L’UE DOIT DÉFENDRE SES INTÉRÊTS OFFENSIFS EN AGRICULTURE

​​Il est désormais fort probable que la décision des États-Unis de rétablir les droits d’importation sur l’acier et l’aluminium en provenance de l’UE, ainsi que la réponse inévitable de l’UE par des mesures de représailles, conduisent à une guerre commerciale dont la fin n’est pas en vue.

L’UE prévoit de rétablir ses mesures de représailles, suspendues depuis plusieurs années après une trêve négociée. Celles-ci incluent certaines exportations agricoles américaines, comme le maïs et le soja, mais aussi d’autres produits clés – comme le bourbon – qui pourraient déclencher de lourdes contre-mesures de la part des États-Unis.

Le Président américain a d’ailleurs publiquement déclaré que les États-Unis riposteraient avec encore plus de vigueur, menaçant d’imposer des droits de douane de 200 % sur les vins européens.

Le décor est donc planté pour une guerre commerciale entre les États-Unis et l’UE, et malheureusement l’agriculture en fait partie, bien qu’elle n’ait pas été le point de départ du conflit.

Nous examinerons ce que cela signifie pour le secteur agricole de l’UE, qui a les meilleures cartes en main, et à quoi pourraient ressembler les résultats. Tout dépendra largement de la capacité de l’UE à rester unie et à mobiliser sa puissance pour protéger ses intérêts offensifs, en particulier dans le secteur agroalimentaire, déjà confronté à un manque de compétitivité et à des tensions avec la Chine.

LE RISQUE DE PERTE DE PARTS DE MARCHÉ POUR L’AGRICULTURE ET L’AGROALIMENTAIRE EUROPÉENS

L’UE bénéficie depuis longtemps d’un excédent commercial agricole important avec les États-Unis. En 2023, elle a exporté pour 27 180 millions d’euros et importé pour 11 744 millions d’euros, soit un excédent de 15 436 millions d’euros.

Les États-Unis sont notre deuxième marché d’exportation après le Royaume-Uni, représentant 12 % de nos exportations.

Une analyse plus approfondie de la composition du commerce UE-États-Unis montre que l’UE exporte principalement des produits transformés, tandis qu’elle importe surtout des matières premières.

D’après les dernières données de 2024, parmi nos principales exportations figurent :

  • Vins (4 894 millions d’euros)
  • Spiritueux (2 890 millions d’euros)
  • Huile d’olive (2 056 millions d’euros)
  • Fromages (1 306 millions d’euros)

D’autres produits tels que la bière, le chocolat, les pâtes, les jambons, le beurre et diverses préparations alimentaires dépassent également la centaine de millions d’euros d’exportations annuelles.

Du côté des États-Unis, les principales exportations vers l’UE sont :

  • Soja (2 588 millions d’euros)
  • Fruits et noix (2 200 millions d’euros)
  • Spiritueux (1 076 millions d’euros)

Cette disparité entre la nature de nos exportations et importations soulève une question cruciale.

Les États-Unis peuvent facilement trouver d’autres débouchés pour leurs exportations de soja en cas de blocage en Europe. Le soja étant une matière première, si nous cessons d’importer des États-Unis au profit de l’Amérique du Sud, d’autres marchés absorberont aisément le soja américain en remplacement.

En revanche, les exportations de vin de l’UE ne peuvent pas être aussi facilement redirigées vers d’autres marchés. Les spécificités commerciales et marketing du vin rendent impossible la compensation des milliards perdus aux États-Unis par une simple augmentation des ventes ailleurs. L’UE pourrait augmenter sa part de marché sur d’autres marchés, mais au prix d’une baisse des prix et des marges.

Le même raisonnement s’applique aux exportations européennes de fromages, de jambons et d’huile d’olive.

Si l’UE perd le marché américain pour ses fromages et jambons de qualité supérieure, il lui sera presque impossible de trouver des marchés de substitution ou d’augmenter sa présence sur les marchés existants.

