Les travaux

Chaine alimentaire - 21 mars 2017

Bâtir une nouvelle ambition pour les filières d’élevage bovin de l’UE

écrit par Luc Vernet & Valeria D'Agostino

La filière bovin viande européenne est l’une des plus importantes filières agroalimentaires européennes. Elle est d’une très grande diversité et constitue la trame du développement local dans plusieurs régions de l’UE, avec un nombre important d’emplois à chaque maillon de la chaine, de l’élevage au point de vente en passant par l’ensemble des métiers intermédiaires, industriels et commerciaux.

L’élevage bovin spécialisé est un acteur clef de ce secteur. Il fournit aujourd’hui plus d’un tiers de la viande bovine consommée en Europe, et occupe une place centrale dans des régions très spécifiques, principalement en Irlande, France, Royaume-Uni, Espagne, Italie et de plus en plus, aussi, Pologne. Même s’ils restent modestes, des marchés de niche se développent dans de nombreux autres pays de l’UE, tels qu’en Finlande ou en Suède. Et il est important de rappeler que dans bien des régions où il est pré-dominant, l’élevage spécialisé constitue bien souvent la seule activité agricole possible.

Toutefois, la contribution de cette filière à l’économie européenne est trop souvent sous estimée.

Par rapport aux autres activités d’élevage, cette filière a un certain nombre de caractéristiques qui la rendent particulièrement fragile :

  • des marges très faibles ;
  • un niveau de profitabilité bas, alors que les systèmes productifs sont complexes et les capitaux immobilisés importants ;
  • une faible élasticité ;
  • un niveau de compétitivité très élevé au plan mondial de certains acteurs, alors que le niveau de compétitivité européen est plus faible (70 à 90% des revenus dégagés dans beaucoup d’exploitations dépendent des aides publiques de la PAC) ;
  • des préoccupations sociétales de plus en plus fortes en matière de bien-être animal et de consommation de viande ;
  • un mix d’impacts environnementaux positifs à valoriser (stockage du carbone, biodiversité) et négatifs à limiter (émissions).

Des changements importants sont en cours en matière de consommation, d’évolutions technologiques, de politique et de commerce international, changements qui rendent l’avenir incertain, ou tout au moins difficilement lisible, avec en particulier :

  • d’une part la menace d’une concurrence accrue du fait des accords bilatéraux en cours de négociations – Mercosur et TTIP en particulier, sans mentionner le CETA, récemment ratifié ;
  • et, d’autres part, la fin des quotas laitiers qui bouleverse les équilibres de la filière, avec un retour de la croissance du cheptel laitier d’où proviennent déjà les deux tiers de la viande bovine consommée en Europe.

La filière bovin viande spécialisée est face à un double enjeu :

  • Construire une ambition pour l’avenir et, pour ce faire, bâtir une stratégie économique solide pour l’ensemble de ses acteurs, en prenant en compte l’évolution des marchés, de façon à saisir les opportunités qui se présentent tant sur le marché européen, que sur les marchés mondiaux.
  • Concevoir et contribuer à mettre en place des outils de soutien politiques les plus pertinents qui permettront d’appuyer et d’accélérer la mise en place de cette stratégie économique, en faisant de la très grande diversité de cette filière en termes de culture et de modèles économiques une force – et en jetant les bases d’approches communes au plan européen, tout en développant des outils simples, flexibles et ajustables.

Malgré les efforts, notamment à travers la Politique agricole commune, cette filière fait face à des crises structurelles et récurrentes depuis bientôt trois décennies à travers l’UE, avec des décalages dans le temps selon les régions et la spécificité des structures.

Dans ce contexte, il est urgent, sur le marché intérieur européen, de renforcer la valorisation et la profitabilité du secteur en construisant une chaine d’approvisionnement modernisée, structurée et viable, à même de faire face à la volatilité de l’environnement économique des exploitations. Et sur le marché mondial, il est urgent, également, d’assurer une promotion efficace de la spécificité et de la qualité de la production européenne, tout en gardant en permanence à l’esprit la sensibilité particulièrement forte du secteur dans la construction de l’agenda commercial global de l’UE.

