Les travaux

Résilience - 28 avril 2015

Une ambition politique pour l’alimentation, des politiques d’ambition

écrit par Yves Madre

L’ambition européenne pour l’agriculture et l’alimentation  inscrite dans les Traités européens est de répondre aux attentes des citoyens en quantité, qualité et à des prix abordables. Cette ambition reste plus d’actualité que jamais – en particulier compte tenu des difficultés économiques, des besoins de développer des productions durables et responsables, et de la responsabilité de répondre aux besoins des partenaires internationaux. Ce document fait le tour des enjeux et des développements politiques et de société.

L’Agriculture européenne s’est forgée, aux lendemains de la seconde guerre mondiale, sur la volonté politique de répondre aux attentes des européens en terme d’alimentation et de développement économique. Cette ambition, partagée par les Etats membres, a trouvé son bras armé dans une Politique agricole commune (Pac). Décision éminemment politique des Etats de se dessaisir de la majeure partie de leurs prérogatives individuelles en matière d’agriculture, et de conduire le développement de l’agriculture, des zones rurales et de l’agroalimentaire au niveau européen en mettant en commun moyens, outils et règles !

Cette politique volontaire d’investissement dans la production agricole européenne, de structuration et restructuration des filières a porté ses fruits : les zones rurales ont connu une révolution économique, les objectifs de développement de la production ont été atteints, la sécurité alimentaire de l’Europe est devenue une réalité en assurant parallèlement des denrées à des prix abordables pour les consommateurs.

La gestion de ce développement économique au-delà des stricts besoins alimentaires des Etats membres, et donc le positionnement de l’Europe comme partenaire sur les marchés mondiaux, s’est de fait posée à compter des années 80. A la croisée des chemins, les décideurs politiques ont choisi d’un côté de rapprocher les prix des produits agricoles des prix des marchés mondiaux en passant d’une politique de soutien par les prix à une politique de compensation aux revenus agricoles, de l’autre d’encadrer les principales productions agricoles européennes (dispositifs de jachère, quotas de production…) afin de maitriser le coup financier de la PAC.

D’une PAC d’ambition et de développement, l’Europe a glissé vers une politique d’encadrement et de gestion financière.

Les évolutions de la PAC des années 2000 ont visé à couper le lien entre soutiens publics de la PAC et acte de production, voulant donner l’entière responsabilité aux producteurs agricoles du choix de leur activité face aux attentes et exigences des marchés. L’appui à l’agriculture est devenu forfaitaire, calculé au regard de droits individuels acquis dans le passé. Des mesures de développement rural ont été mises en place, autour de trois axes : agro-environnement, investissement dans la filière agricole et agroalimentaire, développement non agricole. Politique de moyens, elle obligeait les Etats membres à consacrer a minima une partie donnée de leur allocations budgétaires PAC pour chaque axe d’actions.

Les années 1990 et 2000 ont vu la PAC devenir une politique d’initiés et de gestionnaires de finances européennes. L’écart s’est progressivement creusé avec les citoyens et contribuables européens et la compréhension qu’ils pouvaient avoir de ce qui demeure la principale politique européenne et constitue un ciment de l’action européenne.

Dès lors la question du « Pourquoi l’Union européenne se doit de maintenir son investissement dans le secteur agricole » se posait. Les discussions et travaux de 2009 puis de 2010 sur le budget de l’Union européenne pour la période 2014-2020, sur la place à accorder à l’agriculture dans ce budget, en ont témoigné.

Un point central de la réforme PAC de 2013 a été de reconnecter l’outil politique PAC avec les préoccupations de la société européenne, en plaçant l’agriculteur en miroir à ces attentes. Attentes en matière de sécurité alimentaire, attentes en matière de gestion de l’espace européen, attentes en matière de développement économique de l’Union Européenne.

L’ambition européenne pour l’agriculture, inscrite au traité de Rome, garde aujourd’hui toute son actualité : répondre aux besoins des citoyens.

Ces besoins de citoyens européens se sont développés, se sont complexifiés.