Le cas est encore plus flagrant pour l’huile d’olive : l’UE est de loin le premier producteur mondial avec peu de concurrents, ce qui signifie qu’il n’existe que peu d’opportunités pour évincer d’autres acteurs. De plus, il est quasiment impossible de remplacer les autres huiles alimentaires sur le marché, car les prix et les habitudes alimentaires sont des obstacles majeurs.

On pourrait faire des arguments similaires pour d’autres produits transformés à forte valeur ajoutée.

Principaux enseignements de cette analyse :

  • L’UE, qui jouit d’un important excédent commercial agroalimentaire avec les États-Unis, a potentiellement plus à perdre dans ce secteur en cas d’escalade.
  • Les exportations agroalimentaires européennes sont plus difficiles à rediriger vers d’autres marchés, ce qui amplifierait les pertes commerciales.
  • Pour défendre ses intérêts offensifs, l’UE doit orienter ses représailles vers d’autres secteurs et exploiter les marchés de consommation où les grandes entreprises américaines (GAFAM) ne peuvent pas se permettre de perdre du terrain.

LES GUERRES COMMERCIALES FONT DES DÉGÂTS DES DEUX CÔTÉS

Une guerre commerciale entre les États-Unis et l’UE nuira aux deux parties. L’économie souffrira, les emplois aussi. Nous nous concentrerons cependant sur les conséquences pour l’UE.

L’ampleur des dégâts dépendra de l’ampleur du conflit, du nombre de produits concernés et des niveaux tarifaires appliqués.

Si les États-Unis ignorent totalement leurs obligations à l’OMC et imposent des droits de douane généralisés sur les importations européennes, l’impact sera considérable, et les États-Unis ne sortiront pas indemnes des représailles justifiées de l’UE. Les pertes économiques seront lourdes des deux côtés.

Toutefois, ce scénario n’est pas le plus probable. Il ne fait cependant aucun doute que les États-Unis appliqueront dans une certaine mesure leur nouvelle politique de réciprocité, imposant des droits de douane qu’ils jugent équivalents à ceux qu’ils subissent en Europe.

Il est clair que cela mettra en péril l’acquis du GATT et de l’OMC.

Le Président américain a déjà indiqué que toute riposte de l’UE entraînerait une surenchère, avec des contre-représailles pouvant aller jusqu’à des droits de douane de 200 % sur les vins. Jusqu’où cela ira-t-il ? Comment éviter une guerre commerciale qui dégénère sans fin ?

L’UE se considère comme un défenseur des règles de l’OMC et veut les faire respecter, alors que les États-Unis s’en détournent pour favoriser leurs intérêts nationaux avec une approche mercantiliste.

CONCLUSION

Les tensions initiées par les États-Unis sont particulièrement nuisibles au secteur agricole européen.

L’UE a plus à perdre qu’eux dans cette guerre commerciale, avec un excédent commercial agroalimentaire significatif et des produits difficilement redirigeables vers d’autres marchés.

Bien que les représailles de l’UE soient compréhensibles et justifiées, il est essentiel d’éviter une escalade dans l’agriculture et l’alimentation, qui inciterait les États-Unis à en faire de même.

Un accord négocié est dans l’intérêt du secteur. Si un tel accord est impossible, l’UE doit minimiser l’impact sur l’agriculture via des mesures de compensation économique et en ciblant d’autres secteurs.

L’UE défend un commerce mondial basé sur des règles, tandis que les États-Unis poursuivent une politique nationaliste de rééquilibrage du commerce.

À un moment où la coopération transatlantique est cruciale pour relever des défis mondiaux comme le changement climatique et la sécurité alimentaire, les négociateurs doivent trouver des solutions innovantes pour parvenir à un accord et éviter une guerre commerciale destructrice.

