L’UE DOIT DÉFENDRE SES INTÉRÊTS OFFENSIFS EN AGRICULTURE

​​Il est désormais fort probable que la décision des États-Unis de rétablir les droits d’importation sur l’acier et l’aluminium en provenance de l’UE, ainsi que la réponse inévitable de l’UE par des mesures de représailles, conduisent à une guerre commerciale dont la fin n’est pas en vue.

L’UE prévoit de rétablir ses mesures de représailles, suspendues depuis plusieurs années après une trêve négociée. Celles-ci incluent certaines exportations agricoles américaines, comme le maïs et le soja, mais aussi d’autres produits clés – comme le bourbon – qui pourraient déclencher de lourdes contre-mesures de la part des États-Unis.

Le Président américain a d’ailleurs publiquement déclaré que les États-Unis riposteraient avec encore plus de vigueur, menaçant d’imposer des droits de douane de 200 % sur les vins européens.

Le décor est donc planté pour une guerre commerciale entre les États-Unis et l’UE, et malheureusement l’agriculture en fait partie, bien qu’elle n’ait pas été le point de départ du conflit.

Nous examinerons ce que cela signifie pour le secteur agricole de l’UE, qui a les meilleures cartes en main, et à quoi pourraient ressembler les résultats. Tout dépendra largement de la capacité de l’UE à rester unie et à mobiliser sa puissance pour protéger ses intérêts offensifs, en particulier dans le secteur agroalimentaire, déjà confronté à un manque de compétitivité et à des tensions avec la Chine.

LE RISQUE DE PERTE DE PARTS DE MARCHÉ POUR L’AGRICULTURE ET L’AGROALIMENTAIRE EUROPÉENS

L’UE bénéficie depuis longtemps d’un excédent commercial agricole important avec les États-Unis. En 2023, elle a exporté pour 27 180 millions d’euros et importé pour 11 744 millions d’euros, soit un excédent de 15 436 millions d’euros.

Les États-Unis sont notre deuxième marché d’exportation après le Royaume-Uni, représentant 12 % de nos exportations.

Une analyse plus approfondie de la composition du commerce UE-États-Unis montre que l’UE exporte principalement des produits transformés, tandis qu’elle importe surtout des matières premières.

D’après les dernières données de 2024, parmi nos principales exportations figurent :

  • Vins (4 894 millions d’euros)
  • Spiritueux (2 890 millions d’euros)
  • Huile d’olive (2 056 millions d’euros)
  • Fromages (1 306 millions d’euros)

D’autres produits tels que la bière, le chocolat, les pâtes, les jambons, le beurre et diverses préparations alimentaires dépassent également la centaine de millions d’euros d’exportations annuelles.

Du côté des États-Unis, les principales exportations vers l’UE sont :

  • Soja (2 588 millions d’euros)
  • Fruits et noix (2 200 millions d’euros)
  • Spiritueux (1 076 millions d’euros)

Cette disparité entre la nature de nos exportations et importations soulève une question cruciale.

Les États-Unis peuvent facilement trouver d’autres débouchés pour leurs exportations de soja en cas de blocage en Europe. Le soja étant une matière première, si nous cessons d’importer des États-Unis au profit de l’Amérique du Sud, d’autres marchés absorberont aisément le soja américain en remplacement.

En revanche, les exportations de vin de l’UE ne peuvent pas être aussi facilement redirigées vers d’autres marchés. Les spécificités commerciales et marketing du vin rendent impossible la compensation des milliards perdus aux États-Unis par une simple augmentation des ventes ailleurs. L’UE pourrait augmenter sa part de marché sur d’autres marchés, mais au prix d’une baisse des prix et des marges.

Le même raisonnement s’applique aux exportations européennes de fromages, de jambons et d’huile d’olive.

Si l’UE perd le marché américain pour ses fromages et jambons de qualité supérieure, il lui sera presque impossible de trouver des marchés de substitution ou d’augmenter sa présence sur les marchés existants.

Le cas est encore plus flagrant pour l’huile d’olive : l’UE est de loin le premier producteur mondial avec peu de concurrents, ce qui signifie qu’il n’existe que peu d’opportunités pour évincer d’autres acteurs. De plus, il est quasiment impossible de remplacer les autres huiles alimentaires sur le marché, car les prix et les habitudes alimentaires sont des obstacles majeurs.

On pourrait faire des arguments similaires pour d’autres produits transformés à forte valeur ajoutée.

Principaux enseignements de cette analyse :

  • L’UE, qui jouit d’un important excédent commercial agroalimentaire avec les États-Unis, a potentiellement plus à perdre dans ce secteur en cas d’escalade.
  • Les exportations agroalimentaires européennes sont plus difficiles à rediriger vers d’autres marchés, ce qui amplifierait les pertes commerciales.
  • Pour défendre ses intérêts offensifs, l’UE doit orienter ses représailles vers d’autres secteurs et exploiter les marchés de consommation où les grandes entreprises américaines (GAFAM) ne peuvent pas se permettre de perdre du terrain.

LES GUERRES COMMERCIALES FONT DES DÉGÂTS DES DEUX CÔTÉS

Une guerre commerciale entre les États-Unis et l’UE nuira aux deux parties. L’économie souffrira, les emplois aussi. Nous nous concentrerons cependant sur les conséquences pour l’UE.

