Les travaux

Durabilité - 27 septembre 2023

CERTIFICATION CARBONE : COUVRIR À LA FOIS LA RÉDUCTION DES ÉMISSIONS ET LA SÉQUESTRATION

écrit par Farm Europe

Pour atteindre ses objectifs en matière de climat, l’Union européenne a besoin d’une stratégie pour soutenir la mise en œuvre et le déploiement de solutions d’atténuation des émissions de carbone. Les enjeux sont importants : L’Europe souhaite que son secteur de la sylviculture et de l’utilisation des terres agricoles soit neutre sur le plan climatique d’ici à 2035.

L’UE a mis au point un système d’incitations qui permettrait aux gestionnaires des terres, y compris les agriculteurs, d’être récompensés financièrement pour leur transition vers une agriculture à faible émission de carbone. Aujourd’hui, cependant, le secteur agricole émet 424 Mt CO2 eq/an, tandis que le secteur de l’utilisation des terres ne compense que la moitié de ses émissions (bilan net de l’UTCATF : -226 Mt CO2 eq).

Par conséquent, atteindre un bilan neutre dans les dix prochaines années est un défi majeur.

Actuellement, le Parlement européen travaille sur le cadre de certification de l’élimination du carbone proposé par la Commission européenne, qui est un règlement phare pour atteindre cet objectif. Il vise à créer un système d’incitations qui récompenserait les gestionnaires des terres, en particulier les agriculteurs, pour l’atténuation des émissions grâce à l’adoption de pratiques agricoles liées au carbone.

L' »agriculture du carbone » comprend les pratiques agricoles qui permettent :

l’élimination/la séquestration du carbone (capture et stockage du carbone dans le sol et la biomasse) ;
d’éviter les émissions futures de CO2 et d’autres GES (prévention de la perte du carbone déjà stocké) ;
de réduire les émissions existantes de CO2 et d’autres GES.
Le potentiel d’atténuation terrestre total est de 13,8 Gt CO2eq/an. Les forêts et les autres écosystèmes représentent la plus grande part de ces mesures d’atténuation, avec un potentiel de 6,6 Gt CO2eq/an, soit près de 50 % du potentiel terrestre mondial. La réduction de la déforestation mondiale est l’action qui présente le potentiel d’atténuation le plus élevé, soit 25 % du potentiel d’atténuation mondial total (3,5 Gt CO2eq/an). L’agriculture vient en deuxième position avec un potentiel de 5,3 Gt CO2eq/an, soit 38 % du potentiel terrestre mondial (figure 1).

L’UE offre un potentiel d’atténuation terrestre de 0,52 Gt CO2eq/an, soit moins de 4 % du potentiel d’atténuation mondial total. À titre de comparaison, le Brésil représente à lui seul trois fois le potentiel d’atténuation européen (1,6 Gt CO2eq/an), un potentiel principalement couvert par l’atténuation liée à la réduction de la déforestation dans le pays. Au niveau mondial, 15 pays représentent 62% du potentiel d’atténuation global. La plupart de ces pays ont cependant un faible potentiel de faisabilité (en raison de leur faible niveau de développement).

La Commission européenne souhaite développer un cadre juridique pour la certification des pratiques d’atténuation du carbone dans le secteur agricole et encourager les agriculteurs à accroître leur contribution à la réalisation des objectifs climatiques en les rémunérant pour la mise en œuvre d’activités d’atténuation du carbone agricole. Ce cadre pour l’agriculture du carbone est soumis à de nombreuses incertitudes et questions qui doivent être abordées pour exploiter son potentiel contre le changement climatique. Un modèle climatique et environnemental solide est nécessaire. Le cadre législatif pour la certification et la rémunération des actions d’élimination/réduction du CO2 devra aborder les questions suivantes afin de garantir des résultats conformes aux exigences climatiques de l’UE :

ADDITIONNALITÉ

Seule l’atténuation par l’agriculture du carbone qui va au-delà du statu quo législatif aura un impact solide sur le climat. L’additionnalité est une condition essentielle dans la conception du futur mécanisme européen de récompense de l’agriculture carbone.

PAS DE DOUBLE COMPTAGE

L’atténuation du carbone est additionnelle si chaque unité de carbone générée n’est comptabilisée qu’une seule fois. Les mécanismes d’exploitation du carbone devront être suffisamment stricts et transparents pour garantir l’intégrité du modèle de récompense de l’agriculture du carbone.

RÉDUCTION ET STOCKAGE

L’évaluation de la seule séquestration du carbone résultant des actions de l’agriculture carbone peut conduire à de graves erreurs de calcul. Une évaluation basée uniquement sur la séquestration occulte les externalités négatives potentielles des pratiques de réduction des émissions. Il existe un lien étroit entre les émissions et le stockage : une même pratique peut permettre d’augmenter la séquestration du carbone tout en augmentant les émissions (et vice versa), ce qui peut conduire à des résultats contre-productifs. Un modèle basé sur les résultats et robuste au niveau climatique et environnemental ne doit pas séparer la réduction de la séquestration.

IMPERMANENCE

Certains changements, intentionnels ou non, peuvent entraîner des risques d’inversion et des pertes de carbone capturé. Il est impossible de garantir le stockage du carbone dans le secteur agricole pour une durée aussi longue que celle souvent requise (100 ans). Afin de ne pas décourager les actions de séquestration qui, à court terme, peuvent représenter des quantités importantes de carbone, il convient d’encourager le stockage à court terme pour stimuler la transition des agriculteurs et les investissements dans les pratiques de séquestration. Différents mécanismes existent pour intégrer le stockage à court terme dans le marché du carbone et le risque associé qui devrait être déployé : fonds de réserve, assurance, systèmes de rabais, etc.