L’Europe a besoin d’une Politique agricole commune bien financée

Farm Europe appelle à un budget solide pour l’agriculture dans les négociations à venir sur le cadre financier pluriannuel (CFP)

Alors que l’Union européenne s’apprête à entamer l’une des discussions budgétaires les plus cruciales et complexes de ces dernières décennies, Farm Europe a adressé une lettre à l’ensemble des dirigeants européens, au président du Conseil européen, António Costa, ainsi qu’à la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen. L’organisation y exhorte les dirigeants de l’UE à faire de la Politique agricole commune (PAC) une priorité et à garantir sa pérennité face aux enjeux croissants liés à l’autonomie stratégique européenne. Avec le Conseil européen qui se réunit cette semaine, les discussions sur l’avenir du cadre financier pluriannuel (CFP) 2028-2034 mettront en avant des questions cruciales, notamment la défense européenne, le positionnement global de l’UE, les contraintes nationales, l’inflation, la dette liée au COVID-19 et les négociations d’élargissement avec l’Ukraine.

Farm Europe souligne l’urgence d’une PAC bien financée et robuste, en raison de son rôle central dans la production alimentaire européenne, la bioéconomie et l’énergie. Le secteur agricole est essentiel pour renforcer l’autonomie stratégique interne de l’UE, assurer la sécurité alimentaire mondiale et soutenir les efforts de décarbonation. Sans ajustement du budget de la PAC pour tenir compte de l’inflation, l’UE risque de perdre 54 % de sa valeur d’ici 2034 (soit l’équivalent de 250 milliards d’euros), compromettant gravement la capacité du secteur à répondre aux besoins de l’Europe et du monde.

La situation est aggravée par une baisse constante des revenus agricoles, qui ont diminué de 12 % par hectare au cours des vingt dernières années. De plus, l’UE a perdu 37 % de ses agriculteurs, tandis que l’endettement des exploitants a augmenté de 30 %. La disparition de 11 millions d’hectares de terres agricoles et l’importation de l’équivalent de 10 millions d’hectares supplémentaires soulignent la pression croissante sur l’agriculture européenne, menaçant encore davantage l’autonomie stratégique de l’UE.

« Nous faisons face à un choc de désinvestissement qui dure depuis plus d’une décennie, mettant l’agriculture européenne en péril », a déclaré Yves Madre, président de Farm Europe. « Pour préserver notre souveraineté en matière de production alimentaire et de bioéconomie, nous devons faire de l’agriculture une priorité et veiller à ce que le budget de l’UE reflète cette priorité. »

Farm Europe insiste sur le fait que la discussion sur le futur budget de l’UE ne doit pas uniquement porter sur le montant des ressources allouées, mais également sur la structure du budget. Les propositions visant à introduire un fonds unique ou un plan unique affaibliraient le pilier du développement rural et risqueraient de renationaliser les politiques européennes, mettant en péril l’approche commune qui constitue un pilier fondamental de la PAC. Une telle évolution conduirait à une fragmentation, à une augmentation des charges administratives et à un manque de cohérence au sein de l’UE.

« Nous appelons à un budget européen dédié et adéquat pour une PAC véritablement commune. Ses deux piliers doivent rester cohérents afin de garantir une politique efficace et homogène », a ajouté Yves Madre.

L’organisation met en avant l’importance de redéfinir l’orientation des politiques européennes en mettant l’accent sur le redressement de l’attractivité économique du secteur agricole, le maintien de la production sur l’ensemble du territoire européen et la consolidation d’une véritable souveraineté agricole. Cette approche permettra à l’UE de répondre à ses besoins alimentaires et non alimentaires, tout en contribuant à la croissance mondiale et en renforçant sa résilience dans un monde de plus en plus incertain.

Farm Europe appelle les dirigeants de l’UE à faire preuve d’un leadership fort et d’un engagement sans faille pour assurer un avenir durable à l’agriculture européenne, capable de relever les défis à venir.

Farm Europe se félicite de l’adoption par le Conseil du mandat de négociation sur les NGT

Farm Europe se félicite vivement de l’adoption par le Conseil de son mandat de négociation sur les nouvelles techniques génomiques (NGT), qui marque une étape importante pour l’avenir de l’agriculture européenne. Cette étape ouvre la voie à un cadre réglementaire qui favorise les performances économiques et environnementales, renforçant ainsi la compétitivité et la durabilité de l’agriculture européenne.