L’ampleur des dégâts dépendra de l’ampleur du conflit, du nombre de produits concernés et des niveaux tarifaires appliqués.

Si les États-Unis ignorent totalement leurs obligations à l’OMC et imposent des droits de douane généralisés sur les importations européennes, l’impact sera considérable, et les États-Unis ne sortiront pas indemnes des représailles justifiées de l’UE. Les pertes économiques seront lourdes des deux côtés.

Toutefois, ce scénario n’est pas le plus probable. Il ne fait cependant aucun doute que les États-Unis appliqueront dans une certaine mesure leur nouvelle politique de réciprocité, imposant des droits de douane qu’ils jugent équivalents à ceux qu’ils subissent en Europe.

Il est clair que cela mettra en péril l’acquis du GATT et de l’OMC.

Le Président américain a déjà indiqué que toute riposte de l’UE entraînerait une surenchère, avec des contre-représailles pouvant aller jusqu’à des droits de douane de 200 % sur les vins. Jusqu’où cela ira-t-il ? Comment éviter une guerre commerciale qui dégénère sans fin ?

L’UE se considère comme un défenseur des règles de l’OMC et veut les faire respecter, alors que les États-Unis s’en détournent pour favoriser leurs intérêts nationaux avec une approche mercantiliste.

CONCLUSION

Les tensions initiées par les États-Unis sont particulièrement nuisibles au secteur agricole européen.

L’UE a plus à perdre qu’eux dans cette guerre commerciale, avec un excédent commercial agroalimentaire significatif et des produits difficilement redirigeables vers d’autres marchés.

Bien que les représailles de l’UE soient compréhensibles et justifiées, il est essentiel d’éviter une escalade dans l’agriculture et l’alimentation, qui inciterait les États-Unis à en faire de même.

Un accord négocié est dans l’intérêt du secteur. Si un tel accord est impossible, l’UE doit minimiser l’impact sur l’agriculture via des mesures de compensation économique et en ciblant d’autres secteurs.

L’UE défend un commerce mondial basé sur des règles, tandis que les États-Unis poursuivent une politique nationaliste de rééquilibrage du commerce.

À un moment où la coopération transatlantique est cruciale pour relever des défis mondiaux comme le changement climatique et la sécurité alimentaire, les négociateurs doivent trouver des solutions innovantes pour parvenir à un accord et éviter une guerre commerciale destructrice.

L’absence de clarté sur le budget trouble la vision sur l’agriculture et l’alimentation

La vision pour l’agriculture et l’alimentation présentée, aujourd’hui, par le Commissaire européen à l’agriculture et à l’alimentation, Christophe Hansen, entend montrer que le désarroi des agriculteurs, qui a culminé dans une vive protestation il y a un an, a été bien entendu à Bruxelles. Toutefois, la traduction concrète dans les faits de ce message politique renouvelé reste un point d’interrogation. Et ce d’autant plus au regard des idées initiales inquiétantes lancées par la Commission européenne en matière de Cadre Financier Pluriannuel et de budget de la PAC. 

La vision met l’accent sur les agriculteurs en tant qu’entrepreneurs, sur la nécessité de privilégier les incitations plutôt que les contraintes et sur l’enjeu stratégique pour l’Europe de construire une véritable souveraineté agricole à travers un objectif de production réhabilité, en lien direct avec les impératifs de durabilité, de lutte contre le changement climatique et d’innovation. Autant d’orientations bienvenues, proposées depuis plusieurs années par Farm Europe. 

L’accent mis sur la dimension extérieure, avec la volonté affichée de la Commission européenne d’assurer la « réciprocité » et un « alignement normatif » entre les produits importés et ceux produits au sein même de l’UE constitue également une avancée. La vigilance sera de mise quant aux mesures concrètes à venir, qui ne devraient pas saper les standards de production communautaires actuels, étant donné les efforts considérables réalisés par les agriculteurs européens pour s’y conformer. 

Que la Commission reconnaisse le rôle essentiel de l’élevage et l’annonce d’une future stratégie pour ce secteur est un pas dans la bonne direction, même si ce travail devrait se faire dans le cadre d’un groupe de haut niveau, pour éviter les approches top-down. 

De même, l’approche est renouvelée en matière de produits phytosanitaires avec le principe selon lequel les interdictions d’utilisation devraient être considérées seulement en présence d’alternatives. L’inflexion est tangible, et doit aller de pair avec une accélération en matière de NGTs et de produits de biocontrôle. 

Enfin, le document met l’accent sur l’alimentation, reconnaissant l’importance de la transparence envers les consommateurs, à travers l’étiquetage du pays d’origine des aliments, et le renforcement du lien entre l’alimentation, territoire, saisonnalité et traditions locales. L’alerte en ce qui concerne les aliments ultra-transformés est bienvenue, dès lors qu’elle fait écho aux nombreuses études scientifiques sur leurs impacts délétères sur la santé.

Des points d’inquiétudes importants

Toutefois, ce document d’orientation soulève également des points d’inquiétudes forts. Pour développer un cap clair, l’UE doit être en mesure d’afficher noir sur blanc la nécessité d’accroître de façon durable la production pour répondre aux défis de la souveraineté agricole. Il s’agit là d’un double enjeu : se repositionner au niveau géopolitique en matière de sécurité alimentaire interne et externe et se donner l’autonomie stratégique suffisante pour déployer de façon autonome sa bioéconomie et atteindre ses objectifs de décarbonation.

