Comment l’UE peut-elle éviter de favoriser la déforestation par ses importations ?

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Déforestation et importations européennes de produits agroalimentaires

Comment l’UE peut-elle éviter de favoriser la déforestation par ses importations ?

Septembre 2019

Les récents incendies de forêt en Amazonie ont mis de nouveau l’accent sur la perte de forêts au niveau mondial et sur son lien avec la politique commerciale internationale de l’UE en matière d’importation de divers produits agroalimentaires liés à la déforestation.

Depuis la mi-juillet, des milliers d’incendies se sont déclarés en Amazonie, détruisant l’habitat dans la plus grande forêt tropicale du monde. Selon l’Institut national de recherche spatiale brésilien (INPE), les incendies de forêt ont été plus de 80% supérieurs à ceux de la même période de l’année précédente. Des images des forêts en flammes, de la fumée et du ciel noir sur Sao Paulo ont circulé sur Internet, suscitant de plus en plus l’inquiétude du public et aboutissant à un tollé général de la part de la communauté internationale. Plusieurs dirigeants mondiaux, tels que le secrétaire général des Nations Unies, António Guterres, le pape et le sommet du G7, se sont joints aux ONG pour demander un engagement mondial en faveur d’une lutte plus efficace contre les incendies.

Les incendies actuels en Amazonie ont renouvelé l’attention sur la perte de forêts au niveau mondial.

Si cette perte de forêts n’est pas nouvelle, il faut reconnaître qu’elle se produit maintenant à un rythme alarmant. Les dernières données préliminaires de l’INPE sur la perte d’arbres en Amazonie montrent qu’une superficie de 1145 km2 – presque la même que celle du Grand Londres – a été défrichée ce mois d’août, ce qui en fait le niveau le plus élevé des cinq dernières années.[1]

En 1990, le monde comptait 4 128 millions d’hectares de forêts; en 2015, cette superficie avait diminué à 3 999 millions d’hectares[2]et, selon le dernier rapport de la FAO sur l’état des forêts dans le monde (2018), «la superficie totale des forêts dans le monde diminue chaque jour». Au cours de cette période, les pertes forestières les plus importantes ont été enregistrées sous les tropiques, en particulier en Amérique du Sud, en Afrique et en Indonésie.

 

 

Rapport

forêt / terre

Zone forestière

NU Couverture forestière 2015 1990 2000 2005 2010 2015 Change ment1990-2015
Pays % (1000 ha) (1000 ha) (1000 ha) (1000 ha) (1000 ha) (1000 ha)
Angola 46.4 60976 59728 59104 58480 57856 -3120
Brésil 59 546705 521274 506734 498458 493538 -53167
Cameroun 39.8 24316 22116 21016 19916 18816 -5500
Colombia 52.7 64417 61798 60201 58635 58502 -5915
Congo 65.4 22726 22556 22471 22411 22334 -392
Côte d’Ivoire 32.7 10222 10328 10405 10403 10401 179
DRC 67.3 160363 157249 155692 154135 152578 – 7785
Ecuador 50.5 14631 13729 13335 12942 12548 -2083
Honduras 41 8136 6392 5792 5192 4592 -3544
Indonésie 53 118545 99409 97857 94432 91010 -27535
Malaisie 67.6 22376 21591 20890 22124 22195 -181
Nigeria 7.7 17234 13137 11089 9041 6993 -10241
Paraguay 38.6 21157 19368 18475 16950 15323 5834

 

(Données extraites de  L’Évaluation des ressources forestières mondiales 2015 de la FAO)

 

Selon FAOSTAT, alors qu’en 1990, le Brésil était recouvert de forêts à hauteur de 65,41% de son territoire, ce chiffre est tombé à 59,05% en 2015. La même tendance dramatique se retrouve également en Indonésie: 65,44% en 1990 et 50,24. % en 2015.

L’évaluation des ressources forestières mondiales 2015 de la FAO montre que l’agriculture se développe aux dépens des forêts des pays situés en Amérique du Sud (Argentine, Brésil, par exemple), en Asie du Sud-Est (Indonésie, Malaisie, Thaïlande) et en Afrique occidentale et centrale.

