Analyses du CCR sur la révision de la réglementation FIC – Des questions encore sans réponse

Le 9 septembre 2022, le Centre commun de recherche (CCR) de la Commission européenne – le département de recherche interne – a publié quelques analyses[1] concernant le règlement CE 1169/2011 sur l’information des consommateurs sur les aliments (FIC), qui sera bientôt révisé. Les rapports sont destinés à être utilisés par la Commission pour préparer sa proposition de révision qui devrait être publiée début 2023. 

L’étude du CCR intitulée « Systèmes d’étiquetage nutritionnel sur le lieu de vente : mise à jour des données » est une mise à jour du rapport du CCR sur le même sujet publié en 2020. L’objectif de l’étude de 2022 – qui a été commandée par le directeur général de la santé et de la sécurité alimentaire (DG SANTE) – est de « fournir une analyse détaillée des systèmes actuels d’étiquetage nutritionnel sur le lieu de vente (FOPNL) en ce qui concerne la compréhension des consommateurs, leur utilisation et leur effet sur le comportement des consommateurs, leurs choix alimentaires et leur santé ». 

Dans cette nouvelle mise à jour, le CCR a analysé 245 nouvelles études publiées entre mai 2018 et février 2021, portant sur les effets des FOPNL sur l’attention des consommateurs, leurs préférences, leur acceptation, la compréhension des étiquettes, les effets des étiquettes nutritionnelles sur la décision d’achat, les effets sur la santé et le régime alimentaire, sur la reformulation des produits, et les conséquences involontaires de ces outils. Les études impliquent plusieurs pays (principalement axés sur les États non membres de l’UE) et de nombreux OFNL (adoptés ou non par les États membres européens). Cependant, la majorité des expériences analysées dans les articles de la revue de la littérature sont réalisées dans des boutiques en ligne, et peu dans des situations réelles d’achat physique en magasin.

Parmi la revue de la littérature effectuée par le CCR, 14 études analysent le lien entre la méthode d’évaluation de FOP et d’autres mesures de la valeur nutritive de l’aliment, et 5 articles scientifiques comparent les systèmes avec les directives diététiques nationales. Les conclusions diffèrent selon le système évalué, le point de référence, ainsi que selon la catégorie d’aliments. Il est donc difficile de conclure de manière tranchée sur la pertinence d’un FOP pour aider à des habitudes alimentaires saines. 

Le CCR écrit que « dans l’ensemble, la capacité de FOPNL à classer les produits en fonction de leur caractère bénéfique pour la santé est parfois faible selon la catégorie d’aliments évaluée ; cela souligne la nécessité d’affiner les systèmes FOP afin de saisir plus précisément les différents aspects bénéfiques pour la santé ». 

Ainsi, les conclusions sur cet aspect de l’étiquetage nutritionnel ne sont pas claires, et que le « caractère sain » (c’est-à-dire l’efficacité avec laquelle une étiquette peut guider le consommateur vers une norme de régime alimentaire sain) d’un FOP est très relatif selon la référence et la catégorie d’aliments. 

De plus, au delà de la synthèse, et indépendamment de la qualité et de l’étendue de la revue de la littérature, il convient de souligner que l’analyse manque certains points essentiels du raisonnement autour des FOP. La Commission doit partir de ces documents pour approfondir ses réflexions sur le sujet, notamment sur les effets possibles de l’extension, premièrement, d’un étiquetage nutritionnel obligatoire à tous les États membres de l’UE et, deuxièmement, d’un étiquetage unique, un domaine qui n’est pas réellement exploré dans le document du CCR. 

– L’acceptation et les conséquences d’un système d’étiquetage obligatoire à l’échelle de l’UE ne sont pas discutées en profondeur, surtout si l’on considère que, comme le rapporte le CCR, les préférences nationales doivent être prises en compte. Plus important encore, les effets qu’une telle mesure aurait sur les recommandations alimentaires nationales/la consommation de référence (c’est-à-dire la référence nationale pour une alimentation saine) ne sont pas analysés. Il doit être analysé l’implication qu’aurait  sur les Etats membres une mise en œuvre obligatoire d’un FOP qui ne répondrait qu’à un repère spécifique -national ou européen théorique- pour une alimentation saine  car il pourrait diverger de leur définition d’une alimentation saine (sauf si l’idée est de leur demander de s’adapter à celle imposée par le FOP choisi). 

– Aucune étude ne prend la responsabilité d’analyser la méthodologie qui est derrière les FOPs et, potentiellement, d’évaluer leur complétude autour des perspectives nutritionnelles qu’ils proposent, ni les implications qu’ils peuvent avoir en termes de portes ouvertes à des produits ultra-transformés.

– Enfin, l’étude rapporte que, par exemple, un produit qui présente un étiquetage nutritionnel a tendance à être acheté plus souvent qu’un produit qui ne présente pas d’étiquetage, indépendamment des informations figurant sur ledit étiquetage (même si le produit avec le FOP a une valeur nutritionnelle inférieure à celle du produit sans étiquetage, les consommateurs auront tendance à acheter le premier). En outre, deux études rapportent que le fait de voir la couleur rouge sur l’étiquette d’un aliment sucré, incite les consommateurs à une plus grande consommation de produits sucrés. Malgré ces résultats, aucune avancée n’est suggérée pour résoudre les problèmes éventuels que ces questions pourraient causer une fois pleinement mises en œuvre. 

