Plan Vert & PAC : analyse de FE de l’étude ComAgri

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 1er décembre 2020

 La politique agricole commune (PAC) et le Green Deal (GD) se présentent comme deux piliers parmi les  politiques européennes. Il s’agit de deux politiques différentes, tant en ce qui concerne leur calendrier (la première est une politique phare de l’UE depuis près de 60 ans, la seconde est une orientation définie depuis décembre 2019) qu’en ce qui concerne leur contenu (la première concerne la sécurité alimentaire, les prix accessibles des denrées alimentaires, la stabilité des revenus des agriculteurs, l’environnement et le développement rural, la seconde la neutralité climatique et l’action environnementale).

Pourtant, il est avancé que le secteur agricole est l’un des principaux contributeurs aux changements climatiques et environnementaux (C&E). Compte tenu des liens entre l’agriculture et le climat, serait-il possible que la PAC devienne un instrument du Green Deal?

Dans ce contexte, la commission de l’agriculture et du développement rural du Parlement européen (ComAgri) a commandé une étude à l’INRAE et AgroParisTech. Les chercheurs évaluent les mesures proposées dans le cadre du Green Deal et tentent d’imaginer des scénarios où la PAC les adopterait, concluant que, même si cet exercice est possible[1], il pourrait s’agir d’une démarche dangereuse pour l’ensemble de la chaîne alimentaire étant donné les incertitudes sur un certain nombre de questions et la faiblesse des évaluations économiques. L’étude est intitulée « The Green Deal and the CAP: policy implications to adapt farming practices and to preserve the EU’s natural resources » et peut être consultée ici.

Dans l’ensemble, la question que pose in fine ce rapport est la suivante : « les agriculteurs (et les consommateurs), seront-ils prêts à supporter des déséquilibres de production et de prix à court terme pour un éventuel avenir plus vert ? 

 

Principales conclusions

L’étude souligne qu’afin d’atteindre les principaux objectifs du « Green Deal » liés à la neutralité climatique, à la biodiversité, à la santé et aux ressources, les propositions de stratégies « Farm to Fork » (F2F) et biodiversité à l’horizon 2030 avancent des objectifs quantitatifs qui concernent l’agriculture ainsi que les niveaux en aval de la chaîne alimentaire.

Principaux objectifs quantitatifs

  • Réduction de l’utilisation de pesticides chimiques (-50%), d’engrais (-20%) et d’agents antimicrobiens
  • Augmentation des terres consacrées à l’agriculture biologique (25% des terres agricoles) et aux zones protégées (10% des terres à retirer de la production)
  • Restauration des habitats semi-naturels

Objectifs non quantifiables

  • Émissions de gaz à effet de serre (GES) pour l’agriculture et les systèmes alimentaires
  • Le bien-être des animaux
  • Bio-économie circulaire
  • Inversion de la tendance à la surcharge pondérale et à l’obésité
  • Des régimes alimentaires plus sains et plus respectueux de l’environnement

 

 

Évaluer les principaux défis du GD pour l’agriculture et l’alimentation européennes

L’étude analyse les principaux défis du GD pour l’agriculture et l’alimentation européennes afin d’illustrer dans quelle mesure les évolutions et les projections des paramètres clés (indicateurs) sont alignées avec l’ambition du Green Deal, les objectifs et les cibles quantitatives liés à l’agriculture et à l’alimentation.

            Agriculture et climat

L’étude indique que les tendances des émissions de GES dans l’agriculture ont légèrement augmenté au cours des dernières années et que l’agriculture a à peine contribué aux réductions. Même en considérant la tendance de 2013-2018, les émissions de GES ne permettront pas d’obtenir des réductions significatives. Les chercheurs soulignent que l’ensemble de l’empreinte carbone doit être évalué, de la production à la consommation et pour l’ensemble du système européen. En outre, il faut analyser les possibles fuites de carbone car, par exemple, une réduction du cheptel européen entraînera l’importation de produits animaux en provenance de pays tiers.