De plus, dans un contexte d’inquiétude fort de la part des agriculteurs un signal quant au budget de la PAC fait défaut. Renforcer l’autonomie stratégique agricole de l’UE appelle à mettre un terme à des décennies de réduction de la voilure de la PAC. Un engagement à compenser l’impact de l’inflation qui, sur la période 2021-2027 a amené à une perte de plus de 85 milliards d’euros est nécessaire. 

À ce titre, les doutes quant aux intentions liées au ciblage « sur ceux qui en ont le plus besoin » sont réels : la formule a été régulièrement utilisée comme un euphémisme pour faire primer les contraintes budgétaires sur toute vision concrète pour l’avenir des fermes européennes. 

Les aides de la PAC représentent plus de 50 % du revenu des agriculteurs, voire plus de 70 % pour certains États membres. À titre d’exemple, une dégressivité de 10 % à partir de 16 hectares ne permettrait de dégager que 3,2 milliards d’euros de paiement redistributif. Mais un tel outil aurait un effet délétère sur un très grand nombre de structures clés pour la production européenne, notamment dans les zones déjà fragilisées, où les exploitations ont été contraintes de s’agrandir ou de se regrouper pour mieux maîtriser les coûts, compenser la faiblesse des rendements et des prix agricoles.

UE / Ukraine : analyse des principales productions végétales agricoles

Dans le cadre du processus entamé d’élargissement de l’Union Européenne à l’Ukraine, Farm Europe a analysé à la fois le poids et la compétitivité comparée des principales filières végétales de l’Ukraine par rapport à celles de l’Union Européenne.

Le différentiel de compétitivité s’affiche entre 19 et 39% selon les filières, l’essentiel tenant à des facteurs structurels. A celle-ce doit s’ajouter la compétitivité « carbone » conférée par la richesse naturelle des sols exploités.

Alors que les étapes et conditions d’adhésion vont être à dessiner et que les programmes de pré-adhésion seront définis et lancés, il nous parait important que des données objectives puissent être la base (ou contribuer) à définir la feuille de route de l’Union Européenne, sans oeillères ni faux-fuyants.

Ukraine & Union européenne : chiffres clés des principales productions végétales agricoles 

En 2022, la surface agricole utile ukrainienne s’étendait sur 41,3 millions d’hectares, dont 32,7 millions d’hectares de terres arables (Service national des statistiques d’Ukraine (SSSU)). Cette surface agricole fait de l’Ukraine le plus grand pays agricole du continent européen. 45 % de la surface du pays est composée de sols riches en humus, particulièrement fertiles, appelés tchernozioms “riches”.

Marqué par son passé communiste, le secteur agricole ukrainien est caractérisé par 110 énormes entreprises agricoles intégrées verticalement, appelées agro-holdings, qui contrôlent tout ou partie de la chaîne de production (culture-élevage, transformation, commerce). Celles-ci ont un objectif de rentabilité des capitaux investis, et investissent pour cela dans des équipements de pointe, de grandes dimensions, ainsi que dans l’utilisation des intrants. Vingt d’entre elles détiendraient 14 % de la Surface Agricole Utile (SAU) ukrainienne. 57 % de la SAU est exploitée par des entreprises agricoles de plus de 1 000 ha. L’agriculture joue un rôle économique majeur pour le pays, représentant 10,9 % du PIB en 2021 et près de 14,7 % de l’emploi. 

Sucre

Le secteur sucrier ukrainien est caractérisé par un schéma d’organisation et de compétitivité très différent de celui européen : les agro-holdings, énormes exploitations intégrées verticalement, exploitent 93 % de la surface betteravière. La surface moyenne cultivée est de 23 700 ha, soit 1 763 fois plus qu’ en Union européenne.

L’Ukraine dispose d’un coût de la main d’œuvre et de coûts d’investissements bien moindres. De plus, la présence de sols fertiles permet une utilisation plus faible d’intrants pour les cultures : jusqu’à 1,5 fois moins de fertilisants qu’en Union européenne.

L‘ouverture du marché européen à l‘Ukraine s‘est traduite par un afflux de sucres qui a entraîné une augmentation des stocks européens. Les exportations de sucre de l’Ukraine vers l’Europe ont augmenté de 230% entre 2022 et 2023, avec une capacité annoncée d’exportation sur l’UE de 800 000 T à 1 MT. La mise en place de mesures de sauvegarde limite désormais les exportations, pour le temps de leur application.

Analyse détaillée pour la filière sucre

Céréales

La production céréalière n‘est pas autant dominée par les grosses structures agricoles que la filière sucrière: 51 % de la production est réalisée par des structures de moins de 1 000 ha. A noter toutefois que 22% de la production est réalisée par des entreprises de plus de 3 000 ha. 

Si l’Ukraine venait à entrer dans l’Union européenne, le pays représenterait 20 % de la production céréalière européenne, soit 49 % de la production de maïs et 15 % de la production de blé.
Les coûts de production céréaliers ukrainiens sont en moyenne 30 % moins chers que ceux européens. 

Pour ces raisons, les importations de céréales depuis l’Ukraine ont doublé entre 2019/21 et 2023. L’Union européenne est devenue un pilier du soutien à l’économie ukrainienne, représentant 51 % des exportations de blé en 2023, contre 30% en 2021.

