Lait : gérer les turbulences pour renforcer le potentiel de croissance européen

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Le think tank Farm Europe a tenu une réunion de réflexion le 22 juillet 2015 sur la situation difficile traversée par la filière laitière européenne. Celle-ci a associé des représentants des transformateurs et des producteurs pour faire le point sur les outils actuels de suivi des marchés, les récentes évolutions des cours et explorer les mesures de gestion à disposition de l’Union européenne dans le cadre de la PAC réformée, à l’échelle européenne.

Avec un prix spot à 26 centimes aux Pays-Bas et une poursuite de la chute des cours du lactoserum, il apparaît de plus en plus clairement que, dans bien des régions de l’UE, la filière lait est entrée dans une zone de turbulence de nature à nécessiter, à court terme, un engagement européen cohérent et coordonné pour faire face à la conjonction exceptionnelle de plusieurs phénomènes : embargo russe, retrait du marché des acheteurs chinois, renchérissement du coût de l’alimentation animale et collecte élevée dans la plupart des grandes zones de production mondiale. Ces phénomènes interviennent alors même que l’ensemble de la filière est dans une phase d’adaptation majeure dans le nouveau contexte politique et économique lié à la fin de l’encadrement public des volumes de production.

L’enjeu des prochains mois sera donc de réussir la fin des quotas, d’éviter qu’une crise ponctuelle remette en cause durablement le potentiel de production de l’UE et casse la dynamique positive de ces dernières années en réaffirmant un élément clef de la politique européenne en matière agricole : la volonté de maintenir une production laitière dynamique sur l’ensemble du territoire européen, de façon durable et équilibrée.

Dans ce cadre, la filière européenne a engagé des investissements considérables pour augmenter sa capacité de production et s’adapter au nouveau cadre politique communautaire : près de 3 milliards d’EUR de projets de construction, d’extension ou de modernisation des infrastructures de transformation ont été recensés pour la seule année 2014, auxquels il faut ajouter les investissements tout aussi considérables réalisés dans les exploitations agricoles elles-mêmes.

Sur la base de la PAC telle qu’elle est aujourd’hui, les institutions communautaires disposent d’une large capacité d’action pour aider la filière à faire face à une situation difficile et donc pour apporter des réponses véritablement communautaires permettant d’éviter une renationalisation de la gestion des crises en réponse à des situations d’urgence. Et ce, d’autant plus qu’elles ont également les moyens budgétaires pour le faire, sans toucher à la réserve de crise, si tant est que la Commission européenne préserve le budget de la PAC, sans opérer des transferts vers d’autres postes.

Les différentes possibilités d’actions doivent donc être analysées pour préserver la capacité de la filière à jouer pleinement son rôle central au service de la croissance et de l’emploi des zones rurales de l’UE.

Le groupe de réflexion tenu ce jour a débouché sur les options suivantes à approfondir dans le cadre de Farm Europe avec les partenaires de la filière :

  • Outils financiers. Un dispositif d’aide aux exploitations asphyxiées par la charge de la dette pour gérer les difficultés de très court terme devrait être envisagé à l’échelle communautaire. Il pourrait permettre de suspendre le remboursement du capital des prêts en cours, avec prise en charge des intérêts pour une période de 6 à 9 mois, avec si besoin consolidation de la dette. Ce dispositif pourrait être géré par la Banque Européenne d’Investissement (BEI) et être ciblé sur les exploitations en grande difficulté ayant une viabilité à long terme avérée. Une telle mesure aurait un double impact : d’une part aider les exploitations en phase de montée en puissance à passer un cap difficile et d’autre part réaffirmer la confiance et l’ambition de l’Union européenne pour son secteur lait, favorisant ainsi l’investissement à long terme.
  •  Aide complémentaire. Afin de soutenir la trésorerie des exploitations de taille plus modeste dans les zones défavorisées qui ne sont pas nécessairement concernées par des problèmes d’endettement, mais affectées par la chute des cours, une aide ciblée, plafonnée aux 30 premières vaches pourrait être envisagée. Ces aides d’urgence pourraient être débloquées sur la base de l’article 219 de l’OCM unique.
  •  Filets de sécurité traditionnels. Sans remettre en cause l’orientation vers le marché, il est envisageable d’adapter le prix d’intervention pour adresser un signal aux opérateurs limitant la spirale baissière. Un relèvement par exemple à 25 centimes n’aurait pas d’impact budgétaire et resterait en dessous des coûts de production, évalués, par exemple en Bavière, à 29,6 centimes/litre. Au-delà du signal adressé aux opérateurs, cette décision redonnerait du sens à l’intervention, qui, fixée à 21 centimes, est pour le moment déconnectée de la réalité du marché.
  •  Mesures de promotion. Etant donné le temps nécessaire au montage des campagnes de promotion, des opérations de promotion soutenues par l’UE permettraient de renforcer la visibilité de l’origine européenne au moment de la reprise, en 2016, ceci étant d’autant plus important que les grands concurrents de l’UE ont accumulé des stocks conséquents. Ces mesures devraient être annoncées rapidement pour que les opérateurs s’organisent. De plus, une réflexion devrait avoir lieu tant sur les moyens qui doivent être à la hauteur des ambitions pour être efficaces, que sur le ciblage de campagnes, avec notamment la question de la place accordée aux marques. Nombre de bassins de production investissent dans le développement de marques pour mieux valoriser leur lait. L’absence et les limitations très fortes en matière de présence des marques dans le cadre des outils de promotion européens rend la pertinence même de ces outils très limités par rapport à la réalité des marchés, tant sur le marché intérieur qu’à l’international.
  • Dans la perspective d’apporter des réponses structurantes sur le plus long terme, quatre sujets seront travaillés pour des mises en œuvre à moyen terme :
    • les réponses que peuvent apporter des outils assurantiels au secteur laitier, notamment en matière d’évolution des revenus et/ou des marges des exploitations ;
    • les conditions pour une utilisation plus efficace des principes avancés par le paquet lait de 2012 ;
    • la possibilité de cibler ou régionaliser davantage les outils de gestion des marchés,
    • s’agissant des exploitations situées dans des zones reculées, une aide modulable à la collecte pourrait être mise en place à l’échelle communautaire de façon à réduire l’écart de compétitivité structurel des exploitations. Le coût de la collecte – qui va de 0 à 4 centimes par litre de lait..

 

Des avancées importantes ont été réalisées ces derniers mois, à travers le renforcement de l’Observatoire européen du marché du lait. Néanmoins, celui-ci n’est pas, pour l’heure, en mesure d’appréhender de façon dynamique l’évolution des marges des producteurs fortement affectés par le renchérissement du coût de l’alimentation animale. Il ne permet donc pas d’alimenter des décisions politiques permettant d’anticiper les crises pour une filière qui est un maillon clef de la stratégie de croissance et d’emploi dans le secteur agricole et agroalimentaire européen.