La résilience agricole et alimentaire : un enjeu planétaire

Il est des évolutions dont l’avènement est quasi-certain, et le besoin croissant en nourriture en fait partie. En revanche, comme souvent, les solutions à apporter et stratégies à mettre en œuvre génèrent plus de questions que de réponses opérationnelles. Notre document de discussion sur la sécurité alimentaire est disponible ici.

Marchés laitiers : quand le temps de la reprise viendra…

Au delà des mesures confirmées et précisées par le Commissaire Hogan le 15 septembre dernier (que nous évoquerons ci-après), les marchés mondiaux restent toujours à la peine. La défection de la Russie et surtout de la Chine accusant le déséquilibre entre une production qui a cru ces derniers mois de façon beaucoup plus forte que la demande ne s’est exprimée.

D’aucuns espèrent une reprise à la faveur d’un retour aux achats de la Chine, alors que la production continue de croire chez les 4 principaux exportateurs mondiaux. C’est en effet souhaitable et serait, dans l’état actuel, salutaire.

Toutefois, deux éléments doivent être pris en considération :

  • la volonté politique de la Chine, comme de la Russie d’ailleurs, de développer sa propre filière laitière. Cette orientation peut conduire les dirigeants de ces pays à positionner leurs achats, leurs rythmes et volumes de manière nouvelle et plus différenciée.
  • Le fait que les stocks disponibles à la vente chez les exportateurs sont très importants, notamment pour la poudre. Hormis les quantités qui seront mises sous le régime de stockage privé aidé dans l’Union Européenne, les autres stocks existant sont disponibles sans délai et auront un effet d’amortisseur très important sur les prix (et tout particulièrement ceux payés aux producteurs) lors de la reprise de la demande mondiale.

Avec un prix en Nouvelle Zélande de moins de 20 cents et les quantités en stocks, chez l’opérateur Fonterra par exemple, les producteurs de lait européens risquent de faire encore face à une conjoncture morose plusieurs mois.

Parmi les mesures affinées et présentées le 15 septembre aux Etats membres par le Commissaire Hogan, la décision d’accroître de 100 % l’aide au stockage privé pour la poudre de lait est sans doute celle qui pourra avoir l’effet le plus rapide pour tenter d’enrayer la spirale de baisse des prix dans l’Union Européenne. Si les quantités ainsi stockées et gelées a minima 9 mois sont suffisantes, le déséquilibre offre européenne/demande pourra être diminué et le marché être un peu assaini sur le court terme.

Il s’agit bien de court terme : les opérateurs européens ne pourront pas stocker pour le marché mondial. Nous n’en avons ni les moyens ni la vocation. Quant aux prix dans l’Union Européenne, leur redressement court terme sera soumis à la pression d’un risque d’appel d’air sur les stocks des autres grands exportateurs s’ils connaissaient une reprise substantielle en dehors de toute reprise ou assainissement du marché mondial.

Lorsque ce marché mondial retrouvera des couleurs (il est bien trop tôt pour déceler tout signal positif éventuel), la compétition sera forte entre exportateurs pour placer stocks et productions nouvelles. En ce sens, l’effort supplémentaire d’aide à la promotion dédié aux marchés laitiers doit être valorisé à plein et être totalement opérationnel courant 2016.

L’économie laitière évolue dans un contexte nouveau depuis 2007, avec des variations de prix de très fortes amplitudes (tant à la hausse qu’à la baisse) à une fréquence plus élevée. La crise actuelle n’est pas la dernière. En ce sens, on ne peut qu’appeler à ce que les pistes esquissées par la Commission lors du Conseil des ministres de l’agriculture du 7 septembre dernier en matière d’outils nouveaux traitant de l’endettement du secteur et impliquant la BEI se concrétisent rapidement. Cela pourrait être une vraie réponse économique à l’accroissement de la résilience d’un secteur dont le développement ne doit pas être cassé ou entravé du fait des crises conjoncturelles qui lui sont désormais inhérentes.

 

La PAC: politique européenne la plus efficace pour les ministres des finances

Vous pouvez lire notre dernier policy brief sur les aspect budgétaires sous-jacents à la Politique agricole commune en suivant ce lien.