L’adoption du mandat de négociation témoigne d’une forte volonté politique de moderniser la réglementation de l’UE en fonction des progrès scientifiques.

Alors que le Conseil et le Parlement européen progressent dans leurs négociations, Farm Europe exhorte les deux institutions à avancer rapidement et de manière constructive vers un accord final. Tout retard sur ce dossier vital entraverait la capacité de l’UE à tirer parti des innovations de pointe en matière de sélection végétale pour relever les défis de la sécurité alimentaire mondiale et atteindre les objectifs environnementaux.

Nous encourageons les négociateurs à finaliser un accord sans délai, en veillant à ce que les agriculteurs européens puissent bénéficier du plein potentiel des NGT, en rejetant les exigences d’étiquetage inutiles pour les catégories NGT1 et en suivant une approche raisonnable qui n’entrave pas la recherche lorsqu’il s’agit de breveter.

L’absence de clarté sur le budget trouble la vision sur l’agriculture et l’alimentation

La vision pour l’agriculture et l’alimentation présentée, aujourd’hui, par le Commissaire européen à l’agriculture et à l’alimentation, Christophe Hansen, entend montrer que le désarroi des agriculteurs, qui a culminé dans une vive protestation il y a un an, a été bien entendu à Bruxelles. Toutefois, la traduction concrète dans les faits de ce message politique renouvelé reste un point d’interrogation. Et ce d’autant plus au regard des idées initiales inquiétantes lancées par la Commission européenne en matière de Cadre Financier Pluriannuel et de budget de la PAC. 

La vision met l’accent sur les agriculteurs en tant qu’entrepreneurs, sur la nécessité de privilégier les incitations plutôt que les contraintes et sur l’enjeu stratégique pour l’Europe de construire une véritable souveraineté agricole à travers un objectif de production réhabilité, en lien direct avec les impératifs de durabilité, de lutte contre le changement climatique et d’innovation. Autant d’orientations bienvenues, proposées depuis plusieurs années par Farm Europe. 

L’accent mis sur la dimension extérieure, avec la volonté affichée de la Commission européenne d’assurer la « réciprocité » et un « alignement normatif » entre les produits importés et ceux produits au sein même de l’UE constitue également une avancée. La vigilance sera de mise quant aux mesures concrètes à venir, qui ne devraient pas saper les standards de production communautaires actuels, étant donné les efforts considérables réalisés par les agriculteurs européens pour s’y conformer. 

Que la Commission reconnaisse le rôle essentiel de l’élevage et l’annonce d’une future stratégie pour ce secteur est un pas dans la bonne direction, même si ce travail devrait se faire dans le cadre d’un groupe de haut niveau, pour éviter les approches top-down. 

De même, l’approche est renouvelée en matière de produits phytosanitaires avec le principe selon lequel les interdictions d’utilisation devraient être considérées seulement en présence d’alternatives. L’inflexion est tangible, et doit aller de pair avec une accélération en matière de NGTs et de produits de biocontrôle. 

Enfin, le document met l’accent sur l’alimentation, reconnaissant l’importance de la transparence envers les consommateurs, à travers l’étiquetage du pays d’origine des aliments, et le renforcement du lien entre l’alimentation, territoire, saisonnalité et traditions locales. L’alerte en ce qui concerne les aliments ultra-transformés est bienvenue, dès lors qu’elle fait écho aux nombreuses études scientifiques sur leurs impacts délétères sur la santé.

Des points d’inquiétudes importants

Toutefois, ce document d’orientation soulève également des points d’inquiétudes forts. Pour développer un cap clair, l’UE doit être en mesure d’afficher noir sur blanc la nécessité d’accroître de façon durable la production pour répondre aux défis de la souveraineté agricole. Il s’agit là d’un double enjeu : se repositionner au niveau géopolitique en matière de sécurité alimentaire interne et externe et se donner l’autonomie stratégique suffisante pour déployer de façon autonome sa bioéconomie et atteindre ses objectifs de décarbonation.

