Plans de partenariats régionaux et nationaux : le grand enfumage
Depuis le mois de juillet, la Commission européenne est sur la défensive, pour justifier le choix de sa Présidente, Ursula von der Leyen, de fondre, dans un seul et même fonds, le Plan de partenariats régionaux et nationaux, les politiques traditionnelles de l’Union, la PAC et la Cohésion et quelques autres (pêche, fonds social, climat, etc.). Pour se justifier, elle tente de présenter ce tremblement de terre à l’ensemble des bénéficiaires (pris séparément) de ces politiques comme une source d’opportunité sans pareille.
Pourtant, les arguments avancés par la Commission européenne ne résistent pas longtemps à une analyse précise des propositions mises sur la table le 16 juillet, qui permettent avant tout de dire une chose et son contraire, toute orientation politique et cadre prévisible à l’échelle de l’UE étant abandonné.
Autant de raisons, détaillées ci-dessous, qui poussent Farm Europe à considérer que la proposition de la Commission européenne peut difficilement constituer un point de départ acceptable pour les co-législateurs, et plus encore pour le Parlement européen qui perdrait, pour l’ensemble de ces politiques, sa raison d’être.
1) Un budget protégé, ou pas.
Selon la Commission, le NRPP serait une opportunité pour les agriculteurs, mais aussi pour les élus locaux, les pêcheurs et bien d’autres communautés grâce aux flexibilités accordées aux Etats membres dans la répartition du budget. Après le fléchage de l’enveloppe (réduite) dévolue à la prochaine PAC, il resterait au total 453 milliards d’EUR disponibles où chacun pourrait piocher. Une lecture plus honnête des chiffres montre que tel n’est pas le cas, loin de là :
- la quasi totalité de l’enveloppe NRP est allouée en enveloppes nationales. Dès lors, il n’existe pas de réelle flexibilité européenne dans ce fonds, qui deviendrait une annexe des budgets nationaux. On peut estimer en prenant en compte les différentes allocations qu’il ne reste en réalité qu’à peine 15 milliards de marge à l’échelle européenne.
- au sein même de l’enveloppe NRP, il est clair que l’ensemble des politiques historiques de l’Union passent par des coupes sombres. Autour de 20% pour la Politique agricole commune (17,6%), et 40% pour la politique de cohésion. Le FSE+ n’existe plus que sur le papier, sans budget. Dans ces conditions, comment croire à l’argument de la Commission que les agriculteurs pourraient récupérer les sommes au-delà de l’enveloppe de 300 milliards protégée dans une soit disant réserve disponible et non allouée.
Un calcul basé sur l’ensemble des allocations nationales proposées par la Commission montre que ceci est une pure illusion d’optique. L’Irlande devrait aller chercher plus de 75% des fonds du NRP au-delà de l’enveloppe protégée pour la PAC, pour maintenir cette dernière à son niveau de 2027, la France, 48%, l’Espagne 21%, l’Italie 18,5%. Il est clair que cette équation impossible, laissant aux Etats membres les choix difficiles n’aurait d’autre effet que de semer la zizanie et créer un climat délétère dans les négociations nationales, avec, au final, aucun gagnant en perspective. En tout état de cause, ce cadre n’offre aucune prévisibilité ni stabilité aux agriculteurs, alors même qu’il s’agit d’une politique économique avec des impacts forts sur la structure des marchés.
2) Un cadre plus simple, ou pas.
La Commission européenne juge que cette nouvelle programmation aurait la vertu de la simplification grâce aux flexibilités accordées aux Etats membres. Ceci est sans compter sur l’expérience accumulée au fil des années dans la mise en oeuvre de l’actuelle PAC.
En réalité, le pas supplémentaire dans la renationalisation proposée par la Commission européenne présente un double effet :
- D’une part la technocratisation des politiques qui deviennent des programmes gérés de façon opaque entre administrations nationales et la Commission européenne, mettant sur la touche les responsables politiques, dont le Parlement européen.
- D’autre part, il constitue l’organisation systématique de l’irresponsabilité politique. Aucune règle claire n’étant fixée par la loi, les fonctionnaires nationaux ont beau jeu de renvoyer la responsabilité sur «Bruxelles» pour justifier leurs orientations, y compris à leur responsable politique de tutelle, la Commission renvoyant sur les administrations nationales de la même manière.
