Les travaux

Croissance - 8 janvier 2018

Quelle stratégie EU pour les protéines végétales ?

écrit par Farm Europe

Note politique, Octobre 2017.

Quelle stratégie EU pour les protéines végétales ? Mesures de la PAC et évolution des cultures protéagineuses, oléoprotéagineuses et oléagineuses, Quels enseignements ? Quelles orientations ?

Sujet récurrent dans l’Union européenne : son indépendance protéique, ou plutôt la très forte dépendance de ses filières élevage aux importations, essentiellement de soja.

Depuis trois décennies, l’Union européenne le hisse régulièrement au rang de priorité stratégique lors de chaque étape politique : négociations de Blair House, réformes de la PAC de 1992 / 2000 / 2003 / 2008 / 2013, stratégie européenne en faveur du développement de biocarburants d’origine agricole ; et ce, avec plus ou moins de bonheur et de résultats.

Alors que le Commissaire Hogan a décidé de se ressaisir de cette problématique dans un contexte délicat de modification des règles des mesures PAC verdissement, de proposition de révision de la directive REDII, de morosité économique flagrante du secteur agricole et de préparation des débats sur le futur budget EU et la PAC post2020,il paraît important de tirer les enseignements des mesures déjà expérimentées pour tracer les lignes d’un plan d’essor qui porterait réellement ses fruits.

Trois leviers d’action ont essentiellement été mis en œuvre via les politiques communautaires durant cette période de 30 ans :

– des aides couplées aux cultures protéiques et oléoprotéagineuses, les Etats membres ont eu à se prononcer sur l’adoption de ce type d’aides volontaires en 2003, 2008 et 2013 ;

– des objectifs de taux de biocarburants dans l’énergie utilisée pour les transports dans l’Union européenne ;

– l’obligation faite par la PAC de 2013 de consacrer 5 % des terres arables en surfaces d’intérêt écologique (SIE) et de pouvoir y cultiver des plantes fixatrices d’azote et des cultures dérobées.

L’impact de ces trois facteurs principaux destinés à accroître les surfaces et quantités produites de protéagineux et oléagineux dans l’Union européenne est ici analysé.

La première partie du présent document trace la situation des cultures protéagineuses et oléoprotéagineuses :

– un premier temps est consacré à une description de l’évolution de la PAC et des incitations à ces cultures ;

– un second temps cherche à établir le degré de corrélation entre les différentes mesures évoquées et l’évolution des surfaces et productions protéagineuses et oléoprotéagineuses.

La seconde partie du document analyse les inflexions de la production oléagineuse communautaire en lien avec l’évolution de la politique communautaire en matière de biocarburants.

Cette analyse montre l’impact positif de la réforme de 2013, qui a permis le doublement de la culture protéagineuse et oléo-protéagineuse, du fait, essentiellement de la mise en place du verdissement et de l’utilisation des Surfaces d’intérêt écologique, associé à une faculté maintenue, pour les Etats membres, de verser des aides couplées pour ces cultures.

I- Cultures protéagineuses et oléoprotéagineuses (pois, fèves et féveroles, soja)

1) Evolution de la PAC et de ses incitations en faveur des cultures protéagineuses

– 1999 : l’Agenda 2000

A la suite de l’accord de Berlin, la réforme de la PAC dite “Agenda 2000” est adoptée. Elle instaure notamment le principe d’éco-conditionnalité pour les aides directes, et introduit une réglementation commune pour les grandes cultures (céréales, oléagineux, protéagineux).

En 1999 et 2000, une aide est établie avec une valeur commune à toutes les cultures (63 euros/t) et prenant en compte les rendements historiques locaux des productions. Une aide majorée est instaurée pour les cultures protéagineuses. L’aide allouée aux cultures protéagineuses s’élève initialement à 78,5 euros/t, puis est ramenée à 72,5 euros/t à partir de 2000-2001, soit une majoration de 9,5 euros/t spécifique aux protéagineux.