            Agriculture et environnement

En termes d’agriculture et d’environnement, l’étude souligne qu’il existe des évolutions contrastées entre les EM en matière de pesticides et d’utilisation d’engrais. En outre, le bilan d’azote est en augmentation et en contradiction avec les objectifs de réduction de 50 %. La vente d’antimicrobiens a considérablement diminué au cours des dernières années et l’objectif pourrait être atteint. En ce qui concerne les objectifs en matière d’agriculture biologique, la tendance actuelle n’est pas suffisante pour atteindre l’objectif de 25 % d’ici 2030. Dans l’ensemble, l’agriculture biologique présente des avantages pour l’environnement grâce à la réduction de l’utilisation de pesticides chimiques, d’engrais minéraux et d’antibiotiques. Toutefois, l’impact de l’agriculture biologique sur les émissions de gaz à effet de serre reste incertain, selon l’étude. En ce qui concerne la biodiversité, l’étude constate que l’agriculture intensive est la principale cause de la perte de biodiversité et souligne la nécessité d’un « grand bond » dans les politiques. Les chercheurs soulignent également que la « Stratégie de l’UE en faveur de la biodiversité à l’horizon 2030 remet en question la cohérence et l’exhaustivité des propositions législatives de la future PAC avec le haut niveau d’ambition affiché par la CE dans ce domaine ».

            Bioéconomie circulaire

Bien que le plan d’action bioéconomie circulaire ne soit pas directement lié aux systèmes agricoles et alimentaires, certains domaines du secteur seront touchés, comme l’emballage et le recyclage.  Toutefois, l’impact potentiel de la bioéconomie est controversé, car il pourrait entraîner une utilisation plus intensive des terres et des intrants chimiques. En outre, les chercheurs présentent un scénario d' »effet domino » dans lequel les critères de durabilité imposés à un secteur peuvent également avoir des impacts globaux limités, car les secteurs ne sont pas contraints.

            Déchets alimentaires, emballages et recyclage

Il existe un potentiel important de réduction des émissions de GES grâce à la diminution des pertes et des déchets alimentaires. Les chercheurs soulignent le fait que ces domaines devraient être encouragés pour une transition vers des systèmes alimentaires plus durables. Toutefois, l’étude souligne qu’il existe de grandes différences en matière d’emballage et de recyclage dans les États membres et donc un manque de « définitions et de méthodologies harmonisées entre les États membres ».

            Des industries alimentaires et des régimes alimentaires sains et respectueux de l’environnement

L’étude souligne qu’il n’existe actuellement aucun objectif quantitatif prévu pour accroître la disponibilité et l’accessibilité financière d’options alimentaires saines et durables.

De même, selon les chercheurs, les prix des aliments respectueux de l’environnement et l’accès des ménages à faibles revenus à de tels produits alimentaires et régimes alimentaires n’ont pas été suffisamment pris en compte dans les propositions actuelles. Les régimes alimentaires de l’UE montrent actuellement une consommation insuffisante de fruits et légumes et une consommation élevée de viande rouge, de viande transformée et de boissons sucrées. Les chercheurs avertissent que toute augmentation du prix des denrées alimentaires aura des répercussions importantes sur les consommateurs et la composition des régimes alimentaires. En même temps, en termes d’impacts climatiques et d’utilisation des terres des régimes alimentaires, les chercheurs soulignent que les produits d’origine animale sont une source élevée d’émissions de GES et d’utilisation des terres agricoles. En ce qui concerne l’insécurité alimentaire, l’étude montre qu’elle est plus répandue parmi les groupes à risque tels que les femmes, les personnes âgées, les chômeurs, les personnes handicapées, et qu’elle touche de manière disproportionnée les États membres qui comptent un pourcentage élevé de groupes défavorisés ou avec un « État-providence » plus faible.

 

Impacts des solutions techniques du Green Deal

            Agriculture de précision, agroécologie

L’étude indique que l’agriculture de précision peut être utilisée pour réduire l’utilisation de pesticides sans avoir d’impact sur les rendements et les niveaux de production. Ceci est souligné par le fait que plusieurs États membres ont constaté une « surutilisation » des pesticides. L’utilisation de moins de pesticides permettrait de réduire les émissions de gaz à effet de serre. Toutefois, les agriculteurs de l’UE ont actuellement un faible niveau d’adaptation à ces nouvelles mesures en raison des risques de production, des investissements et des nouvelles compétences nécessaires.

Par ailleurs, l’étude propose la lutte intégrée, la gestion des nutriments, l’agriculture biologique et l’agroforesterie comme moyens utiles de protéger l’environnement. L’agroécologie et l’agriculture biologique auraient des effets positifs sur l’environnement, mais induisent une diminution des rendements et des niveaux de production. Sur une note positive, l’étude montre que les ventes de produits vétérinaires ont considérablement diminué (plus de 35 % entre 2011 et 2018) et que l’objectif d’une réduction de 50 % pourrait être atteint d’ici 2030.

