Les travaux

Chaine alimentaire - 22 décembre 2017

Déverrouiller le potentiel de la chaine d’approvisionnement alimentaire de l’UE

écrit par Farm Europe

Octobre 2017

Déverrouiller le potentiel de la chaine d’approvisionnement alimentaire de l’UE – Pour une approche commune équilibrée,  Gérer les pratiques commerciales injustes (UTPs)

1 INTRODUCTION

2016 a été un bon cru pour le débat autour de la chaine alimentaire au niveau européen. Le processus a été déclenché par l’AMTF, ou Agricultutral Markets Task Force, à l’initiative du Commissaire Hogan. Réexaminant la place occupée par les agriculteurs au sein de la chaîne d’approvisionnement, ce groupe de travail a émis un certain nombre de préconisations sur différents sujets, comme les pratiques commerciales en vigueur sur les marchés agricoles ou la contractualisation.

Le rapport a fait l’objet de vastes débats au sein du Conseil Agricole dont les Conclusions publiées en décembre 2016 intitulées « Pour un renforcement de la place des agriculteurs dans la chaîne d’approvisionnement alimentaire et le traitement des pratiques commerciales injustes (UTP) » dénonçait clairement le déséquilibre des négociations menant souvent à des pratiques commerciales injustes, et formulait le besoin de tous les acteurs de la chaîne de se trouver un terrain de jeu commun.

L’ATMF n’a pas été le seul projet visant à améliorer le fonctionnement de la chaîne alimentaire européenne. Le Parlement européen s’est également montré très actif en la matière, et ses dernières positions ont été adoptées en juin 2016 avec une nouvelle résolution sur les « Pratiques Commerciales Injustes » au sein de la Chaîne d’Approvisionnement Européenne qui plaide ouvertement en faveur de l’établissement d’un cadre juridique européen permettant de traiter les pratiques injustes. De même, plus récemment, des avancées considérables ont été faites, sous l’impulsion du Parlement européen, au-delà des pratiques commerciales, dans le cadre de l’Omnibus règlementaire en matière de structuration de la chaine alimentaire, tant au sein des Organisations de Producteurs que des Organisations Interprofessionnelles.

Dans le même ordre d’idée, le Comité Economique et Social Européen est venu renforcer la résolution du Parlement Européen avec son Avis d’octobre 2016 adopté en session plénière (« Pour une chaîne d’approvisionnement agro-alimentaire plus juste) insistant sur la nécessité de définir une législation cadre au niveau européen et d’agir sans attendre pour prévenir les pratiques commerciales injustes.

Dans ce contexte, il est attendu de la Commission qu’elle revienne avec un projet dans les mois prochains et qu’elle réponde à la fois aux acteurs et aux institutions sur la manière de rééquilibrer les relations entre les différents maillons de la chaîne alimentaire, déverrouillant ainsi le potentiel de l’ensemble à l’intérieur d’un cadre règlementaire commun et explicite.

Ce papier est la contribution de Farm Europe à ce débat, que l’on veut ouvrir largement dans le but d’améliorer sur le long terme la structure de cette chaîne de valeur ajoutée qui occupe toujours la première place dans l’économie européenne.

2 POURQUOI UN NOUVEAU CADRAGE ? A QUELS RESULTATS EST-ON DÉJÀ PARVENU ?

Les discussions sur le besoin de rééquilibrer les relations au sein de la chaîne alimentaire ne sont pas nouvelles à l’échelon européen. Toutes les institutions y ont participé, au gré des initiatives des différents acteurs. Mais cela ne s’est jamais soldé par des mesures concrètes.

Bien au contraire. En 2013, sept associations européennes, sous l’impulsion du Commissaire Verheugen, ont lancé la SCI (Supply Chain Initiative ou Projet de gestion de la chaîne logistique), initiative privée sur la base du volontariat dont le but était d’améliorer l’équité des rapports commerciaux dans l’ensemble de la chaîne alimentaire.

Depuis lors, on a pu constater certaines avancées dans la promotion des changements culturels ou dans l’amélioration de l’éthique des affaires, mais on a également relevé un certain nombre de manquements dans l’analyse de sa mise en œuvre effective : faiblesse dans la gouvernance, défaut de transparence, manque de mesures contraignantes ou de pénalités, peu de barrières efficaces contre les pratiques commerciales injustes et impossibilité pour les victimes potentielles de déposer plainte de manière anonyme, aucune procédure d’investigation réalisée par un organisme indépendant et sous-représentation des PME et des agriculteurs.

D’autre part, un regard neuf sur ce qui se passe au niveau national peut nous donner une meilleure idée du cadre dans lequel le débat européen se déroule.

Il est très clair que les premiers problèmes dans ce domaine sont apparus au niveau des Etats membres. Tous ont activement recherché des solutions, d’une manière ou d’une autre. Pour résumer ce qui se passe dans les différents Etats membres, il convient d’établir un certain nombre de distinctions :

  • Quatre types de modèles coexistent : régulation (RU, Espagne, Italie,…), autorégulation (Belgique), régulation mixte (Espagne, RU), régulation horizontale et pays dénués de toute régulation spécifique des pratiques commerciales déloyales (Danemark, Suède, Luxembourg,…)
  • Lorsque la régulation est cadrée et contrôlée par les autorités, le travail est fait soit par le ministère des finances (France), soit par les autorités de la concurrence (Allemagne), soit par les ministères de la sécurité alimentaire et de l’économie (Portugal) ou de l’agriculture (Espagne). [1]

Néanmoins, à la lumière des faits, on peut conclure qu’en dépit des efforts déployés, l’auto-régulation ou les approches basées sur le volontariat ne suffisent pas à rétablir l’équilibre dans la chaîne alimentaire, et – plus grave encore – les disparités entre les systèmes nationaux en vigueur ne permettent pas aux acteurs de se retrouver sur un pied d’égalité et nuisent au bon fonctionnement du marché intérieur, alors que, dans le même temps, la fragmentation des marchés soumet les opérateurs de la chaîne d’approvisionnement à des contraintes différentes, à un cadre règlementaire peu fiable et relativement inefficace.