– 2003 : Accord de Luxembourg

Nouvelle réforme de la PAC, dans le cadre d’une révision à mi-parcours, elle amorce le découplage des aides par une réduction de 75% des enveloppes consacrées aux aides couplées dans le budget PAC et le passage à un “paiement unique” par exploitation. En addition de ce paiement unique à l’hectare, une prime de 55,57 euros/ha est décidée pour les protéagineux.

– 2008 : bilan de santé de la P.A.C.

La nouvelle programmation de la PAC s’ouvre, pour la période 2007-2013. En 2010, 6 Etats membres utilisent l’article 68 (faculté pour les Etats membres de mettre en place des aides du 1er pilier pour des actions spécifiques, financées par prélèvement sur les aides découplées du 1er pilier de la PAC du pays) pour soutenir les cultures de protéagineux : la Finlande, la France, la Lituanie, la Pologne, la Slovénie et l’Espagne (source : CE-DG Agri 2010).

Etats membres

Détails

Finlande

6,5 M euros pour protéagineux et oléagineux en 2011 ; 83 000 ha soit environ 78 euros/ha

France

80 M euros en 2010-2011; pois, féverole, lupins : 100 euros/ha en 2010 et 140 euros/ha en 2011

Pologne

21,6 M pour 2010-2011; 163 euros/ha en 2012

Espagne

1 M euros/an en 2010 et 2011

Tableau 1 : aides relatives à l’article 68 pour les cultures protéagineuses lors de la programmation 2008 de la P.A.C. (Sources : Parlement Européen, Le rôle environnemental des cultures protéagineuses dans la nouvelle Politique Agricole Commune, 2013)

– 2013 : réforme de la PAC

La réforme de la PAC décidée en 2013 a prévu la faculté pour les Etats membres de consacrer 13 % de leur enveloppe aides directes du 1er pilier à des aides couplées, ces 13% pouvant être portés à 15% si l’Etat membre décide de consacrer 2% ou plus du dit budget à des aides couplées aux productions de protéines végétales (dont soja).

Les Etats membres ont notifié à la Commission européenne, le 1er août 2014, leurs aides couplées à la production des cultures protéagineuses. 11% des aides couplées ont été allouées dans l’Union européenne aux cultures protéagineuses, pour une surface maximale de 4,3 millions d’hectares et un montant annuel moyen disponible de 441 millions d’euros (soit 102 euros en moyenne par hectare). Le secteur des cultures protéagineuses se place au quatrième rang des secteurs recevant des aides couplées, loin derrière la filière élevage. Ces aides sont entrées en application en 2015, et leur planification s’étend jusqu’en 2020 (source : Note d’information de la Commission du 30 juillet 2015).

Les 16 Etats membres ayant opté pour soutenir ainsi ces cultures (montant en millions d’euros) sont :

Etats membres

Détails

Bulgarie

16 M euros

République Tchèque

17 M euros

Grèce

7 M euros

Espagne

45 M euros (209 euros/ha)

Finlande

6 M euros

France

146 M euros (187 euros/ha)

Hongrie

27 M euros

Croatie

4 M euros

Irlande

3 M euros

Italie

36 M euros

Lituanie

14 M euros

Luxembourg

Lettonie

4 M euros

Pologne

68 M euros (266 euros/ha)

Roumanie

49 M euros

Slovénie

3 M euros

Tableau 2 : aides couplées allouées aux cultures protéagineuses, entrées en application en 2015 (Source : Note d’information de la Commission du 30 juillet 2015).

Avec la réforme de 2013 qui visait notamment l’augmentation de la suffisance en Matières Riches en Protéines de l’Union européenne, la production de soja est devenue éligible au bénéfice d’aides couplées. En 2015, dans les Etats ayant adopté ces aides pour cette culture, leur montant oscille entre 96 et 419 euros euros/ha.