            Bilan carbone

En ce qui concerne le bilan du carbone, l’étude montre que l’agroforesterie peut avoir des avantages significatifs pour la séquestration du carbone, au même titre que la plantation de haies, l’utilisation de cultures de couverture et des pratiques de travail du sol faibles ou inexistantes. Toutefois, ils indiquent également que les coûts de mise en œuvre sont élevés jusqu’à présent.

Les avantages de la réduction des déchets alimentaires sont la réduction possible des émissions de GES, ainsi que l’utilisation accrue de coproduits issus de la production agricole (par exemple, la méthanisation) qui pourrait conduire à une meilleure gestion des nutriments, à une réduction de la consommation d’énergie et, là encore, à une réduction des émissions de GES.

Les bioproduits ont un potentiel élevé de stockage du carbone, réduisant les émissions brutes de GES et diminuant la pollution tout au long du cycle de production, car les déchets peuvent être recyclés ou utilisés comme aliments pour animaux ou engrais.

En ce qui concerne les régimes alimentaires, le remplacement de la viande par des alternatives d’origine végétale entraînerait une réduction significative des émissions de GES, de l’utilisation des terres et de l’eau. En outre, ils affirment qu’une reformulation des produits alimentaires en tant que mesure à l’échelle de l’industrie (c’est-à-dire qui ne dépend pas du comportement des consommateurs) profiterait à l’ensemble de la population.

En ce qui concerne la stratégie de la ferme à la fourchette, l’étude souligne le fait que l’alimentation et la nutrition n’étaient pas ou très peu prises en compte dans les propositions précédentes, ne s’attaquant que marginalement au sujet du changement climatique. En termes de budget, l’étude souligne que les désaccords entre le Conseil et le PE lors des discussions budgétaires rendent le calendrier de mise en œuvre incertain.

 

Politiques recommandées

Les chercheurs affirment que certaines des propositions de la PAC doivent être renforcées afin d’être « compatibles avec le GD » et auraient alors « le potentiel nécessaire pour répondre aux ambitions du GD ». Ils soulignent que le projet de règlement de juin 2018 pour la prochaine PAC n’est que marginalement compatible avec les ambitions climatiques, environnementales, nutritionnelles et sanitaires avancés par la Commission.

Pour ce faire, ils estiment que les mesures suivantes sont nécessaires : une conditionnalité renforcée ; des éco-régimes obligatoires ; et l’allocation d’au moins 30% des fonds du deuxième pilier aux mesures de C&E. Toutefois, ils soulignent que « beaucoup dépendra de la mise en œuvre effective dans les plans stratégiques nationaux ».

Les chercheurs relèvent que des évaluations d’impact solides de toute option politique sont cruciales pour identifier les compromis possibles entre les différents objectifs climatiques et environnementaux. La question des terres requiert une attention particulière : la dé-intensification des pratiques et des systèmes agricoles implicitement inclus dans le « Green Deal » pourrait nécessiter davantage de terres agricoles, tant dans l’UE qu’à l’étranger, avec d’éventuelles conséquences écologiques négatives (« fuites de pollution »).

Cela étant dit, l’étude fait état de trois grandes orientations politiques qui favoriseraient la réduction des écarts entre la PAC et le GD, notamment :

  • Des politiques de gains d’efficacité : les agriculteurs seront incités à effectuer des migrations vers les outils numériques et l’agriculture de précision[2]. Ces mesures peuvent réduire les effets (en raison de la réduction des engrais et des pesticides) tout en maintenant les rendements. L’étude suggère que si les coûts d’investissement initiaux (fixes) augmenteront, les coûts de production variable diminueront, ce qui permettrait d’obtenir un résultat économique équilibré.
  • Re-conception du système de production : implique la dés-intensification de certaines pratiques agricoles (conventionnelles) et l’augmentation d’autres (notamment, la production biologique). Cette mesure peut être bénéfique en ce qui concerne la biodiversité, la protection de l’air et de l’eau, mais « les rendements plus faibles induits par des processus de production moins intensifs peuvent augmenter les émissions de GES agricoles par unité de produit« . Dans l’ensemble, cette mesure entraînera une augmentation des coûts de production par unité qui pourrait être remboursée à long terme par des gains de productivité et la restauration de la fertilité des sols. Cela pourrait également entraîner une diminution de l’incitation des agriculteurs à se tourner vers des pratiques agro-écologiques et biologiques.