Le secteur bovin européen a clairement la capacité à saisir des opportunités de croissance qui découlent de l’augmentation de la demande attendue à l’échelle mondiale dans les prochaines années.

Les principales préoccupations du secteur

La situation actuelle du secteur viande bovine spécialisé est particulièrement fragile, tant sur le plan économique que sur un certain nombre de sujets sociétaux.

Ces dernières années, une augmentation régulière de l’abattage liée à la libéralisation et aux difficultés rencontrées par les éleveurs laitiers, a affecté les prix aux producteurs en conséquence. Ils provoquent des changements structurels pour la filière bovin viande spécialisée.

La situation en Irlande, Pays-Bas et Pologne offre un aperçu succint des tendances économiques en cours.

En 2017, dans le sillage de la crise du lait, l’Irlande devra valoriser 100 000 animaux finis de plus qu’en 2016, ce qui constitue une augmentation considérable. Cette évolution s’ajoute à une situation chaotique sur les marchés d’exportation traditionnels (Russie, Turquie), à l’effondrement de la livre sterling sur le principal marché export Irlandais (Royaume-Uni).

Le même type d’impact est attendu pour les Pays-Bas du fait du choix délibéré des producteurs laitiers néerlandais d’augmenter le troupeau laitier en 2015 et 2016, avant la mise en œuvre de la nouvelle réglementation nationale sur les effluents azotés. En conséquence, à la fin de 2016, les données montrent qu’il y avait déjà 160 000 bovins de plus pour l’abattage qu’en 2015.

A cela s’ajoute un nouveau venu de plus en plus présent sur le marché spécialisé viande : la Pologne. Du fait de la crise du secteur laitier, de nombreux éleveurs de cet Etat membre difficilement compétitifs face aux exploitations de l’Ouest européen font le choix de la spécialisation viande. Entre 2004 et 2016, la production de viande bovine polonaise a bondi de 66%, devant le 7e producteur européen, le 2e exportateur européen. Quelque 90% de la production nationale est exportée, étant donné que la Pologne est traditionnellement un bassin de consommation de viande porcine, et non pas bovine.

De façon plus générale, l’accroissement du cheptel lait provoque l’arrivée sur le marché d’un nombre de plus en plus grand de veaux. Une des options est de les exporter pour l’engraissement, hors du marché intérieur.

Les liens entre le secteur laitier et bovin doivent donc être analysés de manière approfondie, car les perspectives pour le lait sont globalement positives, notamment en termes de rentabilité, au-delà de la question de la volatilité des revenus.

L’expansion de secteur lait au sein de l’Union européene ne doit pas se faire au détriment de la filière spécialisée viande bovine.

Dans le même temps, le secteur est confronté à deux défis majeurs dans le domaine de la communication.

D’une part, certains de ces concurrents dans le monde, en particulier sud-américain, tentent d’installer, dans l’esprit des consommateurs européens, l’équation « viande de qualité = viande non européenne » à travers une stratégie commerciale et marketing offensive . Cette idée fausse devrait être battue en brèche, en renforcant la segmentation du marché, en valorisant la viande de qualité et la connaissance des consommateurs.

D’autre part, des groupes activistes remettent en cause le principe même de l’élevage et de la consommation de viande à travers des campagnes virulentes basées sur des interprétations éronnées de la science ou des actions chocs dans le domaine du bien-être animal. Là encore des campagnes d’explication claires des enjeux devraient être soutenues.

Les ingrédients du succès ?

