Loi pour la restauration de la nature : une judiciarisation accrue

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Alors que le vote de la loi sur la restauration de la nature en commission de l’environnement du Parlement européen a pris une tournure dramatique et s’est déroulé dans un contexte de campagne sans précédent, il convient de porter un regard apaisé sur ce texte pour dépasser les postures simplistes pro ou anti-nature qui se sont affirmées dans le débat de ces derniers jours, et en comprendre les enjeux. Cette loi n’est pas la seule initiative visant à protéger la biodiversité. 

La proposition de règlement sur la restauration de la nature a été publiée par la Commission européenne le 22 juin 2022, en même temps que le règlement sur l’utilisation durable des pesticides. 

Ce règlement vise à inscrire dans la loi les objectifs de restauration des écosystèmes naturels et de la biodiversité en imposant aux États membres d’élaborer des plans nationaux. Il crée une obligation de résultat, avec l’introduction d’un risque juridique, y compris à travers un accès facilité à la justice pour tout citoyen ayant un intérêt suffisant en la matière, dans l’esprit des initiatives citoyennes telles que l’Affaire du siècle et la condamnation de certains États pour inaction climatique. 

Cette judiciarisation de la protection de l’environnement est la principale innovation du texte, qui vise à faire peser un risque juridique sur les États membres en cas de non-respect des trajectoires de progrès. Elle s’ajoute aux nombreuses directives et règlements élaborés, et parfois adoptés, ces derniers mois dans le cadre du Green Deal pour protéger l’environnement, lutter contre le changement climatique et protéger la biodiversité

Le règlement couvre tous les écosystèmes, y compris les terres agricoles. L’article 9, intitulé « restauration des écosystèmes agricoles », vise à accroître la biodiversité sur les terres agricoles. Pour ce faire, la Commission européenne propose que les États membres parviennent à une tendance à la hausse au niveau national pour chacun des indicateurs suivants dans les écosystèmes agricoles d’ici à 2030 :

– indice des papillons des prairies ; 

– stock de carbone organique dans les sols minéraux cultivés ;

– part des terres agricoles présentant des caractéristiques topographiques à forte diversité et intérêt écologique.

Ces trois indicateurs sont décrits à l’annexe IV, qui précise que « les terres agricoles présentant des caractéristiques topographiques à haute diversité sont des végétations naturelles ou semi-naturelles permanentes présentes dans un contexte agricole qui fournissent des services écosystémiques et soutiennent la biodiversité » et qu’elles doivent remplir les conditions suivantes : ne pas être utilisées pour la production agricole (y compris le pâturage ou la production de fourrage), et ne pas être traitées avec des engrais ou des pesticides. 

Il est également expressément demandé aux États membres de rétablir la population d’oiseaux des champs d’ici à 2030, sur la base d’une liste d’espèces détaillée dans le règlement, et de rétablir 70 % des tourbières en tant que zones humides d’ici à 2050. 

Le point relatif aux « zones agricoles présentant des caractéristiques paysagères à haute diversité » est sans doute l’un des plus sensibles et celui qui a suscité les réactions de nombreux députés. Il s’agit de mesures à appliquer au niveau des Etats membres, qui seront responsables de leur application dans les exploitations agricoles. 

Dans sa proposition, la Commission définit l’objectif de 10% comme un objectif de l’Union européenne, sans préciser comment il sera appliqué par chaque Etat membre. Celle-ci est laissée à la discrétion de la Commission européenne qui, en vertu de l’article 14, est tenue de veiller à ce que les 10 % de la surface agricole présentant des caractéristiques paysagères à haute diversité soient atteints. Cela conduirait très probablement la Commission européenne à demander aux États membres de retirer des terres agricoles de la production, lors de l’approbation des plans nationaux, afin d’atteindre cet objectif et, dans le cas contraire, un risque juridique accru pèserait naturellement sur les États membres.

En outre, cette proposition crée un chevauchement et une divergence avec les exigences, adoptées très récemment, de la conditionnalité de la PAC qui définissent les règles (différentes de celles proposées dans ce projet de restauration de la nature) à respecter par les agriculteurs en ce qui concerne les zones écologiques ciblées et les caractéristiques du paysage. 

Le projet de texte présenté par la Commission doit également être analysé à la lumière des dispositions de la proposition de règlement sur l’utilisation durable des pesticides, qui appelle à une réduction de leur utilisation au niveau national et à une interdiction de l’utilisation des pesticides chimiques dans les zones définies comme sensibles couvrant 70 à 90 % des terres agricoles de certains pays. 

Enfin, de larges pouvoirs délégués seraient accordés à la Commission européenne pour définir les grandes lignes des futurs plans nationaux, les conditions de leur approbation, ainsi que pour modifier les annexes du règlement.