Cette mesure est sujette à controverse, car d’une part l’atteinte des objectifs pourrait être facilitée, d’autre part une mesure de soutien public sera essentielle car l’étude souligne que « les subventions jouent un rôle clé dans le maintien des revenus des fermes biologiques« , que les fermes biologiques sont en moyenne moins productives (- 9%) que les fermes conventionnelles, alors qu’elles reçoivent 66% de plus d’aides. Sur la base de ces chiffres, les chercheurs supposent que le total des paiements aux agriculteurs biologiques devrait augmenter d’environ 20 milliards d’euros sur la période 2021-27 du premier pilier (en considérant une augmentation de 517 100 fermes biologiques dans l’UE).

  • Modification des régimes alimentaires et des comportements de consommation : les chercheurs supposent que les consommateurs modifieront leurs habitudes de consommation (sans préciser comment) en faveur de produits alimentaires plus respectueux de l’environnement. Ce changement potentiel dans les habitudes d’achat devrait signifier que le consommateur est prêt à payer un prix plus élevé pour les denrées alimentaires (compte tenu du point précédent et de l’augmentation des prix finaux qui en résulte en raison d’un recours accru à l’agriculture biologique). Néanmoins, les chercheurs contrebalancent ce scénario en prévoyant que, dans ce contexte, la production de viande de l’UE diminuera et se tournera davantage vers l’importation, tandis que l’augmentation de la production intérieure de fruits et légumes pourrait avoir des conséquences négatives sur les émissions et la qualité des sols, étant donné la productivité plus élevée des rendements.

L’étude souligne que le coût plus élevé des régimes alimentaires moins caloriques et plus équilibrés constitue un obstacle potentiel, en particulier pour les ménages à faibles revenus. Des politiques publiques qui sensibilisent les consommateurs aux impacts sanitaires, climatiques et environnementaux des choix alimentaires, ainsi que la modulation des prix à la consommation, sont nécessaires pour que les consommateurs adoptent des régimes alimentaires plus sains et plus végétaux.

Dans une économie mondialisée, le risque existe que le comportement européen plus « vertueux » déplace les différents problèmes par une augmentation des importations et pourrait être entravé par des distorsions de concurrence. De ce point de vue, la taxe “d’ajustement aux frontières » et les clauses environnementales et sociales (à peine applicables) des récents accords commerciaux ne présentent que peu de garanties contre une perte de compétitivité. Les changements d’affectation des terres et la déforestation importée, la perte de biodiversité ou l’épuisement des ressources en eau ne contribueraient guère à aider la planète.

 

Mesures recommandées

Les chercheurs de l’INRAE et d’AgriTechParis soulèvent trois questions principales sur la base desquelles ils formulent des recommandations plus concrètes pour d’éventuelles modifications lors des négociations actuelles de la PAC. Ils se demandent si les objectifs GD deviendront réellement contraignants ou s’ils resteront « une ambition » ; ils s’interrogent sur ce qui déterminerait des paiements supplémentaires, et si les indicateurs proposés permettront de suivre et de contrôler les GD.

Les chercheurs soulignent l’introduction du principe « pollueur-payeur » proposant un système de taxation/subventions qui « nécessite de taxer les principaux déterminants des émissions agricoles de GES et de la perte de biodiversité » et rémunère les acteurs qui feront le contraire ; ou bien en augmentant la conditionnalité.

Un outil pour mettre en œuvre ces systèmes d’incitation/détermination fiscale sera les éco-régimes, pour lesquels les auteurs proposent huit mesures comme options concrètes possibles pour cet outil.

