Farm Europe alerte : l’accord commercial UE–États-Unis fait pencher la balance contre les agriculteurs européens

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NOTE D’ANALYSE

L’accord commercial conclu en août entre les présidents von der Leyen et Trump s’écarte à bien des égards des accords commerciaux habituels. Pour commencer, il s’agit d’un accord totalement déséquilibré, dans lequel l’UE fait pratiquement toutes les concessions.

Afin de convaincre les États-Unis de ne pas appliquer dans leur intégralité les soi-disant droits de réciprocité – c’est-à-dire une toute nouvelle série de droits de douane venant s’ajouter aux droits NPF (nation la plus favorisée, conformes aux règles de l’OMC) déjà existants, notamment dans le secteur automobile –, l’UE a accepté de supprimer ses droits industriels et d’accorder une série de concessions supplémentaires dans le secteur agricole.

L’UE a également accepté que les États-Unis relèvent leurs droits de douane OMC à 15 % (quelques exceptions existent, mais seule celle du liège concerne l’agriculture) lorsque leurs précédents droits NPF étaient inférieurs. Si le droit NPF américain était supérieur à 15 %, c’est ce droit plus élevé qui s’applique.

Il convient aussi de préciser que les surtaxes américaines d’avril dernier ne s’appliquent plus : elles sont remplacées par l’accord d’août. Les nouvelles surtaxes américaines ne s’ajoutent donc pas aux droits NPF. C’est un élément important, puisque jusqu’ici seule l’UE a obtenu cette disposition. Tous les autres pays ayant négocié de nouveaux droits de douane les voient s’ajouter aux droits NPF américains. C’est le cas du Royaume-Uni, qui doit faire face à une surtaxe de 10 % en plus des droits NPF, l’ensemble atteignant toutefois un niveau proche de 15 %.

L’UE n’a obtenu aucune concession sur le vin et les spiritueux, bien au contraire. Dans la Déclaration conjointe qui scelle l’accord, on ne trouve qu’une référence très générale à la poursuite des discussions pour l’élargir, ce qui laisse peu d’espoir de nouvelles concessions à l’avenir.

Dans cette note, nous nous concentrerons sur l’agriculture dans le cadre de cet accord. Mais avant d’entrer dans le détail, deux observations : l’accord est un marché gagnant (États-Unis) – perdant (UE) ; et il enfreint les règles fondamentales de l’OMC, puisque les concessions de l’UE ne sont pas étendues aux autres membres de l’OMC, et que les États-Unis appliquent des droits plus élevés que ce qui leur est autorisé.

Le fait que cet accord enfreigne les règles de base de l’OMC ne constitue pas seulement un problème de réputation pour l’UE, l’un des plus fervents défenseurs des règles du commerce international. Il pourrait devenir un problème commercial épineux, l’UE s’exposant à des contestations d’autres pays pour ne pas avoir étendu aux autres membres de l’OMC les concessions faites aux États-Unis. Étant donné que l’UE est actuellement engagée dans un règlement multilatéral contraignant des différends, elle pourrait être contrainte soit de se retirer de l’accord conclu avec les États-Unis – encore sous une présidence Trump –, soit de compenser les pays lésés. Les deux options auraient de lourdes conséquences.

L’accord est désormais soumis au Parlement européen et au Conseil. Les colégislateurs adopteront-ils un accord aussi déséquilibré, où tant de concessions sont faites dans une tentative d’atténuer l’impact sur l’industrie automobile européenne ?

Nous allons maintenant analyser l’accord. D’abord, l’impact de la hausse des droits américains sur les exportations agricoles de l’UE. Ensuite, les concessions agricoles de l’UE sur les importations.

Impact du tarif minimum de 15 % 

L’UE dispose actuellement d’un important excédent commercial agricole avec les États-Unis. En 2024, l’UE a exporté pour plus de 30 milliards d’euros de produits agroalimentaires vers les États-Unis.

Les principales exportations sont le vin, de loin le premier poste avec plus de 5 milliards d’euros ; les préparations céréalières (pâtes, biscuits) et les spiritueux, proches chacun de 3 milliards ; l’huile d’olive et les olives (2,6 milliards) ; suivis par les produits laitiers, le café et le thé, la bière et les préparations alimentaires diverses, chacun avoisinant les 2 milliards. Dans la tranche supérieure à 1 milliard d’euros, on trouve les préparations de fruits, fruits à coque et légumes, le chocolat et d’autres produits animaux.

La Commission a soutenu qu’elle avait obtenu le meilleur accord possible, plaçant les exportations européennes dans une meilleure situation puisque d’autres concurrents paient des droits encore plus élevés. Nous considérons cet argument fallacieux : en réalité, les exportations de l’UE seront moins compétitives face aux produits américains. Les États-Unis étant un grand producteur agroalimentaire, c’est un facteur majeur. De plus, pour d’autres concurrents comme l’Australie, le Chili, l’Argentine ou la Nouvelle-Zélande, les nouveaux droits sont très similaires à ceux de l’UE.

Les pertes d’exportations européennes seront donc inévitables : baisse des volumes, des marges, ou des deux à la fois.

