Normes de production : problèmes de sens, de multiplication et de bureaucratie

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L’une des causes de la détresse des agriculteurs, souvent évoquée dans les manifestations de ces derniers jours, est l’excès de bureaucratie auquel ils doivent faire face pour accéder aux fonds de la PAC. Les agriculteurs ont l’impression que Bruxelles leur dicte leur façon de cultiver et d’élever le bétail. Ce sentiment est certainement justifié à la lumière des récents développements politiques, tant au niveau européen que national. Les raisons en sont multiples. Elles ne sont pas toutes imputables à la PAC en tant que telle, mais toutes nécessitent une réelle volonté politique pour être surmontées.

Tout d’abord, il faut souligner que le budget européen alloué à la Politique agricole commune (PAC) est évidemment très important. Il nécessite donc des contrôles et des garanties appropriés pour s’assurer que l’argent public est utilisé de manière responsable et pour minimiser le risque de fraude. Chaque fonds européen nécessite des coûts de gestion et de contrôle, et ceux de la PAC ne sont pas plus élevés que ceux des autres fonds européens. Pour les organes administratifs, le total des coûts administratifs annuels est estimé à environ 3 % du budget de la PAC. Pour les agriculteurs, la part des coûts administratifs correspond à environ 2 % des coûts internes.

Cependant, il est également vrai que la dernière réforme de la PAC a augmenté la bureaucratie avec l’introduction de mesures vertes – en particulier lorsqu’il s’agit de se conformer aux définitions des zones d’intérêt écologiques (ZIE). Pour les administrations des États membres, il s’agit là du principal facteur d’augmentation des coûts liés au respect des exigences en matière de contrôle et à la cartographie de ces zones. Pour les agriculteurs, elle est liée à la déclaration correcte des ZIE (longueur de la déclaration, localisation et précision des dimensions) et à l’augmentation du nombre de contrôles d’audit dans les exploitations.

Cette complexité croissante s’est accélérée avec la dernière réforme de la PAC. Les éco-régimes introduits en 2023 ne sont pas seulement une reconnaissance des bénéfices environnementaux de certaines pratiques agricoles. Ils entraînent également des coûts d’adaptation, parfois importants. Ce changement est d’autant plus difficile pour les agriculteurs que les fonds de la PAC ont diminué en termes économiques réels : entre 2003 et 2023, l’enveloppe européenne de la PAC a perdu 40 % de sa valeur.

Des fonds plus faibles, plus difficiles à percevoir

En ce qui concerne la PAC actuelle, entrée en vigueur le 1er janvier 2023, il est bien sûr trop tôt pour quantifier l’impact sur la charge bureaucratique pesant sur les agriculteurs. Il est normal qu’une phase de mise en œuvre génère une période d’adaptation considérable. Si, pour les administrations, l’introduction des éco-régimes et le renforcement des exigences en matière d’écoconditionnalité ont certainement représenté une augmentation considérable de la bureaucratie, du moins dans la phase initiale, pour les agriculteurs, le changement constant des règles est en soi un problème majeur, associé à un stress permanent qui explique, du moins en partie, le ressentiment des agriculteurs à l’égard de la charge bureaucratique. Pour eux, les exigences administratives supplémentaires sont réelles et durables si rien n’est fait pour les alléger.

De plus, la bureaucratie à laquelle les agriculteurs doivent faire face n’est pas seulement liée au volet européen de la PAC ; dans certains cas, ce sont des exigences nationales qui s’ajoutent, par choix de l’État membre, aux conditions à remplir pour bénéficier des fonds européens. Cette tendance s’est renforcée avec le nouveau modèle de mise en œuvre de la PAC. Une grande partie des règles relève de la responsabilité des États membres eux-mêmes, dans le cadre de leurs plans stratégiques, approuvés par la Commission européenne, mais élaborés au niveau national.

Les autorités nationales gérant les paiements de la PAC, il n’est pas possible pour les agriculteurs de faire la distinction entre les exigences administratives européennes et locales. Le niveau de mise en œuvre et la gouvernance des différents États membres (centralisée ou régionale) font que les exigences bureaucratiques imposées aux agriculteurs ne sont pas les mêmes dans toute l’UE. Cependant, une conclusion s’impose d’ores et déjà : le transfert des règles au niveau des États membres n’est pas un gage de simplification, et il s’accompagne d’un effet collatéral néfaste, qui compromet l’égalité des conditions de concurrence au sein du marché intérieur, générant une concurrence déloyale d’un pays à l’autre.

Quoi qu’il en soit, il existe des solutions concrètes pour simplifier ce cadre, et Farm Europe a déjà proposé certaines d’entre elles en 2019.

