Les travaux

Croissance - 22 décembre 2017

Les biocarburants : pour une politique basée sur les faits, au- delà des dogmes populistes

écrit par Farm Europe

Octobre 2017

Dans le contexte de la révision de la RED (directive sur les énergies renouvelables), la commission européenne a émis une proposition qui vise à diminuer significativement la production de biocarburants conventionnels ou de première génération, produite à partir de matières premières européennes.

Pourquoi envisager de supprimer les biocarburants conventionnels ? Ne permettent-ils pas de diminuer les émissions de gaz à effet de serre, et donc d’atténuer le changement climatique, comme certains le prétendent ? Sont-ils une gêne pour la production de denrées alimentaires à destination du consommateur européen et des citoyens du monde en général, comme la doctrine de certaines ONG semble l’affirmer ?

Passons d’abord les faits en revue, contrastons ensuite ces données avec les propositions actuelles de la Commission, avant de conclure par ce qui devrait être fait dans le plus grand intérêt de l’UE.

Dans le débat actuel, il est crucial que les institutions européennes parviennent à résister aux positions populistes peu fiables reposant souvent sur des faits erronés.

L’intérêt de l’UE est de promouvoir des politiques qui atténuent le changement climatique et favorisent la croissance et les emplois tout en évitant d’entraver l’approvisionnement en denrées alimentaires des consommateurs en Europe et en dehors de l’Europe. Il est nécessaire de s’opposer aux « dogmes » lorsque ces dogmes ne sont rien que des revendications dénuées de fondement et des prises de position destinées à discréditer les biocarburants.

Green Energy Platform – EU Agriculture as a provider of bioenergy. LES FAITS

1) Les biocarburants d’origine européenne n’ont pris la place d’aucune production alimentaire animale ou humaine

La perception des biocarburants par le grand public a changé de manière spectaculaire en 2007, d’une vision positive de ces produits contribuant à atténuer le changement climatique et pouvant remplacer durablement les énergies fossiles, à une vision négative de ces produits entrant en concurrence avec la production alimentaire et à ce titre responsables des hausses de prix.

Néanmoins, il apparaît clairement aujourd’hui que ce sont les sommets atteints par le prix du pétrole qui, ayant affecté le prix de toutes les denrées, ont provoqué une flambée des prix de l’alimentation en 2007/2008. L’impact des biocarburants a été très limité.

L’organisation mondiale chargée de l’alimentation l’affirme. L’étude menée en 2006 par le haut comité d’experts de la FAO (HPLE 26), a montré que la hausse brutale des prix a résulté de plusieurs facteurs : l’impact de la hausse des prix du pétrole sur le coût des intrants et du carburant pour les agriculteurs, l’augmentation de la demande alimentaire conjuguée au passage à des régimes alimentaires riches en protéines animales dans les grandes économies émergentes, l’influence de la gestion des stockes de céréales en Chine, les événements climatiques frappant les principaux pays exportateurs, un ralentissement des gains de productivité agricoles, ainsi que la spéculation. Qui plus est, l’impact des biocarburants sur le prix des denrées est, semble-t-il trop faible pour être quantifié, comme l’affirmait récemment le meilleur spécialiste de la question à la Banque Mondiale.

Pour ceux qui aiment les arguments contradictoires, les prix de la nourriture humaine et animale fournit un bon exemple et corrobore la thèse selon laquelle les biocarburants n’ont pas une influence significative sur les prix de l’alimentation.

Il apparaît que la production de biocarburants n’a pas cessé d’augmenter depuis 2007/2008, alors que les prix des productions agricoles ont chuté depuis 2010. Depuis 2008, la production de biocarburants européens a augmenté de 68% alors que les prix des denrées alimentaires ont chuté de 20% au niveau mondial.

Si l’on s’intéresse de plus près au lien entre la production de biocarburants conventionnels dans l’UE et les approvisionnements en alimentation animale et humaine, on s‘aperçoit que l’accroissement de la première a permis un accroissement de la production UE d’alimentation.

La production européenne des principales matières premières à partir desquelles le biocarburant est fabriqué (colza, blé, maïs et sucre) a soit augmenté (même doublé dans le cas

Green Energy Platform – EU Agriculture as a provider of bioenergy.
du colza), soit est demeurée stable (du fait des quotas dans le cas du sucre), et ceci

essentiellement grâce aux gains de productivité.