EFFETS DE FUITE

Le changement climatique ne connaît pas de frontières. Si les mesures d’atténuation des émissions de carbone en Europe entraînent une augmentation des émissions dans le reste du monde, l’impact réel des actions européennes en faveur du climat ne sera pas perçu. En particulier, les actions d’agriculture du carbone entraînant une diminution de la production alimentaire européenne pourraient conduire à une augmentation de la production agricole compensatoire au niveau mondial, et donc à une production moins réglementée, polluante et émettant davantage de GES. Le concept de Carbon Farming doit donc être considéré en parfaite harmonie avec la vocation première de l’agriculture : la production alimentaire.

IMPACTS ET CO-BÉNÉFICES

Certaines mesures d’atténuation risquent d’avoir un impact négatif sur d’autres aspects de l’écosystème, tels que la biodiversité, la santé des sols, l’air et l’eau, ou la société. Le modèle d’agriculture carbone devra être cohérent avec les différentes directives et réglementations environnementales de l’UE. Les programmes d’agriculture carbone doivent pouvoir soutenir l’ensemble des objectifs sociaux, environnementaux et socio-économiques du Green Deal européen. Les crises environnementales sont nombreuses, la crise climatique n’est que l’une d’entre elles.

La mise à l’échelle d’un modèle d’agriculture carbone nécessite de réduire les incertitudes pour les agriculteurs et pour toutes les parties prenantes impliquées. Un effort de normalisation au niveau de l’UE doit être réalisé, et le contrôle et la certification de ces pratiques devront suivre des normes élevées afin que les certificats délivrés garantissent une véritable intégrité environnementale.

Il existe des liens étroits entre ces différents gaz à effet de serre (GES). Par conséquent, le fait de se concentrer uniquement sur les mesures de stockage du carbone ou de réduction des émissions (CO2, N2O, CH4) peut avoir des effets antagonistes et conduire à des bilans d’émissions nettes préjudiciables.

En particulier, comme le stockage du carbone dans les sols agricoles est directement proportionnel à la quantité de biomasse produite, la réduction de la production de biomasse entraîne des risques de déstockage du carbone dans le sol.

Par exemple, la réduction de l’apport d’azote (pour réduire les émissions de N2O) réduit mécaniquement la production de biomasse et donc la capacité de stockage. L’introduction de légumineuses peut également entraîner un risque de déstockage du sol en raison d’un rapport C/N souvent plus faible que celui des autres cultures et d’une production de biomasse parfois plus faible. Inversement, l’augmentation de la production de biomasse par l’ajout d’engrais peut accroître le piégeage du carbone dans les sols, mais aussi les émissions de gaz à effet de serre.

Il est souvent difficile de réduire les émissions sans retirer du carbone du sol, et inversement de stocker du carbone dans le sol sans augmenter les émissions. Ces arguments agronomiques basés sur l’expérience des acteurs de terrain suggèrent qu’une méthode optant pour une approche distincte entre ces deux positions conduirait à des aberrations climatiques. Une mesure globale de la variation des émissions de gaz à effet de serre et du stockage de carbone induite par un projet est nécessaire.

Les liens entre la séquestration et les émissions sont clairs, et il est rationnel, au niveau macro et micro, de couvrir ces deux aspects dans le même règlement. Par conséquent, Farm Europe considère ce règlement comme une occasion unique d’envoyer un signal clair aux agriculteurs de l’UE et de libérer le potentiel des pratiques agricoles liées au carbone, couvrant à la fois le stockage et la réduction des émissions.

Notre étude de cas sur une exploitation agricole de l’est de la France confirme la nécessité de couvrir à la fois la réduction et le stockage dans un système unique pour des raisons agronomiques, climatiques et économiques.

Dans cette exploitation, depuis la fin de 1990, une augmentation de la teneur en matière organique (MO) de +12‰ a été identifiée, reflétant directement une augmentation proportionnelle de la teneur en carbone des sols de l’exploitation. Cette augmentation des stocks de carbone dans les sols est à mettre en parallèle avec une augmentation des surfaces irriguées en maïs combinée à une augmentation de la productivité des cultures sur la même période.

Les rendements des cultures de maïs et de blé ont augmenté respectivement de +100% et +70% depuis les années 1970. Ces résultats mettent en évidence le lien direct qui existe entre la quantité de biomasse produite et les niveaux de stockage du carbone dans les sols.

Ces données montrent clairement qu’il est possible d’augmenter le stockage du carbone dans les sols tout en améliorant la productivité des cultures. La politique agricole européenne à faible émission de carbone devra empêcher les pertes de productivité dans l’UE, car les défis posés par l’augmentation des émissions mondiales liées aux exportations sont considérables.

L’exploitation en question s’est récemment engagée dans une transition à faible émission de carbone grâce à trois leviers :

une réduction des émissions de GES liées à la fertilisation,
une réduction des émissions hors exploitation, et
une augmentation du stockage de carbone dans le sol.
Le bilan d’exploitation après la mise en œuvre du projet est estimé à 288 tCO2eq/an (hors stockage dans les haies), soit une diminution de -13% par rapport à la situation initiale. Ce bilan représente un niveau d’émissions relativement élevé selon que ce chiffre est rapporté à l’hectare ou à la tonne produite. Le niveau d’émission par ha est relativement élevé (4 tCO2eq/ha/an), alors qu’au contraire, par tonne, le niveau d’émission est très faible (0,4 tCO2eq/TMS/an). Dans un contexte où les effets de fuite et la sécurité alimentaire constituent des questions importantes en matière de climat et de sécurité, les niveaux d’émission rapportés à la tonne produite semblent être une manière plus pertinente de mesurer l’impact d’une exploitation sur le climat.

écrit par Farm Europe