Analyse détaillée pour la filière céréales

Tournesol

Si 58 % de la production est réalisée par des structures de moins de 1000 ha, les entreprises de plus de 3000 ha représentent toutefois 17 % de la production. En 2023, la production ukrainienne seule était supérieure à l’ensemble de la production de l’UE. Ainsi, si l’Ukraine venait à entrer dans l’Union européenne, le pays deviendrait le premier producteur européen de graines, mais également d’huile de tournesol.

L’Ukraine est le premier fournisseur en huile de tournesol de l’UE depuis déjà une dizaine d’années. L’ouverture du marché européen à l’Ukraine n’a pas eu d’impact significatif sur les flux d’huile de tournesol en provenance d’Ukraine.

Analyse détaillée pour la filière tournesol

Colza

Les structures de moins de 1000 ha réalisent 73 % de la production de graines de colza, mais la production d’huile est dominée par 5 entreprises responsables de 92 % en 2021.
En 2020, le coût de production de colza ukrainien était en moyenne 1,5 fois moins cher que le coût de production français.

Par rapport à la moyenne 2018-2021, les productions ukrainiennes de graines et d’huile de colza ont augmenté de 57% et 174%. Parallèlement, les exportations ont augmenté de 37% et de 170% respectivement. Si l’Ukraine venait à entrer dans l’Union européenne, elle deviendrait le premier producteur de colza au sein de l’UE et représenterait 24 % de la production de graines et 4% de la production d’huile et de tourteaux.

L’UE était déjà le premier importateur des produits issus de colza d’Ukraine avant la guerre.Toutefois, les importations de graines ont augmenté et l’UE reçoit désormais 93% des exportations ukrainiennes de graines, contre 83% en 2020/21.

Analyse détaillée pour la filière colza

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Déforestation : Farm Europe se félicite de la simplification pour les agriculteurs de l’UE, tout en maintenant le niveau d’ambition.

Le Parlement européen a fait un pas en avant dans son vote sur la déforestation importée (EUDR-2023/1115). Cette position supprimera les formalités administratives inutiles pour les agriculteurs de l’UE, tout en maintenant le niveau d’ambition dans la lutte contre la déforestation.

Le champ d’application du règlement couvrant les opérateurs et les négociants reste inchangé. Le délai est limité à un an, nécessaire pour finaliser les actes d’exécution de ce règlement qui est la pierre angulaire de la réciprocité commerciale, de la durabilité et des chaînes de valeur équitables pour les produits agricoles et alimentaires.

Les députés ont approuvé les amendements introduisant une nouvelle catégorie « sans risque » pour les pays, qui vient s’ajouter aux catégories existantes de risque de déforestation « faible », « standard » et « élevé ». Les pays désignés comme « sans risque » – définis comme ceux dont les zones forestières sont stables ou en croissance – seraient soumis à des exigences de conformité considérablement réduites.

La version actuelle du texte a été approuvée par le Parlement par 371 voix pour, 240 voix contre et 30 abstentions. Il est maintenant essentiel que le Conseil de l’Union européenne rejoigne l’approche du Parlement dès que possible et que la Commission achève la mise en œuvre du règlement, y compris la plateforme fournissant un « système d’alerte précoce » pour aider les autorités compétentes, les opérateurs, les négociants et les autres parties prenantes concernées, comme le prévoit le considérant 31.

La Commission devrait également achever un cadre d’évaluation comparative par pays d’ici le 30 juin 2025.

UNE PRESIDENCE DE TRUMP PEUT AVOIR UN IMPACT IMPORTANT SUR L’AGRICULTURE ET SUR LE PACTE VERT

La deuxième présidence Trump qui s’annonce peut avoir des conséquences dramatiques sur l’agriculture de l’UE, tant sur le plan commercial que sur le plan politique.

Ce qui nous vient immédiatement à l’esprit, c’est le risque accru de frictions commerciales, voire de guerres commerciales, qui pourraient, d’une manière ou d’une autre, avoir des répercussions sur l’agriculture de l’UE.

La présente note examine les différents scénarios en ce qui concerne les problèmes commerciaux, mais va plus loin et met en évidence un autre impact majeur probable – sur le Green Deal de l’UE.

En examinant ce qui pourrait se produire, nous n’entrerons pas dans le débat sur les avantages ou les inconvénients de droits de douane plus élevés, qui, bien que d’une importance réelle, mériterait une analyse économique spécifique et approfondie, bien au-delà de l’objectif plus ciblé de cette note.

COMMERCE

Sur le front du commerce, Donald Trump n’a cessé de parler d’une augmentation des droits de douane sur les importations américaines. Il a également désigné la Chine comme l’une des principales cibles des hausses tarifaires américaines.

Il ne s’agit pas d’une nouveauté, puisque lors de sa première présidence, il s’en est pris à la Chine et a augmenté les droits de douane sur les importations d’acier et d’aluminium, ce qui, on s’en souvient, a eu un impact sur l’UE et a conduit à des négociations difficiles après une série de mesures de rétorsion commerciale.

Qu’est-ce qu’une deuxième présidence Trump pourrait apporter de nouveau ?