Il s’agit des mesures suivantes :

  • Option n°1 : prairies permanentes – pour rémunérer les agriculteurs qui ne labourent aucune prairie et les transforment de facto en pâturages permanents.
  • Option n°2 : zones humides et tourbières – pour rémunérer les agriculteurs qui gèrent, entretiennent et restaurent/créent des zones humides et des tourbières.
  • Option n°3 : rotation des cultures – pour rémunérer les agriculteurs qui incluent des cultures fixatrices d’azote et/ou des cultures dérobées dans la rotation des cultures.
  • Option n°4 : paiements destinés à rémunérer les éléments de diversité paysagère plus importants sur les terres agricoles.
  • Option n°5 : pesticides – pour rémunérer les meilleures performances dans l’utilisation des pesticides pour chaque type de culture.
  • Option n°6 : antimicrobiens – pour rémunérer les meilleures performances dans l’utilisation des antimicrobiens.
  • Option n°7 : élevage – mesures incitant les agriculteurs à rendre compte de leurs émissions liées aux pratiques de fertilisation azotée et aux troupeaux de bovins. Ils suggèrent également de supprimer les aides couplées pour le bétail ruminant.
  • Option n°8 : bien-être animal – pour indemniser les agriculteurs qui décident d’aller au-delà de la loi (ERMG).

Ces mesures proposées manquent toutefois d’évaluation économique et de chiffres précis (pourcentages ou recommandations budgétaires) et ne semblent pas tenir compte de l’impact sur les petits agriculteurs. En outre, elles supposent que les agriculteurs seront compensés de la perte de productivité par des mesures publiques. Une conséquence ne semble pas être prise en considération : la baisse potentielle de production que ces mesures entraîneront.

Sur le thème de la gouvernance, notamment sur les indicateurs et les plans stratégiques, l’étude émet des critiques sur le fait que ces mesures pourraient être facilement esquivées en raison du laxisme dans la formulation des propositions actuelles. En particulier, le fait que « dans des cas dûment justifiés, les États membres peuvent demander à la commission d’approuver un plan stratégique de la PAC qui ne contient pas tous les éléments » est souligné comme une formulation laxiste qui accordera aux États membres trop de flexibilité. En outre, « le système de gouvernance actuel […] ne permet pas à la CE de suspendre les paiements en cas d’absence de résultats concrets ».

Sur ce point, les chercheurs soulignent plusieurs questions non résolues pour rendre les plans stratégiques nationaux (PSN) de la PAC plus cohérents avec la feuille de route du Green Deal. Les principales questionsconcernant les objectifs du Green Deal sont les suivantes : premièrement, leur statut juridique doit être clarifié ; deuxièmement, les modalités de leur calcul ne sont pas assez détaillées et devraient être définies plus précisément ; troisièmement, les méthodes utilisées pour définir les objectifs nationaux correspondants sont inconnues. Ils concernent également la PAC. Les indicateurs de performance actuellement proposés ne permettront pas de suivre les progrès accomplis dans la réalisation des objectifs. Plus généralement, le projet de réforme de la PAC ne permet pas d’appliquer, de rendre compte et de suivre suffisamment les progrès réalisés, ni d’imposer un plan d’action correctif efficace en cas d’absence de progrès.

Le niveau d’ambition des éco-régimes du premier pilier et des mesures agroenvironnementales et climatiques du deuxième pilier est laissé à l’appréciation des États membres, et tous les États ne semblent pas accorder la même priorité aux questions climatiques dans leurs plans stratégiques.

L’une des principales différences entre les objectifs du Green Deal et les propositions de la PAC est le système de gouvernance proposé. Les objectifs sont souvent définis de manière trop vague, ce qui donne aux États membres la possibilité de les contourner, sans compter qu’il manque souvent une base juridique pour les faire appliquer. En bref, une grande partie de l’ambition du Green Deal est laissée au bon vouloir des États membres.  

 

Scénarios

Dans l’ensemble, l’étude tente de définir un scénario possible dans lequel les mesures décrites seront mises en œuvre. Les chercheurs partent du principe que le nombre total des fermes reste constant. Le nombre des fermes biologiques est multiplié par trois, tandis que les fermes conventionnelles diminuent proportionnellement.

Une diminution de 15 % de l’utilisation d’engrais et de 30 % de l’utilisation de pesticides est également envisagée. Les auteurs suggèrent que la réduction de l’utilisation d’intrants chimiques entraîne une baisse de 10 % des rendements végétaux et une réduction de la production animale (-12 % pour la viande de ruminants, -8 % pour le lait et -4 % pour la viande de porc et de volaille ainsi que pour les œufs).

Ces hypothèses impliquent une baisse de – 4 % de la valeur de la production, – 10 % de l’excédent brut d’exploitation et – 15 % du revenu agricole familial. Au total, l’impact sur le secteur est estimé à 12,9 milliards d’euros.