L’état des forêts du monde 2018 conclut que «l’un des grands défis de notre époque est de savoir comment accroître la production agricole et améliorer la sécurité alimentaire sans réduire la superficie forestière».[3]

Outre les incendies de forêt et l’exploitation forestière illégale, les causes de la déforestation– la conversion de la forêt en un autre usage des terres ou la réduction à long terme du couvert forestier sous un seuil minimal de 10% –sont nombreuses. Cela inclut la conversion des forêts principalement à des fins agricoles, minières, de développement des infrastructures et de croissance urbaine. Certaines de ces conversions peuvent même avoir lieu avec le soutien des autorités nationales. Ainsi, tout récemment, le président brésilien Jair Bolsonaro a défendu l’ouverture de terres indigènes à l’exploitation minière et a menacé de retirer le Brésil de l’Accord de Paris.

Changement forestier

Ces pratiques sont globales et peuvent également être observées en Afrique centrale, qui, en raison de la couverture médiatique des incendies en Amazonie, a de plus en plus retenu l’attention alors que les images satellites montrent d’intenses incendies près du bassin du Congo.[4]

Selon le PNUE[5], outre l’abattage illégal et les incendies, les investissements généralisés dans les plantations de palmiers à huile sont la principale cause de destruction des forêts pluviales en Asie du Sud-Est. L’Indonésie et la Malaisie sont les principaux exportateurs mondiaux d’huile de palme, dont la production monte en flèche. Sur la base de FAOSTAT, les superficies cultivées en palmiers sont 7 fois plus importantes en Indonésie (de 1190000 ha à 8630000 ha) et ont presque doublé en Malaisie (de 2540087 ha à 4859397 ha) entre 1995 et 2015. Greenpeace et Forum for Environment (Walhi) affirment qu’en raison de ses lacunes, le moratoire juridique indonésien sur la conversion des forêts naturelles primaires et des tourbières en concessions de palmiers et de concessions forestières s’est révélé inefficace. Le rapport de la Commission européenne sur l’état de l’expansion de la production de cultures vivrières et fourragères dans le monde (2019) indique que l’huile de palme est la matière première pour le biocarburant présentant le risque ILUC le plus élevé (high ILUC-risk).[6]

Les pertes économiques liées aux phénomènes météorologiques et climatiques représentent déjà en moyenne 12 milliards d’euros par an dans l’UE (426 milliards d’euros – valeurs 2017 – entre 1980 et 2017)[7], qui ne devrait qu’augmenter à l’avenir si aucune mesure n’est prise.

Consciente de la situation, la Commission européenne vient de publier sa communication intitulée « Intensifier l’action de l’UE en faveur de la protection et de la restauration des forêts du monde » (“on stepping up EU Action to Protect and Restore the World’s Forests”).

Elle appelle à «une série d’actions réglementaires et non réglementaires» et propose une liste de mesures initiales pour atteindre son double objectif de protection des forêts existantes et d’accroissement de la couverture forestière mondiale.

Ce faisant, la Commission définit cinq priorités, dont la réduction de l’empreinte de consommation terrestre de l’Union européenne et l’encouragement à la consommation de produits issus de chaînes d’approvisionnement exemptes de déforestation.

Par son commerce et sa consommation de divers produits agroalimentaires, l’UE reste source de déforestation. Dans sa résolution sur l’huile de palme et la déforestation des forêts tropicales, le Parlement européen a indiqué qu’un peu moins d’un quart (en valeur) de tous les produits agricoles faisant l’objet d’un commerce international issus de la déforestation illégale était destiné à l’UE.[8] Parmi les produits de l’agriculture identifiés, citons l’huile de palme, le soja, le caoutchouc, le bœuf, le maïs, le cacao et le café.[9]

L’origine des biens et services consommés dans l’UE27 associés à la déforestation (entre 1990 et 2008) est essentiellement l’Amérique du Sud et l’Asie du Sud-Est. En Asie du Sud-Est, l’huile de palme est la principale source de déforestation liée aux importations de l’UE. Pour l’Amérique du Sud, il s’agit principalement de boeuf et de soja.