Dans ce contexte, les biocarburants d’origine européenne n’ont pas porté atteinte à la production d’alimentation humaine et animale et n’ont pas eu de réel impact sur les prix. Au contraire, les biocarburants ont contribué à limiter les effets néfastes des retournements de tendance des marchés alimentaires, procurant une certaine stabilité économique aux agriculteurs européens en difficulté, évitant non seulement les effets pervers sur les approvisionnement en alimentation humaine et animale, mais produisant également des résultats très positifs dans l’union européenne, par la fabrication de nourriture de très haute qualité riche en protéines come sous-produits.

2) Les biocarburants d’origine européenne améliorent la sécurité alimentaire en Europe et dans le monde

L’Europe est encore dépendante des importations de soja à 70% pour répondre à la demande des éleveurs.

Les importations de tourteaux de soja ont baissé, surtout par rapport aux sommets atteints en 2007, du fait de l’augmentation de la production de nourriture protéinée d’origine végétale dans l’UE qui a permis de réduire les importations chaque année de presque 13 millions de tonnes de nourriture protéinée, réduisant d’un tiers le déficit européen en la matière.

En effet, l’augmentation de la production de tourteaux de colza et de tournesol co-générée avec la production de biodiesels de Colza et tournesol (les aliments protéinés représentent environ 60% et l’huile 40%) a diminué, à elle seule, la dépendance grâce à une production supplémentaire de 10 millions de tonnes.

Alors que la consommation alimentaire d’huile de colza est stable depuis des décennies, le développement en Europe des approvisionnements en nourriture protéinée a été rendue possible par la découverte de débouchés alternatifs pour l’huile, à savoir les biocarburants.

En 2015, les entreprises productrices de bioéthanol ont fabriqué 5 millions de tonnes de nourriture protéinée destinée aux animaux. Cela suffit pour nourrir 3,5 millions de vaches laitières, soit 17% du cheptel laitier de l’UE.

Les usines produisant du biocarburant dans l’UE à partir de colza et de céréales fabriquent environ 13 millions de tonnes chaque année de nourriture protéinée qui devrait être, sinon, importées du continent américain.

Green Energy Platform – EU Agriculture as a provider of bioenergy.

C’est donc bien la preuve que la production de nourriture animale et de biocarburants à partir d’huiles végétales et de céréales européennes est la clé (et le seul choix réaliste aujourd’hui) de l’amélioration et de la sécurisation des approvisionnements en protéines végétales produites localement, pour l’alimentation animale, limitant ainsi les importations.

Il est important de noter que la diminution des importations en provenance du continent américain se traduit par de meilleurs approvisionnements en nourriture humaine et animale en provenance de ces régions, au bénéfice des consommateurs du monde entier, renforçant ainsi la sécurité alimentaire mondiale.

Il apparaît donc assez clairement que la production de biocarburants d’origine agricole dans l’UE vient en complément de la demande alimentaire : l’augmentation de la production n’a eu aucun impact sur les approvisionnements en céréales, en oléagineux ou en sucre, tant pour l’alimentation humaine que pour l’alimentation animale. Il est clair en revanche que la production de biocarburants est indispensable à la production d’alimentation protéinée destinée aux animaux. Son impact sur la sécurité alimentaire européenne et mondiale a donc été positif.

Intéressons-nous maintenant aux avantages comparés des biocarburants et des énergies fossiles

3) Les biocarburants européens produits à partir de matières premières de l’UE sont une réponse immédiate et efficace aux émissions de gaz à effet de serre dans le secteur des transports

Le secteur des transports est responsable de 25% des émissions de gaz à effet de serre en Europe. Ce secteur est donc au cœur du changement climatique. Les biocarburants sont une alternative aux énergies fossiles. Dans ce contexte, on s’attend à ce que la part du biodiésel et du bioéthanol augmente car leur rôle d’alternative revêt une importance colossale.

La Stratégie pour une Mobilité à Faible Taux d’Emissions, définie par la Commission Européenne en 2016 a pour objectif que 35% de l’énergie consommée par les transports soit fournie par les biocarburants d’ici 2050, ce qui double la consommation d’électricité renouvelable. Les chiffres montrent que les biocarburants vont continuer à progresser jusqu’à représenter plus de 90% (soit 28,9 million de tonnes d’équivalent pétrole environ) de la demande d’énergie durable en 2020, les autres 3,1 millions de tonnes provenant de l’électricité renouvelable.

Green Energy Platform – EU Agriculture as a provider of bioenergy.

La production de biocarburants et de matières premières dans l’UE doit se conformer strictement aux critères de durabilité afin de faire en sorte que leur production et leur utilisation ne causent aucun dommage à l’environnement, et n’induisent aucun effet pervers au niveau social. Ainsi la directive européenne sur les énergies renouvelables (RED) adoptée en 2009, fixe des critères de durabilité pour l’ensemble des biocarburants consommés dans l’UE.

