Le cœur de la souveraineté agricole de l’UE ciblé par la baisse des aides
Le choix de la répartition des aides de la Politique agricole commune (PAC) est aujourd’hui le principal levier d’action de cette politique, levier sur lequel repose une large part de la capacité d’investissement et de projection dans l’avenir des exploitations de l’UE. Il reflète les priorités portées à l’échelle de l’UE pour l’avenir de l’agriculture et des exploitations du Continent.
Depuis le début du mandat, l’actuel collège des Commissaires a focalisé les débats sur la concentration des aides de la PAC sur « ceux qui en ont le plus besoin », un défi particulièrement épineux compte tenu des sensibilités climatiques, agronomiques, géographiques et sectorielles, épineux également compte tenu de la nécessité d’une clef européenne pour éviter les distorsions de concurrence tout en offrant suffisamment de souplesse pour respecter la diversité des structures d’exploitation.
Ainsi, le 16 juillet, la Commission européenne a décidé de mettre sur la table une double proposition de forte réduction budgétaire pour la PAC, assortie à une redistribution radicale des aides cumulant à la fois une dégressivité des soutiens dès 20.000EUR, et leur plafonnement à 100.000EUR.
Farm Europe a analysé la portée de la formule envisagée par la Commission européenne sur la base des données publiques de répartition des aides de 2022. Elles offrent un outil d’analyse de la structure des exploitations à travers l’Union. Sans que les chiffres soient valables à l’euro près, ils donnent une première projection solide qui pourra être affiné par les agences de paiement nationales.
Ainsi, cette analyse révèle que les taux de dégressivité et de plafonnement pour l’aide de base au revenu ciblent de plein fouet les agriculteurs qui sont, aujourd’hui, le socle de la production européenne. Plus de la moitié de la Surface agricole utile de l’UE serait affectée par la réduction des aides, ce chiffre grimpe à deux tiers, dès lors que l’on exclut les exploitations considérées comme les plus petites (moins de 5000EUR d’aides), pour l’essentiel concernées par l’aide forfaire, ou au seuil de celle-ci. Un tier des agriculteurs de plus de 12 hectares verrait ses aides réduites par la dégressivité à l’échelle de l’Union européenne.
Cette analyse européenne ne suffit pas à prendre conscience de l’ampleur des conséquences de la formule choisie par la Commission européenne. En effet, dans des pays tels que la France ou la République tchèque pourtant aux structures très différentes, c’est le modèle agricole même du pays qui serait remis en cause. En France, plus de 50% des agriculteurs percevant plus de 5000EUR par an seraient concernés par une réduction de l’aide, ceux-ci représentant 73% de la Surface agricole totale française. En République tchèque, ce chiffre grimperait à 85% de l’appareil productif concerné. En Italie, où les exploitations agricoles sont relativement petites en moyenne, pas moins de 57 % des hectares seraient touchés par la dégressivité pour les structures non éligibles au régime des petits agriculteurs.
A diverses échelles, tous les Etats membres seraient durement touchés par cette proposition qui semble plus dictée par un souci d’économie qu’une réelle volonté d’équité ou une vision d’avenir du secteur. Alors que l’exécutif européen affiche l’ambition bienvenue de vouloir recentrer la politique sur ceux qui produisent, sa proposition en matière de ciblage sur « ceux qui en ont le plus besoin » ferait donc l’inverse.
Une telle formule aurait pour conséquence de renforcer encore un peu plus la pression économique sur les exploitations qui représentent aujourd’hui l’essentiel de la production de l’UE. A n’en point douter, cette approche serait un accélérateur du processus de restructuration de l’agriculture, poussant à l’agrandissement, et mettant en difficulté en particulier l’installation de jeunes agriculteurs dans le cadre d’exploitations familiales traditionnelles. Il pourrait également inciter les agriculteurs de l’UE à concentrer leurs efforts sur une réduction des coûts, plutôt qu’une optimisation de leur production, avec à la clef un sérieux coup de canif à l’objectif de souveraineté agricole.
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