Crise Covid19 et secteurs agricoles européens : Mesures urgentes à prendre

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La crise sanitaire Covid19 s’est installée, avec des effets importants sur les secteurs économiques. Ces effets risquent d’être durables, avec une récession qui guette l’Union Européenne et les autres économies mondiales.

Cette crise souligne aussi l’importance de la sécurité alimentaire. D’aucuns, dans l’Union Européenne, avaient pu avoir tendance à l’estimer acquise, voire de pouvoir faire de l’agriculture européenne le banquier de certaines négociations commerciales bi ou multilatérales.

La sécurité alimentaire n’est ni synonyme de repli sur une recherche d’autarcies locales qui n’ont jamais existé, ni d’un autodafé des échanges commerciaux avec des pays tiers. Elle est le juste équilibre entre la dynamisation des secteurs agricoles européens, un marché unique européen fort assurant une fluidité d’échanges, et des échanges avec le reste du monde répondant aux besoins demeurant de l’Union Européenne et répondant aux demandes des marchés mondiaux pour lesquelles l’Union Européenne doit assumer sa part de responsabilité en termes d’approvisionnement et de stabilité des dits marchés.

La sécurité alimentaire de l’Union Européenne  constitue une des bases incontournables de son autonomie politique.

Pour qu’elle soit véritable, elle passe :

par une politique européenne ambitieuse visant à l’essor des secteurs agricoles dans toutes les régions européennes -Farm Europe y consacrera une analyse spécifique avec des propositions d’actions-

à très court terme par des mesures urgentes pour répondre à la crise économique dans laquelle nombre de secteurs agricoles plongent actuellement.

 

AU TITRE DES ACTIONS A PRENDRE SANS DELAI :
– Pour le secteur laitier : ce secteur souffre d’un déséquilibre entre offre et demande du fait d’un côté de la courbe saisonnière de hausse de la production (retour à l’herbe) et la contraction déjà notée de la demande de poudre au regard du ralentissement des exportations et de la demande de beurre de la part des industriels et de la fermeture de la restauration hors foyer. Pour mémoire, les dernières crises ont souligné la sensibilité du marché très tôt à tout déséquilibre. Une baisse de 3% de la demande engendre une crise avec effondrement des prix.

Rappelons nous que dans ce secteur, comme dans la majorité des secteurs agricoles, l’arrêt d’une exploitation agricole signifie sa disparition et un recul de la production. Au regard des investissements en jeu et de la typologie des exploitations agricoles européennes (essentiellement à capitaux familiaux), le passage d’une production animale à une végétale et inversement n’est pas la réalité de l’agriculture européenne et ne peut l’être.
—> afin d’éviter une chute des prix et la disparition de producteurs, la mise à l’intervention de produits doit être ouverte, ainsi que l’aide au stockage privé pour certaines productions mais surtout une mesure européenne d’encouragement à la réduction volontaire de production est urgente.

Il s’agira alors de veiller à ce que l’impact de cette mesure ne soit pas minimisée par des accroissements de production de producteurs qui y verraient un effet d’aubaine.
– Pour le secteur viande bovine : des difficultés majeures existent déjà sur les pièces nobles du fait de la fermeture de la restauration hors foyer, de la fermeture de rayons boucherie des supermarchés. Les consommateurs orientent leurs achats vers des achats pré-emballés et des produits rapides à cuisiner. Dans un contexte d’incertitudes, les consommateurs tendent, de plus, à déporter leurs achats sur des morceaux ou viandes moins chères.

Au regard de l’évolution différenciée des marchés pièces nobles / haché, il conviendrait de :
1) Ouvrir sans délai la mesure d’aide au stockage privé pour les pièces nobles (uniquement aux pièces nobles).

2) Veiller à l’équilibre de ce segment de marché au niveau européen en suivant finement les flux de mise en marché et d’importations de cette catégorie de viande de boeuf. Pour mémoire, la prime de marché pour ces pièces nobles n’existe pas au Brésil ou aux USA. De fait, ces producteurs sont en mesure d’exporter sur le marché communautaire avec  une rentabilité réelle à un prix de vente intra-UE de 7 à 8 euros soit 1/3 plus bas que le prix de marché.

3) Activer les clauses prévues par la PAC 2013 permettant en temps de crise aux agriculteurs d’organiser ensemble les conditions de mise sur le marché de leurs productions.

S’agissant des secteurs viande, une attention doit être aussi portée au secteur ovin dont une partie importante du chiffre d’affaires annuel est remis en cause du fait de la crise actuelle et des confinements décidés.