Les 9 états membres ayant opté pour soutenir ces cultures (montant en euros/ha) sont : Bulgarie : 156 ; Croatie : 260 ; République Tchèque : – ; France : 100 dans la limite de 12,5 ha par exploitation ; Hongrie : 150-200 ; Italie : 96 ; Pologne : – ; Roumanie : 325 ; Slovénie : 419.

D’autre part, la réforme PAC 2013 a lié 30% des aides directes du 1er pilier à des mesures dites de verdissement dont la présence de surfaces d’intérêt écologique (SIE) pour au moins 5 % des terres arables de chaque exploitation. Cette exigence a été largement remplie par les agriculteurs européens : 15% des superficies arables étaient en S.I.E. en 2016, soit 8 millions d’hectares. Presque 40% des S.I.E. sont composées de surfaces en cultures fixatrices d’azote. S’agissant de la culture de soja, sur les 12 Etats membres producteurs, 10 l’ont rendu éligible dans les S.I.E.

2) Evolution des surfaces et des productions au sein de l’Union européenne

– Pois protéagineux

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Figure 1 : Evolution des quantités produites et superficies utilisées pour la culture du pois protéagineux de 2000 à 2016 (source : base de données Eurostat)

L’Union européenne a connu un déclin progressif de la production de pois de 2000 à 2003. Les surfaces sont demeurées stables, autour de 750 000 ha, le déclin de la production étant lié à la baisse récurrente des rendements.

En 2004, la production marque un rebond, avec l’entrée de 10 nouveaux pays dans l’Union. Le recul des surfaces et quantités produites qui reprend dès l’année 2005 et se prolonge jusqu’en 2009 n’en paraît que plus marqué. Le problème de rendements faibles (et donc de rentabilité médiocre face aux alternatives existantes au sein des grandes cultures pour les agriculteurs) perdure, et les superficies en protéagineux marquent des replis importants d’une année sur l’autre, nonobstant l’aide couplée de 55,57 euros/ha. Jusqu’en 2009 inclus, la culture de pois protéagineux est en totale perte de vitesse en Europe. Les surfaces cultivées s’effondrent de 851 290 ha en 2004 à 411 930 ha en 2008, soit un recul de 51,61%.

Entre 2009 et 2011, les surfaces cultivées croissent de nouveau, avant de rechuter en 2012 et 2013. Une corrélation pourrait être établie entre l’arrêt de la chute de la production et même un modeste sursaut et l’utilisation du nouvel article 68 né du bilan de santé de la PAC de 2008. Cependant, cette mesure n’a pas permis d’éviter une nouvelle baisse des surfaces en 2012 et 2013.

Depuis 2014, cette évolution s’est inversée et le pois protéagineux enregistre une croissance continue de la production et des surfaces cultivées. Les années 2015 et 2016 ont connu un net regain de production du pois protéagineux, en atteignant respectivement 2,076 millions de tonnes sur 744 260 hectares et 2,329 millions de tonnes sur 911 690 hectares, soit le plus haut niveau depuis 2000. Augmentation de production de 60,83% et de surfaces de 60,70% entre 2013 et 2015. Augmentation de production de 80,49% et de surface de 96,85% entre 2013 et 2016.

Cette croissance suit la mise en œuvre de la réforme de 2013. Les mesures en faveur de l’essor de cette production y sont de deux natures : aides couplées d’une part, surfaces exigées en S.I.E. et possibilité de les consacrer aux cultures protéagineuses d’autre part.

L’examen de la situation du pois protéagineux en Allemagne, pays n’ayant pas mis alors d’aides couplées aux cultures protéagineuses, permet d’apporter un éclairage complémentaire.

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Figure 2 : Evolution des quantités produites et superficies utilisées pour la culture du pois protéagineux de 2000 à 2017 en Allemagne (source : base de données Eurostat)

Alors que depuis 2000 les surfaces et quantités produites de pois protéagineux en Allemagne déclinaient chaque année, et globalement végétaient depuis le début les années 2008, elles ont connu un bond très significatif entre 2014 et 2015 (+78,23% de production et +89,68% de surface). La croissance entre 2013 et 2016 s’élève à 124,09% pour les quantités produites et 130,87% pour les surfaces utilisées.