Les crises alimentaires que le monde a connues depuis 2007, les impacts d’ores et déjà constatés et subis des effets du changement climatique ont rappelé cruellement que le souci de sécurité alimentaire n’est pas un fait du passé. Il est une préoccupation d’aujourd’hui pour l’Union européenne :

  •  être en état de produire pour assurer une indépendance suffisamment effective aux citoyens européens,
  • être en état de produire de façon responsable et durable dans un monde où les ressources naturelles sont fragiles et limitées : responsable en refusant de sous-traiter à d’autres parties du monde nos devoirs en matière de gestion de ressources, durable car nous sommes redevables aux générations à venir de leur capacité à se nourrir et à évoluer dans des espaces de qualité,
  • être en état de répondre aux besoins de partenaires internationaux quand y pourvoir pour les décennies à venir est un défi à relever à l’échelle mondiale : tout à la fois en développant les agricultures régionales et en étant à même d’approvisionner régulièrement les marchés mondiaux. Seule grande zone agricole au monde bénéficiant de conditions de production relativement stables, l’Union européenne porte une responsabilité quant au fait d’être en état contribuer à approvisionner avec régularité des marchés mondiaux structurellement demandeurs -forme première de stabilisation qui constitue une condition au développement des agricultures des régions les moins développées dans un monde ouvert.
  • La prise de conscience de la société s’agissant des biens communs que sont l’eau, l’air, le sol et plus généralement les espaces de vie en Europe remet l’agriculteur au centre des enjeux sociétaux.

Dépositaire et gestionnaire de ces biens, il est celui à qui le citoyen veut et doit les confier, tout en étant observé avec attention, parfois défiance, quant aux pratiques qu’il est réputé mettre en œuvre.

Productivité tend à être confondue avec course au productivisme d’un côté, conditions d’une gestion durable tend à être vue comme accumulation de strates administratives sans lisibilité d’ensemble.

Pourtant, tout plaide pour une convergence objective entre agriculture et gestion durable des ressources : il ne peut y avoir de gestion sans les gestionnaires sur l’ensemble du territoire européen que sont les agriculteurs, il ne peut y avoir d’agriculture pérenne sans une durabilité des ressources. Il n’y a pas d’autre voie possible. Face aux contraintes du court terme, de l’économie et de ses soubresauts, il est de la responsabilité politique commune de créer les conditions d’une gestion long terme des actifs sociétaux de l’agriculture européenne. Dés lors, :

  • l’efficacité suppose-t-elle des politiques européennes de résultats à atteindre ou de moyens (itinéraires techniques) à appliquer ?
  • Un contrat de société,  basé sur un contrat de confiance, de coopération réciproque entre agriculteurs et citoyens, ne mériterait-il pas d’être porté politiquement comme une force et une priorité ?
  • Comment favoriser des démarches long terme d’agriculteurs insérer dans des économies de marchés court terme ?
  • Innovation, investissement et productions de biens publics sociétaux non rémunérés par les marchés ne sont-ils pas des paramètres à interconnecter plus fortement  et les vraies réponses de demain ?

Le traité de Rome faisait du développement économique une ambition et une priorité. Aujourd’hui, alors que l’Union européenne peine à retrouver un souffle nouveau de croissance, peut-elle faire l’impasse sur un tel secteur économique, une telle source de devises à l’exportation, sur la trame du développement des régions d’Europe ?

L’agriculture européenne, ce sont 10 Millions d’emplois plein temps agricoles (4,9 % de la population active) et un chiffre d’affaires annuel de 394 milliards € (2013), c’est aussi la base d’une industrie agroalimentaire de 4,1 Millions d’hommes et femmes et de 956 milliards d’euros de chiffres d’affaires annuel.

L’agriculture européenne, c’est l’assurance d’espaces de vie ouverts, entretenus et attractifs au développement d’autres activités économiques. Comme bâtir sans fondations solides serait une chimère, viser un développement rural sans agriculture est une illusion, même et surtout quand le poids relatif de l’agriculture pourrait le faire oublier.

Un rebond économique de l’UE doit passer par une ambition renouvelée pour notre agriculture et notre agro-alimentaire. Il leur faut trouver auprès des politiques incitations et raisons de croire en leur avenir. Nos grands partenaires mondiaux l’ont clairement saisi, certains EM au plus sombre de la crise économique récente l’ont expérimenté. Les opportunités de développement existent tant en Europe que sur les marchés non européens. Elles prennent des formes multiples, en rapport avec la segmentation des marchés. L’Union européenne sera-t-elle en mesure de les accompagner dans leur développement économique, dans l’ouverture de tout nouveau marchés dans leur internationalisation par des politiques commerciales, des politiques sectorielles, des politiques industrielles audacieuses ou bien voudra-t-elle maintenir un discours centré sur des productions et ventes de produits haut de gamme ?

Demain se façonne aujourd’hui. Croire en l’avenir de l’EU, Croire en l’avenir de son agriculture et son agro-alimentaire, inciter à innover, inciter à investir, tracer les routes d’un développement durable et performant, y sommes nous bien au niveau européen, y sommes nous bien au niveau des Etats membres et des régions ?

écrit par Yves Madre