Un certain nombre d’éléments émergent régulièrement dans les débats comme étant la base d’une stratégie économique gagnante pour l’élevage bovin spécialisé européen. Au regard des analyses disponibles et des enjeux à venir, Farm Europe retient les ingrédients suivants pour bâtir une stratégie commune au plan communautaire et la mettre en débat:

  1. Segmentation du marché (adéquation produit/marché). Clarifier l’offre auprès des consommateurs doit être la priorité, ce qui implique une réflexion poussée sur l’ensemble des paramètres structurant les filières – des races aux structures industrielles, jusqu’aux points de vente, y compris en passant par la recherche, l’innovation, et l’analyse des marchés sur lesquels l’UE peut valoriser ses produits.

Pour y parvenir de façon durable, l’enjeu majeur est de faire en sorte que cheptel allaitant et cheptel laitier cohabitent mieux.

Trois segments se dessinent:

  • Entrée de gamme: principalement viande d’animaux laitiers, mais également d’animaux allaitants de moindre conformation, surtout steak haché, produits transformés, piécés d’entrée de gamme ;
  • Cœur de gamme : principalement constitué par le cheptel allaitant, avec notamment, mais pas seulement, les grandes races à viande bien connues et développées telles que l’Angus ou le Charolais (viande de vaches ou de JB selon les marchés)
  • Haut de gamme : productions ancrées dans des terroirs, au potentiel de notoriété très élevé, valorisé à l’ensemble des étapes de la chaine de production et de commercialisation en tant que produit d’exception. Ce sont notamment les signes de qualité (IGP, labels, etc).

L’enjeu est de développer une cohérence et une dynamique économique pour chacun de ces segments tant au niveau des systèmes d’élevage qu’à l’échelle de la filière, au bénéfice de chacun des maillons ; à travers de la recherche et de l’innovation, mais aussi de la promotion, de l’organisation et de la redescente d’information et de valeur aux producteurs.

  1. Recherche et l’innovation. A travers l’amélioration de la conduite des élevages (bâtiments, alimentation animale), des gains pourraient dans certains cas être réalisés pour répondre mieux aux attentes des consommateurs en terme de produits mis sur le marché et aux attentes sociétales en matière de santé, d’environnement et de bien-être animal. De la communication, de l’information et des décisions fondées sur la science devraient être à la base d’un engagements clairs de l’ensemble des parties-prenantes (professionnels, médias, décideurs et ONGs), afin de ne pas décourager la recherche et l’innovation dans ce secteur. Et il convient de faire en sorte que les éléments de recherche et d’innovation puissent être utilisés et diffusés dans la pratique.
  1. Structuration de la filière, et ce, à deux niveaux :
  • coordination accrue entre éleveurs, transformateurs et distributeurs.

L’organisation de la filière est absolument nécessaire, y compris une coordination par segment de marché spécifique et/ou bassin lorsque cela est pertinent. Cette coordination doit amener un prix équitable pour les producteurs et un niveau de connaissance renforcé des attentes des consommateurs à chaque maillon de la chaine.

Elle doit également permettre d’accroître le niveau de réactivité et d’adaptation entre les débouchés et la production pour optimiser la création de valeur pour l’ensemble des acteurs. Une coordination à chaque échelon des filières doit permettre des stratégies par segment de marché couvrant l’ensemble des caractéristiques des produits.

Ceci engendrerait un ensemble de bénéfices pour l’ensemble des acteurs de la filière : amélioration de la planification de la production sur la base de la demande du marché ; organisation de programmes d’information et de sensibilisation des consommateurs, ainsi que des activités de promotion et de marketing (y compris étiquetage clarifié notamment sur le plan de l’origine) ; simplification et facilitation de la mise en œuvre des innovations et de la recherche dans le secteur ; ainsi que le renforcement de la capacité à exporter vers les pays tiers.

  • Une structuration individuelle des entreprises tant des structures d’élevage que des structures industrielles (abattage) de façon à ce que chaque maillon ait une rentabilité qui le mette en position d’investir, de se développer durablement et d’être dans une dynamique suffisamment forte pour participer pleinement à la stratégie mise en place.