Dans cet Etat membre, comme sur l’ensemble de l’Union européenne (et sans préjuger de l’impact relatif des aides couplées dans les Etats membres en ayant mis en place), la mesure « verdissement » ouvrant les cultures protéagineuses sur S.I.E. a été manifestement un facteur décisif de retour à une croissance des surfaces et quantités de pois protéagineux produits.

– Fèves et féveroles

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Figure 3 : Evolution des quantités produites et des surfaces utilisées pour la culture des fèves et féveroles de 2000 à 2016 (source : base de données Eurostat)

Les cultures de fèves et féveroles suivent les mêmes évolutions que celles des pois protéagineux sur la période 2000-2013. Nonobstant les différentes mesures prises entre 2000 et 2013, les cultures n’arrivent pas à croître, le faible sursaut post de 2009-2010 s’émoussant immédiatement ensuite.

Par contre, entre 2014 à 2017, les fèves et féveroles sont, tout comme le pois, en augmentation avec un bond extrêmement important de la production et des surfaces entre 2014 et 2015. L’année 2016 est stabilisée sur les niveaux de 2015, et 2017 enregistre une nouvelle hausse des surfaces. Entre 2014 et 2015, la production a augmenté de 55 % et les surfaces utilisées de 61 %.

Comme pour le pois protéagineux, la présomption de causes à effets sur la période 2014 à 2017 entre la hausse de la production EU de fèves et féveroles et les aides décidées lors de la réforme PAC 2013 semble forte.

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Figure 4 : Evolution des quantités produites et des surfaces utilisées pour la culture des fèves et féveroles de 2000 à 2017 en Allemagne (source : base de données Eurostat)

Comme pour les pois protéagineux, l’évolution entre 2014 et 2017 notée en Allemagne tend à démontrer l’impact très positif des mesures verdissement SIE liée aux cultures fixatrices d’azote (dont protéagineuses). En effet, le graphique précédent montre un constant accroissement des quantités produites et surfaces utilisées à partir de 2014, alors que les niveaux étaient stables auparavant. Ainsi de 2013 à 2016, la croissance est de 157,45% pour la production, et de 135,15% pour les surfaces utilisées. Et, comme pour le pois, ce bond est particulièrement manifeste entre 2014 et 2015 (+52,05% de production et +83,41% de surface).

La mesure en faveur des cultures fixatrices d’azote sur S.I.E. a donc aussi clairement favorisé la culture des fèves et féveroles dans l’Union européenne.

– Production de Soja

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Figures 5 : Evolution des quantités produites et superficies utilisées pour la culture du soja de 2000 à 2016 (source : base de données Eurostat)

Jusqu’en 2013 inclus, l’observation du graphique montre les fluctuations des surfaces et quantités produites pour la culture du soja dans l’Union, qui, à l’exception des années 2007-2009 (baisse) réussit tout au plus à se maintenir.

Les années 2015 et 2016 enregistrent une augmentation notable de la production et des surfaces utilisées pour cette culture. Les niveaux atteints se distinguent très nettement des niveaux moyens précédents, l’année 2013 incluse. L’année 2015 enregistre une augmentation de production de 112,34% et de surface de 103,21% par rapport à la moyenne des années jusqu’à 2013 incluse.

Même si les niveaux de l’année 2016 sont légèrement plus bas que ceux de l’année 2015, une corrélation nette entre la mise en œuvre par les EM de la réforme de la PAC décidée en 2013 (entrée en vigueur en 2015) et la dynamique de culture du soja se dessine. Dans le cadre de cette application de la réforme de 2013, les principaux pays producteurs de soja de l’Union européenne ont opté à la fois pour un encouragement via des aides couplées et pour un encouragement via la possibilité de consacrer des SIE à la culture de soja. Des enseignements sur la part relative de l’une et l’autre mesure dans la croissance forte de la culture de soja depuis 2014 ne sauraient être tirés immédiatement.

