BioMonitor4CAP : Nouveaux outils pour l’agro-biodiversité

Depuis 2022, Farm Europe est un membre actif du projet BioMonitor4CAP, financé par le programme de recherche et d’innovation Horizon Europe, aux côtés de vingt-deux organisations partenaires (écologistes, agronomes, scientifiques des données, etc.) issues de dix pays européens et du Pérou.

Le suivi de l’agro-biodiversité est aujourd’hui reconnu comme essentiel pour une gestion efficace des agro-écosystèmes et pour la mise en œuvre appropriée et efficace de stratégies et politiques visant à préserver la biodiversité. Les pratiques agricoles non durables étant l’un des principaux facteurs affectant la diversité des habitats et des espèces dans les paysages agricoles de l’UE.

Le projet BioMonitor4CAP vise à développer des systèmes simples et avancés de surveillance et de suivi de l’agro-biodiversité pour soutenir et mettre en œuvre des politiques axées sur les résultats dans les paysages agricoles européens.

INDICATEURS DE BIODIVERSITÉ

Le suivi de la biodiversité repose sur quatre domaines principaux : la télédétection, les sols, les insectes et les oiseaux.

RECHERCHE DE TERRAIN : NOUVELLES TECHNOLOGIES DE SURVEILLANCE

Traditionnellement, l’évaluation de la biodiversité reposait principalement sur la collecte de données de terrain. Ces méthodes classiques sont souvent chronophages, coûteuses en main-d’œuvre et limitées en termes de couverture géographique. Ces dernières années, les technologies basées sur la télédétection ont émergé comme un outil précieux pour le suivi de la biodiversité, permettant de collecter des données à grande échelle et à intervalles réguliers.

Le projet BioMonitor4CAP vise à développer des méthodes de collecte de données sur l’agro-biodiversité via des approches multiples et complémentaires. Les relevés classiques in situ et ex situ (observations et mesures de terrain) seront combinés à de nouvelles méthodes : échantillonnage d’ADN environnemental (eDNA), méthodes optiques, capteurs acoustiques, drones et télédétection.

FACILITER L’ADOPTION DU SUIVI DE LA BIODIVERSITÉ ET DES BONNES PRATIQUES AGRICOLES

L’identification des groupes de parties prenantes et la compréhension de leur perception de l’agro-biodiversité sont essentielles pour le développement de mesures politiques efficaces visant à promouvoir des décisions positives en faveur de l’agro-biodiversité. 

  1. Les perceptions des agriculteurs concernant l’agro-biodiversité et leurs motivations à adopter les pratiques définies par les politiques agricoles ont été étudiées. Les agriculteurs reconnaissent le lien entre leurs pratiques de gestion, les programmes agro-environnementaux et la biodiversité, ainsi que les effets positifs de cette dernière sur l’agriculture. Cependant, les activités de conservation, la gestion des exploitations et les politiques agricoles associées entrent souvent en conflit avec les décisions de gestion des agriculteurs.  Les résultats préliminaires d’une revue de la littérature suggèrent des éléments clés pour la conception de mesures politiques favorisant l’agro-biodiversité :
  • Formation théorique et pratique sur l’agro-biodiversité pour les agriculteurs : les formations augmentent la compréhension et la motivation des parties prenantes envers l’agro-biodiversité ;
  • Incitations au suivi et l’amélioration de l’agro-biodiversité : diverses mesures pour favoriser l’adoption et le développement de pratiques agricoles préservant l’agro-biodiversité ;
  • Soutenir la coopération entre agriculteurs et les autres acteurs de la chaîne de valeur agricole : encourager et intensifier les échanges d’informations, la définition d’objectifs communs et l’adoption de bonnes pratiques pour un impact positif sur l’agro-biodiversité tout au long de la chaîne de valeur agricole.
  1. Les préférences alimentaires des consommateurs influencent indirectement les décisions de production des agriculteurs. Les perceptions des consommateurs et leurs choix alimentaires peuvent jouer un rôle significatif dans la conservation de l’agro-biodiversité. Les citoyens apprécient la valeur intrinsèque de l’agro-biodiversité, en contraste avec les agriculteurs, qui mettent davantage en avant ses valeurs instrumentales. Pour les citoyens, l’agro-biodiversité est principalement associée aux valeurs esthétiques, en particulier pour ceux qui privilégient des paysages restaurés et traditionnels. Les résultats préliminaires de la revue de littérature suggèrent des considérations clés pour concevoir des mesures politiques favorisant l’agro-biodiversité :
  • Information sur l’agro-biodiversité des produits alimentaires pour les consommateurs : sensibiliser les consommateurs aux impacts des produits sur l’agro-biodiversité ainsi qu’aux mesures prises par les agriculteurs pour améliorer l’agro-biodiversité, renforce l’orientation des consommateurs vers des choix alimentaires plus durables ;
  • Assurer un financement et des activités de diffusion sur la recherche en agro-biodiversité : sensibiliser l’ensemble des parties prenantes – représentants d’entreprises, les autorités, les enfants et les étudiants – pour souligner l’importance de l’agro-biodiversité dans la production alimentaire.