Les étiquettes à lecture rapide, si elles sont d’une part pratiques et efficaces pour délivrer l’information, d’autre part doivent faire des compromis sur la qualité de l’information délivrée.

Souvent, ces étiquettes ne s’intéressent qu’à un très petit nombre de nutriments, ce qui aboutit à donner des notes positives à des aliments hautement transformés (aliments qui peuvent être facilement manipulés, c’est-à-dire en ajoutant des nutriments « positifs » et en réduisant les « négatifs ») qui, à leur tour, finissent par causer certains des problèmes de santé liés à l’alimentation. De fait, à quoi cela sert-il de délivrer, dans la précipitation, des informations de mauvaise qualité ?

La question que nous devrions nous poser, et pour laquelle il n’y a aucun indice dans le document, est plutôt de savoir comment améliorer l’alimentation du plus grand nombre sans avoir à gérer les retombées négatives à long terme ?  

Contexte

Que dit le nouveau rapport du CCR.

Le rapport « Front-of-pack nutrition labelling schemes : an update of the evidence » analyse plusieurs aspects des FOPNL, notamment leurs effets sur l’attention des consommateurs, leur goût et leur acceptation de l’étiquette, les informations sur la décision d’achat, les effets sur la santé et le régime alimentaire, ainsi que leurs effets sur la reformulation et les conséquences involontaires. 

  • En ce qui concerne l’attention des consommateurs, les nouvelles conclusions concernent le fait que « les étiquettes moins complexes nécessitent moins d’attention pour être traitées », outre le fait que les étiquettes frontales, colorées, attirent davantage l’attention et sont plus faciles à comprendre. Les conclusions du rapport précédent sur le fait qu’une information nutritionnelle est mieux délivrée s’il y a moins d’autres informations sur l’emballage alimentaire et si la position de l’étiquette ne change pas sur l’emballage ont été confirmées. 
  • En ce qui concerne les préférences, l’acceptation et la compréhension des consommateurs, le CCR confirme que les consommateurs approuvent généralement les FOPNL, d’autant plus si la mention est colorée, courte et évaluative. En outre, les personnes soucieuses de leur santé les apprécient davantage que les personnes en surpoids. En d’autres termes, tels qu’ils sont aujourd’hui, ils sont plus utiles aux personnes qui en ont le moins besoin et moins efficaces vis-à-vis des personnes sur lesquelles il faut se concentrer. 
  • En ce qui concerne la quantité de référence, l’agence de la Commission écrit que les méthodes qui nécessitent « moins de calcul mental » permettent une meilleure compréhension, suggérant d’appliquer le même principe pour les informations nutritionnelles en général. 
  • Concernant les effets de FOPNL sur les achats, elle confirme que cet outil peut améliorer la qualité nutritionnelle des choix alimentaires. 
  • En ce qui concerne les effets sur la santé et l’alimentation, les études constatent que « la présence de l’étiquetage nutritionnel FOP peut avoir un impact positif sur l’apport alimentaire des consommateurs », et que « dans toutes les études, il a été démontré que la présence de l’étiquetage nutritionnel FOP est associée à une meilleure qualité nutritionnelle des produits alimentaires sélectionnés, car les produits sélectionnés étaient généralement plus faibles en énergie et en nutriments préoccupants pour la santé publique tels que les AGS [acides gras saturés], le sel et les sucres ». Cependant, ils admettent qu’il est difficile de tirer des conclusions quant à l’effet exact des FOPNL sur l’alimentation et la santé, étant donné le manque de preuves réelles disponibles, et ils n’explorent pas le rôle de certains FOP dans la promotion de produits plus (voire ultra) transformés et les conséquences corrélatives sur la santé. 
  • En ce qui concerne les effets des FOPNL sur la reformulation, les études examinées montrent qu’ils peuvent inciter à la reformulation des produits, même si « cela ne concerne que les nutriments qui figurent sur les étiquettes nutritionnelles des FOP ou qui sont pris en compte dans les critères nutritionnels sous-jacents, tout en réduisant l’incitation à améliorer les autres ». 
  • En ce qui concerne les conséquences involontaires de l’étiquetage nutritionnel FOPNL, le CCR note de manière intéressante que, tout d’abord, les différences entre les pays pourraient être prises en compte ; le fait qu’un produit qui affiche un étiquetage nutritionnel a tendance à être acheté plus souvent qu’un produit qui n’affiche pas d’étiquette, indépendamment des informations contenues dans l’étiquette ; et que le fait de « voir un cercle rouge juste avant de voir un aliment sucré peut susciter des réactions affectives plus excitantes et plus positives chez les consommateurs à l’égard des aliments sucrés », ce qui les amène à « préférer les produits accompagnés de la couleur rouge, ce qui a un effet inverse à celui recherché par l’étiquette pour les aliments malsains ».

[1] “Front-of pack nutrition labelling schemes: an update of the evidence”; ‘Provision of ingredient, energy and full nutrition information on alcoholic beverages”; “Literature review on means of food information provision other than packaging labels”; “Consumer understanding of origin labelling on food packaging and its impact on consumer product evaluation and choice: a systemic literature review”.