En résumé :

Sur les périodes 2000-2013, les mesures portées par les réformes et ajustements de la PAC n’ont pas réussi à inverser une tendance de recul ou stagnation. Seul le sursaut pour le pois protéagineux de 2009 à 2011 pourrait être relié à l’impact momentané des mises en œuvre des outils adoptés lors du bilan de santé de 2008.

En revanche, sur la période post réforme 2013, l’augmentation des surfaces et quantités produites de pois protéagineux, de fèves et féveroles et de soja, apparaît très corrélée à la double décision d’exigence de 5% des terres arables en SIE et d’y permettre les cultures fixatrices d’azote. Cette double décision a eu la conséquence favorable de permettre un véritable décollage de la production européenne de protéagineux et soja et d’avoir non pas des SIE à hauteur de 5 % des terres arables tel que la réglementation l’exige, mais à hauteur de 15 %.

En absence d’aides couplées et donc avec la double mesure SIE comme incitation essentielle, l’Allemagne connaît des croissances analogues à celles décrites pour l’Union européenne dans son ensemble. Cependant, l’observation du cas de l’Allemagne qui n’a pas recours aux aides couplées en 2013 ne saurait exclure une corrélation entre les aides couplées et la dynamique nouvelle pour ces productions dans les autres Etats membres.

Pour les années à venir, une interrogation majeure existe : la décision de la Commission d’interdire toute utilisation de pesticides sur les cultures fixatrices d’azote réalisées sur SIE aura-t-elle ou non pour conséquence un coup d’arrêt, voire un recul marqué des productions communautaires protéagineuses ? En optant pour une interdiction totale et non une exigence d’utilisation raisonnée, la Commission a-t-elle mesuré avec précaution le risque encouru d’arrêt de ce type de productions sur SIE par les agriculteurs qui doivent désormais s’arbitrer entre :

– coût de mise en place et conduite de ses cultures sans assurance de pouvoir réagir face des invasions de pestes

– et choix des dits agriculteurs de réduire la part des SIE à la stricte demande règlementaire, voire d’y préférer des terres sans production (et donc ouvrir à la porte à plus d’importations de protéines par l’Union européenne et une entaille à la sécurité alimentaire tant européenne que mondiale) ?

Un autre point de progrès encore à rechercher apparaît être l’amélioration des performances techniques de ces cultures, une meilleure stabilisation des rendements face aux variations des conditions climatiques. Cela passe à la fois par la recherche d’itinéraires techniques plus pointus et par un investissement fort dans la recherche variétale, investissement délaissé par les firmes semencières puisque ces productions étaient au mieux stagnantes au pire baissières dans l’Union européenne, et donc ne présentaient pas les caractéristiques de marchés d’avenir pour de telles entreprises.

Les conditions d’un retour à des investissements porteurs de sélection variétale peuvent être acquises dès lors que ces productions retrouvent un profil dynamique et une taille critique faisant d’elles des marchés crédibles. De telles conditions premières semblaient commencer à se réunir depuis la période 2014-2017. Encore faudrait-il que cette dynamique ne soit pas cassée. L’objet n’est pas tant d’orienter ou non de l’argent public dans cette recherche variétale que d’établir les conditions favorables pour que cette recherche ait lieu, via la PAC, via aussi des positions responsables que l’Union européenne devra prendre, par exemple, sur le sujet des nouvelles techniques de sélection variétale.

S’agissant de la PAC, les atermoiements s’agissant des conditions évoquées ci- avant relatives aux mesures verdissement posent la question de la finalité recherchée par la PAC: une politique s’engageant sur des résultats et responsabilisant les agriculteurs, en tant qu’entrepreneurs aptes à décider des moyens d’actions à prendre, ou une politique dictant les conditions agronomiques d’exercice du métier d’agriculteur pour répondre à des ressentis supposés de « l’opinion publique » ?