Ces critères incluent un taux minimum de réduction de gaz à effet de serre (atteignant 50% en 2018, à parité avec les énergies fossiles) ainsi que des restrictions s’appliquant aux types de terres agricoles pouvant être utilisées pour la production des matières premières à partir desquelles les biocarburants sont produits. Ce dernier critère concerne uniquement les changements de destination des terres. Plus précisément, on ne peut pas produire de biocarburants dans de zones qui étaient auparavant riches en carbone, comme les zones humides ou les forêts, ou bien les secteur riches en biodiversité telles que les forêts primaires ou les prairies.

La révision de la Directive sur le Qualité des Carburants (FQD) adoptée en même temps que la directive sur les énergies renouvelables inclut des critères de durabilité similaires et vise une réduction de 6% des gaz à effet de serre émis par les moyens de transports d’ici 2020.

Il est important de noter que pour les gaz à effet de serre, les réductions observées aujourd’hui, certifiées et calculées selon la méthode préconisée par la directive sont très supérieures aux valeurs typiques et aux valeurs par défaut figurant dans cette même directive.

La production européenne d’éthanol, par exemple, a atteint en 2016 une moyenne de 68% de réduction de gaz à effet de serre.

4) Les biocarburants ont également une évidente valeur économique

Ils contribuent à réduire la dépendance de l’UE par rapport aux importations de pétrole. En 2010, le biodiésel représentait 5% du carburant utilisé par les transporteurs routiers dans l’UE. Cela contribue grandement à réduire la dépendance de l’UE par rapport aux importations de pétrole brut. En France par exemple, 98% du pétrole est importé. Cela représente près de la moitié du déficit commercial du pays. En produisant près de 2 millions de tonnes de biodiésel chaque année, la France économise chaque année, 1,5 milliards d’euros.

En ce qui concerne le bioéthanol, en 2014, l’éthanol européen renouvelable a remplacé l’essence à hauteur de 4,8%, une économie de 1,5 million d’euros sur la facture pétrolière européenne. Une utilisation croissante de l’éthanol, en passant au carburant E10, accentuerait les bénéfices et réduirait la consommation de pétrole de 50 millions de barils, économisant

Green Energy Platform – EU Agriculture as a provider of bioenergy.

ainsi 4 milliards d’euros à l’économie européenne, si on se base sur les prix de 2014. Une production de biocarburants améliorée peut donc répondre à l’une des préoccupations essentielles des pays de l’UE, tout en répondant à la demande intérieure d’énergie.

On peut ajouter au point précédent que la production de biocarburants à partir de matières premières agricoles européennes profite aux revenus agricoles européens, assurant une stabilité de la demande à long terme, des prix situés en haut de la fourchette pour les agriculteurs vendant aux raffineries voisines. On estime que la production de biocarburants à partir de matières premières agricoles dans l’UE génère au bas mot 6,6 milliards d’euros en revenu direct pour les agriculteurs de l’UE.

Plus précisément, comme cela apparaît dans un rapport récent du parlement européen, « la politique de l’UE en faveur des biocarburants soutient l’emploi, surtout dans les zones rurales ». Il apparaît que le secteur des biocarburants a généré plus de 220 000 emplois directs et indirects dans la chaîne de production. Ce qui ne saurait être négligé à l’heure du chômage de masse.

Il ne faut pas non plus oublier qu’une limitation de l’utilisation des biocarburants causerait de véritables dommages économiques aux agriculteurs, se traduirait par des pertes d’emplois et de richesse pour les régions où les raffineries sont implantées.

LES DERNIERS PROPOSITIONS DE LA COMMISSION : revenir aux faits et affronter le populisme

Les biocarburants d’origine européenne et cogénérateurs de protéines doivent être favorisés si l’objectif est effectivement de combattre le changement climatique tout en améliorant la sécurité alimentaire et en créant des emplois.

En dépit des avantages climatiques et économiques de la production de biocarburants conventionnels européens, et de l’absence d’effets pervers sur l’approvisionnement en nourriture humaine et animale, la commission propose de diviser ces marchés de moitié en limitant leur usage à 3,8% maximum de l’énergie totale consommée dans l’UE d’ici 2030. Souvenons-nous à cet égard que l’UE a fixé à 7% la part des biocarburants dans la consommation du secteur des transports pour 2020.

La Commission entend ainsi réduire la production des biocarburants conventionnels sans se préoccuper des faits et sans analyse permettant d’étayer ses propositions.