CONSEIL AGRICOLE : LE CONCEPT TROMPEUR DE « PROTÉINES VERTES ».

L’UE a besoin de toute urgence d’une stratégie sur les protéines d’origine végétale. Toutefois, ce travail doit viser à accroître l’autonomie stratégique de l’UE, et non à élaborer des raccourcis ou des récits simplistes conçus pour favoriser des intérêts spécifiques au détriment du secteur animal de l’UE. Les deux types de protéines sont complémentaires et nécessaires.

Aujourd’hui, le Conseil « Agri-pêche » de l’UE débat des stratégies en matière de protéines. Il est largement reconnu que l’UE est confrontée à un déficit important en matière de production de protéines végétales et qu’il convient d’y remédier afin de répondre aux besoins en matière d’alimentation humaine et animale, tout en renforçant l’autonomie stratégique de l’UE.

Toutefois, le document présenté par l’Allemagne et le Danemark reste vague sur le nouveau concept proposé de « protéines vertes ». Plutôt que l’ambition d’autonomie stratégique de l’UE, ce concept semble plus aligné sur l’agenda des protéines alternatives. Cet agenda, souvent promu par certaines ONG et entreprises mondiales, préconise les protéines synthétiques comme solution principale.

Dans ce contexte, le débat agricole est une fois de plus confronté à des concepts trompeurs qui tentent d’opposer et de diviser le secteur à un moment où la complémentarité doit être encouragée. Dans le document présenté, le terme « protéine verte » est utilisé comme un outil de marketing, basé sur des affirmations non scientifiques et non fondées.

Vérifier les faits :

1.  L’augmentation de la production végétale européenne : Au cours des trois dernières décennies, l’augmentation de la production végétale européenne a été largement stimulée par le développement de l’industrie des biocarburants. Dans l’UE, il existe une relation complémentaire entre la production alimentaire et la production de biocarburants, avec plus de 13 millions de tonnes de protéines de haute qualité coproduites par l’industrie des biocarburants de l’UE, valorisant les matières premières de l’UE, augmentant la chaîne d’approvisionnement en protéines de l’UE, en plus de réduire les émissions dues au transport.

2.  Consommation de protéines animales : Contrairement à ce qu’affirme le rapport sur le dialogue stratégique, la consommation de protéines animales dans l’Union européenne est restée stable et n’a pas diminué. Selon les dernières perspectives agricoles de l’UE, la consommation de viande devrait légèrement augmenter en 2024, pour atteindre 66,8 kg par habitant. Si l’on tient compte des déchets alimentaires, ce chiffre est conforme aux recommandations internationales de l’UE et de l’OMS en matière de santé.

L’Union européenne doit aller au-delà d’une communication simpliste sur les « protéines alternatives » en Europe et promouvoir le droit des consommateurs à faire des choix éclairés entre les sources de protéines végétales et animales et à comprendre pleinement les processus qui sous-tendent chaque produit, y compris l’utilisation potentielle d’OGM, d’hormones, d’antibiotiques, de facteurs de croissance et l’impact énergétique. La définition proposée de «sources de protéines alternatives au soja ou aux produits animaux conventionnels» présente le concept comme une baguette magique sans aucune évaluation tangible de leur capacité à réduire l’utilisation des terres et les émissions et à être plus respectueux de la nature et de l’environnement.

Les décideurs politiques devraient suivre les traces du futur commissaire européen à l’agriculture et à l’alimentation, Christophe Hansen, qui a souligné lors de l’audition au Parlement européen qu’« il est délicat d’imposer d’en haut qui doit manger quoi… les produits carnés font partie d’un régime alimentaire équilibré ». Les protéines végétales et animales sont complémentaires et doivent être encouragées.

LES ALIMENTS VIENNENT DES AGRICULTEURS, PAS DES LABORATOIRES !

Il est inacceptable que des récits trompeurs influencent le débat autour du secteur de l’élevage durable, impactant la Commission européenne et les décideurs politiques.  

Farm Europe et Eat Europe sont reconnaissants d’avoir été invités cette semaine à participer à l’atelier organisé par la DG Grow de la Commission européenne sur les produits laitiers fermentés, ou – en d’autres termes – les produits laitiers cultivés en laboratoire. Cela a été particulièrement éclairant !  