II- Les cultures de colza

1) Politique communautaire en matière de biocarburants

L’Union européenne a lancé dans les années 90 une politique en faveur de la production des biocarburants afin de diminuer la dépendance énergétique aux énergies fossiles importées et de renforcer la résilience du secteur agricole. Des objectifs de contribution des biocarburants dans l’énergie du secteur des transports ont été fixés : en 2003, 2%, puis en 2009, 5% à l’horizon 2010 et 10% à l’horizon 2020. Suite à la directive sur les biocarburants de 2003, et à la réforme concomitante de la PAC, une aide pour les cultures à visée énergétique de 45 euros par hectare fut octroyée, et ce jusqu’au bilan de santé de la PAC en 2008. Une industrie des biocarburants est donc née, dans un contexte de perception favorable, et avec des incitations européennes règlementaires et financières.

A la suite des révoltes de la faim de l’année 2007 et des actions de lobbying intenses de certaines organisations, la perception publique des biocarburants a changé, pour les biocarburants conventionnels, quand bien même les arguments avancés en la matière se sont avérés erronés et ont depuis été formellement contredits par des instituts tels que la FOA, par le monde scientifique et la Commission elle-même (DGagri, JRC). Les objectifs ont cependant été revus à la baisse, le niveau de 7% de contribution à l’horizon 2020 a été décidé en 2015, et les Etats encouragés à progressivement réorienter leurs aides au profit des biocarburants dits “avancés”.

2) Evolution des surfaces et des productions

Le colza est la première matière première employée dans l’Union européenne pour la production de biodiesel, devant l’huile de palme (importée), et loin devant le soja et le tournesol (la part de ce dernier restant ténue sur toute la période).

 

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Figure 6 : Evolution des quantités produites et des surfaces utilisées pour la culture du colza de 2000 à 2016 (source : base de données Eurostat)

L’observation du graphique précédent montre un saut des quantités produites pour la culture du colza à partir de l’année 2004 (+35% par rapport à la moyenne des années précédentes). Les surfaces cultivées augmentent, elles aussi, mais plus sensiblement (+9% par rapport à la moyenne des années précédentes). La croissance de la production se poursuit jusqu’en 2007.

Pour les surfaces utilisées, on observe la même tendance de hausse de 2004 à 2007, puis de stabilisation : de 2003 à 2007, l’accroissement surfacique est de 57%.

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Figure 7 : Approvisionnement en huile de colza des marchés de l’alimentaire et des biocarburants (Source : calculs effectués par FEDIOL, sur la base de données propres et de Oil World Annual 2012- 2000)

Le graphique précédent montre que l’augmentation de la production d’huile de colza en 2004 est liée à l’usage énergétique de celui-ci. La hausse des superficies en colza au sein de l’Union européenne est totalement corrélée à l’évolution de la production de biodiesel à base de cette matière première.

Les mesures d’aides aux cultures énergétiques adoptées en 2003 puis abandonnée en 2008 semblent avoir joué leur rôle de catalyseur du développement de ces productions, parallèlement aux mesures fiscales d’encouragement mises en œuvre dans différents Etats membres.

La production de biodiesel à partir d’oléagineux communautaires a généré en parallèle la production de tourteaux à forte teneur protéique, réduisant d’autant la dépendance de l’Union européenne aux importations de tourteaux de soja. Grâce à l’émergence de ces nouveaux débouchés énergétiques pour les huiles d’oléagineux européens (surtout de Colza), ce sont 9,3 MT par an de tourteaux de Colza européens qui sont produits en plus et viennent réduire d’autant les importations dont l’Union européenne est dépendante.

