Fin des quotas laitiers: Page blanche pour la PAC

L’Union européenne tourne la page des quotas laitiers, instaurés en 1984 pour endiguer les montagnes de beurre et de lait. La décision d’en finir avec les limites de production, prise en 2003, a été anticipée par beaucoup d’acteurs économiques à travers des investissements considérables. Mais elle n’a pas été véritablement préparée par les pouvoirs publics. Ceux-ci ont accompagné la fin des quotas avec le « soft landing », mais ils ont fait l’impasse sur deux éléments clefs pour l’avenir :

  • la mise en place d’un cadre politique clair sur l’accompagnement post-quotas de la filière, faute de consensus suffisant à l’échelle européenne ;
  • un exercice d’explication auprès des citoyens européens des changements en cours dans les exploitations : la ferme de demain ne peut pas être celle d’hier.

Politiquement, l’Union aborde donc la fin des quotas en ordre dispersé, avec, d’un côté, des zones de production ou des acteurs économiques qui se tournent vers le marché mondial et qui se doivent d’être offensifs et, de l’autre, des régions plus fragiles en quête de nouvelles stratégies pour valoriser leur production et défendre leur présence, demain, sur leurs marchés.

Pour ces deux types de réalités, des outils sont nécessaires pour que l’après quotas se fasse de façon sereine, et que l’Union fasse de cet après-quotas une véritable opportunité de croissance pérenne.

D’une part, il est nécessaire de disposer d’outils qui permettent aux opérateurs de partir à la conquête de nouveaux marchés avec des amortisseurs de crise efficaces – les producteurs les plus exposés à une crise dans les prochaines années ne seront pas forcément ceux auxquels on pense au premier abord. Reprendre ou moderniser une exploitation coûte extrêmement cher – à lui seul, un robot de traite, c’est environ 100.000 euros d’investissement pour 60 vaches laitières. Comment rembourser de tels emprunts en période de crise ?

La réserve de crise mise en place à l’occasion de la dernière réforme de la PAC est dotée de 400 millions d’euros. Elle n’est pas formatée pour faire face à une crise laitière d’une ampleur telle que celle de 2009. A l’époque, le budget communautaire avait déboursé plus de 600 millions d’euros, avec, en plus, des aides nationales massives dans certains Etats membres, notamment en France et en Allemagne. L’état des finances publiques laisse à penser que ce type de soutien national ne serait pas au rendez-vous en cas de nouvelle crise.

L’enjeu est de taille : l’Europe dispose d’atouts considérables pour répondre à la demande mondiale, mais elle n’est pas seule. La Nouvelle-Zélande, l’Australie ou les Etats-Unis sont à l’offensive. Ces dernières années, les parts de marché de l’Union européenne se sont effritées de 10 points, passant de 40% à 30% sur le marché mondial.

D’autre part, il est nécessaire de disposer d’outils pour soutenir la production dans les zones plus fragiles et accompagner les filières dans la mise en place de stratégies économiques durables. Dans ces régions, la production laitière n’a pas d’alternative véritable pour maintenir une présence économique agricole qui garantisse le maintien d’un environnement ouvert et porteur pour les autres secteurs économiques. Les productions de niche telles que certains fromages ou crèmes fraiches AOP à très forte valeur ajoutée ne peuvent pas être la réponse seule et unique pour l’ensemble de ces régions. Et il n’est pas sûr que le maintien d’aides couplées à la production laitière dans les zones de montagne soit suffisant pour convaincre une nouvelle génération d’agriculteurs de faire le pari de l’installation dans ces zones.

Là encore, les filières doivent pouvoir innover, investir, se structurer de façon efficace pour préserver, développer leurs marchés, et être prête à faire face aux coups durs. Elles doivent pouvoir compter sur une responsabilité politique européenne qui anticipe et prévoit comment limiter le risque de contagion d’une crise mondiale sur les commodities à leurs marchés régionaux.