  • Vin : auparavant soumis à un droit NPF spécifique par litre (6,3 c pour les vins tranquilles, 19,8 c pour les vins effervescents), le droit effectif calculé ad valorem restait largement inférieur à 15 %, et proportionnellement plus élevé pour les vins les moins chers. Désormais, le droit sera calculé sur la base de la valeur des importations, pénalisant toutes les exportations de vin de l’UE, et davantage encore les vins de valeur supérieure.
  • Préparations céréalières : pour les pâtes et les biscuits, le droit augmente également nettement. Les pâtes non farcies étaient exonérées. Là encore, les exportations deviendront beaucoup moins compétitives face aux produits américains, et des pertes suivront.
  • Spiritueux : droits également en hausse. Le droit NPF était spécifique par litre ; rapporté à la valeur des exportations, le nouveau tarif de 15 % sera nettement plus élevé. Les parts de marché ou les marges de nos exportations diminueront.
  • Huile d’olive : l’UE est de loin le premier producteur mondial. La production américaine est faible. Pas de concurrence domestique directe, mais les prix augmenteront fortement avec les nouveaux droits, incitant les consommateurs américains à se tourner vers des huiles de graines, beaucoup moins chères.
  • Produits laitiers : secteur très divers, avec des droits NPF variés. Pour la plupart des fromages, le droit NPF était de 10 %, il grimpe donc de 50 %. Roquefort : 8 % (désormais 15 %) ; Cheddar : 16 % (inchangé). Le beurre était taxé à moins de 2 % en moyenne. La reconnaissance des marques est plus faible que pour le fromage : l’impact négatif sera donc encore plus marqué.
  • Jambons : droits NPF très faibles, voire nuls. Les produits haut de gamme européens seront renchéris, nuisant aux exportations.
  • Bière : impact moindre que pour le vin ou les spiritueux, mais notable. Les importations NPF étaient exonérées ; elles seront désormais taxées à 15 %. Les marques européennes seront évincées du marché.

En résumé, pratiquement toutes les filières exportatrices subiront des hausses tarifaires significatives, sauf quelques produits déjà taxés au-delà de 15 %.

Des exportations plus faibles signifient que l’agriculture européenne perd un débouché précieux. Les prix intérieurs et les revenus agricoles en pâtiront. L’impact sera particulièrement élevé pour le vin, secteur déjà fragilisé par des crises récurrentes.

Les pertes, entre baisse des volumes et des marges, se chiffreront en milliards d’euros.

Concessions agricoles  

L’accord prévoit deux séries de concessions commerciales : l’abolition des droits de douane pour un groupe de produits, et l’ouverture de contingents tarifaires (TRQ) pour un autre groupe de produits.

L’abolition des droits de douane concerne les pommes de terre, les oignons et plusieurs autres légumes, une gamme de fruits secs (y compris les raisins secs et les raisins de table), le sorgho et le millet, un large ensemble de semences (y compris la betterave sucrière), les préparations de fruits et légumes, les confitures et les jus de fruits (à l’exception des agrumes).

Pour les agrumes, les raisins de table frais, les pommes, les poires, les prunes, les cerises, les tomates, les concombres, les artichauts, les courgettes, les jus de raisin, les droits de douane sont suspendus, sauf dans les cas où le système de prix d’entrée s’applique.

Les TRQ incluent : 25 000 t pour la viande de porc congelée ou préparée, le bacon et les jambons ; 3 000 t pour la viande de bison ; 10 000 t pour certains produits laitiers, notamment le lait, le yaourt, les pâtes à tartiner, les glaces ; 10 000 t pour les fromages transformés et le cheddar ; 500 000 t pour les fruits à coque ; 400 000 t pour l’huile de soja brute ; 40 000 t pour l’alimentation animale ; 40 000 t pour les chocolats ; 50 000 t pour un assortiment de préparations alimentaires comprenant les aliments pour nourrissons, le malt, les pâtes, les biscuits, les pizzas ; 250 000 t pour les produits à base de café, le ketchup de tomates et sauces, ainsi que certaines glaces plus riches en matières grasses. Les trois derniers TRQ comportent des droits à l’intérieur du contingent, tandis que les précédents sont exempts de droits de douane. Le mannitol et le sorbitol bénéficient d’un TRQ en franchise de 2 500 t, et l’amidon modifié de 11 000 t.

Ces concessions sont variées et leur impact est difficile à évaluer. Il y aura des répercussions sur l’industrie semencière, sur les producteurs de fruits et légumes, sur les producteurs de tomates et, dans une moindre mesure, sur les producteurs laitiers et de porc. Les producteurs d’amandes et de châtaignes pourraient être davantage touchés, les États-Unis étant un grand producteur et le TRQ correspondant étant assez élevé.

Conclusion 

L’accord commercial UE–États-Unis est sans aucun doute fortement déséquilibré en faveur des États-Unis.

L’UE a offert des concessions, notamment agricoles, pour limiter l’impact des hausses de droits américains, en particulier dans le secteur automobile.

Les répercussions sur l’agriculture européenne seront importantes. La principale proviendra de la baisse des exportations et de leur valeur, les hausses tarifaires touchant pratiquement toutes les filières. Le secteur viticole sera probablement le plus touché, mais beaucoup d’autres subiront également des pertes.

D’autres effets découleront des concessions commerciales, particulièrement pour les fruits et légumes.

Cet accord déséquilibré s’ajoute à une proposition insatisfaisante de la Commission sur le CFP et la réforme de la PAC, qui réduit drastiquement les soutiens et affaiblit le cadre politique commun.

Un dernier mot sur les perspectives de l’accord lui-même : le texte prévoit une clause de suspension si les États-Unis n’en respectent pas les termes. Cela met en lumière une question plus large : quelle est la stabilité d’un accord alors que les États-Unis utilisent les mesures commerciales pour poursuivre toutes sortes d’objectifs – économiques, financiers et stratégiques ?

Cette imprévisibilité persistante est aggravée par la conformité de l’accord au droit américain. Le processus juridique est en cours et devrait aller jusqu’à la Cour suprême, mais jusqu’ici le gouvernement américain a déjà été jugé en partie en infraction par les juridictions inférieures.

Les nouveaux droits sont déjà en place. Impossible de prévoir s’ils seront maintenus, et pour combien de temps.