Cette structuration devrait se raisonner pour l’ensemble des Etats membres, tenant compte des problématiques particulières en matière de charges des entreprises, notamment, et prenant en compte les particularités des bassins de production en fonction de leurs modèles (allaitant, naisseur, engraisseur, etc).

De plus, en parallèle à la réflexion sur le produit viande en tant que tel, la réflexion devrait être approfondie sur l’accélération des investissements dans la production d’énergie à base d’effluents d’élevage (bio-méthanisation) qui permet à la fois de consolider les structures économiques et de contribuer à la production d’énergie verte.

  1. Commercialisation. Des systèmes de communication efficaces et des signes de qualité doivent permettre de valoriser pleinement les efforts des producteurs et de leurs filières auprès des consommateurs (qualité, environnement, bien-être animal) – et d’en tirer partie avec des niveaux de rémunération pertinents au regard la segmentation et des structures de production.

Une sensibilisation renforcée des consommateurs devrait amener à une meilleure connaissance des différents modèles d’élevages présents en Europe, et, en particulier, les différencier des feedlots du continent américain.

Sur le plan européen, la consommation structurellement en baisse doit conduire à des stratégies offensives pour préserver les positions des acteurs européens par rapport à la concurrence internationale sur chacun des marchés et promouvoir du mieux possible chaque pièce de viande en trouvant le segment sur lequel elle sera le mieux valorisée.

De plus, les stratégies promotionnelles et commerciales doivent être encadrées pour que :

  • la viande ne soit pas un produit d’appel, mais que les promotions restent véritablement cantonnées au dégagement des surplus ;
  • le prix du segment d’entrée de gamme ne tire pas l’ensemble de la filière vers le bas.

Sur le marché mondial, des opportunités réelles existent, en particulier en ce qui concerne les bovins-vivants, les co-produits et le haut de gamme.

Pour le marché intérieur comme pour le marché mondial, des stratégies efficaces devraient être mise en œuvre, en matière de communication et de promotion. Une stratégie export ambitieuse et solide devrait être lancée, s’appuyant sur des outils efficaces d’accompagnement à l’export à travers des crédits exports ou des programme de promotion ciblés.

Recommandations : structurer, moderniser et promouvoir le cheptel allaitant européen

En plus des outils actuels, inclus pour l’essentiel au sein de la PAC, l’Union européenne devrait mobiliser des moyens supplémentaires pour renforcer le secteur, anticiper l’impact des négociations commerciales qui fragilisent un secteur bovin européen déjà en crise, notamment du fait de l’effet domino lié à la fin des quotas laitiers.

Un plan de relance de la filière ne peut pas se limiter à une politique de transferts qui est absolument légitime, mais déjà importante (Paiements couplés, ICHN). L’Union européenne devrait aller au-delà, en offrant aux producteurs de véritables leviers pour structurer, moderniser et promouvoir la filière spécialisé viande bovine, avec l’appui de moyens financiers nouveaux ciblés.

Les objectifs de cette nouvelle boîte à outil pourraient être synthétisés de la façon suivante :

  • Organisation, segmentation et structuration :

    • Construire une stratégie économique pertinente pour l’ensemble de la filière, sur la base de segments de marchés clairement établis  ;
    • au niveau local, en renforçant la capacité des producteurs à investir et à valoriser le fruit de leur travail (organisation, investissement, y compris dans les bio-énergies pour diversifier les sources de revenu)
    • au niveau de la chaine, en construisant une filière innovante, modernisée et bien structurée, encadrée de façon cohérente sur le plan du droit de la concurrence qui doit être révisé via, notamment, l’extension du paquet lait au secteur viande – voir annexe.
  • Faire face à la volatilité de l’environnement économique :