En somme, les règles du jeu, aujourd’hui, sont loin d’être claires ou suffisantes pour faire face à une crise de façon efficace. En cas de crise grave, l’utilisation intégrale de la réserve de crise sous forme d’aide d’urgence aux producteurs conduirait, au mieux, à un chèque moyen de 600 euro par exploitation. Ce serait sans doute une réponse utile pour réduire la pression politique sur les institutions européennes, mais à l’impact économique quasi nul. Une réflexion et des clarifications sont nécessaires.

Analyse synthétique de la première mise en œuvre de la nouvelle PAC

Sur la base des notifications faites à la Commission en août 2014, on constate que la mise en œuvre de la réforme de la PAC en 2015 par les Etats membres comporte des inflexions sensibles à prendre en considération dans les travaux sur le post 2020 et dans la perspective de la révision au titre des la simplification prévu en 2016/17 :

  • l’utilisation très large de la réduction et du plafonnement des aides, au delà du minimum règlementaire, avec une mise en place d’un plafonnement par exploitation dans 8 Etats membres, sujet qui semblait tabou depuis 1992 ;
  • une inversion de tendance en matière de couplage des aides. La règle du découplage n’apparait plus l’objectif ultime. A l’exception de l’Allemagne, tous les Etats membres usent de cet outil qui apparaît comme une réponse générique au fait que les aides directes découplées sont déconnectées, par définition, des besoins liés aux évolutions des marchés (choix à lire au regard du contexte économique des secteurs lait et viande lors des prises de décisions, sans toutefois pouvoir aux dites évolutions.
  • une utilisation substantielle des flexibilités nationales de mise en œuvre du greening dans une majorité d’Etat membre, source potentielle de distorsion de concurrence, de complexité d’application et de gestion.

La réforme de la PAC a introduit un certain nombre de flexibilités quant à la mise en œuvre des aides directes (1er pilier de la PAC). Cette note retiendra 6 éléments forts qui se dégagent des modalités d’application de la réforme adoptée en juin 2013, éléments qui auront un impact sur la position des Etats membres dans les négociations futures.

1) Le transfert entre piliers apprécié

11 Etats membres ont choisi de renforcer l’enveloppe du pilier II au rang desquels le Royaume-Uni (10,8 % chaque année), l’Allemagne (4,5 %), le Danemark (de 5 % en 2016 à 7 % à partir de 2018), les Pays-Bas (4 % en 2016 pour finir à 4,3 % en 2020) et la France (3,3 %). Les autres Etats membres étant la Lettonie, la Belgique, la République tchèque, l’Estonie, la Grèce et la Roumanie.

L’option d’un renforcement du 1er pilier à partir des fonds du 2nd sera le fait de la Pologne (25%, ainsi que négocié durant la réforme), mais aussi de la Hongrie (15%), la Slovaquie (21,3 %), la Croatie (15%) et symboliquement Malte. Ceci aura un impact sur la prochaine négociation budgétaire, la Pologne ayant été très en retrait dans la défense des paiements directs en 2013.

2) « Recouplage » limité mais réel

27 des 28 Etats membres de l’UE ont opté, à des degrés divers, pour la mise en place de paiements couplés. Seule l’Allemagne s’en abstient. L’usage de paiements couplés reste toutefois très limitée dans 7 autres Etats membres (Irlande, Pays-Bas, Luxembourg, Royaume-Uni, Autriche, Danemark, Estonie – entre 0,2 et 3,5 %). La Belgique, la Finlande et le Portugal font usage de la possibilité d’aller au delà de 15 % (17 à 21 %). La majorité des nouveaux Etats membres utilise au maximum leur autorisation d’allocation. A noter également la décision de la Suède d’allouer des paiements couplés à ses agriculteurs pour 13 %. Ces aides couplées seront avant tout tournés vers les filières bovins, lait, ovins, fruits et légumes et cultures protéiques. Elles bénéficieront aussi aux planteurs de betteraves dans 10 Etats membres où la productivité est traditionnellement plus faible, ainsi qu’en République tchèque, Slovaquie et Pologne.

