budgétaires, notamment. Les assurances climatiques sont largement répandues chez nos concurrents mondiaux et ont montré leur utilité. Il convient, pour l’UE, de passer à la vitesse supérieure.
- – La possibilité pour les agriculteurs d’épargner collectivement au sein de fonds mutuels sectoriels de garantie de marges (Instruments sectoriels de stabilisation de revenus – IST), de tels fonds devant pouvoir intervenir lorsque les dites marges constatées sur la base d’indices reculent de plus de 20 % et recevoir un cofinancement PAC (65%) lorsque l’épargne au fonds est constituée et non pas lorsque les crises à gérer sont là. Ces IST sectorielles pouvant apporter des réponses rapides et efficaces à des filières particulièrement soumises à des fluctuations brusques de marchés telles que celles du lait ou du sucre, les producteurs agricoles les subissant de plein fouet, la nature de leurs productions excluant, par ailleurs, le recours à un stockage même temporaire du produit agricole « sortie de ferme ».
- – La capacité pour les filières agricoles à bâtir des fonds mutuels sanitaires plus opérationnels sur la base des mesures existantes du 2nd pilier décidées lors de la réforme de 2013, mais avec une efficacité renforcée dans leur fonctionnement (seuil de déclenchement, détermination des pertes).Etait soulignée en parallèle l’importance d’avancer sur les sujets d’épargne individuelle de précaution (avec leurs composantes fiscales nationales), des expérimentations relatives aux outils assuranciels marges (au delà de fonds mutuels).Les négociations du volet agricole de l’Omnibus Financier ont porté leurs fruits à cet égard. Si la proposition de la Commission ouvrait la porte en matière d’IST sectoriels, le Parlement européen a su apprécier l’enjeu que représentait pour l’agriculture européenne cette négociation.Les Eurodéputés ont pris la mesure des responsabilités qui leur incombent, alors que l’Omnibus Financier constitue la seule fenêtre législative crédible d’ici à après 2020
pour répondre au besoin pressant des filières à pouvoir se saisir d’outils de maîtrise des risques climatiques et économiques sans attendre les crises prochaines.
Le PE, le Conseil et la Commission, entrainés dans le sillage du PE, ont ainsi acté un
cadre législatif PAC adapté qui amorce de manière tangible un volet économique structuré pour cette politique, là où la réforme de 2013 n’avait posé que des jalons.
La PAC adaptée via l’Omnibus financier concrétise ainsi une vision économique et responsabilisante de la présence des agriculteurs européens sur les marchés, avec :
- – un socle de base constitué des soutiens directs confirmés dans leur légitimité, et destinés à permettre aux agriculteurs de développer leur activité économique et se projeter au regard des conditions « normales » de marchés et leurs tendances ;
- – une prise de responsabilité des secteurs agricoles pour la gestion des aléas climatiques et de la volatilité des marchés agricoles rendue possible par des incitations PAC opérationnelles aux agriculteurs faisant le choix volontaire de se protéger (individuellement et collectivement) de ces risques ;
- – Cependant un point, essentiel à la cohérence et l’efficacité d’un tel dispositif renouvelé, demeure à construire : l’action publique à conduire face aux crises d’ampleurs exceptionnelles dépassant le cadre de la responsabilité des acteurs économiques privés en matière de gestion d’aléas. Dans les situations de crises exceptionnelles, qu’elles soient sanitaires, climatiques ou de marché, un dispositif relai public doit être conçu et s’activer pour préserver le potentiel économique agricole de l’Union européenne. Il doit constituer une nécessaire prolongation des outils privés individuels et collectifs mis en œuvre par les agriculteurs. Ces outils ne sont pas conçus pour faire face aux aléas d’ampleurs exceptionnelles et il n’est quoiqu’il en soit pas concevable de laisser les agriculteurs seuls face à ces risques extrêmes dont les chocs ne peuvent être absorbés par la seule boite à outils de gestion des risques.A ce jour, que ce soit dans le secteur agricole ou dans les autres secteurs économiques – automobile, sidérurgie, banques pour n’en citer que quelques-uns, les réponses apportées par les pouvoirs publics lors de crises particulièrement graves se résument essentiellement à des enveloppes financières conçues et décidées dans l’urgence pour parer au plus pressé, et éviter la disparition de secteurs vitaux de l’économie. S’ajoute l’enjeu stratégie de souveraineté alimentaire dès lors que l’on parle de l’agriculture et de l’alimentation.L’exigence légitime à avoir vis à vis de cette politique européenne et économique qu’est la PAC ne saurait se satisfaire de tels types de réactions dont l’effet structurant est au mieux nul, au pire négatif.
En situations de crises graves, l’action publique doit être :
-rapide, ce qui suppose une analyse de la situation sans délai et des moyens mobilisables préexistants ;
-cohérente avec les outils privés de gestion des risques et des aléas, afin de ne venir ni en concurrence ni laisser le champ libre à des comportements d’effet d’aubaine individuels ou de groupes ;
-économiquement vertueuse, en incitant les opérateurs privés à participer activement à la résolution ou pour le moins l’atténuation de la crise ;
-conçue au niveau communautaire, seul niveau à même de conjuguer efficacité maximale et intégrité du marché unique européen – les niveaux nationaux, régionaux ou locaux n’étant pas armés pour apporter des réponses à des crises globales, celles dont il s’agit ici.