Un atelier censé être basé sur la science et les faits ne devrait pas commencer par des hypothèses trompeuses – comme décrire les vaches comme « un bioréacteur 10 fois moins efficace ». Une telle allégation – qui a été le leitmotiv de tous les panélistes – démontre clairement que l’approche fondée sur les preuves et les évaluations rigoureuses n’est pas au cœur du système alimentaire qu’ils promeuvent.  

Cette approche a sciemment laissé sans réponse des questions que tous les consommateurs européens se posent. Quel rôle sociétal et environnemental joue l’utilisation d’organismes génétiquement modifiés (OGM) ? Comment l’efficacité est-elle mesurée ? Comment l’utilisation de l’énergie est-elle calculée ? Comparée à quel modèle de production animale ? Sur quelle base les produits laitiers synthétiques ou cultivés en laboratoire peuvent-ils être présentés comme ayant un « meilleur goût » ou comme un « meilleur ingrédient » ? Qu’en est-il de l’acceptation par les consommateurs de mettre des aliments chimiques dans leurs assiettes ?  

Les agriculteurs et les producteurs alimentaires devraient avoir la possibilité de répondre à ces préoccupations dans un débat équilibré et de prendre une position forte. Comme l’ont souligné Farm Europe et Eat Europe – notamment lors du débat – la fermentation n’est qu’un des processus de laboratoire en jeu, mais le débat doit être global, en tenant compte des aspects éthiques et environnementaux, ainsi que des conséquences pour la compétitivité du secteur agroalimentaire européen, en évitant des affirmations simplistes non fondées sur une science unanime.  

Lorsqu’il s’agit du rôle et de l’impact du secteur de l’élevage, le débat devrait également être basé sur la science et des chiffres réels, prenant en compte non seulement les émissions du secteur de l’élevage, dont personne ne nie l’impact – même si elles sont en baisse depuis plusieurs décennies – mais aussi les externalités positives du cycle de production animale ainsi que les différences entre les émissions et leurs effets sur l’environnement (le CO2 reste dans l’atmosphère entre 300 et 1 000 ans, alors qu’après 100 ans tout le CO2 émis au temps zéro sera encore présent dans l’atmosphère, tandis que l’émission initiale de méthane (CH4) disparaîtra après 11,2 ± 1,3 ans).  

Par ailleurs, 80 % de l’eau « consommée » dans le cycle de production d’une vache retourne au champ avec une meilleure qualité en matière organique, contribuant à rendre nos sols plus sains. Qu’en est-il de l’eau et des eaux polluées issues d’un processus de bioréacteur ?  

Le fumier et les sous-produits produits par une vache sont transformés dans un modèle vertueux de bioéconomie, en énergie (biogaz, biométhane) ou en engrais organique (digestat, Renure), pour ne citer que quelques exemples.  

Les bioréacteurs nécessiteraient une grande quantité d’énergie, supposée provenir de sources renouvelables, alors que nous savons que même l’énergie renouvelable est limitée, à moins que nous ne décidions de réserver nos terres agricoles uniquement à la production de panneaux solaires. La photosynthèse est la seule énergie gratuite, et elle est à la base même de la production animale dans l’UE.  

Enfin, n’oublions pas les risques d’abandon des zones rurales en réduisant la compétitivité du secteur de l’élevage au profit de quelques grandes entreprises capitalistiques ambitionnant de concentrer la production alimentaire entre leurs mains. Qui souffrira en premier ? Les agriculteurs situés dans des zones reculées : sommes-nous prêts à accepter tous les risques associés, tels que l’érosion des sols, l’instabilité hydrogéologique ou la désertification ?  

Sur le cadre législatif, comme rappelé dans une lettre que nous avons envoyée à la Commission européenne et soutenant les appels du Conseil agricole de l’UE et du Parlement européen, il est nécessaire d’évaluer si le règlement sur les « nouveaux aliments » est adapté, en envisageant des modifications futures qui aligneraient certains aspects de l’évaluation des aliments produits en laboratoire sur les procédures d’évaluation des médicaments, notamment en incluant des études précliniques et cliniques comme critères pour évaluer la sécurité des produits cultivés en laboratoire, en tenant dûment compte des réglementations sur les OGM et en abordant les enjeux éthiques.

Déforestation : Farm Europe se félicite de la simplification pour les agriculteurs de l’UE, tout en maintenant le niveau d’ambition.

Le Parlement européen a fait un pas en avant dans son vote sur la déforestation importée (EUDR-2023/1115). Cette position supprimera les formalités administratives inutiles pour les agriculteurs de l’UE, tout en maintenant le niveau d’ambition dans la lutte contre la déforestation.

Le champ d’application du règlement couvrant les opérateurs et les négociants reste inchangé. Le délai est limité à un an, nécessaire pour finaliser les actes d’exécution de ce règlement qui est la pierre angulaire de la réciprocité commerciale, de la durabilité et des chaînes de valeur équitables pour les produits agricoles et alimentaires.

