Élections européennes : Les priorités agricoles des 20 plus grandes délégations nationales

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Au lendemain des élections européennes, les débats nationaux vont maintenant converger vers Bruxelles. Les 720 députés européens élus qui se sont engagés dans chacun de leurs pays arriveront avec un patchwork d’idées, et le défi de les rassembler pour construire un programme commun et une vision collective.

Presque tous les débats nationaux ont été marqués par une forte présence des questions agricoles. Cela se reflète dans les manifestes électoraux, dont la plupart abordent les questions agricoles, alimentaires et environnementales. La construction d’une voie commune sera donc un véritable défi pour la future Commission européenne et, en particulier, pour le futur commissaire européen à l’agriculture, qui devra bâtir une stratégie d’action.

L’analyse des programmes électoraux des 20 plus grandes délégations révèle des lignes de fracture et des points de polarisation, mais aussi des pistes pour dépasser les divergences et construire une vision collective dans l’intérêt général européen, pour les agriculteurs, les citoyens et les consommateurs.

Green Deal ou pas Green Deal

Les lignes de fracture héritées de l’extrême polarisation autour du Green Deal, de Farm to Fork et des grandes manifestations agricoles de fin 2023, début 2024 dans 17 pays de l’UE se reflètent notamment dans les manifestes des socialistes, des écologistes et de l’extrême droite, dont certains appellent formellement à « poursuivre l’ambition du Green Deal » et de Farm to Fork, ou à l’inverse à rejeter formellement cette voie.

L’AFD allemande, le PVV néerlandais et le Fidesz d’Orban sont catégoriques dans leur volonté de « sortir » du Green Deal, une voie qui « détruit l’agriculture européenne ». De même, le PiS polonais est particulièrement hostile au Green Deal qui « nuit à l’agriculture polonaise et risque de la faire disparaître ». Ce parti est l’un des rares à mentionner explicitement la menace que représente la concurrence de l’Ukraine.

A l’inverse, le SPD allemand, comme les partis socialistes français et italien, appellent à la poursuite de la mise en œuvre du Green Deal et à la traduction de ses ambitions en réglementations. Le parti socialiste espagnol est plus prudent dans les formulations, tout comme la plupart des autres forces politiques du centre et de droite, qui préfèrent éviter les mots qui fâchent et se concentrer sur des questions plus spécifiques.

Moins de bureaucratie, plus de pragmatisme

Les partis de centre et de droite appellent pour la plupart au pragmatisme et au dialogue. C’est notamment le cas de la CDU, qui s’empare du dialogue stratégique, qu’elle estime devoir être mené de manière ouverte. Elle se place du côté des incitations plutôt que des interdictions pour progresser sur les questions environnementales. Le PP espagnol appelle au « bon sens », à des délais « réalistes » et à des décisions basées sur la « science ».

Du côté centriste, sans mentionner le Green Deal, certaines délégations font référence à des textes importants prévus par cette stratégie, à l’instar de Renaissance, et les reprennent à leur compte. Le parti ANO souligne sa volonté de rejeter les approches démagogiques pour concilier production alimentaire et environnement, en privilégiant des solutions comme le biocontrôle.

Dans le détail des mesures, à l’exception des partis de la droite radicale, personne ne remet en cause la réglementation actuelle, mais plutôt la nécessité de ne pas ajouter à l’avenir une surcharge bureaucratique.

Préférence communautaire, clauses miroirs et lutte contre la fraude.

Un thème récurrent, porté notamment par les groupes eurosceptiques, mais largement repris par toutes les forces politiques, est celui de la « préférence locale » (Renaissance), et la promotion du « principe de réciprocité » (Fratelli d’Italia). Dans le même ordre d’idées, de nombreuses forces politiques appellent à une nouvelle approche du commerce. Le PP espagnol demande l’introduction de « clauses miroirs », un thème désormais partagé par tous. Le Parti 5 étoiles, dont le programme agricole et alimentaire est particulièrement détaillé, s’engage à promouvoir les produits « Made In » et à défendre les indications géographiques. De son côté, la plateforme civique polonaise a un objectif stratégique de production alimentaire, la moitié des produits devant faire l’objet d’une véritable souveraineté alimentaire polonaise, et la création de marchés locaux.

Une idée forte a émergé autour du contrôle des importations, avec l’idée d’une agence de contrôle sanitaire et environnemental (Renaissance, Cinq Etoiles). Comme d’autres délégations, le Rassemblement national a également fait de la lutte contre la fraude, notamment dans le secteur agricole, l’une de ses priorités.

Gestion des risques et services environnementaux

La question de la volatilité des revenus et du besoin de protection contre les aléas climatiques est un thème récurrent, de la gauche méditerranéenne (Italie et Espagne) à la droite allemande (CDU). La PAC doit assurer un revenu décent aux agriculteurs, avec un pilier économique renforcé pour la CDU, tout en récompensant les services environnementaux, en traçant une ligne pour l’avenir autour de la gestion des risques et des crises, et des paiements verts. En Pologne également, le thème du fonds de stabilisation est défendu par la Plate-forme civique.

Les socialistes italiens (PD) soulignent également l’importance des outils de stabilisation des revenus et des fonds mutuels en particulier. Les Espagnols du même groupe appellent à lutter contre la volatilité des marchés. Les socialistes français ont une approche singulière, avec leur volonté de sortir des aides à l’hectare et le thème des prix minimums.