    • Construire des outils pour améliorer la résilience (par exemple des fonds mutuels), y compris dans le secteur lait de façon à limiter les chocs et les effets collatéraux négatifs entre le lait et la filière spécialisée ;
    • faire face de façon plus efficace aux risques sanitaires et climatiques, y compris en valorisant l’élevage à l’herbe et ses apports positifs sur le plan de la séquestration du carbone ou les systèmes d’engraissement efficients sur le plan de l’alimentation et de la gestion des effluents ;
    • parvenir à une meilleure coordination au sein de la chaine (entre producteurs et leurs partenaires) avec une capacité renforcée à discuter des prix et des volumes ;
    • avoir recours à des outils de régulation du marché innovants à l’instar de ce qui a été réalisé pour la filière laitière en 2016. Dans certains cas, des mesures de stockage obligatoire ciblée sur le troupeau laitier pourraient être nécessaires et plus faciles à mettre en œuvre que pour le cheptel spécialisé étant donné la forte perte de valeur pour liée au stockage pour les produits haut de gamme. A contrario, pour le cheptel allaitant, d’éventuelles mesures de stockage en vif sur les exploitations pourraient être explorées dans certaines situation d’excès d’offre sur le marché.
  • Promouvoir le modèle européen, ses externalités positives et les efforts de durabilité entrepris et souligner ses spécificités grâce à des outils de promotions adéquats et surtout des financements suffisants. Un véritable choc de communication est nécessaire pour enrayer les messages négatifs qui portent atteinte à l’intégrité de la filière.
  • Labels privés et Indications géographiques: la viande bovine de haute qualité pourrait aller davantage dans cette direction. Il pourrait être envisagé de développer de nouveaux signes de qualité, avec de nouveaux critères (élevage à l’herbe ou mode d’engraissement spécifique ayant des bénéfices en matière de limitation des matières grasses, par exemple), associant ces démarches à la volonté de différentiation/segmentation du marché (milieu de gamme, segment B). Certaines IG pourraient être développées pour le très haut de gamme. Les signes de qualité devraient répondre aux attentes des consommateurs, aussi, sur le plan du bien-être animal et de leur préoccupation face aux méthodes plus industrielles, tout en facilitant les démarches valorisantes.
  • L’accompagnement de démarches de durabilité vertueuses (innovation, élevage de précision, digitalisation de la chaine et information renforcée des consommateurs), ainsi que des actions en faveur du climat bien conçues devraient être encouragée et les investissements

Farm Europe est convaincu du potentiel de la filière viande bovine, tant du point de vue économique que sur le plan de la durabilité, et ce, à contre courant des visions pessimistes de l’avenir associant décroissance et abandon de terres aujourd’hui valorisées par le monde agricole.

C’est dans cet état d’esprit que le think tank pense absolument prioritaire de s’investir et réfléchir à l’avenir de ce secteur confronté à des changements économiques structurels.

Certes, il n’existe pas de baguette magique étant donné la complexité de ce secteur. Néanmoins, l’objectif devrait être de capitaliser sur les atouts de cette filière stratégique pour de nombreuses régions d’Europe, en sortant d’une approche défensive. En d’autres termes, de focaliser sur une véritable ambition économique pour l’avenir.

La mise en œuvre de la stratégie devrait permettre de sécuriser le marché intérieur, et de réduire les importations. De façon spécifique, il est crucial, pour la filière européenne, de garder le contrôle du segment à haute valeur ajoutée, ce qui rend d’autant plus nécessaire une stratégie ambitieuse pour la filière spécialisée – et de la cohérence dans la stratégie commerciale de l’UE.

Des mesures existent dans le cadre actuel de la Politique agricole commune, qui pourraient être mobilisées. Mais, au-delà, un vrai plan de relance de cette filière devrait être décidé à l’échelle européen.

Des moyens budgétaires supplémentaires devraient être ciblés sur les éléments clefs d’une stratégie porteuse d’une réelle ambition économique et politique pour l’avenir, en venant en complément aux outils déjà existants, avec l’objectif d’effectuer un effet de levier pour accélérer la structuration et modernisation de la filière, en offrant aux producteurs, les outils pour peser sur leur avenir.