Plusieurs scénarios sont possibles :

  1. Les États-Unis pourraient augmenter leurs droits de douane de manière générale, ce qui porterait leurs droits de douane moyens pondérés d’un peu plus de 2 % à 10 ou 20 %. En ce qui concerne la Chine, les États-Unis augmenteraient probablement leurs droits de douane encore plus, le chiffre de 60 % ayant été avancé.

La difficulté de ce scénario est qu’il aurait un impact sur tous les pays du monde, y compris les États-Unis, qu’il déclencherait très probablement des mesures de rétorsion de la part des pays concernés et qu’il ne laisserait que très peu de marge de négociation.

Les États-Unis bénéficieraient d’une protection accrue pour certains de leurs secteurs sensibles, mais perdraient des marchés d’exportation et verraient augmenter le coût des importations (et des intrants), même dans les secteurs où la nouvelle administration ne cherche pas à délocaliser sa base industrielle.

L’UE riposterait très certainement en augmentant les droits de douane et en réduisant ainsi les importations américaines.

Nos exportations agricoles vers les États-Unis seraient réduites. Bien que nous puissions remplacer les États-Unis sur certains marchés de pays tiers qui auraient également augmenté les droits de douane sur les importations américaines, le bilan final serait négatif pour nos intérêts, car nous bénéficions actuellement d’un important excédent commercial avec les États-Unis.

M. Trump pourrait également éprouver des difficultés à faire adopter cette hausse générale des droits de douane par le Congrès. Alors que pour des droits de douane spécifiques, il pourrait avoir le pouvoir d’agir, il est peu probable que ce pouvoir puisse être étendu à une mesure aussi globale.

Je considère donc cette option comme peu probable.

  1. Les États-Unis pourraient augmenter leurs droits de douane principalement à l’encontre de la Chine et de quelques autres produits et pays, en ciblant les domaines où des droits de douane plus élevés seraient plus efficaces pour ramener l’industrie aux États-Unis et protéger les secteurs sensibles. Les États-Unis pourraient également exiger la réciprocité sur certains produits spécifiques, c’est-à-dire que les pays tiers appliquent les mêmes droits de douane que les États-Unis.

L’UE pourrait être touchée sur les voitures, l’acier et d’autres produits industriels, mais aussi directement sur l’agriculture, car Trump s’est montré virulent à l’égard de l’UE pour avoir restreint les exportations de produits alimentaires américains. Cela déclencherait inévitablement des représailles contre les importations américaines.

À partir de là, trois solutions sont possibles : les deux parties s’en tiennent à des droits de douane plus élevés et ciblés mutuellement ; les représailles déclenchent des contre-rétorsions et une guerre commerciale ; un règlement négocié est trouvé sous une forme ou une autre.

Les perspectives pour les exportations agricoles de l’UE vers les États-Unis dépendront des produits qui seront visés par les droits de douane plus élevés des États-Unis. Il est très difficile de le prévoir, mais la perspective est réelle.

Ce scénario pourrait être plus attrayant pour la nouvelle administration. Il lui permettrait d’exercer des pressions et de se contenter d’un accord mieux négocié.

Dans les deux scénarios, l’impact de droits de douane beaucoup plus élevés sur les exportations chinoises vers les États-Unis se ferait également sentir dans l’UE. La Chine se retrouverait avec davantage de marchandises à exporter à des prix encore plus bas vers l’UE (et le reste du monde). L’UE se sentirait probablement obligée de se protéger, et pourrait même le faire dans le cadre d’un accord avec les États-Unis. La Chine, quant à elle, ne resterait pas les bras croisés pendant que ses exportations sont prises pour cible. Ainsi, les exportations agricoles de l’UE pourraient facilement figurer sur la liste des mesures de rétorsion de la Chine.

Par ailleurs, dans les deux scénarios, l’OMC serait encore plus mise à l’écart, au point de tomber dans l’oubli. Le recours au mécanisme de règlement des différends de l’OMC ne serait pas une option viable pour dissuader la nouvelle administration américaine.

LE PACTE VERT

Les problèmes commerciaux évoqués ci-dessus résulteraient de l’initiative des États-Unis de rompre les engagements pris dans le cadre de l’OMC et d’imposer unilatéralement des droits de douane à d’autres pays sans aucun argument juridique valable accepté au niveau international. L’exception de l’OMC qui permet aux membres de maintenir des mesures autrement incompatibles avec l’OMC – telles que des tarifs discriminatoires ou des quotas ou interdictions d’importation – pour des raisons de sécurité nationale, ne peut pas justifier toutes les mesures, et encore moins une augmentation généralisée des tarifs.

Venons-en maintenant au Green Deal de l’UE.

Le SCEQE (système d’échange de quotas d’émission) est un mécanisme qui limite et fixe le prix des émissions de carbone au sein de l’UE, créant ainsi un marché pour les quotas d’émission. Le CBAM (Carbon Border Adjustment Mechanism, mécanisme d’ajustement carbone aux frontières) permet d’égaliser les coûts du carbone pour les produits importés, en appliquant une taxe différentielle à la frontière.

Dans l’état actuel des choses, l’applicabilité du Green Deal, sans conséquences dévastatrices pour nos économies, dépend de la mise en œuvre du CBAM. Sans le CBAM, les industries soumises à des réductions d’émissions obligatoires et à un système d’échange de quotas d’émission réellement mordant seraient confrontées à un choc à double tranchant : des coûts de production plus élevés et une concurrence accrue de la part des importations. Ce serait la recette d’un désastre, qui serait très probablement politiquement (et socialement) inacceptable.

