Pas de Clean Industrial Deal sans une agriculture européenne renforcée

Aujourd’hui, la Commission européenne a adopté son Clean Industrial Deal. En présentant la feuille de route et les principales initiatives politiques à suivre, le vice-président exécutif, Stéphane Séjourné, a résumé l’ambition comme étant la nécessité de faire plus et mieux, et de créer un véritable plan d’affaires, tout en soulignant la volonté de se concentrer sur le « Made in Europe ». Ce nouvel élan politique est un pas bienvenu et clair dans la bonne direction pour la Commission européenne. Il devra être le premier jalon avant d’autres initiatives ambitieuses pour véritablement concilier compétitivité et transitions.

Le rôle de l’agriculture doit être souligné dans ce contexte : il n’y aura pas de Clean Industrial Deal Made-in-Europe sans davantage et mieux de produits agricoles. Que ce soit pour les énergies renouvelables, les produits chimiques (y compris les bioplastiques), les textiles ou les biomatériaux pour les bâtiments, une grande part des matières premières devra provenir de l’agriculture.

Le rôle de la biomasse agricole doit être davantage souligné et pleinement intégré dans la future stratégie de la bioéconomie. Dès lors, l’Europe doit rechercher une intensification durable, en d’autres termes, produire plus et mieux. Les chaînes de valeur agricoles de la bioéconomie sont stratégiques si l’Europe souhaite construire une économie carbone neutre, souveraine, efficace et abordable.

C’est pourquoi Farm Europe appelle la Commission européenne :

• À intégrer davantage ses stratégies agricoles et industrielles pour libérer le potentiel de contribution des agriculteurs à la bioéconomie sans obstacles inutiles. Par exemple, le plafond de culture des biocarburants devrait être augmenté, les limitations dans la taxonomie levées et des incitations supplémentaires créées pour d’autres secteurs de la bioéconomie allant au-delà des objectifs traditionnels afin de véritablement créer des opportunités de marchés ;

À renforcer ses mécanismes de contrôle et de certification pour stopper la concurrence déloyale des produits importés et établir des chaînes de valeur durables et robustes. Actuellement, les pratiques frauduleuses de labellisation, de certification et le manque de contrôles nuisent au développement des bioproduits Made-in-Europe. A titre d’exemple, la crédibilité de l’annexe IX A des biocarburants nécessite des actions urgentes de la Commission européenne.

CRISE UKRAINIENNE : INVESTIR DANS LA BIOÉCONOMIE, UNE SOLUTION DURABLE

Les changements structurels appellent des réponses structurelles. Les liens plus étroits entre l’Ukraine et l’UE sont là pour durer. Il est très probable que de nouvelles capacités de transformation seront nécessaires pour valoriser les produits agricoles qui seront attirés par le marché de l’UE, en fonction de l’évolution des marchés mondiaux et des coûts de transport. Cette nouvelle réalité appelle à donner une nouvelle orientation au Green Deal. Un nouvel élan donné à la bioéconomie dans l’UE permettrait non seulement de renforcer les productions stratégiques (alimentation humaine et animale, biocarburants, biomatériaux, etc.) et de stabiliser les marchés agricoles, mais aussi d’apporter un soutien à long terme à l’économie et à la démocratie ukrainiennes.

Les importations de céréales en provenance d’Ukraine vers les pays voisins de l’UE ont perturbé les marchés locaux, poussant les agriculteurs à demander la fin des importations en franchise de droits, et certains pays à suivre leur exemple et à les bloquer. La crise a provoqué une onde de choc à Bruxelles, car le soutien bien justifié à l’économie ukrainienne, victime de l’agression russe, a suscité un vaste mouvement d’opposition à l’un de ses éléments clés : la suppression temporaire de tous les droits de douane.

La Commission a tenté de compenser les agriculteurs touchés par un premier paquet de soutien supplémentaire via la réserve de crise de la PAC, mais un deuxième paquet plus important a rapidement été jugé nécessaire. Malgré les ressources mises en œuvre pour calmer les protestations, les appels à l’application de clauses de sauvegarde sont toujours d’actualité.

La compétitivité du blé, du maïs, du tournesol et de l’orge ukrainiens (pour ne citer que quelques secteurs) est bien connue. Il y a plus de 20 ans déjà, après la chute du mur de Berlin et la fin de l’URSS, les importations de blé ukrainien entraient dans l’Union européenne, même après avoir payé l’intégralité des taxes à l’importation. Cette situation a conduit l’Union européenne à renégocier sa protection extérieure pour le blé dans le cadre de l’OMC, en augmentant les droits appliqués.

Les exportations ukrainiennes ont souffert de l’agression russe, chutant dans le cas du maïs des sommets de 27 millions de tonnes en 2021/22 à une prévision de 20 millions de tonnes pour la campagne actuelle, dans le cas du blé d’environ 19 à 15 millions de tonnes et dans le cas de l’orge d’environ 6 à 3 millions de tonnes pour les mêmes années de campagne. Toutefois, malgré la baisse des exportations, l’ouverture d’autres voies commerciales vers la traditionnelle mer Noire a permis d’écouler de grandes quantités de céréales ukrainiennes dans les pays voisins de l’UE.