Dans bon nombre d’Etats membres, ministres des finances et ministres de l’agriculture ne partagent pas nécessairement la même approche politique et stratégique en matière de PAC et de son évolution. L’approche strictement financière fait place à une démarche prenant en considération l’intérêt pour l’Union européenne d’investir dans un secteur répondant à des enjeux d’économie, territoriaux et de production de biens non marchands requis par la société dans son ensemble.

Alors que les uns (ministres de l’agriculture) concentrent leurs efforts sur la mise en place d’outils le plus proche possible des spécificités de leurs agricultures, les autres (ministres des finances) se concentrent sur la préservation du retour financier national au sein d’une politique de transfert de l’effort des budgets nationaux vers le budget communautaire, tout en gardant à l’esprit la rigueur qui préside à l’ensemble de leurs délibérations.

Analyse synthétique de la première mise en œuvre de la nouvelle PAC

Sur la base des notifications faites à la Commission en août 2014, on constate que la mise en œuvre de la réforme de la PAC en 2015 par les Etats membres comporte des inflexions sensibles à prendre en considération dans les travaux sur le post 2020 et dans la perspective de la révision au titre des la simplification prévu en 2016/17 :

  • l’utilisation très large de la réduction et du plafonnement des aides, au delà du minimum règlementaire, avec une mise en place d’un plafonnement par exploitation dans 8 Etats membres, sujet qui semblait tabou depuis 1992 ;
  • une inversion de tendance en matière de couplage des aides. La règle du découplage n’apparait plus l’objectif ultime. A l’exception de l’Allemagne, tous les Etats membres usent de cet outil qui apparaît comme une réponse générique au fait que les aides directes découplées sont déconnectées, par définition, des besoins liés aux évolutions des marchés (choix à lire au regard du contexte économique des secteurs lait et viande lors des prises de décisions, sans toutefois pouvoir aux dites évolutions.
  • une utilisation substantielle des flexibilités nationales de mise en œuvre du greening dans une majorité d’Etat membre, source potentielle de distorsion de concurrence, de complexité d’application et de gestion.

La réforme de la PAC a introduit un certain nombre de flexibilités quant à la mise en œuvre des aides directes (1er pilier de la PAC). Cette note retiendra 6 éléments forts qui se dégagent des modalités d’application de la réforme adoptée en juin 2013, éléments qui auront un impact sur la position des Etats membres dans les négociations futures.

1) Le transfert entre piliers apprécié

11 Etats membres ont choisi de renforcer l’enveloppe du pilier II au rang desquels le Royaume-Uni (10,8 % chaque année), l’Allemagne (4,5 %), le Danemark (de 5 % en 2016 à 7 % à partir de 2018), les Pays-Bas (4 % en 2016 pour finir à 4,3 % en 2020) et la France (3,3 %). Les autres Etats membres étant la Lettonie, la Belgique, la République tchèque, l’Estonie, la Grèce et la Roumanie.

L’option d’un renforcement du 1er pilier à partir des fonds du 2nd sera le fait de la Pologne (25%, ainsi que négocié durant la réforme), mais aussi de la Hongrie (15%), la Slovaquie (21,3 %), la Croatie (15%) et symboliquement Malte. Ceci aura un impact sur la prochaine négociation budgétaire, la Pologne ayant été très en retrait dans la défense des paiements directs en 2013.

2) « Recouplage » limité mais réel

27 des 28 Etats membres de l’UE ont opté, à des degrés divers, pour la mise en place de paiements couplés. Seule l’Allemagne s’en abstient. L’usage de paiements couplés reste toutefois très limitée dans 7 autres Etats membres (Irlande, Pays-Bas, Luxembourg, Royaume-Uni, Autriche, Danemark, Estonie – entre 0,2 et 3,5 %). La Belgique, la Finlande et le Portugal font usage de la possibilité d’aller au delà de 15 % (17 à 21 %). La majorité des nouveaux Etats membres utilise au maximum leur autorisation d’allocation. A noter également la décision de la Suède d’allouer des paiements couplés à ses agriculteurs pour 13 %. Ces aides couplées seront avant tout tournés vers les filières bovins, lait, ovins, fruits et légumes et cultures protéiques. Elles bénéficieront aussi aux planteurs de betteraves dans 10 Etats membres où la productivité est traditionnellement plus faible, ainsi qu’en République tchèque, Slovaquie et Pologne.