 

– Pour le secteur du vin : les ventes via la grande distribution se sont maintenues en mars et le devraient aussi en avril. Cependant, celles à destination de la restauration hors foyer sont au point mort, celles via les commerces spécialisés sont réduites tout comme le flux d’exportations qui s’est contracté fortement. Comme pour les autres filières, les pertes de volumes commercialisés ne seront pas rattrapées. En plus de la chute de chiffres d’affaire actuelle, se pose le problème de l’arrivée de la nouvelle récolte dans des zones où les cuves seront pleines de stocks. Au problème financier pourrait donc s’ajouter un problème technique qui amplifiera le premier.
—> des mesures de distillation dans certaines régions doivent être envisagées dés lors qu’elles seront bien utilisées pour répondre à la crise Covid19 et non pour gommer des problèmes plus structurels d’adéquation aux marchés de certains vins ; de même un recours à la vendage en vert pourrait être envisagé.

—> des campagnes renforcées de promotion, notamment sur le marché UE, doivent être financées substantiellement dans le cadre de mesures européennes exceptionnelles,

—> une prolongation d’un an de la validité des autorisations détenues par les producteurs doit être décidée par dérogation à l’article 62 paragraphe 3 de Reg.1308/2013.

 

– Pour le secteur fruits et légumes : ce secteur subit de plein fouet l’effet de la crise, alors que sa période de production reprend. Il doit affronter des problèmes importants de main d’œuvre, un recul de la consommation de produits frais fruits et légumes avec un report des consommateurs sur les produits longue conservation, cuisinés ou simples à cuisiner, et des pertes de productions dont le délai de stockage est limité. Il s’agit donc tout à la fois d’assurer un équilibre entre demande et mises en marché afin de ne pas dégrader les prix – donc d’envisager des retraits de production à défaut d’une réorientation vers la transformation limitée par les capacités industrielles et l’équilibre propre des dits marchés – et un soutien financier au regard des pertes de revenus inévitables pour les productions de saison et un fléchissement pour les productions post-crise sanitaire tant que la consommation n’aura pas retrouvé ses niveaux antérieurs. Par ailleurs, des mesures de promotion de la consommation seront à prévoir dés la sortie de crise sanitaire.

 

Pour le secteur des fleurs et pépiniéristes : ce secteur a connu un quasi-arrêt de son activité, avec à la clé des pertes de chiffres d’affaires et de récoltes. Des aides financières directes sont requises pour ces entreprises par activation des dispositions prévues à l’article 219 du règlement 1308/2013.

 

– Pour le secteur du sucre et de l’éthanol : ce secteur va être confronté à une situation très dégradée très rapidement. Le marché de l’énergie a baissé de façon importante, entrainant à sa suite les prix et les volumes de l’éthanol carburant. Le ralentissement de l’activité économique globale qui va suivre la fin de la crise sanitaire ne permet pas d’espérer une amélioration réelle. Trois conséquences pour les filières sucre et éthanol européennes :
– une plus forte disponibilité de sucre au niveau mondial du fait de la réorientation d’une partie des capacités d’éthanol du Brésil vers la production de sucre, et donc une baisse des cours mondiaux du sucre,

– une baisse des prix de l’éthanol sur le marché européen

– un ralentissement de la demande d’éthanol sur le marché américain qui se soldera par des quantités US qui seront réorientées vers le marché mondial et donc seraient susceptibles, sans précaution, d’inonder le marché européen.

—> dès lors, il convient de prendre des mesures urgentes préservant à la fois la rentabilité pour les productions européennes sur le marché européen et une certaine fluidité des échanges mondiaux de sucre. La Commission doit s’engager sans tarder dans une analyse des équilibres de marché et définir les actions régulatrices des importations et de leur prix à prendre afin de préserver le marché européen, notamment à très court terme de l’éthanol.

 

– Pour le secteur céréales : le secteur européen des céréales et grandes cultures subira le double impact d’une récession très probable au niveau mondial, du faible prix de l’énergie, de la baisse prévisible des cours US de maïs et d’une politique commerciale agressive des Etats Unis sur les marchés agricoles, politique déjà marquée avant la crise sanitaire par l’accord Chine-USA qui relègue au second plan des priorités chinoises les sources européennes d’approvisionnement.

 

Au delà des actions spécifiques à prendre pour chaque secteur, un plan européen de crise doit être préparé pour l’ensemble des secteurs afin de préserver le maximum de structures des chutes de marges auxquelles elles risquent de devoir faire face. Ce fonds doit pouvoir apporter aux agriculteurs des aides directes de compensation partielle de pertes de marge et des garanties de prêts de trésorerie. Un plan européen d’aides financières à la perte de marges doit être mis en place.
L’ensemble de ces mesures doit être financé par abondement du budget PAC. Il ne ferait aucun sens de diminuer les aides directes PAC aux agriculteurs pour financer un fonds de crise de sauvetage de l’agriculture européenne.