Le CBAM est déjà en cours de déploiement, mais la mise en œuvre de véritables taxes aux frontières est prévue à partir de 2026, lorsque la distribution gratuite des certificats ETS prendra fin.

Ainsi, en 2026, l’UE commencera à taxer les importations de ciment, d’électricité, d’engrais, de fer et d’acier, d’hydrogène d’aluminium et de certains précurseurs et produits en aval fabriqués à partir de ciment, de fer et d’acier et d’aluminium, lorsque leurs émissions sont supérieures à ce qui est accepté au sein de l’UE.

Contrairement à ce qui se passerait si (quand) les États-Unis augmentaient unilatéralement leurs droits de douane, ce serait maintenant l’UE qui le ferait.

La nouvelle administration américaine prendra très probablement des mesures de rétorsion. Même si certains républicains sont prêts à imposer des taxes carbone sur les importations, ce qui concernerait surtout la Chine, ils n’accepteront jamais que les exportations américaines soient taxées pour cette raison.

Notre droit d’appliquer une taxe sur les émissions de gaz à effet de serre en vertu des règles de l’OMC n’a pas été mis à l’épreuve. L’UE sait qu’elle se trouve en terrain instable et il est entendu qu’elle privilégierait la sécurisation de son terrain par le biais d’accords avec les pays concernés. Cela pourrait s’avérer difficile, voire improbable, mais malgré cela, les États-Unis ne s’assiéraient pas pour accepter un CBAM de l’UE et n’attendraient pas la décision d’un groupe spécial de l’OMC pour réagir.

Qui plus est, les États-Unis seraient probablement suivis par d’autres grandes économies, comme l’Inde et la Chine. Même le Royaume-Uni se trouverait dans une position difficile, car le fait d’accepter l’UE et de mettre en œuvre son propre CBAM le mettrait à la croisée des chemins avec les États-Unis.

Il en résulterait que soit l’UE va de l’avant avec le Green Deal et accepte qu’une grande partie de ses industries soit mise dans une situation difficile en raison de coûts de production plus élevés et d’exportations plus faibles, avec toutes les conséquences économiques, sociales et politiques, soit l’UE suspend l’application des éléments essentiels du Green Deal, à commencer par le système d’échange de quotas d’émission et le mécanisme de garantie des crédits carbone.

La première option est très improbable, car elle entraînerait une réduction de la protection sociale et de l’emploi. Si maintenant, à un stade précoce de la mise en œuvre du Green Deal, l’opposition politique et sociale s’intensifie à mesure que les coûts deviennent plus clairs, et que ces coûts augmenteront fortement si l’UE maintient le cap de la mise en œuvre du Green Deal, à quoi ressemblerait la réaction ? Les politiciens et le public ont maintenant une conscience aiguë des conséquences, et je m’attends à ce que les mesures clés du Green Deal soient suspendues et que l’UE retourne à la planche à dessin pour trouver la meilleure façon d’avancer.

Bien que seule l’industrie européenne soit directement concernée par le système d’échange de quotas d’émission et les fortes réductions d’émissions, l’agriculture serait également sur la sellette en ce qui concerne les engrais, sans parler des probables représailles commerciales.

En outre, l’interruption de la mise en œuvre des principaux éléments du Green Deal ouvrirait la voie à une réévaluation plus large de la manière dont l’UE doit lutter contre le changement climatique et des mesures à mettre en œuvre sans mettre en péril le tissu économique et social de l’UE.

C’est d’une importance capitale pour l’agriculture européenne. La question n’est pas de savoir si le changement climatique est réel et s’il a un impact. La question est de savoir quelle est la meilleure façon de relever ce défi. Il s’agit de lutter contre le changement climatique sans réduire notre bien-être et notre autonomie stratégique.

Pour conclure, une administration Trump comporte certainement un risque accru de conflits commerciaux, mais elle offre également l’occasion de repenser la manière dont nous traitons le changement climatique dans l’UE.

Elle apporte d’une part la perspective négative d’une réduction des opportunités commerciales, mais elle ouvre d’autre part la possibilité de réoutiller le Green Deal pour lutter contre le changement climatique sans réduire notre bien-être, en passant à une approche technologique et incitative.

Des solutions nécessaires pour faire face aux d’importations d’Ukraine

Hier, le Commissaire européen à l’agriculture, Janusz Wojciechowski, est intervenu devant la commission de l’agriculture du Parlement européen, sur la situation du marché des céréales en relation avec la guerre en Ukraine et la fin de « l’accord sur les céréales de la mer Noire ».

Le Commissaire a tenu à expliquer en détail l’énorme pression que l’importation de céréales ukrainiennes a fait peser sur le marché des cinq pays voisins (Pologne, Roumanie, Slovaquie, Hongrie, Bulgarie) et qui a justifié le blocage des importations de maïs, blé, colza et graines de tournesol dans ces pays jusqu’au 15 septembre.