Quasi exclusivement à base de colza à ses débuts, la production de biodiesel dans l’Union européenne était encore à base de colza pour 72% en 2008 avant de céder des parts de marché du fait de la concurrence des importations d’huile de palme pour la production de biocarburants dans l’Union européenne, nonobstant les fortes interrogations quant à l’impact environnemental et économique de ces biodiesels à base d’huile de palme importée pour l’Union européenne (voir rapport d’analyse «producing fuel and feeds – a matter of security and sustainability for europe» http://www.farm-europe.eu/travaux/poducing-fuel-and-feeds-a-matter-of-security-and- sustainability-for-europe/ ) .

En résumé :

En ce qui concerne les protéines de tourteaux de colza, la production a doublé entre 2004 et aujourd’hui. 9,3 millions de tonnes de tourteaux de colza sont directement attribuables à la production de biodiesel de l’UE. Alors que l’huile de colza est utilisée pour produire du biodiesel, sa protéine dérivée est disponible en tant que nouvelle offre pour le secteur de l’élevage de l’UE.

Cette augmentation de la disponibilité des protéines végétales dans l’UE a un impact direct sur la réduction des importations de matières premières destinées à être utilisées comme aliments pour animaux, alors que l’Europe a une déficience structurelle en protéines et dépend à 70 % des importations de cultures protéiques et de tourteaux en provenance de pays tiers. Un rapport récent développé par le Parlement européen évalue la carence en protéines dans l’UE à 20 millions de tonnes[24].

Dans ce contexte, le Parlement européen, ainsi que les Etats membres, “appelle la Commission à présenter rapidement au Parlement et au Conseil un rapport sur les possibilités et les options pour accroître la production nationale de protéines dans l’UE au moyen de nouveaux instruments politiques (en tenant compte également de l’utilisation des graines oléagineuses et de leurs sous-produits et de l’étendue potentielle de la substitution des importations, de l’effet potentiel sur les revenus des agriculteurs, de la contribution qu’elle apporterait à l’atténuation du changement climatique, de l’effet sur la biodiversité et la fertilité des sols, et du potentiel de réduction de l’apport externe nécessaire d’engrais minéraux et de pesticides)”.

Le développement de la production de tourteaux de colza et de tournesol (le tourteau protéiné représente environ 60 % de la graine et l’huile 40 %) a assuré un minimum d’autosuffisance à l’Union européenne. Les importations de tourteaux de soja ont diminué, en particulier par rapport au sommet de 2007.

Alors que la consommation alimentaire de l’huile de colza s’est stabilisée depuis des décennies, le développement d’une offre européenne croissante en tourteaux protéinés n’a été rendu possible qu’en trouvant des alternatives commerciales pour l’huile.

Il est donc évident que la production de biocarburants à partir d’huiles végétales et de céréales européennes est essentielle (et aujourd’hui la seule option quantitative d’envergure) pour améliorer et sécuriser la disponibilité de volumes de protéines végétales produites localement et utilisées comme source d’alimentation animale, limitant les importations.

Les biocarburants à base d’huile de palme – même ceux à base d’huiles de cuisson usagées, parfois importées – ne font pas sens pour l’UE, tant dans une perspective environnementale qu’économique. A noter que ce rapport n’aborde pas le sujet de l’utilisation durable de l’huile de palme dans l’industrie alimentaire de l’UE, qui est un sujet où les raccourcis gagneraient à être évités.

Dès lors, la question qui se pose aujourd’hui est celle de la cohérence de la proposition REDII de la CE aujourd’hui sur la table, proposition qui éliminerait dans une large mesure les biocarburants conventionnels, sans aucune justification.

L’absence d’une vision stratégique commune interpelle. Acceptons-nous les mots croissance, rentabilité et compétitivité pour nos systèmes alimentaires et notre agriculture, ou favorisons-nous une vision de déclin ?

Est-ce que nous voulons cultiver des forêts dans toute l’UE plutôt que des cultures, et limiter l’agriculture au mieux à fournir notre alimentation, avec les importations pour répondre aux autres demandes des citoyens de l’UE, qu’elles soient liées à la chimie verte, à l’énergie verte… ?