Tout comme il est clair que la fréquence des aléas et des crises affectant les secteurs agricoles ne baisseront pas à l’avenir, l’Union européenne aura encore à faire face à des crises profondes affectant ses filières agricoles à l’avenir.
Un autre point pouvant être accepté comme certain pour les années à venir est l’absence de marges annuelles du budget PAC qui sortira des décisions des chefs d’Etats et de Gouvernements pour la prochaine période budgétaire. De fait, parier sur la capacité de l’Union européenne à sortir de « l’argent frais » pour le monde agricole en cas de crises graves à l’avenir s’apparenterait à un pari à fort risque.
Aussi, est-il de la responsabilité des décideurs politiques de prévoir un dispositif stable de réaction rapide aux crises, financé dès sa conception et dont les règles de mise en œuvre devraient être à la fois claires et modulées selon le type de crise auquel il s’agira de répondre.
Quadrature du cercle ?
Conforter les outils privés de gestion des aléas et des crises, répondre aux dysfonctionnements des marchés en situation de crise et orienter les filières agricoles à adopter des comportements vertueux au-delà de réponses individualistes susceptibles d’aggraver les crises, telles devraient être les missions de préventions d’aggravations des crises que la PAC devrait porter.
Pour ce faire, et au-delà des outils actuels de gestion de marché que sont l’intervention publique ou le stockage privé, l’outil européen le plus opérationnel paraît passer par la création d’un fonds européen de prévention des crises agricoles.
La création de ce fonds, ainsi que sa dotation initiale en capital, devraient être décidées par les chefs d’Etats et de gouvernements dans le cadre des discussions MFF, en 2018 et 2019, tout comme l’affectation annuelle à ce fonds de la réserve de crise prévue par la PAC de 2013 et ce, jusqu’à un niveau prédéterminé de fonds propres.
Ce fonds, alimenté par le budget européen pour sa dotation initiale et par le budget PAC annuel pour un abondement annuel prédéfini, serait pérenne, pluriannuel et mis à l’abri de tout risque d’utilisation pour d’autres fins que celles définies dans ses statuts. Il pourrait être abrité, par exemple, à la Banque Européenne d’Investissement (BEI) et géré financièrement par celle-ci.
Deux grands types de missions pourraient être affectés à ce fonds pour un dispositif européen efficace de gestion des crises et aléas en agriculture :
- – la réassurance des dispositifs assurantiels et IST mis en œuvre sur une base volontaire par les secteurs agricoles dans l’Union européenne. Les critères de déclenchement de cette réassurance devant être soigneusement définis afin de conforter les dits outils sans diminuer la responsabilisation des acteurs économiques à mettre en place avec efficience ces outils ;
- – le financement de mesures ad hoc que la Commission européenne décideraient sur la base des droits qui lui sont conférés par la PAC de 2013 pour contrer des crises particulièrement graves. Il s’agit, par exemple, de mesures dans l’esprit de celles mises en œuvre en 2015 pour une réduction volontaire de la production laitière dans l’Union européenne. Dans ce cadre, dès lors qu’une crise provoque l’activation des outils individuels et collectifs de gestion des risques et aléas, obligation pourrait être faite à la Commission de présenter aux Etats membres et aux groupes consultatifs ad hoc, une analyse de la situation des secteurs concernés, assortie de mesures à prendre le cas échéant pour enrayer une crise et éviter des dégâts irréversibles.
En adoptant un tel triptyque :
- – socle de base (aides 1er pilier)
- – outils volontaires de réduction des impacts des risquesclimatiques et de marché pour leurs exploitations mis en œuvrepar les agriculteurs
- – fonds européen de prévention des crises agricoles pour éviterles « sorties de route » de l’agriculture européenne,
l’Union Européenne décidera enfin :
- – de rompre avec les réactions décidées dans l’urgence, lesenveloppes attribuées pour faire baisser la pression politique mais sans effet économique (à titre d’exemple, quelque 1 milliards d’euros ont été dépensés sans effet avéré pour mettre fin à la crise du lait en 2015),
- – de reconnaître la capacité d’entrepreneurs des agriculteurs, de les encourager à s’organiser face aux aléas et imperfections des marchés,
- – de réfuter clairement les marchands de rêve prônant des aides publiques qui viendraient pallier à toute imperfection des marchés ;
- – de concentrer son intervention là où l’action publique revêt toute sa signification, c’est à dire une action publique à la fois protectrice en situation de crises graves, agissant alors pour que l’Union européenne conserve son potentiel de développement et encourageant par ailleurs les acteurs à miser sur l’essor de leurs entreprises.Un tel dispositif serait, en outre, cohérent avec l’objectif d’accompagner efficacement la stratégie de transition écologique de l’agriculture européenne, dès lors qu’il place les agriculteurs en entrepreneurs responsables, encouragés à aller chercher de la valeur ajoutée, tout en étant protégés correctement face aux aléas extrêmes, et incités, dès lors à investir et à se tourner vers l’avenir.