Cette mesure protectionniste arrive donc bientôt à échéance, et le Commissaire s’est dit préoccupé par l’impact que cela pourrait avoir sur les marchés. M. Wojciechowski a rappelé qu’en 2022, les céréales ukrainiennes ont afflué dans les cinq pays pour une valeur de 5 milliards d’euros de plus qu’avant la guerre. Le Commissaire a ensuite présenté sa proposition pour sortir de l’impasse. Et il a souligné que c’est sa proposition personnelle, qui n’a pas été validée par la Commission et qui sera discutée au Collège.

Selon le Commissaire, il est aujourd’hui possible d’exporter, depuis l’Ukraine, à travers les corridors de solidarité. Mais les céréales restent toujours dans l’UE (et ne vont pas dans les pays tiers comme c’était le cas auparavant) en raison de l’augmentation des coûts logistiques pour passer par plusieurs pays et ports européens, ce qui augmente considérablement le coût des céréales ukrainiennes et les rend non compétitives pour les pays tiers. C’est pourquoi le Commissaire propose des subventions européennes au transit pour amortir ces coûts supplémentaires et une compensation de 30 euros par tonne. Le Commissaire estime qu’il faudrait donc un budget de 600 millions d’euros pour couvrir 20 millions de tonnes de céréales.

Selon notre évaluation, cette proposition de subvention au transport équivaudrait à une subvention à l’exportation, qui entrerait directement en concurrence avec la production locale des pays tiers. Par conséquent, elle ne sera probablement pas acceptée après l’évaluation juridique de la Commission européenne. Au lieu de cela, nous considérons que l’Union européenne devrait se concentrer sur la promotion d’installations logistiques alternatives et sur la transformation au sein de l’Union européenne afin de rééquilibrer les marchés et d’investir dans des solutions durables à long terme, plutôt que dans des solutions rapides à court terme qui sont juridiquement incertaines et quoi qu’il en soit non viables à moyen et long termes.

Cependant, il est clair que des solutions doivent être mises sur la table. Notre infographie avec les derniers chiffres des douanes européennes met en évidence la dynamique continue des importations de céréales, sucre et oléagineux en provenance d’Ukraine, a minima jusqu’au mois de juin pour lequel les données sont disponibles. Les importations de sucre, inexistantes avant l’automne 2022, ont augmenté à des niveaux significatifs, bouleversant l’équilibre du marché intérieur.

Au cours des 5 premiers mois de 2023, l’UE a importé 3 Mt de blé (soit la totalité des importations de 2022), a augmenté de + 60 % ses importations de maïs par rapport à la même période de 2022 (janvier-juin), de + 200 % ses importations de soja et de 1180 % ses importations de sucre, ce qui est spectaculaire.

Il est donc urgent de prendre des mesures pour aider l’Ukraine à exporter sa production tout en préservant un marché agroalimentaire européen juste et équilibré, et donc de soutenir les investissements nécessaires dans les infrastructures et la transformation.

CRISE UKRAINIENNE : INVESTIR DANS LA BIOÉCONOMIE, UNE SOLUTION DURABLE

Les changements structurels appellent des réponses structurelles. Les liens plus étroits entre l’Ukraine et l’UE sont là pour durer. Il est très probable que de nouvelles capacités de transformation seront nécessaires pour valoriser les produits agricoles qui seront attirés par le marché de l’UE, en fonction de l’évolution des marchés mondiaux et des coûts de transport. Cette nouvelle réalité appelle à donner une nouvelle orientation au Green Deal. Un nouvel élan donné à la bioéconomie dans l’UE permettrait non seulement de renforcer les productions stratégiques (alimentation humaine et animale, biocarburants, biomatériaux, etc.) et de stabiliser les marchés agricoles, mais aussi d’apporter un soutien à long terme à l’économie et à la démocratie ukrainiennes.

Les importations de céréales en provenance d’Ukraine vers les pays voisins de l’UE ont perturbé les marchés locaux, poussant les agriculteurs à demander la fin des importations en franchise de droits, et certains pays à suivre leur exemple et à les bloquer. La crise a provoqué une onde de choc à Bruxelles, car le soutien bien justifié à l’économie ukrainienne, victime de l’agression russe, a suscité un vaste mouvement d’opposition à l’un de ses éléments clés : la suppression temporaire de tous les droits de douane.

La Commission a tenté de compenser les agriculteurs touchés par un premier paquet de soutien supplémentaire via la réserve de crise de la PAC, mais un deuxième paquet plus important a rapidement été jugé nécessaire. Malgré les ressources mises en œuvre pour calmer les protestations, les appels à l’application de clauses de sauvegarde sont toujours d’actualité.

La compétitivité du blé, du maïs, du tournesol et de l’orge ukrainiens (pour ne citer que quelques secteurs) est bien connue. Il y a plus de 20 ans déjà, après la chute du mur de Berlin et la fin de l’URSS, les importations de blé ukrainien entraient dans l’Union européenne, même après avoir payé l’intégralité des taxes à l’importation. Cette situation a conduit l’Union européenne à renégocier sa protection extérieure pour le blé dans le cadre de l’OMC, en augmentant les droits appliqués.

Les exportations ukrainiennes ont souffert de l’agression russe, chutant dans le cas du maïs des sommets de 27 millions de tonnes en 2021/22 à une prévision de 20 millions de tonnes pour la campagne actuelle, dans le cas du blé d’environ 19 à 15 millions de tonnes et dans le cas de l’orge d’environ 6 à 3 millions de tonnes pour les mêmes années de campagne. Toutefois, malgré la baisse des exportations, l’ouverture d’autres voies commerciales vers la traditionnelle mer Noire a permis d’écouler de grandes quantités de céréales ukrainiennes dans les pays voisins de l’UE.