Les députés ont approuvé les amendements introduisant une nouvelle catégorie « sans risque » pour les pays, qui vient s’ajouter aux catégories existantes de risque de déforestation « faible », « standard » et « élevé ». Les pays désignés comme « sans risque » – définis comme ceux dont les zones forestières sont stables ou en croissance – seraient soumis à des exigences de conformité considérablement réduites.

La version actuelle du texte a été approuvée par le Parlement par 371 voix pour, 240 voix contre et 30 abstentions. Il est maintenant essentiel que le Conseil de l’Union européenne rejoigne l’approche du Parlement dès que possible et que la Commission achève la mise en œuvre du règlement, y compris la plateforme fournissant un « système d’alerte précoce » pour aider les autorités compétentes, les opérateurs, les négociants et les autres parties prenantes concernées, comme le prévoit le considérant 31.

La Commission devrait également achever un cadre d’évaluation comparative par pays d’ici le 30 juin 2025.

Déforestation (EUDR) : réduire les formalités administratives pour les agriculteurs de l’UE en préservant l’ambition globale, c’est possible !

Le règlement sur la déforestation (2023/1115) est la pierre angulaire de la réciprocité commerciale, de la durabilité et des chaînes de valeur équitables pour les produits agricoles et alimentaires. Un report d’un an est désormais inévitable compte tenu de la présentation tardive des règles de mise en œuvre, mais tout retard supplémentaire devrait être évité.

Afin de se conformer aux exigences de l’OMC et de garantir un traitement équitable à tous les opérateurs dans le monde, le règlement sur la déforestation a été conçu pour couvrir l’ensemble de la planète, quel que soit le niveau de risque de déforestation dans les pays concernés.

Une procédure simplifiée de diligence raisonnable a été mise en place pour éviter d’imposer une charge disproportionnée aux opérateurs qui produisent et commercialisent des matières premières provenant de pays présentant un faible risque de déforestation.

Toutefois, comme l’a souligné Farm Europe dans une analyse précédente, cette procédure simplifiée de diligence raisonnable ne permet qu’une dérogation partielle aux exigences administratives et à la collecte de données, ce qui fait peser une charge déraisonnable sur les opérateurs présentant un risque de déforestation faible ou nul.

Simplification oui, démantèlement non.

Par conséquent, les propositions d’amendement visant à créer une catégorie « sans risque » vont dans la bonne direction. Mais toute autre modification changerait la nature du règlement et porterait atteinte à son niveau d’ambition. En particulier, pour garantir un règlement solide, la responsabilité des grands opérateurs mondiaux ne doit pas être diluée.

Les corrections doivent être limitées aux parties du texte qui menacent sa propre crédibilité, à savoir le risque ultime d’avoir une nouvelle norme qui pèserait plus lourdement sur les agriculteurs et les producteurs de denrées alimentaires de l’UE, confrontés à une mise en œuvre tatillonne et disproportionnée du règlement, que sur les acteurs mondiaux.

Ces changements devraient être apportés rapidement, en tenant compte de la nécessité de limiter autant que possible le retard dans la mise en œuvre de ce règlement important, afin d’éviter de déstabiliser les chaînes de valeur européennes et de menacer leur fragile équilibre économique.

Une mise en œuvre complète de la part de la Commission européenne est nécessaire.

Entre-temps, la mise en œuvre du considérant 31 du règlement, qui invite la Commission européenne à créer une plateforme fournissant un « système d’alerte précoce » pour aider les autorités compétentes, les opérateurs, les négociants et les autres parties prenantes concernées, doit être pleinement mise en pratique, ce qui n’est pas le cas jusqu’à présent.

Cette plateforme a été ajoutée par le co-législateur à la proposition initiale de la Commission afin d’assurer « une surveillance continue et une notification rapide des activités possibles de déforestation ou de dégradation des forêts », et d’être opérationnelle dès que possible. Il s’agit d’un élément constitutif d’une mise en œuvre facile, uniforme et simplifiée du règlement par les pays tiers, et en particulier par les pays en développement qui devraient être mis en place.

UNE PRESIDENCE DE TRUMP PEUT AVOIR UN IMPACT IMPORTANT SUR L’AGRICULTURE ET SUR LE PACTE VERT

La deuxième présidence Trump qui s’annonce peut avoir des conséquences dramatiques sur l’agriculture de l’UE, tant sur le plan commercial que sur le plan politique.

Ce qui nous vient immédiatement à l’esprit, c’est le risque accru de frictions commerciales, voire de guerres commerciales, qui pourraient, d’une manière ou d’une autre, avoir des répercussions sur l’agriculture de l’UE.

