Produits cellulaires : le règlement Novel Food inadapté

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Avant toute avancée au niveau européen sur les produits alimentaires cellulaires, un travail sérieux devrait être lancé pour identifier tous les risques potentiels qui sont loin d’être clairs. A minima, les risques sont clairement plus proches du monde pharmaceutique que des produits alimentaires. L’évaluation par les autorités publiques ne devrait dès lors pas se limiter au produit final, mais doit couvrir l’ensemble du processus de fabrication, ce qui rend le règlement sur les nouveaux aliments absolument inadapté.

Le projet de rapport d’initiative de l’eurodéputée Emma Wiesner (Renew Europe) a surpris la plupart de ses collègues au Parlement européen, plaçant le sujet des aliments cellulaires en tête de sa liste de souhaits pour relever le défi de l’autonomie de l’Union européenne en matière de protéines, à côté d’éléments plus positifs comme les synergies entre la production de protéines et de bioénergie, qu’il convient de souligner.

L’élue suédoise estime, en particulier, que « l’agriculture cellulaire et les produits de la mer sont des solutions prometteuses et innovantes », suggère que « les aliments innovants à base de cellules peuvent contribuer à accroître la production de protéines et constituer un complément à l’agriculture ». Dès lors, pour l’eurodéputée, le processus de mise en marché « devrait être fondé uniquement sur la sécurité du produit » dans le cadre de la règlementation Novel Food qui devrait, elle-même, être simplifiée pour accélérer les processus d’autorisation et ainsi encourager l’innovation. 

Dans ce contexte, les élus européens vont devoir se forger rapidement une opinion sur un sujet complexe qui touche à une multitude de dimensions éthiques, environnementales, technologiques, économiques et bien entendu aussi sanitaires. Ils devront se positionner alors même que les processus de culture cellulaire en sont encore à leurs balbutiements, en phase de consolidation pour passer du cap du laboratoire, et d’une éventuelle mise à l’échelle industrielle, sans aucune garantie à ce stade sur leur capacité à franchir cette étape de façon sûre et sans risques pour les consommateurs. Il est donc essentiel de mobiliser la réflexion pour apporter des éléments rationnels à un débat qui mène réellement l’alimentation en territoires totalement inconnus jusqu’alors, et incertains.

De quoi parle-t-on ? 

Il existe un grand nombre de procédés et variantes pour la culture cellulaire. La plupart d’entre eux sont des processus de production en laboratoire d’aliments et d’autres produits d’origine animale. À partir d’un échantillon de cellules animales prélevées sur des muscles ou des embryons d’animaux vivants et placées dans un milieu riche en nutriments, le tissu cellulaire est cultivé dans des conditions contrôlées dans des bioréacteurs pour se transformer en cellules musculaires, graisseuses ou d’autres tissus afin de former des conglomérats de cellules animales et d’autres produits animaux (comme le cuir, la gélatine, le collagène) (Warner, 2019). 

Le milieu, dans lequel les cellules sont cultivées, est synthétisé à partir de sérum fœtal bovin. Actuellement certaines entreprises tentent de développer des options de sérum sans animaux pour des raisons de coûts et d’éthique. Les cellules sont ensuite récoltées puis agrégées ou transformées pour donner sa formulation finale au produit. 

Après avoir vu ces produits comme une réponse potentielle au défi climatique, il y a une dizaine d’années, les dernières études scientifiques se montrent beaucoup plus prudentes quant à de quelconques avantages. Les sources de pollution sont multiples et la quantité d’énergie nécessaire très importante. Le plus souvent l’élevage nécessite, certes, davantage de surface, mais moins d’énergie ou de plastiques, notamment, sans parler des hormones ou des antibiotiques. Les analyses d’impact comparatives initialement réalisées par le secteur de la viande cellulaire ne prennent pour la plupart pas en compte de façon sérieuse d’une part les co-produits ou les co-bénéfices associés à l’élevage ni d’autre part les enjeux associés à un éventuel passage à la phase industrielle des produits cellulaires, et toutes les conséquences associées à une « massification ». 

Où en est leur développement 

Encore aujourd’hui, ceci semble être de la science-fiction pour la plupart des consommateurs. Mais, depuis la présentation du premier burger de synthèse en août 2013 aux téléspectateurs de la BBC, la culture cellulaire est devenue une réalité à la fois en termes de mise au point de produits bien réels, et d’écosystème économique influant. En décembre 2020, Singapour a été le premier pays à autoriser la mise sur le marché d’imitation synthétique de viande de poulet. Une première étape a aussi été franchie, aux Etats-Unis quand la Food and Drug Administration a bouclé sa consultation préalable à la mise sur le marché en novembre 2022. 

Néanmoins le passage du stade laboratoire à des lignes de développement à grande échelle n’est pas chose faite, loin de là, et le contrôle de la variabilité des cellules dans des atmosphères non « naturelles » est loin d’être assuré. Le développement de milieux de croissance – le plus souvent aujourd’hui du sérum fœtal – qui représente un coût important, reste en suspens tout comme de nombreuses questions éthiques. Les coûts énergétiques liés à ces processus de culture demeurent, quant à eux, extrêmement importants. 