De plus, dans un contexte d’inquiétude fort de la part des agriculteurs un signal quant au budget de la PAC fait défaut. Renforcer l’autonomie stratégique agricole de l’UE appelle à mettre un terme à des décennies de réduction de la voilure de la PAC. Un engagement à compenser l’impact de l’inflation qui, sur la période 2021-2027 a amené à une perte de plus de 85 milliards d’euros est nécessaire. 

À ce titre, les doutes quant aux intentions liées au ciblage « sur ceux qui en ont le plus besoin » sont réels : la formule a été régulièrement utilisée comme un euphémisme pour faire primer les contraintes budgétaires sur toute vision concrète pour l’avenir des fermes européennes. 

Les aides de la PAC représentent plus de 50 % du revenu des agriculteurs, voire plus de 70 % pour certains États membres. À titre d’exemple, une dégressivité de 10 % à partir de 16 hectares ne permettrait de dégager que 3,2 milliards d’euros de paiement redistributif. Mais un tel outil aurait un effet délétère sur un très grand nombre de structures clés pour la production européenne, notamment dans les zones déjà fragilisées, où les exploitations ont été contraintes de s’agrandir ou de se regrouper pour mieux maîtriser les coûts, compenser la faiblesse des rendements et des prix agricoles.

Aides d’État à l’agriculture : plus de 18 milliards d’euros depuis 2021

Dans le cadre des réflexions sur la PAC et la gestion des crises, Farm Europe a analysé les aides d’État accordées au secteur agricole depuis le début de la période budgétaire.

Sur la période 2021-2024, les États membres ont alloué plus de 18 milliards d’euros d’aides d’États au secteur agricole, ce qui représente pas moins de 11% des aides totales du 1er pilier de la PAC — une proportion qui monte à 14 % si l’on se concentre uniquement sur la période 2021-2023.

Les volumes d’aides accordés varient considérablement entre les États membres, révélant une “Europe à trois vitesses”.

Les Pays-Bas ont de loin le plus soutenu leur agriculture, tant en montant absolu que relativement aux aides directes ou à la valeur de la production agricole nationale. Sur la période étudiée, les aides atteignent 101 % du premier pilier reçu par les agriculteurs néerlandais pour près de 3 milliards d’euros. Le Danemark, la Grèce, la Hongrie, la République Tchèque et la Slovaquie ont aussi octroyé des fonds substantiels, allant de 20 à 43% de leurs aides directes respectives. Sur la période 2021-2022, l’Espagne a distribué un équivalent de 28% de son premier pilier. Enfin, si les sommes totales distribuées par l’Italie, la France et l’Allemagne restent conséquentes, ces États ont limité leur soutien entre 5 et 10% de leurs aides directes respectives, soit un niveau inférieur à la moyenne européenne.

En moyenne, les aides d’État n’ont compensé que partiellement (70%) la perte de la valeur réelle des aides du 1er pilier de la PAC découlant de leur non-indexation sur l’inflation. Toutefois, la situation varie considérablement d’un État membre à l’autre :

  • Quatre pays ont surcompensé la baisse, apportant aux agriculteurs des liquidités pouvant dynamiser la capacité d’investissement. C’est le cas en particulier des Pays-Bas qui se démarquent nettement avec un soutien 8 fois supérieurs à la baisse liée à l’inflation. La Pologne et l’Espagne (1,4 fois), ainsi que la Grèce (1,3 fois), suivent. 
  • Les autres États ayant le plus soutenu leur agriculture ont compensé la baisse entre 50 et 75%. 
  • Enfin certains pays, rappelons-le, ont versé peu d’aide d’État à leur agriculture (Lettonie, Estonie, Irlande, Roumanie, Belgique, Luxembourg, Bulgarie et Portugal).