La présente note examine les différents scénarios en ce qui concerne les problèmes commerciaux, mais va plus loin et met en évidence un autre impact majeur probable – sur le Green Deal de l’UE.

En examinant ce qui pourrait se produire, nous n’entrerons pas dans le débat sur les avantages ou les inconvénients de droits de douane plus élevés, qui, bien que d’une importance réelle, mériterait une analyse économique spécifique et approfondie, bien au-delà de l’objectif plus ciblé de cette note.

COMMERCE

Sur le front du commerce, Donald Trump n’a cessé de parler d’une augmentation des droits de douane sur les importations américaines. Il a également désigné la Chine comme l’une des principales cibles des hausses tarifaires américaines.

Il ne s’agit pas d’une nouveauté, puisque lors de sa première présidence, il s’en est pris à la Chine et a augmenté les droits de douane sur les importations d’acier et d’aluminium, ce qui, on s’en souvient, a eu un impact sur l’UE et a conduit à des négociations difficiles après une série de mesures de rétorsion commerciale.

Qu’est-ce qu’une deuxième présidence Trump pourrait apporter de nouveau ?

Plusieurs scénarios sont possibles :

  1. Les États-Unis pourraient augmenter leurs droits de douane de manière générale, ce qui porterait leurs droits de douane moyens pondérés d’un peu plus de 2 % à 10 ou 20 %. En ce qui concerne la Chine, les États-Unis augmenteraient probablement leurs droits de douane encore plus, le chiffre de 60 % ayant été avancé.

La difficulté de ce scénario est qu’il aurait un impact sur tous les pays du monde, y compris les États-Unis, qu’il déclencherait très probablement des mesures de rétorsion de la part des pays concernés et qu’il ne laisserait que très peu de marge de négociation.

Les États-Unis bénéficieraient d’une protection accrue pour certains de leurs secteurs sensibles, mais perdraient des marchés d’exportation et verraient augmenter le coût des importations (et des intrants), même dans les secteurs où la nouvelle administration ne cherche pas à délocaliser sa base industrielle.

L’UE riposterait très certainement en augmentant les droits de douane et en réduisant ainsi les importations américaines.

Nos exportations agricoles vers les États-Unis seraient réduites. Bien que nous puissions remplacer les États-Unis sur certains marchés de pays tiers qui auraient également augmenté les droits de douane sur les importations américaines, le bilan final serait négatif pour nos intérêts, car nous bénéficions actuellement d’un important excédent commercial avec les États-Unis.

M. Trump pourrait également éprouver des difficultés à faire adopter cette hausse générale des droits de douane par le Congrès. Alors que pour des droits de douane spécifiques, il pourrait avoir le pouvoir d’agir, il est peu probable que ce pouvoir puisse être étendu à une mesure aussi globale.

Je considère donc cette option comme peu probable.

  1. Les États-Unis pourraient augmenter leurs droits de douane principalement à l’encontre de la Chine et de quelques autres produits et pays, en ciblant les domaines où des droits de douane plus élevés seraient plus efficaces pour ramener l’industrie aux États-Unis et protéger les secteurs sensibles. Les États-Unis pourraient également exiger la réciprocité sur certains produits spécifiques, c’est-à-dire que les pays tiers appliquent les mêmes droits de douane que les États-Unis.

L’UE pourrait être touchée sur les voitures, l’acier et d’autres produits industriels, mais aussi directement sur l’agriculture, car Trump s’est montré virulent à l’égard de l’UE pour avoir restreint les exportations de produits alimentaires américains. Cela déclencherait inévitablement des représailles contre les importations américaines.

À partir de là, trois solutions sont possibles : les deux parties s’en tiennent à des droits de douane plus élevés et ciblés mutuellement ; les représailles déclenchent des contre-rétorsions et une guerre commerciale ; un règlement négocié est trouvé sous une forme ou une autre.

Les perspectives pour les exportations agricoles de l’UE vers les États-Unis dépendront des produits qui seront visés par les droits de douane plus élevés des États-Unis. Il est très difficile de le prévoir, mais la perspective est réelle.

Ce scénario pourrait être plus attrayant pour la nouvelle administration. Il lui permettrait d’exercer des pressions et de se contenter d’un accord mieux négocié.

Dans les deux scénarios, l’impact de droits de douane beaucoup plus élevés sur les exportations chinoises vers les États-Unis se ferait également sentir dans l’UE. La Chine se retrouverait avec davantage de marchandises à exporter à des prix encore plus bas vers l’UE (et le reste du monde). L’UE se sentirait probablement obligée de se protéger, et pourrait même le faire dans le cadre d’un accord avec les États-Unis. La Chine, quant à elle, ne resterait pas les bras croisés pendant que ses exportations sont prises pour cible. Ainsi, les exportations agricoles de l’UE pourraient facilement figurer sur la liste des mesures de rétorsion de la Chine.