Voulons-nous utiliser l’agriculture de l’UE comme levier pour une économie verte ou bien y-a-t-il en réalité d’autres priorités économiques à l’agenda politique, par exemple la sécurité de la position des combustibles fossiles et l’encouragement des biocarburants à base d’huile de palme via les huiles de cuisson usagées ?

Cette deuxième option impliquerait de se préparer à une augmentation constante du budget de la PAC, à un abandon total de l’orientation du marché de notre agriculture, pour une dépendance à l’égard des importations, et génèrerait des fluctuations supplémentaires des marchés agricoles mondiaux.

Si, au contraire, l’objectif est d’être sérieux et de promouvoir une véritable ambition de notre agriculture et de nos industries connexes basées sur la croissance verte ; il doit être reconnu que les biocarburants conventionnels, à base de matières premières agricoles issues de l’UE sont un élément clé du développement de ces systèmes alimentaires.

La proposition actuelle REDII présentée par la Commission et maintenant en débat au Parlement européen et au Conseil propose à courte échéance la réduction drastique de la production européenne de biodiesel à base d’oléagineux.

Dans les faits, elle aurait pour conséquence :

-plus de consommation d’énergie fossile et de biocarburants d’importation aux bilans environnementaux douteux (l’émergence de biocarburants européens de 2nde génération prenant plus de temps que le « pieux » postulat énoncé par la Commission)

– mais aussi plus d’importation de protéines végétales car elle implique de faire une croix sur les 9,3 millions de tonnes annuels de tourteaux de colza UE liés à la filière colza biodiesel.

***

Alors que la Commission européenne relance la réflexion sur un nouveau plan protéine, destiné à réduire la dépendance européenne à l’importation de soja et de tourteaux de soja en provenance des Amériques, cette analyse des évolutions politiques montre l’efficacité relative des différentes initiatives engagées par l’Europe en la matière.

Depuis 2000, l’Union européenne a lancé plus d’une demi-douzaine d’initiatives pour accroître sa production de plantes protéagineuses et oléo-protéagineuses. L’analyse des évolutions de marché sur la période 2000-2016 montre clairement que deux leviers se sont révélés efficaces pour encourager le développement de la filière avec un rebond considérable :

– d’une part le développement de la filière biocarburants, qui constitue aujourd’hui le plan protéine le plus vaste par son ampleur et sa capacité à réduire la dépendance européenne aux importations de soja.

– d’autre part, et plus récemment, le verdissement de la PAC de 2013, et en particulier l’autorisation de cultures fixatrices d’azote sur les Surface d’intérêt écologique, qui a permis le doublement, voir plus, des volumes produits, en Europe, de pois, fèves et féveroles ou encore de soja.

Il est surprenant de noter que ces deux piliers de la politique européenne, qui ont permis sans conteste d’engranger des résultats concrets, sont aujourd’hui remis en cause par la Commission européenne, elle-même.

D’un côté la remise en cause de l’usage des pesticides sur les Surfaces d’intérêt écologique compromet la dynamique engagée depuis 2013 ; d’un autre, dans le cadre du débat engagé dans le cadre de la révision de la Directive sur la promotion des énergies renouvelables (REDII), la Commission omet totalement cet atout de la filière biocarburants et menace de faire péricliter la filière, alors même qu’elle permet de renforcer la durabilité des transports et la résilience de son secteur agricole au sein de l’Union européenne.

Pour l’avenir, tout plan protéine d’ambition devra intégrer :

  • –  la capacité de la filière biocarburant à jouer à plein son rôle,
  • –  et de façon complémentaire, il sera essentiel de continuer à construire un verdissement intelligent de la PAC associant approche économique et environnementale, sans idéologie, avec pragmatisme et volontarisme. Il est certain que les cultures fixatrices d’azote ont toute leur place dans cette stratégie.
écrit par Farm Europe