Ces flux pourraient s’accroître dans le cadre de l’accord commercial proposé entre l’UE et le Mercosur. Les experts ont bien décrit le cercle vicieux de la déforestation des forêts amazoniennes en raison de l’exploitation illégale de quelques arbres de grande valeur et de la combustion des autres arbres de faible valeur, leur transformation en charbon vendu aux industries sidérurgique, les terres défrichées étant alors utilisées en pâturage pour la production de boeuf. Dans cette catastrophe en préparation pour le climat et notre planète, la part de la déforestation imputable aux agriculteurs, y compris les petits agriculteurs, dont la production consolide l’offre globale de viande du Brésil et sa capacité à exporter, est indéniable.

Dans le cadre de l’accord commercial proposé entre l’UE et le Mercosur, il est prévu que les exportations de viande de bœuf augmenteront. La production de bœuf qui augmentera en Amazonie – même si elle est uniquement consommée sur le marché intérieur – libèrera davantage de bœuf produit dans le centre et le sud du Brésil pour l’exportation.

A l’occasion de la publication de sa communication sur la forêt par la Commission, le commissaire Jyrki Katainen a souligné que l’intensification des échanges doit être plus durable et que l’Union européenne ne souhaitait faire aucun compromis sur la question de la déforestation. Cependant, il a également défendu l’accord commercial Mercosur en déclarant qu’il contenait à la fois l’engagement contraignant de l’accord de Paris et un«chapitre fort et robuste sur le développement durable, qui donne à l’UE un levier plus substantiel pour engager un dialogue politique sur les questions liées à la durabilité». Il a insisté sur le fait que s’il était approuvé, cela donnerait à l’UE plus d’influence dans la prévention de la déforestation au Brésil.

Le chapitre de l’accord sur le commerce et le développement durable (TSD)[10] comprend certes des articles sur la biodiversité, l’environnement et le climat, qui stipulent que chaque partie doit mettre en œuvre de manière effective l’accord de Paris signé par les deux blocs. Néanmoins, il n’existe aujourd’hui ni instruction concrète ni mécanisme de contrôle. Et, si l’accord de Paris comprend un engagement à mettre fin à la déforestation illégale en Amazonie d’ici 2030, force est de constater que l’inverse se produit.

En raison de leur importance pour l’écosystème de la Terre, les forêts tropicales humides telles que l’Amazone, Bornéo ou le Bassin du Congo constituent un bien commun universel et doivent être préservées en conséquence.[11]

Par conséquent, si l’UE souhaite être un chef de file mondial dans la lutte contre le changement climatique, elle doit faire plus.

L’une des solutions consiste à mettre en œuvre véritablement une politique de «déforestation zéro» en s’engageant dans une chaîne d’approvisionnement «zéro déforestation». Pour cela, il faut trouver un moyen de :

  • valoriser davantage la préservation des forêts tropicales que les produits issus de sa destruction.
  • arrêter les importations de biens liés à la déforestation et mettre en place des mécanismes de sauvegarde efficaces pouvant être activés à tout moment par l’UE sur la base de données objectives réexaminées tous les six mois par l’Union Européenne.

Tant pour ses importations de biocarburants et de matières premières utilisées pour la production de biocarburants dans l’UE que pour les importations de produits agricoles et alimentaires en provenance de zones menacées de déforestation, l’Union européenne doit mettre en place un système robuste de certification des importations sans déforestation ou un système efficace de vérification des certificats d’exportation sans déforestation établis par les pays exportateurs, cette certification devenant la condition première sine qua non d’une autorisation d’entrée de ces produits sur le territoire de l’Union européenne.

De plus, des données accessibles au public sur la question auraient un sens et placeraient l’Europe dans une perspective de co-construction et de recherche de solutions car elles pourraient contribuer à empêcher le début de la déforestation de forêts intactes et contribueraient à travailler ensemble afin de développer des stratégies régionales « locales ».

Proposition pour un système de certification de déforestation européen efficace et fiable (clause de sauvegarde) :

Tous les six mois, la Commission européenne devrait présenter un rapport sur l’évolution de la déforestation et l’expansion des produits liés au risque de déforestation dans les zones à hauts stocks de carbone, notamment les forêts et les tourbières. La Commission européenne devrait être habilitée à déclencher une clause de sauvegarde permettant à l’Union européenne de suspendre les certificats de non déforestation pour les régions ou les pays où la déforestation est observée. La clause de sauvegarde devrait être appliquée à un niveau géographique approprié afin de couvrir les effets indirects et les transferts potentiels sur le marché.