Par ailleurs, dans les deux scénarios, l’OMC serait encore plus mise à l’écart, au point de tomber dans l’oubli. Le recours au mécanisme de règlement des différends de l’OMC ne serait pas une option viable pour dissuader la nouvelle administration américaine.

LE PACTE VERT

Les problèmes commerciaux évoqués ci-dessus résulteraient de l’initiative des États-Unis de rompre les engagements pris dans le cadre de l’OMC et d’imposer unilatéralement des droits de douane à d’autres pays sans aucun argument juridique valable accepté au niveau international. L’exception de l’OMC qui permet aux membres de maintenir des mesures autrement incompatibles avec l’OMC – telles que des tarifs discriminatoires ou des quotas ou interdictions d’importation – pour des raisons de sécurité nationale, ne peut pas justifier toutes les mesures, et encore moins une augmentation généralisée des tarifs.

Venons-en maintenant au Green Deal de l’UE.

Le SCEQE (système d’échange de quotas d’émission) est un mécanisme qui limite et fixe le prix des émissions de carbone au sein de l’UE, créant ainsi un marché pour les quotas d’émission. Le CBAM (Carbon Border Adjustment Mechanism, mécanisme d’ajustement carbone aux frontières) permet d’égaliser les coûts du carbone pour les produits importés, en appliquant une taxe différentielle à la frontière.

Dans l’état actuel des choses, l’applicabilité du Green Deal, sans conséquences dévastatrices pour nos économies, dépend de la mise en œuvre du CBAM. Sans le CBAM, les industries soumises à des réductions d’émissions obligatoires et à un système d’échange de quotas d’émission réellement mordant seraient confrontées à un choc à double tranchant : des coûts de production plus élevés et une concurrence accrue de la part des importations. Ce serait la recette d’un désastre, qui serait très probablement politiquement (et socialement) inacceptable.

Le CBAM est déjà en cours de déploiement, mais la mise en œuvre de véritables taxes aux frontières est prévue à partir de 2026, lorsque la distribution gratuite des certificats ETS prendra fin.

Ainsi, en 2026, l’UE commencera à taxer les importations de ciment, d’électricité, d’engrais, de fer et d’acier, d’hydrogène d’aluminium et de certains précurseurs et produits en aval fabriqués à partir de ciment, de fer et d’acier et d’aluminium, lorsque leurs émissions sont supérieures à ce qui est accepté au sein de l’UE.

Contrairement à ce qui se passerait si (quand) les États-Unis augmentaient unilatéralement leurs droits de douane, ce serait maintenant l’UE qui le ferait.

La nouvelle administration américaine prendra très probablement des mesures de rétorsion. Même si certains républicains sont prêts à imposer des taxes carbone sur les importations, ce qui concernerait surtout la Chine, ils n’accepteront jamais que les exportations américaines soient taxées pour cette raison.

Notre droit d’appliquer une taxe sur les émissions de gaz à effet de serre en vertu des règles de l’OMC n’a pas été mis à l’épreuve. L’UE sait qu’elle se trouve en terrain instable et il est entendu qu’elle privilégierait la sécurisation de son terrain par le biais d’accords avec les pays concernés. Cela pourrait s’avérer difficile, voire improbable, mais malgré cela, les États-Unis ne s’assiéraient pas pour accepter un CBAM de l’UE et n’attendraient pas la décision d’un groupe spécial de l’OMC pour réagir.

Qui plus est, les États-Unis seraient probablement suivis par d’autres grandes économies, comme l’Inde et la Chine. Même le Royaume-Uni se trouverait dans une position difficile, car le fait d’accepter l’UE et de mettre en œuvre son propre CBAM le mettrait à la croisée des chemins avec les États-Unis.

Il en résulterait que soit l’UE va de l’avant avec le Green Deal et accepte qu’une grande partie de ses industries soit mise dans une situation difficile en raison de coûts de production plus élevés et d’exportations plus faibles, avec toutes les conséquences économiques, sociales et politiques, soit l’UE suspend l’application des éléments essentiels du Green Deal, à commencer par le système d’échange de quotas d’émission et le mécanisme de garantie des crédits carbone.

La première option est très improbable, car elle entraînerait une réduction de la protection sociale et de l’emploi. Si maintenant, à un stade précoce de la mise en œuvre du Green Deal, l’opposition politique et sociale s’intensifie à mesure que les coûts deviennent plus clairs, et que ces coûts augmenteront fortement si l’UE maintient le cap de la mise en œuvre du Green Deal, à quoi ressemblerait la réaction ? Les politiciens et le public ont maintenant une conscience aiguë des conséquences, et je m’attends à ce que les mesures clés du Green Deal soient suspendues et que l’UE retourne à la planche à dessin pour trouver la meilleure façon d’avancer.