  • Afin de simplifier considérablement la charge administrative de la PAC et des plans stratégiques nationaux, il est possible de limiter les règles et les audits associés aux plus ambitieux. Lorsqu’un agriculteur met en œuvre un éco-régime, qui est par nature plus ambitieux et plus efficace que l’exigence de base (conditionnalité) associée aux paiements directs, ses efforts devraient être considérés comme supérieurs aux règles de conditionnalité par définition. Par conséquent, il ne devrait plus être soumis à aux contrôles portant sur la conditionnalité elle-même. Il s’agirait d’une mesure d’équivalence automatique, garantissant une simplification considérable sans perte d’ambition pour la PAC. Au contraire, elle renforcerait l’attractivité des éco-régimes et soutiendrait ainsi les agriculteurs dans leur démarche positive de transition.
  • Par ailleurs, un groupe de travail devrait être créé au sein du Conseil, composé d’experts agricoles de chaque État membre, afin de veiller à ce que les règles de mise en œuvre de la Politique agricole commune soient aussi simples que possible et ne faussent pas la concurrence sur le marché intérieur. A cet égard, des échanges structurés de bonnes pratiques entre Etats membres devraient être encouragés, afin de s’assurer que chacune des règles de conditionnalité soit soumise à un niveau d’ambition équivalent, cohérent avec la diversité des situations agronomiques.
  • Enfin, dans le cadre du débat actuel sur la simplification des règles, il convient d’autoriser les États membres à réviser leurs plans stratégiques nationaux en vue de simplifier les conditions d’éligibilité à partir de 2024. La Commission européenne devrait s’engager à approuver ces plans stratégiques nationaux révisés dans les meilleurs délais.

En tout état de cause, c’est plus encore le sens des mesures et la prolifération des règles, parfois contradictoires, que les problèmes administratifs en tant que tels qui semblent poser problème.

Poursuite de la simplification et de la réduction de la bureaucratie

Pour un échantillon d’agriculteurs interrogés dans le cadre de l’étude de la Commission européenne (1), le temps médian consacré aux activités strictement administratives liées à la PAC est de 15 heures par an (sans prendre en compte la surcharge de travail dans les champs). Ce chiffre comprend tout le temps consacré aux activités administratives par l’agriculteur, les membres éventuels de sa famille ou les travailleurs rémunérés. Mais ce temps varie considérablement si l’on prend des agriculteurs de différents États membres.

La possibilité de recourir à une aide extérieure a également un impact significatif sur le temps que les agriculteurs consacrent à la paperasserie. Dans le même échantillon, 43 % des agriculteurs ont eu recours à une aide extérieure (rémunérée) pour les tâches administratives liées à l’aide. Cette aide est souvent fournie par des coopératives ou des organisations professionnelles et, dans une moindre mesure, par des banques ou d’autres prestataires de services. Ces services sont souvent couverts par les cotisations des coopératives ou inclus dans les frais bancaires. Le recours à cette solution est plus répandu en Italie, en Espagne et en Suède, où les demandes d’aide sont rarement faites en interne. En revanche, moins de 30 % des agriculteurs interrogés à Malte, en France, aux Pays-Bas, en Allemagne et en Estonie le font.

Le niveau de numérisation dans les différents États membres a également un impact majeur sur la simplification de la paperasserie – depuis la dernière réforme, la numérisation des procédures s’est généralisée. L’automatisation, la numérisation et l’utilisation des nouvelles technologies pour la gestion et le contrôle de la PAC ne devraient pas seulement créer des avantages pour l’avenir, mais ont déjà prouvé leur efficacité.

L’étude susmentionnée estime que les coûts encourus par les administrations pour le verdissement représentent l’un des principaux postes de dépenses dans la gestion et le contrôle des paiements directs. Cependant, la situation varie fortement d’un État membre à l’autre, les petits États membres supportant des coûts plus élevés que les grands. Pour les exploitations agricoles, la situation varie également en fonction du coût de la main-d’œuvre dans les différents États membres. Le traitement des demandes et les contrôles sur place nécessitent des coûts de main-d’œuvre importants.

Le FEADER (Fonds de développement rural) est un fonds dont la charge administrative est relativement élevée en raison du type, de la taille, de la variété et de la conditionnalité de ses interventions. Les erreurs ajoutent une charge et un coût supplémentaires pour les agriculteurs et les entreprises, ainsi que pour les administrations publiques. Lorsque de telles erreurs se produisent, des clarifications et des échanges de données supplémentaires sont nécessaires.

En 2017, le règlement Omnibus comprenait déjà une proposition visant à simplifier davantage les quatre règlements de la PAC au profit des agriculteurs et des autorités nationales. Cependant, il est nécessaire d’aller plus loin.

Propositions :

  • Travailler sur le sens des règles et la cohérence entre elles.
  • Considérer que les agriculteurs sont automatiquement éligibles aux règles de base de la conditionnalité dès lors qu’ils s’engagent dans des programmes plus ambitieux (éco-régimes).
  • Préserver la concurrence sur le marché intérieur en évitant les règles nationales qui désavantagent les agriculteurs d’un pays par rapport à un autre, en créant un groupe de travail au sein du Conseil associant le monde agricole et les institutions.
  • Ouvrir la possibilité à tous les Etats membres de simplifier les règles initialement prévues dans les plans stratégiques nationaux à partir de 2024.