Cela signifierait que les produits situés dans des zones où la déforestation a été prouvée (les « zones rouges ») devraient alors figurer sur une liste noire et que les autorités douanières de l’UE devraient bloquer les importations de ces produitss en provenance de ces régions. Afin de respecter le principe selon lequel l’UE ne doit faire aucun compromis sur la question de la déforestation, aucune dérogation ne doit être accordée à ces produits. Un tel dispositif suppose d’utiliser un système d’information fiable et transparent.

Pour détecter de telles pratiques, il serait presque impossible d’effectuer des inspections sur le terrain. Par conséquent, la surveillance impartiale des modifications du couvert forestier par imagerie satellite semble être la méthode la plus appropriée pour suivre la déforestation, la dégradation et l’état des forêts. De telles technologies ont été développées par des entreprises européennes comme Copernicus ou Starling, utilisé notamment par des entreprises dans le cadre de leurs engagements Zéro Déforestation.

Parallèlement, l’UE pourrait accepter, voire soutenir, des systèmes équivalents de surveillance de la déforestation mis en œuvre par les pays concernés, si ceux-ci reposent également sur une imagerie satellitaire objective et vérifiable et peuvent être audités. Cela constituerait une étape bienvenue vers l’autonomisation des pays où la déforestation est un fléau afin de les inciter à prendre les choses en main et mettre en œuvre une combinaison appropriée de politiques de contrôle, économiques, sociales et environnementales pour mettre fin à la déforestation et à la dégradation des forêts.

Dans ce contexte, l’UE aurait également intérêt à soutenir des mesures visant à accroître la productivité de l’agriculture, ce qui réduirait en fin de compte la pression économique et sociale sur la déforestation et l’utilisation des tourbières.

L’UE doit aujourd’hui traduire les paroles en actions concrètes par des mesures efficaces – en commençant par l’arrêt de l’importation de produits issus de la déforestation – si elle souhaite honorer son engagement de mettre fin à la déforestation d’ici 2020, comme indiqué dans la Déclaration de New York[12]  sur les forêts et les objectifs de développement durable des Nations Unies (objectif numéro 15.2).

 

[1]http://terrabrasilis.dpi.inpe.br/app/dashboard/alerts/legal/amazon/aggregated/

[2]FAO Global Forest Resources Assessment 2015

[3]The State of the World’s Forests 2018 – Forest pathways to sustainable development. FAO (2018) http://www.fao.org/3/I9535EN/i9535en.pdf

[4]https://firms.modaps.eosdis.nasa.gov/map/

[5]« The Last Stand of the Orangutan- State of Emergency: Illegal Logging, Fire and Palm Oil in Indonesia’s National Parks http://wedocs.unep.org/xmlui/bitstream/handle/20.500.11822/7524/-The%20Last%20Stand%20of%20the%20Orangutan-%20%20State%20of%20Emergency_%20Illegal%20Logging%2c%20Fire%20and%20Palm%20Oil%20in%20Indonesia%27s%20National%20Parks-2007756.pdf?sequence=2&isAllowed=y

[6]European Commission: Report on the on the status of production expansion of relevant food and feed crops worldwide (2019) https://ec.europa.eu/energy/sites/ener/files/documents/report.pdf

[7]https://www.eea.europa.eu/data-and-maps/indicators/direct-losses-from-weather-disasters-3/assessment-2

[8]http://www.europarl.europa.eu/doceo/document/TA-8-2017-0098_EN.pdf

[9]Feasibility study on options to step up EU action against deforestationhttps://ec.europa.eu/environment/forests/pdf/KH0418199ENN2.pdf

[10]EU-Mercosur Agreement – Trade and sustainable development chapter https://trade.ec.europa.eu/doclib/docs/2019/july/tradoc_158166.%20Trade%20and%20Sustainable%20Development.pdf

[11]http://www.fao.org/3/I9535EN/i9535en.pdf

[12]https://www.undp.org/content/dam/undp/library/Environment%20and%20Energy/Forests/New%20York%20Declaration%20on%20Forests_DAA.pdf