Bien que seule l’industrie européenne soit directement concernée par le système d’échange de quotas d’émission et les fortes réductions d’émissions, l’agriculture serait également sur la sellette en ce qui concerne les engrais, sans parler des probables représailles commerciales.

En outre, l’interruption de la mise en œuvre des principaux éléments du Green Deal ouvrirait la voie à une réévaluation plus large de la manière dont l’UE doit lutter contre le changement climatique et des mesures à mettre en œuvre sans mettre en péril le tissu économique et social de l’UE.

C’est d’une importance capitale pour l’agriculture européenne. La question n’est pas de savoir si le changement climatique est réel et s’il a un impact. La question est de savoir quelle est la meilleure façon de relever ce défi. Il s’agit de lutter contre le changement climatique sans réduire notre bien-être et notre autonomie stratégique.

Pour conclure, une administration Trump comporte certainement un risque accru de conflits commerciaux, mais elle offre également l’occasion de repenser la manière dont nous traitons le changement climatique dans l’UE.

Elle apporte d’une part la perspective négative d’une réduction des opportunités commerciales, mais elle ouvre d’autre part la possibilité de réoutiller le Green Deal pour lutter contre le changement climatique sans réduire notre bien-être, en passant à une approche technologique et incitative.

UE/Mercosur : le volet agricole, incompatible avec la cohérence politique de l’UE

Alors que la pression sur les négociateurs de l’UE pour conclure l’accord avec le Mercosur augmente en raison de la tempête parfaite qui affecte les constructeurs automobiles européens inondés par les producteurs chinois, cet accord reste antagoniste aux intérêts agricoles de l’UE et annihilerait la plupart – sinon tous – les efforts des producteurs de l’UE sur la voie difficile de la transition climatique.

Il ne saperait pas seulement les principales chaînes de valeur agricoles de l’UE, mais aussi, en l’état, la cohérence et l’alignement des politiques de l’UE, comme l’ont demandé plusieurs rapports récents. Un fond dédié serait loin d’être suffisant pour compenser ses impacts économiques compte tenu de la puissance de feu du secteur agroalimentaire du Mercosur, sans parler des effets néfastes sur l’Amazonie, le poumon de la planète.

Par conséquent, Farm Europe regrette l’engagement renouvelé hier du commissaire Šefčovič de faire avancer les négociations avec le Mercosur et considère que les conditions ne sont pas réunies pour inclure l’agriculture dans cet accord. Les accords de libre-échange peuvent offrir des opportunités importantes pour l’économie de l’UE, mais seulement si et quand les principes de réciprocité sont dûment pris en compte, en particulier pour l’agriculture de l’UE. Ces conditions ne sont pas remplies et sont loin de l’être dans les négociations du Mercosur.

Déforestation

  • L’Union européenne a connu une réduction de plus de 10 millions d’hectares de sa surface agricole au cours des trois dernières décennies (ce qui équivaut aux deux tiers de la surface agricole de la Pologne). Les forêts de l’UE ont augmenté de 12 millions d’hectares.
  • Dans le même temps, le Brésil a perdu 90 millions d’hectares de forêts. L’UE est devenue le deuxième importateur de forêts tropicales et d’émissions associées (16 % de la déforestation tropicale est liée au commerce international). Au cours des 30 dernières années, on estime que les importations de l’UE ont entraîné la déforestation de plus de 11 millions d’hectares.

Pesticides

  • L’utilisation de pesticides dangereux a diminué de plus de 25 % dans l’UE en moins de 10 ans.
  • Dans la zone du Mercosur, l’augmentation des surfaces cultivées en soja, en maïs et en canne à sucre a entraîné une hausse significative de l’utilisation des pesticides. Rien qu’au Brésil, le volume de pesticides vendus a quadruplé entre 2000 et 2020. Mais il ne s’agit pas seulement d’une question de quantité : 27 % des produits utilisés au Brésil en 2020 sont interdits dans l’UE. Le chlorothalonil, un fongicide, est interdit dans l’UE depuis 2019, et un insecticide comme le Novaluron a été interdit en 2012. Ce ne sont là que quelques exemples.

Hormones

  • Depuis les années 1980, l’Union européenne a établi une interdiction d’utiliser des hormones de croissance chez le bétail ; cette interdiction a été renforcée à plusieurs reprises dans les années 1990 et en 2006 avec l’exclusion des antibiotiques utilisés comme facteurs de croissance.
  • Dans un rapport d’audit récemment publié sur les contrôles des résidus de substances actives, de pesticides et de contaminants dans les animaux et les produits d’origine animale, la Commission européenne a reconnu la nécessité de suspendre les importations de bovins en provenance du Brésil en raison de l’absence de garanties sur l’utilisation d’hormones. Sachant que même si les importations en provenance de la zone Mercosur de viande dont la production implique l’utilisation d’ hormones de croissance pour le bétail sont interdites, cette contrainte est en partie surmontée par l’utilisation de certains antibiotiques en tant que facteurs de croissance.