 

Annexe :

A court terme : Saisir l’opportunité de l’Omnibus pour la filière viande bovine

La Commission européenne a présenté le 24 novembre 2016 un rapport d’évaluation du paquet lait qui confirme l’effet positif des nouvelles dispositions règlementaires pour ce secteur, et en particulier de celles relatives aux Organisations de Producteurs (Article 152, paragraphe 3) aux Négociations collectives (Article 149)[1]. Ces mesures ont permis de renforcer le poids des producteurs dans la chaine d’approvisionnement.

 A ce jour, les organisations de producteurs de la filière viande ne peuvent négocier les clauses contractuelles de manière collective au-delà de 15% de la production totale de l’Etat membre concerné. Ce seuil constitue en tant que tel un frein à l’organisation de la production dès lors qu’il reste très éloigné de la capacité d’achat des opérateurs industriels.

Pourtant, le secteur est marqué par l’existence, d’un côté, d’un grand opérateur mondial – JBS – en phase d’acquisition sur le continent européen et, de l’autre, au sein de l’UE, par la présence bien établie de champions fortement concentrés à l’échelle nationale. En France, Bigard détient 42% de part de marché ; en Allemagne, Vion concentre plus de 30% et s’en approche aux Pays-Bas ; en Italie, la récente acquisition d’Unipeg a permis à Cremonini de se rapprocher du cap des 30%, de même qu’ABP en Irlande.

A ce mouvement de concentration – planétaire et à l’échelle des Etats membres – de l’industrie de la viande s’ajoute la concentration de la distribution, notamment sur le segment de la viande fraiche. Du fait de la perte de vitesse des circuits spécialisés traditionnels (boucheries), les grandes enseignes commercialisent désormais jusqu’à 80% de la viande fraiche écoulée dans certains Etats membres – ce qui en renforce la responsabilité en matière de pérennisation de ce secteur très spécifique.

Une solidarité de l’ensemble de la filière sera nécessaire pour préserver un élevage spécialisé en Europe.

 Face à la multiplication des difficultés structurelles et conjoncturelles, les initiatives se multiplient, au sein des Etats membres pour structurer la filière, segmenter les marchés, valoriser les produits de façon à renforcer la capacité de la filière à investir et se tourner vers l’avenir, y compris avec le soutien de certains acteurs de la distribution.

Ces initiatives sont freinées d’une part par le manque de clarté des règles européennes associé à des expériences malheureuses dans certains pays, le secteur ayant été échaudé par les sanctions pour non respect aux règles de la concurrence – et d’autre part par la fragmentation et bien souvent aussi le manque de solidarité au sein de la filière.

Il est dès lors important d’un côté, de réviser au plus vite les règles de la concurrence et d’assurer la cohérence et l’uniformité du droit en la matière entre deux secteurs étroitement liés que sont, au sein de l’Union européenne, la viande et le lait. En d’autres terme : il convient d’aligner le droit de la concurrence pour le secteur de la viande à celui en vigueur pour le lait, à travers une extension du paquet lait. De l’autre, un travail de concertation accru doit être réalisé au sein de la filière afin de sortir des stratégies individuelles de court terme.

Il convient d’établir un cadre efficace qui permette une contractualisation solide, basée sur des coûts de production crédibles et une valorisation réelle pour les producteurs. Les observatoires européen et nationaux peuvent contribuer à renforcer ces approches en donnant aux acteurs économiques les éléments d’analyse nécessaire, y compris pour mieux prendre en compte et compenser les pertes de valorisation sur la base d’index.

Dans le contexte des négociations commerciales menées par l’Union européenne, de la crise de la filière viande dans le sillage de la crise du lait (du fait de l’augmentation des animaux de réforme), il convient dès à présent, pour l’Union européenne, d’adresser un signal clair sur sa volonté d’accompagner le secteur dans ses efforts de structuration, sans attendre la prochaine réforme de la Politique agricole commune.

[1] https://ec.europa.eu/agriculture/sites/agriculture/files/com-2016-724_fr.pdf

écrit par Luc Vernet & Valeria D'Agostino