Vous trouverez dans nos travaux une analyse plus détaillée du sujet, ainsi qu’une infographie permettant de visualiser la situation dans chacun des pays de l’union européenne, sur la période et par année. 

UE / Ukraine : analyse des principales productions végétales agricoles

Dans le cadre du processus entamé d’élargissement de l’Union Européenne à l’Ukraine, Farm Europe a analysé à la fois le poids et la compétitivité comparée des principales filières végétales de l’Ukraine par rapport à celles de l’Union Européenne.

Le différentiel de compétitivité s’affiche entre 19 et 39% selon les filières, l’essentiel tenant à des facteurs structurels. A celle-ce doit s’ajouter la compétitivité « carbone » conférée par la richesse naturelle des sols exploités.

Alors que les étapes et conditions d’adhésion vont être à dessiner et que les programmes de pré-adhésion seront définis et lancés, il nous parait important que des données objectives puissent être la base (ou contribuer) à définir la feuille de route de l’Union Européenne, sans oeillères ni faux-fuyants.

Ukraine & Union européenne : chiffres clés des principales productions végétales agricoles 

En 2022, la surface agricole utile ukrainienne s’étendait sur 41,3 millions d’hectares, dont 32,7 millions d’hectares de terres arables (Service national des statistiques d’Ukraine (SSSU)). Cette surface agricole fait de l’Ukraine le plus grand pays agricole du continent européen. 45 % de la surface du pays est composée de sols riches en humus, particulièrement fertiles, appelés tchernozioms “riches”.

Marqué par son passé communiste, le secteur agricole ukrainien est caractérisé par 110 énormes entreprises agricoles intégrées verticalement, appelées agro-holdings, qui contrôlent tout ou partie de la chaîne de production (culture-élevage, transformation, commerce). Celles-ci ont un objectif de rentabilité des capitaux investis, et investissent pour cela dans des équipements de pointe, de grandes dimensions, ainsi que dans l’utilisation des intrants. Vingt d’entre elles détiendraient 14 % de la Surface Agricole Utile (SAU) ukrainienne. 57 % de la SAU est exploitée par des entreprises agricoles de plus de 1 000 ha. L’agriculture joue un rôle économique majeur pour le pays, représentant 10,9 % du PIB en 2021 et près de 14,7 % de l’emploi. 

Sucre

Le secteur sucrier ukrainien est caractérisé par un schéma d’organisation et de compétitivité très différent de celui européen : les agro-holdings, énormes exploitations intégrées verticalement, exploitent 93 % de la surface betteravière. La surface moyenne cultivée est de 23 700 ha, soit 1 763 fois plus qu’ en Union européenne.

L’Ukraine dispose d’un coût de la main d’œuvre et de coûts d’investissements bien moindres. De plus, la présence de sols fertiles permet une utilisation plus faible d’intrants pour les cultures : jusqu’à 1,5 fois moins de fertilisants qu’en Union européenne.

L‘ouverture du marché européen à l‘Ukraine s‘est traduite par un afflux de sucres qui a entraîné une augmentation des stocks européens. Les exportations de sucre de l’Ukraine vers l’Europe ont augmenté de 230% entre 2022 et 2023, avec une capacité annoncée d’exportation sur l’UE de 800 000 T à 1 MT. La mise en place de mesures de sauvegarde limite désormais les exportations, pour le temps de leur application.

Analyse détaillée pour la filière sucre

Céréales

La production céréalière n‘est pas autant dominée par les grosses structures agricoles que la filière sucrière: 51 % de la production est réalisée par des structures de moins de 1 000 ha. A noter toutefois que 22% de la production est réalisée par des entreprises de plus de 3 000 ha. 

Si l’Ukraine venait à entrer dans l’Union européenne, le pays représenterait 20 % de la production céréalière européenne, soit 49 % de la production de maïs et 15 % de la production de blé.
Les coûts de production céréaliers ukrainiens sont en moyenne 30 % moins chers que ceux européens. 