Les organisations de filière et « EGALIM

Dans le sillage des mouvements agricoles, la question de la répartition de la valeur et des pratiques commerciales déloyales est un thème fort, en lien également avec la volatilité des marchés. Comme le Parti socialiste français, le Parti socialiste espagnol en a fait une question centrale, soulignant l’importance des organisations de producteurs et des coopératives. Pour la délégation française de Renaissance, l’enjeu est d’ancrer le thème du transfert au niveau européen de la loi nationale EGALIM sur le partage de la valeur. Les socialistes italiens, quant à eux, préfèrent souligner l’importance des « prix justes » pour les produits agricoles et leur volonté de s’attaquer au problème des ventes en dessous des coûts de production, de lutter contre les pratiques déloyales, de promouvoir la transparence et de valoriser les produits locaux.

Bien-être animal et pesticides

Deux sujets emblématiques des tensions de la fin de la mandature 2019-2024 ont été évoqués par la plupart des délégations, soit pour demander leur prolongation, soit, à l’inverse, leur suppression.

Plusieurs délégations de gauche et du centre demandent une nouvelle initiative pour réduire de 50 % l’utilisation des pesticides, à l’instar du groupe français Renaissance, qui souhaite promouvoir les produits de biocontrôle, et du mouvement Cinq étoiles. Les Verts allemands n’ont pas d’objectifs précis, mais ils avancent l’idée d’une taxe sur les pesticides et du principe du pollueur-payeur pour les fabricants. Les socialistes allemands, comme le parti démocrate italien, se contentent d’appeler à une « réduction significative », sans la chiffrer. La CDU, quant à elle, veut « s’opposer à des règles excessives sur l’utilisation des pesticides ». Il est probable que des pressions seront exercées sur la Commission pour qu’elle présente à nouveau une proposition sur la réduction des pesticides, étant donné que la question est actuellement réglementée par la directive SUD datant de 2009 et que certaines questions, telles que de nouvelles règles pour faciliter le biocontrôle et renforcer la lutte intégrée contre les ravageurs, sont plus consensuelles.

De même, la question du bien-être animal a été reprise par Renaissance en France, le Parti démocrate italien, les Verts allemands, les Socialistes espagnols et les Cinq étoiles. En revanche, la délégation de Fratelli d’Italia estime que ces questions devraient être abordées au niveau national plutôt qu’au niveau européen. Plus précisément, le VVD néerlandais a fait de l’interdiction de la production et de l’importation de fourrures un thème de sa campagne, ainsi que de l’interdiction des cages dans les élevages, un thème également soutenu par le mouvement Cinq Étoiles en Italie.

Carbone, innovation et investissement.

La promotion de l’innovation est un thème transversal à la plupart des listes, avec des nuances notables comme les Verts allemands, comme la plupart des grandes délégations du groupe socialiste, qui défendent la généralisation de la digitalisation et de l’agriculture de précision. Cependant, la plupart de ces délégations sont prudentes en ce qui concerne la sélection génétique, ne mentionnant pas ce point ou, comme les Verts allemands, rejetant les brevets sur les plantes et les animaux et mettant l’accent sur le principe de précaution. Tous veulent augmenter les fonds destinés à la recherche et à l’innovation, en mettant l’accent, pour les sensibilités de gauche, sur l’innovation organisationnelle plutôt que sur l’innovation technique. Les socialistes allemands demandent une « évaluation prudente et complète » et la « liberté de choix pour les consommateurs » grâce à la traçabilité et à un étiquetage clair. Le groupe français de la Renaissance y est favorable, notamment en raison de l’objectif de réduction de l’utilisation des pesticides.

Le centre et la droite sont très favorables à l’innovation et à l’investissement comme priorité, à travers des réglementations qui favorisent « l’innovation, l’efficacité et la durabilité », « sans bureaucratie inutile ».

Enfin, la question du changement climatique et du carbone revient régulièrement, que ce soit dans le contexte international, le Rassemblement national français demandant l’introduction d’une « véritable taxe carbone », ou les Cinq Etoiles italiens demandant l’application intégrale du CBAM (Carbon Border Adjustment Mechanism), ou à un niveau plus interne pour récompenser les agriculteurs pour leurs efforts en matière de réduction des émissions ou de stockage du carbone. En particulier, le PP espagnol souhaiterait mettre en place un mécanisme d’incitation pour rémunérer les agriculteurs et les propriétaires terriens pour le stockage et la réduction des émissions de carbone. D’autres délégations, notamment la Plate-forme civique, font de la restauration des tourbières une priorité, tout comme les Verts allemands, qui souhaitent les « réintégrer dans la PAC » et « transformer les sols en puits de CO2 ».

Etiquetage, produits de synthèse et alternatifs

Un vif débat se fait jour, opposant les Verts allemands et les Italiens de Fratelli d’Italia. Les Verts allemands appellent désormais ouvertement à « soutenir la recherche et le développement dans le domaine de la fermentation et de la culture cellulaire pour la production d’aliments durables », tandis que les Italiens soulignent l’importance de poursuivre la lutte contre la production et la commercialisation de viande et d’aliments synthétiques. Le VVD néerlandais préconise également le développement de « protéines alternatives ».

De même, le Nutriscore est rejeté par Fratelli d’Italia, mais aussi par le PP espagnol, qui réclame un système d’information nutritionnelle évitant d’induire les consommateurs en erreur. Le PP estime qu’il est nécessaire de promouvoir une consommation saine de viande et de défendre le secteur contre les tentatives de criminalisation.