Les causes profondes du problème ne disparaîtront pas. Les marchés de l’UE sont plus attrayants pour les exportations ukrainiennes que les marchés lointains des pays en développement. Même lorsque la guerre sera terminée et que l’Ukraine commencera, espérons-le, à se remettre de ses blessures, il est probable que l’Union européenne prolongera ses formes de soutien financier, économique et commercial pendant une longue période, notamment en vue d’une éventuelle adhésion de l’Ukraine à l’UE.

Par conséquent, l’UE devrait trouver des solutions durables aux importations de céréales ukrainiennes, au lieu d’empiler les mesures de compensation les unes après les autres. Le renforcement de la bioéconomie pourrait apporter une solution durable à la disponibilité supplémentaire de céréales, bénéfique pour la sécurité alimentaire mondiale. 

En encourageant les investissements dans la bioéconomie, il est possible de valoriser la production de maïs, de blé, d’orge et de tournesol, pour n’en citer que quelques-uns, pour en faire des protéines, de l’énergie et toutes sortes de biomatériaux de grande valeur et absolument stratégiques. Ces produits sont indispensables pour relever les défis de la sécurité alimentaire et des transitions environnementales, tout en stabilisant les marchés agricoles. La sécurité alimentaire mondiale en bénéficierait, car les importations en provenance d’Ukraine réduiraient l’empreinte globale de l’UE sur d’autres marchés, notamment celui du soja en provenance d’Amérique du Sud. 

Au cours des cinq premiers mois de 2023, l’Union européenne a importé d’Ukraine à peu près la même quantité de céréales que pendant toute la campagne d’avant-guerre. Et ce, malgré l’impact de la guerre sur l’agriculture ukrainienne. Une grande partie de ces céréales éprouve des difficultés à être réexportée vers les marchés mondiaux, comme c’est déjà le cas pour la production des pays d’Europe centrale. Les défis logistiques dans cette partie de l’Europe ne sont pas nouveaux.

L’Union européenne doit mettre en place de nouvelles capacités de transformation pour valoriser une production supplémentaire provenant de l’Ukraine sur une base structurelle, qui autrement pèserait chaque année sur le marché de l’UE, surtout si l’on tient compte de la poursuite de l’intégration de l’économie ukrainienne dans le marché intérieur.

Les mesures à court terme prises par l’UE ne suffiront pas à relever un défi structurel. En effet, l’absence d’outils efficaces de mécanismes de marché actuellement inclus dans la Politique agricole commune pour faire face aux perturbations du marché est évidente. Cela devrait inciter l’Union européenne à repenser sa politique agricole afin de donner plus de mordant à ses leviers économiques. Toutefois, dans la situation actuelle, aucune mesure de marché ne permettra de compenser un changement profond de la réalité du marché. Les changements structurels appellent des réponses structurelles. 

Dans un contexte où les denrées alimentaires, les aliments pour animaux, l’énergie et les biomatériaux à haute valeur ajoutée sont de plus en plus stratégiques, l’UE ne devrait pas tarder à lancer une nouvelle vague d’investissements dans ces secteurs. Cet effort devrait donner une nouvelle orientation à l’approche du Green Deal, en promouvant une croissance durable pour l’agriculture et les secteurs connexes. 

Dans le cadre de l’actuelle directive sur les énergies renouvelables (RED), l’Union européenne dispose d’une marge de manœuvre pour encourager la bioéconomie, qui produit à la fois des denrées alimentaires, des aliments pour animaux, des biocarburants et des produits biochimiques. Aujourd’hui, le pourcentage de biocarburants d’origine végétale dans le bouquet énergétique des transports dans l’UE est inférieur à 5%, alors que la RED accepte une limite plus élevée de 7% pouvant être pris en compte dans les mandats de l’UE en matière d’énergie renouvelable. Des objectifs climatiques ambitieux exigent une contribution plus importante de l’agriculture à l’effort de décarbonisation de l’économie. 

Les récentes conclusions du Conseil « sur les opportunités de la bioéconomie à la lumière des défis actuels, avec un accent particulier sur les zones rurales », à l’initiative de la présidence suédoise, « soulignent le rôle d’une bioéconomie durable et circulaire dans la gestion des questions liées au climat, à la biodiversité, à l’énergie et à la sécurité alimentaire, ainsi que son potentiel de diversification des revenus, de création d’emplois dans les zones rurales et côtières, et de soutien à la transition verte et à la résilience accrue de l’UE ».

Cette volonté politique doit déboucher sur des investissements réels. La Commission devrait faciliter le processus grâce à des politiques qui encouragent les investissements dans la bioéconomie, sans exclure aucun secteur susceptible d’y contribuer. Il convient de veiller tout particulièrement à ne pas entraver les investissements par des réglementations fiscales mal conçues. Les États membres devraient établir des mandats et des politiques nationales qui favorisent ces investissements.

Réagissons à la crise actuelle pour apporter des solutions durables, tournées vers l’avenir, en mobilisant les capacités d’investissement de l’UE pour déclencher une poussée de la bioéconomie européenne. Cela permettrait également de soutenir à long terme l’économie et la démocratie ukrainiennes.