Avec de tels changements possibles dans le secteur agricole, tout en supposant que les prix et les échanges soient constants, l’étude fait valoir que les nouvelles fermes biologiques pourraient accroître leurs bénéfices, non pas parce que la prime sur le prix des produits biologiques compensera la diminution des rendements physiques, mais si le soutien public de la PAC est suffisant, c’est-à-dire s’il entraîne une augmentation de 20 milliards d’euros des paiements de la PAC pour 2021-27.

Dans le même temps, le revenu moyen des fermes conventionnelles qui restent conventionnelles diminuerait de 25 % (-5 740 €, scénario favorable) à 42 % (-9 500 €, scénario défavorable) par exploitation. 

L’étude calcule les augmentations de prix des produits qui permettraient de compenser les baisses de revenus agricoles. Dans le scénario central, les hausses de prix à la production nécessaires pour maintenir constant le revenu des fermes agricoles qui restent conventionnelles varieraient de +4,6 % pour les fermes spécialisées dans les céréales, les oléagineux et les protéagineux (COP) à environ +11 % pour les fermes d’élevage spécialisées soit dans les ovins et les caprins, soit dans les porcins, la volaille et les œufs.

Dans le même temps, la réduction des émissions de GES devrait atteindre -33,9 MtCO2eq, ce qui est loin de l’objectif d’une diminution de 35 % en 2030. Ces -33,9 MtCO2eq entraîneraient une réduction de 8,7 % des émissions de GES agricoles (-34 MtCO2eq), principalement grâce aux fermes agricoles qui étaient et restent conventionnelles (-25 MtCO2eq). 

 

Remarques :

  • Les suggestions faites par les chercheurs sur comment la PAC pourrait satisfaire aux objectifs de la GD supposent implicitement la création de situations de marché non naturelles, notamment en subventionnant avec des montants élevés des activités qui ne pourraient pas survivre autrement.
  • Afin de mener leur étude, les chercheurs ont basé leurs scénarios sur certaines hypothèses qui pourraient ne pas être vérifiées sans une augmentation du soutien public. Cela est le cas du nombre des fermes, des prix et des résultats commerciaux que l’étude propose.
  • En termes du commerce, une forte diminution des exportations due à une baisse de la production dans l’UE et à une hausse des prix intérieurs pourrait entraîner une augmentation de la demande de produits fabriqués en dehors de l’UE, ce qui pourrait avoir un impact plus lourd sur l’environnement. En outre, une restructuration majeure des fermes agricoles, avec des fermes moins nombreuses mais plus grandes, pourrait entraîner une augmentation des effets sur l’environnement en raison de l’intensification de l’agriculture.
  • Une autre question importante est celle de la capacité des consommateurs à payer des prix plus élevés pour des produits alimentaires plus respectueux de l’environnement. Des prix plus élevés pour les produits de l’UE pourraient alors encourager le recours à l’importation de produits bon marché. Ces derniers pourraient à leur tour avoir un impact négatif sur la nutrition des citoyens de l’UE, en particulier ceux qui ont des revenus plus faibles. Cela créerait une notion de nutrition « noble » visant un petit groupe de citoyens de l’UE qui sont en mesure de l’adopter – un scénario discriminatoire, qui pourrait conduire à une nouvelle fracture au sein de la société européenne.
  • En conclusion, FE note l’appel des chercheurs à la nécessité de réaliser des études d’impact sérieusessur les stratégies GD concernant l’agriculture (notamment, la stratégie « de la ferme à la fourchette » et la stratégie sur la biodiversité). Ces évaluations devraient être basées sur des chiffres et des éléments scientifiques solides. Ces évaluations aideront les parties prenantes à comprendre les changements qui leur sont demandés. Dans l’ensemble, un changement de paradigme est requis de la part de la Commission. Son approche doit être davantage fondée sur la science et l’efficacité, pour définir des voies objectives et crédibles.

[1] Selon l’étude, pour que la PAC s’adapte aux objectifs de la GD, certaines caractéristiques des positions de négociation actuelles au niveau institutionnel ne devraient pas être modifiées, à savoir : la conditionnalité renforcée, les éco-régimes obligatoires, l’affectation d’au moins 30% du deuxième pilier aux mesures C&E.

[2] Une politique en ce sens peut être trouvée dans le fonds de relance pour le développement rural déjà approuvé (dans le cadre de ComAgri), où au moins 55 % des fonds seront consacrés à des investissements de ce type.