Il est donc urgent, plutôt que d’ouvrir grand les portes de l’Union européenne aux géants agricoles d’Amérique latine, à l’heure où les producteurs de l’UE sont confrontés à des défis difficiles :

  • D’être crédible dans la lutte contre la déforestation avec une mise en œuvre simple et solide du règlement de l’UE sur la déforestation pour les normes et les pays à haut risque, tout en évitant les charges administratives pour les pays à risque faible ou nul, en particulier pour les producteurs de l’UE ;
  • Protéger notre agriculture contre la concurrence déloyale, non seulement en ce qui concerne la sécurité des consommateurs, mais aussi en ce qui concerne les normes environnementales de l’UE, avec une réciprocité totale en matière de normes de production ;
  • Et, bien sûr, élaborer une nouvelle vision pour l’agriculture et l’alimentation de l’UE, qui corresponde à une véritable ambition pour le « Made in Europe ».

Audition de Christophe Hansen : au-delà du dialogue stratégique ?

Le 4 novembre sera un moment fondateur pour la prochaine politique européenne dans le domaine agricole, à l’occasion de l’audition par le Parlement européen du commissaire désigné Christophe Hansen. Saura-t-il tracer sa propre voie politique ou mettra-t-il strictement ses pas dans ceux du dialogue stratégique ? C’est la principale question que se poseront les députés européens à l’issue de l’audition pour savoir si un commissaire fort prend la barre de l’agriculture européenne en cette période de tempêtes.

Le candidat commissaire connait parfaitement les arcanes du Parlement et ses dynamiques politiques. Il a eu l’occasion de pratiquer le Parlement en tant qu’assistant parlementaire au début de sa carrière, puis de député européen. Il s’est fortement impliqué sur des sujets commerciaux — le Brexit notamment — ou encore la déforestation, dont il été rapporteur.

Les députés européens de la commission de l’agriculture seront chargés d’évaluer la compétence du candidat sur le portefeuille attribué, mais aussi le respect des valeurs de l’Union et sa capacité de communication. Le Commissaire a déjà eu l’occasion de donner de premières orientations politiques dans les réponses au questionnaire écrit que lui ont adressé les députés.

L’audition débutera par une déclaration introductive de 15 minutes, suivie de questions venant de tous les groupes politiques, le candidat ayant deux fois la longueur du temps pris pour poser la question pour répondre à celle-ci. Lors de l’audition, à n’en pas douter, de nombreux sujets seront abordés — l’avenir de la PAC, et des paiements directs en particulier, l’enjeu de l’élargissement à l’Ukraine pour l’agriculture européenne, l’approche du candidat pour réformer la chaine de valeur alimentaire, lutter contre les pratiques commerciales déloyales et améliorer le revenu des agriculteurs, ou encore sa relation au commerce avec, en particulier la question des négociations avec le Mercosur.

Au-delà de ces sujets importants, il est clair que c’est surtout la question du dialogue stratégique et des suites à donner à cet exercice dans lequel le Parlement n’a pas été impliqué, qui retiendra l’attention des députés européens. Le Commissaire-désigné aura la difficile tâche de s’inscrire dans les pas de la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, qui a placé la mise en oeuvre du dialogue stratégique au coeur de sa lettre de mission, tout en prenant des distances avec les recommandations spécifiques de ce groupe pour affirmer son autonomie et sa propre identité politique, indispensable pour acquérir sa stature de commissaire européen.

C’est avant tout dans cet exercice d’équilibre et de dosage subtile que sa prestation sera évaluée et permettra de rassembler les soutiens politiques dont il a besoin, non seulement pour remporter l’adhésion des rapporteurs représentant 2/3 des voix de la commission, mais aussi, entamer son mandat et bâtir sa propre vision stratégique des cinq prochaines années de politique agricole.

Cette capacité politique sera d’autant plus importante et nécessaire que la majorité qui a porté Ursula von der Leyen pour un second mandat à la tête de la Commission européenne ne sera pas suffisante pour obtenir une confirmation lors de la première audition. S’il entend être confirmé sans passer par une seconde audition et un vote à la majorité, le commissaire-désigné devra convaincre au-delà des groupes PPE, S&D, Renew et Verts, ceux-ci ne lui apportant que 31 voix sur les 33 nécessaires. Il lui faudra donc également le soutien du groupe ECR.