3 UN ENSEMBLE DE PROPOSITIONS CONCRETES

Si l’Europe veut une chaîne alimentaire forte et équilibrée, capable de se partager équitablement la valeur ajoutée, à même de renforcer la place des producteurs, qui sont le maillon le plus fragile, et de générer de la richesse jusqu’au niveau des consommateurs, la Commission doit proposer un cadrage commun sur quelques-unes de ces questions au moins.

Les questions centrales devraient être celles-ci :

a) Définition d’un éventail de principes régissant les relations commerciales au sein de la chaîne alimentaire.

Ces relations au sein de la chaîne alimentaire sont triples : 1) producteur-industrie 2) producteur-distributeur 3) industrie-distribution

Les relations seront à chaque fois régies par des principes d’équilibre et de réciprocité entre les parties, de liberté d’entente, de bonne volonté, de promotion de l’intérêt commun, de répartition juste des risques et des responsabilités, de coopération, de transparence et de respect  de la libre concurrence sur le marché.

b) Identification des pratiques injustes devant être écartées des usages commerciaux.

On a beaucoup publié sur les pratiques commerciales injustes et on les définit de manière générale comme l’ensemble des pratiques imposées à un fournisseur ne respectant pas le principe d’équité dans la relation contractuelle, transférant les déficiences ou les risques sans la moindre compensation.

Ce descriptif très général inclut les domaines suivants :

  • Les changements unilatéraux ou rétroactifs des termes de l’accord (concernant les volumes, les critères de qualité, les prix),
  • Coûts commerciaux non anticipés,
  • Facturation de services fictifs,
  • Transfert de la charge des opérations promotionnelles sur le fournisseur sans négociation ou sans participation de l’acheteur,
  • Reprise sans condition de la marchandise invendue
  • Non respect des délais de paiement définis par la Directive 2011/7/EU,
  • Annulation de contrat injustifiée et sans préavis
  • Enchères électroniques discriminatoires ou dénuées de transparence
  • Avances sur factures en garantie des contrats

c) Contrats écrits.

Aujourd’hui, les relations commerciales imposent la prise en compte d’un ensemble de facteurs complexes – qualité, quantité, prix, rabais, logistique et transport, conditions de livraison… qui ne peuvent être laissés au hasard. De plus, la clarté dans les conditions conditionne la fiabilité et la stabilité des relations et limite le nombre de recours juridiques. Nous proposons de faire des contrats écrits une règle générale s’appliquant aux divers maillons de la chaîne, assortie d’un nombre minimal de critères et de conditions qui deviendraient obligatoires à la demande du fournisseur. Dans le cas des producteurs agricoles, leurs organisations représentatives ou les organismes inter-branches pourraient jouer un rôle essentiel et les représenter à la table des négociations.

d) Application effective de la règlementation L’expérience nous montre les défauts et les limites des modèles de mise en œuvre non contraignants, basés sur le volontariat. La méthode la plus efficace est le contrôle et la supervision exercés par une autorité indépendante, dotée de pouvoirs publics, afin d’assurer l’application effective de l’ensemble des règles définies.

e) Eviter l’effet de crainte. La mise en œuvre devrait être rendue possible à l’initiative d’autorités indépendantes, ou par les opérateurs et leurs organisations. Il est crucial en ce sens de mettre en place un système de recours efficace protégeant l ‘anonymat du plaignant.

f) Sanctions et mise à l’index. Le non-respect de l’ensemble des règles devrait exposer le contrevenant à des sanctions, à caractère dissuasif, allant jusqu’à des dispositions de « mise à l’index » (« name and shame »).

 

Toutes ces propositions devraient constituer un cadre cohérent commun au niveau européen, auquel il convient de donner une existence juridique, en parallèle aux évolutions positives du droit de la concurrences prévues au titre de l’Omnibus PAC et qui sont à même de rééquilibrer les rapports de force au sein de la chaine. Les Etats Membres garderaient évidemment un maximum de latitude dans l’application effective du cadre général, car ce qui compte, c’est le résultat final. D’autre part, les us et coutumes ne peuvent pas changer du jour au lendemain, la prise de conscience se fera dans le temps.

Enfin, le modèle dans son ensemble devrait être complété au niveau national par une participation effective des différents acteurs, par le biais de l’adoption de codes de conduite ou d’accords, sur la base du volontariat, visant à une meilleure application d’un système complet. En ce sens, le travail déjà réalisé tant à l’échelon européen que national doit servir de base de départ, et il en va de même pour l’ensemble des principes définis dans le cadre du SCI (Supply Chain Initiative).

 

[1] pour une information plus détaillée voir l’étude commandée par l’Agence Espagnole d’information et de contrôle alimentaires (AICA) ” Informe sobre la aplicacion de la regulacion de practicas comerciales en los paises UE” 2016. www.aica.gob.es

écrit par Farm Europe