Pour ces raisons, les importations de céréales depuis l’Ukraine ont doublé entre 2019/21 et 2023. L’Union européenne est devenue un pilier du soutien à l’économie ukrainienne, représentant 51 % des exportations de blé en 2023, contre 30% en 2021.

Analyse détaillée pour la filière céréales

Tournesol

Si 58 % de la production est réalisée par des structures de moins de 1000 ha, les entreprises de plus de 3000 ha représentent toutefois 17 % de la production. En 2023, la production ukrainienne seule était supérieure à l’ensemble de la production de l’UE. Ainsi, si l’Ukraine venait à entrer dans l’Union européenne, le pays deviendrait le premier producteur européen de graines, mais également d’huile de tournesol.

L’Ukraine est le premier fournisseur en huile de tournesol de l’UE depuis déjà une dizaine d’années. L’ouverture du marché européen à l’Ukraine n’a pas eu d’impact significatif sur les flux d’huile de tournesol en provenance d’Ukraine.

Analyse détaillée pour la filière tournesol

Colza

Les structures de moins de 1000 ha réalisent 73 % de la production de graines de colza, mais la production d’huile est dominée par 5 entreprises responsables de 92 % en 2021.
En 2020, le coût de production de colza ukrainien était en moyenne 1,5 fois moins cher que le coût de production français.

Par rapport à la moyenne 2018-2021, les productions ukrainiennes de graines et d’huile de colza ont augmenté de 57% et 174%. Parallèlement, les exportations ont augmenté de 37% et de 170% respectivement. Si l’Ukraine venait à entrer dans l’Union européenne, elle deviendrait le premier producteur de colza au sein de l’UE et représenterait 24 % de la production de graines et 4% de la production d’huile et de tourteaux.

L’UE était déjà le premier importateur des produits issus de colza d’Ukraine avant la guerre.Toutefois, les importations de graines ont augmenté et l’UE reçoit désormais 93% des exportations ukrainiennes de graines, contre 83% en 2020/21.

Analyse détaillée pour la filière colza

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BUDGET 2028-34 : DES IDÉES INITIALES QUI INTERROGENT

Dans son exercice de préparation des perspectives financières pour la période 2028-2034, la Commission européenne se livre à son exercice favori, d’un côté de créer des marges sans marge financière nouvelle, et de l’autre de tenter de forcer la main des Etats membres sur le financement du budget européen tout en gardant un rôle de donneur d’ordres.

Traditionnellement, la Commission sondait avant tout les capitales sur les coupes acceptables des budgets des principales politiques européennes et l’acceptabilité d’un budget européen total un peu en croissance. Dans cet exercice de premier round, la PAC était proposée comme à toiser (proposition jusque – 30% en 2018…).

Dans le contexte actuel de frugalité budgétaire, la Commission tente un autre chemin, en s’inspirant finalement de la proposition de réforme (administrative) de la PAC qu’elle avait faite en 2018.

Elle propose de regrouper les 530 programmes européens (représentant un total de budgets de plus de 12 trillions d’euros) en un seul grand fond européen, nommé Pilier I. A côté de ce pilier, deux autres existeraient : un visant le fonctionnement des services (permettant ainsi de découpler un peu plus les négociations sur le budget de fonctionnement de la commission des discussions sur le financement des politiques européennes) et un troisième relatif à l’élargissement et des grands investissements d’interêt collectif européen dont la défense (Pilier pour lequel l’argent reste à trouver).

Au sein du Pilier I, toutes les grandes politiques européennes seraient donc regroupées. Les Etats membres seraient priés de définir des plans stratégiques nationaux, établissant leurs priorités et leurs souhaits quant à la mobilisation de l’argent qui leur est alloué au titre des différentes politiques.