Ce qui rend les choses plus inacceptables encore, c’est que la Commission semble ignorer que l’UE est aujourd’hui importatrice de biocarburants. Une décision éclairée de promouvoir une

Green Energy Platform – EU Agriculture as a provider of bioenergy.

production équilibrée et locale de biocarburants dans l’UE se traduira par une baisse des importations de biocarburants en provenance de pays tiers aux pratiques durables incertaines, à chaque fois que l’on produira localement davantage de biocarburants. Le volume de matières premières destinées à la production de biocarburants exportées dans l’UE par les pays tiers, diminuera, de même que les importations de nourriture animale. De plus, l’ensemble des pays tiers pourrait utiliser les ressources foncières ainsi libérées pour les besoins du reboisement ou de la sécurité alimentaire.

L’huile de palme figure au premier rang des biocarburants d’importation. A la suite de la proposition de la Commission portant sur les « biocarburants d’origine agricole », l’UE s’est trouvée prisonnière de la forte augmentation des importations.

Le seul élément consensuel, provenant des données scientifiques, est l’impact négatif de l’huile de palme d’origine non durable, surtout dans le contexte de la déforestation d’écosystèmes riches en carbone et en biodiversité. L’utilisation de l’huile de palme pour la production de biocarburants a augmenté, contribuant par là-même à la déforestation en Indonésie et à Sumatra. L’utilisation d’huile de palme pour produire du biodiésel dépasse 3 millions de tonnes par an, cela minant les efforts engagés par la filière agro-alimentaire qui privilégie la production d’huile de palme certifiée afin de lutter contre le développement de la production non durable (la capacité de production d’huile de palme dans le monde est passée de 45 million de tonnes par an à plus de 60 million en cinq ans, la production européenne de biodiésel représentant 1/5 de cette croissance). Cette question doit être traitée, y compris par le biais d’accords commerciaux cohérents, mais, dans ce domaine, la Commission demeure muette. RED II devrait être à même d’apporter une réponse adaptée à ces questions liées à l’utilisation de biocarburants à base d’huile de palme dans l’UE.

De plus, certaines dispositions spécifiques prévues dans la directive ILUC (changement indirect de l’utilisation des terres) ont mené au choix très discutable d’importer des huiles de cuisson usagées (UCO) qui ne sont généralement pas considérées comme des déchets à l’extérieur de l’UE où on les utilise pour l’alimentation du bétail ou comme carburant, de préférence aux huiles usagées locales, ou au colza.

Les propositions de la Commission favorisent également les énergies fossiles produites à partir de déchets au détriment des biocarburants plus économes en émissions de gaz.

Le rapporteur du Parlement Européen (COMENVI) sur les propositions de la Commission, tout en reconnaissant l’intérêt de fixer des objectifs européens spécifiques en matière d’énergie renouvelable dans les transports et en proposant de relever le taux actuel de 10 à 12%, réduit dans le même temps de manière spectaculaire la part des biocarburants conventionnels à moins de 3%, et cela sans explication valable.

Green Energy Platform – EU Agriculture as a provider of bioenergy.

Il est de fait grand temps de retourner aux faits et d’affronter les positions populistes qui trouvent dans les biocarburants l’explication des famines et des pénuries. Bien au contraire, les biocarburants conventionnels sont générateurs d’emploi, d’augmentation des revenus et d’une amélioration de la sécurité alimentaire.

Si la « sagesse commune » n’est rien de plus qu’une opinion dénuée de fondement, il faut sans hésitation la remettre en cause. La dernière chose que l’on attend des institutions européennes est qu’elles cèdent à des opinions erronées au lieu de les combattre vigoureusement.

Le débat autour des propositions actuelles de la Commission devrait définir des cibles plus ambitieuses encore pour l’utilisation de l’énergie renouvelable dans les transports. Le rapporteur au parlement européen a fait une proposition allant dans la bonne direction, mais elle devrait s’accompagner d’une augmentation programmée de la part des biocarburants à base de matières premières européennes dans le cocktail des énergies renouvelables.

En plus de cela, les critères de durabilité imposés aux biocarburants d’origine alimentaire devraient privilégier ceux qui génèrent de la nourriture protéinée, remplaçant ainsi l’importation de céréales et libérant des terres agricoles dans les pays tiers pour la production d’alimentation humain et animale ou pour la protection de l’environnement tout en limitant les émissions de gaz.

Ce serait bon pour l’environnement, cela créerait des emplois, génèrerait de la croissance et diminuerait la dépendance de l’UE vis à vis des importations d’aliments protéinés et de pétrole, et améliorerait la sécurité alimentaire globale.

écrit par Farm Europe