3) Dispositifs de plafonnement quasi généralisés

Les dispositifs de réduction des aides directes, voire de plafonnement, seront d’application dans 19 Etats membres. Parmi ceux-ci, 8 ont opté pour un plafonnement absolu au delà d’un montant variant de 150 000 €/an (Flandre, Irlande, Grèce, Autriche, Irlande du Nord, Pologne, sans soustraction des salaires pour cette dernière) à 600 000 €/an (Ecosse), 500 000 pour l’Italie, 300 000 pour le Pays de Galles et 176 000 pour la Hongrie. Au total, ce sont 110 millions d’euros qui seront récoltés par an, à ce titre.

4) Renforcement des soutiens aux exploitations de taille « moyenne »

Parallèlement, des paiements redistributifs donnant une prime aux « premiers hectares » seront d’application dans 8 pays (Belgique, Bulgarie, Allemagne, France, Croatie, Lituanie, Pologne, Roumanie). Ces pays ont fait le choix de ne pas appliquer de réduction des paiements, à l’exception de la Pologne et la Bulgarie.

5) Impact très limité du dispositif « petits agriculteurs »

Quant au dispositif pour les « petits agriculteurs », s’il est appliqué dans 15 Etats membres. Mais c’est seulement dans 2 pays qu’il est mis en place avec l’optique d’un gain financier pour cette population.

6) Les flexibilités du greening utilisées

8 Etats membres auront recours l’équivalence, 6 pour des mesures agro-environnement et climat (Autriche, Grèce, Irlande, Italie, Luxembourg, Pologne) et 2 pour des schémas de certification (Pays-Bas, France).

Prairies permanentes: niveau géographique de l’application du ratio.

23 sur 27 Etats membres gèreront le ratio de prairies permanentes au niveau national. Seuls Belgique, France, Allemagne, Royaume-Uni gèreront ce ratio au niveau régional.

Seuls 2 les Pays-Bas et la Pologne mettront en œuvre une application collective des Surfaces d’intérêt écologique (SIE).

La liste des éléments que les agriculteurs pourront utiliser pour remplir leurs obligations SIE est limitée (2 à 4) en Autriche, Finlande, Lituanie, Pays-Bas, Slovénie et Espagne. A l’inverse la Belgique, la Bulgarie, la Croatie, la Républiue tchèque, la France, l’Allemagne, la Hongrie, l’Irlande, l’Italie, le Luxembourg, la Pologne, la Roumanie et la Slovaquie ont opté pour une liste significative d’éléments (10 ou plus).

Parmi les éléments retenus se trouvent le plus fréquemment la surface en cultures fixatrices d’azote (tous Etats membres, sauf Danemark), la jachère (tous Etats membres sauf les Pays-Bas et la Roumanie), des taillis à rotation courte (23 Etats membres ou régions), des cultures intermédiaires (21), des bandes tampons (20), des groupes d’arbres (18), des bordures (17), des arbres en ligne (16), des haies (16), des zones boisées (15), des fossés (15), des arbres isolés (13), des mares (12), des surfaces d’agro-foresterie (12), des lisières forestières sans production (11), des terrasses (8), des lisières forestières avec production (8) et finalement des murets (7).

A noter que 10 Etats membres (Danemark, Finlande, Allemagne, Hongrie, Irlande, Italie, Lettonie, Malte, le Portugal, et le Royaume-Uni (Irlande du Nord)) prendraient en compte dans les SIE des éléments topographiques protégés par les BCAE, mais qui ne sont pas dans cette liste.

Certains Etats membres appliqueront largement des facteurs de conversion (Belgique, Bulgarie, Croatie, France, Hongrie, Irlande, Italie, Luxembourg, Pologne, Roumanie, Slovaquie, Royaume-Uni) alors que d’autres prendront en compte les dimensions réelles pour beaucoup ou tous les éléments (République tchèque, Estonie, Allemagne).

En revanche, l’application des facteurs de pondération est quasi-généralisée pour les éléments sélectionnés.