La création d’un tel fonds induit, sans doute aucun, un certain degré de fongibilité des budgets antérieurement affectés à telle ou telle politique. On peut supposer que tant la PAC que la politique de cohésion – dont les budgets attisent toujours les convoitises à défaut d’autres politiques réellement communes- ne verraient plus leurs financements sanctuarisés sur la période de programmation. Les financements seraient calés en début de période en fonction des priorités nationales et sans doute ajustables en cours de route, notamment si les décaissements se profilaient moindres que prévus.

Dans ce schéma, les transferts aux Etats membres des financements reliés aux différentes politiques seraient conditionnées au respect de l’état de droit et à la mise en place de mesures prioritaires, définies au niveau européen. Ensuite, les Etats membres pourraient activer des mesures prévues par les différentes politiques qui agiraient comme des boites à outils que les Etats membres pourraient activer ou non.

Dans le cas de la PAC, la commission illustre son propos avec deux exemples qui interrogent un peu sur la connaissance fine des problématiques agricoles par les argentiers de la commission européenne. Elle imagine comme mesure conditionnant l’accès des Etats membres à l’argent de la PAC le fait de promouvoir l’agriculture biologique. Exemple original s’il en est quand il est clair que l’objectif avancé par la Farm to Fork de 25 % de terres en agriculture biologique ne correspond ni aux attentes des marchés, ni aux impératifs de souveraineté alimentaire, ni à ceux de la durabilité en Europe. Quant au chapitre « investissements » de la PAC, la commission prend l’exemple des paiements directs. Si ces paiements sont certes vitaux actuellement pour les revenus des agriculteurs, cet exemple est-il le plus pertinent quand on vise les investissements pour gagner résolument le défi de la double performance : retrouver les chemins de la rentabilité pour l’agriculture européenne tout en poursuivant la voie de la durabilité renforcée ? Sans parler de l’arrivée de l’Ukraine.

Cette suggestion de refonte du budget européen et de son fonctionnement pose un certain nombre de questions que le Parlement européen avait posées lors de la proposition PAC de 2018 de la commission avant de la re-formater pour lui redonner un sens commun minimal.

Ce schema renverrait aux Etats membres le soin de mettre en oeuvre l’essentiel des politiques européennes selon leurs priorités nationales du moment, hormis les quelques mesures « portes d’entrée » aux financements, condition que le Conseil européen (qui doit statuer à l’unanimité sur les questions financières) édulcorerait sérieusement sans doute.

Nous sommes bien, comme dans la proposition PAC de 2018, dans un schéma de renationalisation large de toutes les politiques européennes du dit pilier I. l’Europe ne resterait finalement commune en vérité que pour le pilier III (élargissement, grands plans européens d’investissements).

Dés lors, qu’en est-il du marché commun ?

Quelle serait l’efficacité économique d’un tel dispositif dénationalisé, avec la tentation de certains de concentrer les financements sur quelques secteurs afin de les subventionner plus pour qu’ils puissent avoir un avantage sur leurs concurrents européens ? L’argent ainsi utilisé ne ferait pas de croissance européenne, mais plus de fractures et au final de la gabegie des impôts payés par les européens.

Cette idée de grand pot commun est sans doute à mettre aussi en relation avec le leitmotiv de la présidente de la commission ces dernières semaines (au moins vis à vis de la PAC) d’avoir un budget plus ciblé et des mesures plus ciblées. Si l’objectif est d’avoir des mesures plus efficaces, tout le monde peut en convenir. S’il s’agit d’une réthorique pour faire accepter un budget à la baisse en expliquant que, malgré tout, tout ira bien moyennant plus de ciblage, les doutes sont permis. Or, à ce stade, le doute existe sur les intentions de l’exécutif européen vis à vis de l’agriculture et son financement.

Un seul chiffre : si le budget PAC pour la période 2028-2034 était maintenu en euros courants, cela signifierait que l’Europe fait le choix d’une PAC dont la valeur économique en 2034 (si l’inflation redevient faible) ne sera plus que de 46% de celle de 2020. Avec en face de nous les défis de la souveraineté, de la perte de compétitivité depuis 2 décennies, de l’élargissement à l’Ukraine…