Dès lors, il n’y a aucune simplification dans la création d’un flou permanent et dans la suppression de la responsabilité politique. Les administrations respectives nationales ou européenne ont démontré, par le passé leur créativité et ténacité pour mettre de la complexité dans les schémas les plus simples, d’autant plus que le mode de pilotage par des indicateurs de performance leur permet de justifier des choix parfois arbitraires ou le fruits d’équilibres complexes entre les différentes sensibilités au sein des multiples ministères consultés.
En ce qui concerne la PAC, on peut s’interroger sur la pertinence des recommandations que pourrait formuler la Commission européenne, alors même qu’elle s’apprête à réduire encore un peu plus le niveau d’expertise de ses services agricoles par des réductions d’effectifs drastiques.
3) Un cadre plus vert, ou pas.
La Commission a choisi de mettre en avant le principe « do not harm » pour offrir une touche verte en tête de son règlement et rallier la communauté environnementaliste. Dans le même temps, elle annonce la suppression de la conditionnalité pour rallier la communauté agricole.
Tout d’abord, il est regrettable de résumer les objectifs environnement et climat à une opposition stérile, qui ne correspond pas à la réalité des enjeux auxquels sont confrontés les agriculteurs.
Ensuite, il est tout simplement faux de dire que le nouveau cadre serait moins vert, ou plus vert, plus simple ou plus compliqué. En la matière, aucune réponse n’est réellement apportée par les règlements, la seule certitude est la mise en place d’une machine infernale à distorsions de concurrence entre et au sein des Etats membres, et l’exposition du secteur agricole aux aléas de l’évolution des sensibilités au sein des administrations nationales.
Le système de « Farm Stewartship» laisse la porte ouverte à une divergence forte de l’ambition de base des politiques environnementales agricoles au sein du marché intérieur, élément d’autant plus préoccupant qu’il est le fondement sur lequel s’appuieraient les autres programmes environnementaux.
D’ores et déjà, à tout le moins à court terme, il est clair qu’il est plus confortable d’être un agriculteur hongrois qu’allemand. Et sans aucun doute pour les pays fortement décentraliser des distorsions apparaîtraient au sein même d’un Etat membre comme cela est déjà apparu en Belgique à travers le débat sur les mesures de lutte contre l’érosion.
Ni les agriculteurs, ni l’environnement n’ont à gagner d’un tel abandon de toute ambition communautaire.
4) Les agriculteurs écoutés, ou pas.
Enfin, et sans doute point politiquement le plus délétère pour la stabilité du projet européen, la réforme mise sur la table serait le fruit de larges consultations, la Présidente de la Commission européenne ayant pris le soin de lancer un dialogue stratégique, puis une nouvelle enceinte de consultation, l’EBAF, avant de rédiger une vision stratégique pour l’agriculture.
En fin de compte, il apparaît clairement qu’aucun des éléments de la vision ne se retrouve incarné concrètement par des choix ou orientations politiques inscrits dans les propositions budgétaires et agricoles mises sur la table par la Commission européenne. Les agriculteurs qui ont participé à ces consultations aurait bien des raisons d’avoir le sentiment d’avoir été instrumentalisés, tout comme, d’ailleurs, les ONGs ayant pris part à ces échanges.
Ce processus a été utilisé comme prétexte par la Commission européenne pour justifier une absence quasi-totale de consultation avec les représentants élus — le Parlement européen. L’aboutissement de ce processus de faux-semblants est l’organisation, par la présidence danoise, de la négociation du NRPP ne laissant quasiment plus de place aux institutions à proprement parler agricoles pour traiter des sujets qui leur sont propres.
Avec le NRPP, les politiques deviennent des programmes, et les décisionnaires quasi exclusifs – les ministères des finances- ne laissant de prise aux responsables politiques que sur les éléments secondaires, réduits au maximum, de ces programmes une fois que tous les axes et options politiques auraient été définies dans les enceintes fermées de négociation du NRPP.
Une Commission soit-disant politque mettrait ainsi fin au politique pour s’en remettre aux administrations.