GIEC: Gérer les compromis agricoles – clef du succès de la transition climatique.
A l’heure où la nouvelle stratégie alimentaire de l’Union européenne — la stratégie de la Fourche à la Fourchette — divise, l’équilibre du rapport du GIEC incite à la nuance et à la réflexion sur la gouvernance de la transition des systèmes alimentaires, loin des caricatures et des lectures sélectives qui peuvent être réalisées de cette vaste contribution de la communauté scientifique internationale.
Les scientifiques tirent, une nouvelle fois, la sonnette d’alarme sur le dérèglement climatique et l’urgence à agir contre le réchauffement. Ils estiment que les prochaines années seront décisives pour l’humanité dans son combat pour réduire les émissions de gaz à effet de serre, et garder la situation sous contrôle.
Les notions de « trade offs » (compromis) et de synergies sont l’une des clefs de voute du rapport, et ce, en particulier sur les sujets qui touchent à l’agriculture et à l’énergie, deux sujets vitaux pour la transition et pour la vie quotidienne de nos sociétés. Pour agir, il faut des solutions crédibles, à même d’emmener l’ensemble de la société au plus vite.
Loin de caricatures qui fragmentent les opinions, alimentent les campagnes de groupes de défense de tel ou tel intérêts spécifiques, la lecture du dernier rapport du GIEC appelle donc à la nuance pour réussir la transition, plutôt qu’à des décisions prises sous le coup de la panique. Les caricaturistes en quête d’une quelconque baguette magique en seront pour leur frais: même les biocarburants tant décriés par certaines ONG devraient, selon le rapport du GIEC, être mis à contribution de façon intelligente et encadrée, là où cela est possible sans remettre en cause la sécurité alimentaire. Il peut, parfois, y avoir synergies.
Dans leur analyse des systèmes agricoles à promouvoir, le groupement de scientifiques internationaux met l’accent sur l’importance de tenir compte du contexte agronomique et environnemental: telle pratique bénéfique dans certaines conditions peut, ailleurs, présenter des effets délétères. C’est par exemple le cas de l’agriculture de conservation. Celle-ci est particulièrement recommandée en zone sèche. En zone tempérée, le non labour absolu peut avoir, à terme, des effets non souhaités sur la vitalité de sols. Alterner les périodes et les systèmes de conduite des exploitations serait, là, plus judicieux.
L’intensification agro-écologique est mise en avant, comme étant un levier intéressant pour atténuer les effets du changement climatique, même si une certaine prudence est affichée du fait du manque de recul, à ce stade, sur ces pratiques. Les scientifiques soulignent en particulier la nécessité d’éviter toute perte de rendement qui aurait des impacts particulièrement négatifs, remettant en cause la sécurité alimentaire.
A ce propos, sans l’écarter d’un revers de main, des doutes sont émis sur l’agriculture biologique – une forme d’agro-écologie, qui vont à l’encontre des idées reçues. Celle-ci présente l’écueil potentiel de moindre rendements qui conduisent à alimenter des besoins en production ailleurs pour compenser. La prudence est de mise quant à une conversion à grande échelle qui pourrait conduire à une augmentation en terme absolu des émissions. Le rapport souligne son intérêt par unité de sol, plus que par unité de production.
Globalement, tout chemin de succès pour les systèmes agricoles, sur la voie de la transition, passe par une gestion des compromis, des synergies, mais aussi par évolution des comportements alimentaires qui se doivent d’être plus équilibrés dans nos contrées. Ces deux transitions — celle du consommateur, celle du citoyen — sont indissociables l’une de l’autre, et doivent aller de pair dans l’espace et dans le temps.
L’évolution des comportements alimentaires des sociétés occidentales peut dégager des espaces et des ressources surfaciques pour d’autres usages de la biomasse, soit à des fins de puit carbone, soit à des fins non alimentaires. Y compris les projets de replantation forestière doivent être bien gérés pour équilibrer les bénéfices en terme de stockage carbone, de biodiversité et de production.
De même, il est urgent, également, de prendre conscience les impacts déjà bien réels du changement climatique sur l’insécurité alimentaire dans le monde. D’ores et déjà un quart de la planète vit dans l’insécurité alimentaire, une situation qui s’est empirée depuis 2015. D’ici à 2050, le changement climatique pourrait avoir un impact considérable sur les rendements, provoquant entre 315.000 et 736.000 décès supplémentaires alerte le GIEC. Travailler sur des scénarios de lutte et d’adaptation ne peut dès lors pas attendre. Par cette absence d’ordonnance figée qui serait la clef du succès absolu de la transition, le rapport incite non seulement à l’humilité, mais aussi à la réflexion sur la gouvernance du changement dans le secteur agricole. Plus que tout autre le secteur agricole et alimentaire est complexe de par son environnement humain et sa diversité environnementale. Il mérite non pas une, mais des stratégies adaptées localement, qui ne pourront se faire qu’avec l’appui et la connaissance des premiers intéressés — les agriculteurs — et une ambition : celle de leur donner tous les outils pour qu’ils fassent leur métier — produire — de façon la plus optimale possible. Quoi qu’il en soit, un chemin commun doit se dessiner pour agir et engranger au plus vite des résultats.