3) Dispositifs de plafonnement quasi généralisés

Les dispositifs de réduction des aides directes, voire de plafonnement, seront d’application dans 19 Etats membres. Parmi ceux-ci, 8 ont opté pour un plafonnement absolu au delà d’un montant variant de 150 000 €/an (Flandre, Irlande, Grèce, Autriche, Irlande du Nord, Pologne, sans soustraction des salaires pour cette dernière) à 600 000 €/an (Ecosse), 500 000 pour l’Italie, 300 000 pour le Pays de Galles et 176 000 pour la Hongrie. Au total, ce sont 110 millions d’euros qui seront récoltés par an, à ce titre.

4) Renforcement des soutiens aux exploitations de taille « moyenne »

Parallèlement, des paiements redistributifs donnant une prime aux « premiers hectares » seront d’application dans 8 pays (Belgique, Bulgarie, Allemagne, France, Croatie, Lituanie, Pologne, Roumanie). Ces pays ont fait le choix de ne pas appliquer de réduction des paiements, à l’exception de la Pologne et la Bulgarie.

5) Impact très limité du dispositif « petits agriculteurs »

Quant au dispositif pour les « petits agriculteurs », s’il est appliqué dans 15 Etats membres. Mais c’est seulement dans 2 pays qu’il est mis en place avec l’optique d’un gain financier pour cette population.

6) Les flexibilités du greening utilisées

8 Etats membres auront recours l’équivalence, 6 pour des mesures agro-environnement et climat (Autriche, Grèce, Irlande, Italie, Luxembourg, Pologne) et 2 pour des schémas de certification (Pays-Bas, France).

Prairies permanentes: niveau géographique de l’application du ratio.

23 sur 27 Etats membres gèreront le ratio de prairies permanentes au niveau national. Seuls Belgique, France, Allemagne, Royaume-Uni gèreront ce ratio au niveau régional.

Seuls 2 les Pays-Bas et la Pologne mettront en œuvre une application collective des Surfaces d’intérêt écologique (SIE).

La liste des éléments que les agriculteurs pourront utiliser pour remplir leurs obligations SIE est limitée (2 à 4) en Autriche, Finlande, Lituanie, Pays-Bas, Slovénie et Espagne. A l’inverse la Belgique, la Bulgarie, la Croatie, la Républiue tchèque, la France, l’Allemagne, la Hongrie, l’Irlande, l’Italie, le Luxembourg, la Pologne, la Roumanie et la Slovaquie ont opté pour une liste significative d’éléments (10 ou plus).

Parmi les éléments retenus se trouvent le plus fréquemment la surface en cultures fixatrices d’azote (tous Etats membres, sauf Danemark), la jachère (tous Etats membres sauf les Pays-Bas et la Roumanie), des taillis à rotation courte (23 Etats membres ou régions), des cultures intermédiaires (21), des bandes tampons (20), des groupes d’arbres (18), des bordures (17), des arbres en ligne (16), des haies (16), des zones boisées (15), des fossés (15), des arbres isolés (13), des mares (12), des surfaces d’agro-foresterie (12), des lisières forestières sans production (11), des terrasses (8), des lisières forestières avec production (8) et finalement des murets (7).

A noter que 10 Etats membres (Danemark, Finlande, Allemagne, Hongrie, Irlande, Italie, Lettonie, Malte, le Portugal, et le Royaume-Uni (Irlande du Nord)) prendraient en compte dans les SIE des éléments topographiques protégés par les BCAE, mais qui ne sont pas dans cette liste.

Certains Etats membres appliqueront largement des facteurs de conversion (Belgique, Bulgarie, Croatie, France, Hongrie, Irlande, Italie, Luxembourg, Pologne, Roumanie, Slovaquie, Royaume-Uni) alors que d’autres prendront en compte les dimensions réelles pour beaucoup ou tous les éléments (République tchèque, Estonie, Allemagne).

En revanche, l’application des facteurs de pondération est quasi-généralisée pour les éléments sélectionnés.