Cependant, des initiatives multiples sont en cours qui visent à fabriquer des imitations non seulement des produits tels que la viande ou le lait, mais aussi du lait maternel, du blanc d’œuf, du foie gras, des huiles, du cuir, de la gélatine et du collagène, du caviar, des produits de la mer ou encore du chocolat et du café. 

Quel processus législatif d’autorisation doit s’appliquer dans l’Union européenne ? 

A l’heure actuelle, sur le papier, les produits cellulaires pourraient relever soit du règlement « Novel Food » (EU/2015/2283), qui mentionne spécifiquement la culture cellulaire, soit du règlement sur les denrées alimentaires et les aliments pour animaux génétiquement modifiés n°1829/2003. Le droit de l’UE définit un nouvel aliment comme « toute denrée alimentaire qui n’était pas utilisée de manière significative pour la consommation humaine dans l’Union avant le 15 mai 1997 », date à laquelle le règlement sur les nouveaux aliments est entré en vigueur. Le règlement précise en outre que les nouveaux aliments peuvent être des aliments nouvellement développés, des aliments innovants, des aliments produits à l’aide de nouvelles technologies et de nouveaux procédés de production, ainsi que des aliments qui sont ou ont été traditionnellement consommés en dehors de l’UE. 

Le processus Novel Food prend généralement entre 18 et 24 mois, mais peut durer davantage comme dans le cas des graines de Chia pour lesquelles la demande déposée par les autorités britanniques auprès de la Commission en 2004 avait abouti en 2009. L’autorité européenne pour la sécurité sanitaire y joue un rôle prépondérant. 

Si, lors d’un évènement au Parlement européen le 13 juillet 2022, un représentant de la Commission européenne avait indiqué que les produits cellulaires devaient suivre la règlementation Novel Food, cette opinion est loin de faire l’unanimité, en raison de la multitude de questions soulevées par ces produits disruptifs. Certains experts estiment au contraire que la règlementation sur les OGM est plus adaptée dès lors que, la plupart du temps, le processus de fabrication implique des organismes génétiquement modifiés. Par ailleurs, compte tenu de leur proximité avec les produits pharmaceutiques, pourrait se poser la question d’études pré-cliniques et cliniques à mener en amont de toute mise sur le marché, à l’image des nouveaux médicaments. Et ce, d’autant plus que les risques eux-mêmes ne sont pas à ce stade entièrement identifiés de l’aveux même de scientifiques ayant travaillé sur le dossier, et que les technologies employées s’apparentent davantage au domaine pharmaceutique qu’alimentaire. 

Vers un cadre spécifique encore à bâtir 

« Si de nombreux risques sont déjà bien connus et existent tout aussi bien dans les aliments produits de manière conventionnelle, il peut être nécessaire de se concentrer sur les matériaux, les intrants, les ingrédients (y compris les allergènes potentiels) et les équipements spécifiques à la production d’aliments à base de cellules », relèvent l’OMS et la FAO dans sa première analyse à grande échelle des enjeux liés aux produits cellulaires rendue publique le 5 avril dernier. Ce travail fait ressortir des risques spécifiques à prendre en compte qui rapproche davantage les produits cellulaires des biotechnologies, du clonage ou encore des thérapies géniques dans le champ de la santé humaine. C’est en particulier le cas des nouvelles toxines ou allergènes, utilisées au stade de la production des cellules, et de celui de la stabilité, structurelle ou chimique, du matériel génétique utilisé, risque associé à l’ensemble des biotechnologiques utilisées dans le champ alimentaire. 

«  Il existe actuellement une quantité limitée d’informations et de données sur les aspects de la sécurité alimentaire des aliments d’origine cellulaire pour aider les régulateurs à prendre des décisions éclairées », soulignent la FAO et l’OMS, dont les analyses se limitent aux enjeux sanitaires pour lesquelles elles appellent à davantage de la coopération internationale et à la transparence. Sans compter que ces agences internationales ne se penchent pas sur les questions éthiques, économiques ou commerciales soulevées par ces nouveaux produits tels que la question du brevetage du vivant qui restent un sujet particulièrement sensible dans le domaine stratégique de l’alimentation. 

Il en ressort clairement que l’ensemble des risques tant liés à la sécurité sanitaire des produits finaux, qu’à la stabilité des procédés de production eux-mêmes, amène les scientifiques impliqués dans l’évaluation en territoires inconnus. 

Il conviendrait donc, avant de conclure sur la nécessité d’accélérer le pas, comme le suggère le projet de rapport sur la stratégie protéine européenne en cours de discussion au sein du Parlement européen, de faire preuve d’une grande vigilance. Une étude approfondie des impacts de la mise à l’échelle, et l’ensemble des processus et consommations industrielles que cela impliquerait, semble être absolument incontournable. D’ailleurs, la FAO et l’OMS se montre particulièrement prudentes. A minima une analyse, suivie d’une réflexion approfondie et ouverte sur un cadre d’analyse ad hoc devrait être envisagée par la Commission européenne avant même le démarrage d’un quelconque processus d’approbation.