Dans son exercice de préparation des perspectives financières pour la période 2028-2034, la Commission européenne se livre à son exercice favori, d’un côté de créer des marges sans marge financière nouvelle, et de l’autre de tenter de forcer la main des Etats membres sur le financement du budget européen tout en gardant un rôle de donneur d’ordres.
Traditionnellement, la Commission sondait avant tout les capitales sur les coupes acceptables des budgets des principales politiques européennes et l’acceptabilité d’un budget européen total un peu en croissance. Dans cet exercice de premier round, la PAC était proposée comme à toiser (proposition jusque – 30% en 2018…).
Dans le contexte actuel de frugalité budgétaire, la Commission tente un autre chemin, en s’inspirant finalement de la proposition de réforme (administrative) de la PAC qu’elle avait faite en 2018.
Elle propose de regrouper les 530 programmes européens (représentant un total de budgets de plus de 12 trillions d’euros) en un seul grand fond européen, nommé Pilier I. A côté de ce pilier, deux autres existeraient : un visant le fonctionnement des services (permettant ainsi de découpler un peu plus les négociations sur le budget de fonctionnement de la commission des discussions sur le financement des politiques européennes) et un troisième relatif à l’élargissement et des grands investissements d’interêt collectif européen dont la défense (Pilier pour lequel l’argent reste à trouver).
Au sein du Pilier I, toutes les grandes politiques européennes seraient donc regroupées. Les Etats membres seraient priés de définir des plans stratégiques nationaux, établissant leurs priorités et leurs souhaits quant à la mobilisation de l’argent qui leur est alloué au titre des différentes politiques.
La création d’un tel fonds induit, sans doute aucun, un certain degré de fongibilité des budgets antérieurement affectés à telle ou telle politique. On peut supposer que tant la PAC que la politique de cohésion – dont les budgets attisent toujours les convoitises à défaut d’autres politiques réellement communes- ne verraient plus leurs financements sanctuarisés sur la période de programmation. Les financements seraient calés en début de période en fonction des priorités nationales et sans doute ajustables en cours de route, notamment si les décaissements se profilaient moindres que prévus.
Dans ce schéma, les transferts aux Etats membres des financements reliés aux différentes politiques seraient conditionnées au respect de l’état de droit et à la mise en place de mesures prioritaires, définies au niveau européen. Ensuite, les Etats membres pourraient activer des mesures prévues par les différentes politiques qui agiraient comme des boites à outils que les Etats membres pourraient activer ou non.
Dans le cas de la PAC, la commission illustre son propos avec deux exemples qui interrogent un peu sur la connaissance fine des problématiques agricoles par les argentiers de la commission européenne. Elle imagine comme mesure conditionnant l’accès des Etats membres à l’argent de la PAC le fait de promouvoir l’agriculture biologique. Exemple original s’il en est quand il est clair que l’objectif avancé par la Farm to Fork de 25 % de terres en agriculture biologique ne correspond ni aux attentes des marchés, ni aux impératifs de souveraineté alimentaire, ni à ceux de la durabilité en Europe. Quant au chapitre « investissements » de la PAC, la commission prend l’exemple des paiements directs. Si ces paiements sont certes vitaux actuellement pour les revenus des agriculteurs, cet exemple est-il le plus pertinent quand on vise les investissements pour gagner résolument le défi de la double performance : retrouver les chemins de la rentabilité pour l’agriculture européenne tout en poursuivant la voie de la durabilité renforcée ? Sans parler de l’arrivée de l’Ukraine.
Cette suggestion de refonte du budget européen et de son fonctionnement pose un certain nombre de questions que le Parlement européen avait posées lors de la proposition PAC de 2018 de la commission avant de la re-formater pour lui redonner un sens commun minimal.
Ce schema renverrait aux Etats membres le soin de mettre en oeuvre l’essentiel des politiques européennes selon leurs priorités nationales du moment, hormis les quelques mesures « portes d’entrée » aux financements, condition que le Conseil européen (qui doit statuer à l’unanimité sur les questions financières) édulcorerait sérieusement sans doute.
Nous sommes bien, comme dans la proposition PAC de 2018, dans un schéma de renationalisation large de toutes les politiques européennes du dit pilier I. l’Europe ne resterait finalement commune en vérité que pour le pilier III (élargissement, grands plans européens d’investissements).
Dés lors, qu’en est-il du marché commun ?
Quelle serait l’efficacité économique d’un tel dispositif dénationalisé, avec la tentation de certains de concentrer les financements sur quelques secteurs afin de les subventionner plus pour qu’ils puissent avoir un avantage sur leurs concurrents européens ? L’argent ainsi utilisé ne ferait pas de croissance européenne, mais plus de fractures et au final de la gabegie des impôts payés par les européens.
Cette idée de grand pot commun est sans doute à mettre aussi en relation avec le leitmotiv de la présidente de la commission ces dernières semaines (au moins vis à vis de la PAC) d’avoir un budget plus ciblé et des mesures plus ciblées. Si l’objectif est d’avoir des mesures plus efficaces, tout le monde peut en convenir. S’il s’agit d’une réthorique pour faire accepter un budget à la baisse en expliquant que, malgré tout, tout ira bien moyennant plus de ciblage, les doutes sont permis. Or, à ce stade, le doute existe sur les intentions de l’exécutif européen vis à vis de l’agriculture et son financement.
Un seul chiffre : si le budget PAC pour la période 2028-2034 était maintenu en euros courants, cela signifierait que l’Europe fait le choix d’une PAC dont la valeur économique en 2034 (si l’inflation redevient faible) ne sera plus que de 46% de celle de 2020. Avec en face de nous les défis de la souveraineté, de la perte de compétitivité depuis 2 décennies, de l’élargissement à l’Ukraine…