DEUX COUPS SUCCESSIFS PORTES CONTRE L’OMC – Conséquences de l’accord EUA-Chine et de la paralysie de l’Organe d’appel pour l’UE ?

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L’OMC a subi deux coups successifs : l’Organe d’appel est paralysé et l’accord commercial entre les États-Unis et la Chine constitue un écart majeur par rapport aux règles commerciales multilatérales.

L’impact ne se fera peut-être pas sentir immédiatement, mais il est potentiellement énorme.

L’Organe d’appel est une sorte de Cour suprême de l’OMC qui a le dernier mot pour trancher les différends commerciaux. Sans ses décisions, une partie ne peut pas demander – et éventuellement appliquer – des sanctions commerciales. La paralysie depuis le 10 décembre de l’Organe d’appel survient après un blocage orchestré par les Etats-Unis pour bloquer le renouvellement de ses membres.

Qu’est-ce que cela signifie ? Avec un organe non opérationnel, un pays peut commettre une violation des règles commerciales sans être confronté à la règle du droit international. Le blocage de certaines importations, l’application de subventions illégales et d’autres mesures de restriction du commerce peuvent se poursuivre sans contrôle. La règle de droit dans le commerce international n’est plus garantie par la plus haute juridiction commerciale.

L’UE étant le plus grand bloc commercial au monde, elle est la plus susceptible d’être affectée.

La Commission a pris cette question au sérieux. Outre la tentative de débloquer l’opposition américaine, malheureusement sans résultat jusqu’à présent, elle s’est efforcée de créer des mécanismes alternatifs, comme l’arbitrage obligatoire pour régler les différends. Mais cela nécessite le consentement des deux parties.

La Commission propose également de se donner le pouvoir de sanctionner les pays qui seront jugés par un groupe spécial sur le commerce en cas de violation des règles de l’OMC, ce qui comblerait le vide créé par la paralysie de l’organe d’appel. C’est une mesure bienvenue qui renforce l’UE. Toutefois, elle ne sera pas efficace contre les États-Unis, la Chine ou d’autres grandes économies émergentes, qui n’accepteront guère de sanctions commerciales unilatérales de la part de l’UE sans exercer des représailles.

L’autre grand coup porté à l’OMC provient de l’accord commercial entre les États-Unis et la Chine. Cet accord prévoit que la Chine augmente ses importations en provenance des États-Unis en 2020 et 2021, contre la réduction et la suspension de certains des droits de douane instaurés pendant la guerre commerciale.

En ce qui concerne l’agriculture, il prévoit que la Chine augmentera ses importations de 12,5 milliards de dollars en 2020 et de 19,5 milliards de dollars en 2021, ce qui portera le total des importations agricoles américaines de 40 à 50 milliards de dollars en 2021. Pour remettre les choses dans leur contexte, en 2017, la dernière année avant le début de la guerre commerciale, les Etats-Unis ont exporté 24 milliards de dollars vers la Chine. L’accord prévoit donc de presque doubler ce montant ! De plus, il y inclut des allocations de montants en dollars pour des groupes de produits spécifiques. Si la Chine ne s’y conforme pas, les Etats-Unis pourront réinstaurer les droits de douane supplémentaires, selon un arrangement spécifique de règlement des différends d’ores et déjà prévu dans l’accord.

L’accord entre les États-Unis et la Chine réduit également les obstacles SPS aux exportations américaines, notamment en acceptant le bœuf traité aux hormones. Il prévoit la mise en cohérence de l’approbation des OGM en Chine dans une période maximale de deux ans. En ce qui concerne les indications géographiques, il permet aux États-Unis d’exporter des produits considérés comme génériques et aux États-Unis de s’opposer à l’enregistrement des indications géographiques en Chine.

Cet accord a deux conséquences graves : premièrement, il s’agit d’un commerce géré, et non d’un accord de libre-échange en vertu des règles multilatérales de l’OMC ; et deuxièmement, il évince d’autres pays du grand marché chinois.

Certains se demandent si l’accord sera un jour mis en œuvre ou s’il ne tiendra pas ses promesses. L’accord pourrait certes s’effondrer à la suite de nouvelles tensions entre les États-Unis et la Chine, mais le fait est qu’il est structuré et équipé pour tenir bon. Il va bien au-delà d’une déclaration politique, il comporte des objectifs et un mécanisme de règlement des différends qui peut être activé rapidement. Nous sommes donc bien avisés de le prendre au sérieux.

Bien que les États-Unis et la Chine prétendent que l’accord respecte les règles de l’OMC, il ne peut fonctionner que par le biais d’achats commerciaux décidés et passés par l’État chinois, qui déplaceront les flux normaux de libre-échange. Les États-Unis ont la capacité de doubler leurs exportations agricoles vers la Chine, et la Chine celle d’accueillir ces importations. Il suffit pour cela que la Chine, par le biais de son économie contrôlée par l’État, dirige davantage d’importations en provenance des États-Unis au détriment des autres – par exemple l’UE, le Brésil, l’Argentine.

Lorsque des pays aussi grands et puissants que les États-Unis et la Chine bafouent les règles commerciales multilatérales et s’engagent dans un commerce géré, l’OMC est sérieusement menacée.

Pour l’UE, outre ce risque systémique, il est difficile de savoir si ses exportations agroalimentaires seront dans une large mesure évincées du marché chinois pour céder la place aux produits américains. En 2018, nous avons exporté pour 10 milliards d’euros de produits agroalimentaires vers la Chine, et la crise du porc ne pouvait qu’accroître les échanges. Aujourd’hui, les exportations de l’UE seront en deuxième position des préoccupations chinoises après celles des États-Unis.