Les causes profondes du problème ne disparaîtront pas. Les marchés de l’UE sont plus attrayants pour les exportations ukrainiennes que les marchés lointains des pays en développement. Même lorsque la guerre sera terminée et que l’Ukraine commencera, espérons-le, à se remettre de ses blessures, il est probable que l’Union européenne prolongera ses formes de soutien financier, économique et commercial pendant une longue période, notamment en vue d’une éventuelle adhésion de l’Ukraine à l’UE.

Par conséquent, l’UE devrait trouver des solutions durables aux importations de céréales ukrainiennes, au lieu d’empiler les mesures de compensation les unes après les autres. Le renforcement de la bioéconomie pourrait apporter une solution durable à la disponibilité supplémentaire de céréales, bénéfique pour la sécurité alimentaire mondiale. 

En encourageant les investissements dans la bioéconomie, il est possible de valoriser la production de maïs, de blé, d’orge et de tournesol, pour n’en citer que quelques-uns, pour en faire des protéines, de l’énergie et toutes sortes de biomatériaux de grande valeur et absolument stratégiques. Ces produits sont indispensables pour relever les défis de la sécurité alimentaire et des transitions environnementales, tout en stabilisant les marchés agricoles. La sécurité alimentaire mondiale en bénéficierait, car les importations en provenance d’Ukraine réduiraient l’empreinte globale de l’UE sur d’autres marchés, notamment celui du soja en provenance d’Amérique du Sud. 

Au cours des cinq premiers mois de 2023, l’Union européenne a importé d’Ukraine à peu près la même quantité de céréales que pendant toute la campagne d’avant-guerre. Et ce, malgré l’impact de la guerre sur l’agriculture ukrainienne. Une grande partie de ces céréales éprouve des difficultés à être réexportée vers les marchés mondiaux, comme c’est déjà le cas pour la production des pays d’Europe centrale. Les défis logistiques dans cette partie de l’Europe ne sont pas nouveaux.

L’Union européenne doit mettre en place de nouvelles capacités de transformation pour valoriser une production supplémentaire provenant de l’Ukraine sur une base structurelle, qui autrement pèserait chaque année sur le marché de l’UE, surtout si l’on tient compte de la poursuite de l’intégration de l’économie ukrainienne dans le marché intérieur.

Les mesures à court terme prises par l’UE ne suffiront pas à relever un défi structurel. En effet, l’absence d’outils efficaces de mécanismes de marché actuellement inclus dans la Politique agricole commune pour faire face aux perturbations du marché est évidente. Cela devrait inciter l’Union européenne à repenser sa politique agricole afin de donner plus de mordant à ses leviers économiques. Toutefois, dans la situation actuelle, aucune mesure de marché ne permettra de compenser un changement profond de la réalité du marché. Les changements structurels appellent des réponses structurelles. 

Dans un contexte où les denrées alimentaires, les aliments pour animaux, l’énergie et les biomatériaux à haute valeur ajoutée sont de plus en plus stratégiques, l’UE ne devrait pas tarder à lancer une nouvelle vague d’investissements dans ces secteurs. Cet effort devrait donner une nouvelle orientation à l’approche du Green Deal, en promouvant une croissance durable pour l’agriculture et les secteurs connexes. 

Dans le cadre de l’actuelle directive sur les énergies renouvelables (RED), l’Union européenne dispose d’une marge de manœuvre pour encourager la bioéconomie, qui produit à la fois des denrées alimentaires, des aliments pour animaux, des biocarburants et des produits biochimiques. Aujourd’hui, le pourcentage de biocarburants d’origine végétale dans le bouquet énergétique des transports dans l’UE est inférieur à 5%, alors que la RED accepte une limite plus élevée de 7% pouvant être pris en compte dans les mandats de l’UE en matière d’énergie renouvelable. Des objectifs climatiques ambitieux exigent une contribution plus importante de l’agriculture à l’effort de décarbonisation de l’économie. 

Les récentes conclusions du Conseil « sur les opportunités de la bioéconomie à la lumière des défis actuels, avec un accent particulier sur les zones rurales », à l’initiative de la présidence suédoise, « soulignent le rôle d’une bioéconomie durable et circulaire dans la gestion des questions liées au climat, à la biodiversité, à l’énergie et à la sécurité alimentaire, ainsi que son potentiel de diversification des revenus, de création d’emplois dans les zones rurales et côtières, et de soutien à la transition verte et à la résilience accrue de l’UE ».

Cette volonté politique doit déboucher sur des investissements réels. La Commission devrait faciliter le processus grâce à des politiques qui encouragent les investissements dans la bioéconomie, sans exclure aucun secteur susceptible d’y contribuer. Il convient de veiller tout particulièrement à ne pas entraver les investissements par des réglementations fiscales mal conçues. Les États membres devraient établir des mandats et des politiques nationales qui favorisent ces investissements.

Réagissons à la crise actuelle pour apporter des solutions durables, tournées vers l’avenir, en mobilisant les capacités d’investissement de l’UE pour déclencher une poussée de la bioéconomie européenne. Cela permettrait également de soutenir à long terme l’économie et la démocratie ukrainiennes.