L’UE doit réfléchir à la PAC de demain

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Alors que se profile une nouvelle crise agricole, personne ne parle de la Politique Agricole Commune. Force est de constater que l’Europe n’est pas armée pour répondre à ce type de crise, écrivent Yves Madre et Luc Vernet chez Euractiv.

L’Union européenne a abordé la crise laitière, et plus largement la crise de ses filières de production animale (porc et bœuf compris) en ordre dispersé. Au total, plusieurs centaines de millions d’euros d’aides d’urgence ont été annoncées pendant l’été par les gouvernements de différents pays de l’UE, au premier rang desquels la Belgique, l’Espagne, l’Italie, la France, et l’Estonie. On aurait pu oublier qu’il existe une Politique agricole commune à l’ensemble des pays européens, si un Conseil des ministres de l’agriculture des 28 n’avait été convoqué, en urgence, le 7 septembre.

Même si la situation varie d’un pays à l’autre, d’un secteur à l’autre et d’une exploitation à l’autre, l’ensemble des producteurs européens passent par une mauvaise passe face à l’accumulation des mauvaises nouvelles : embargo russe sur les produits alimentaires, ralentissement chinois, qui avait créé une certaine euphorie, et persistance de la morosité sur le marché européen. La question qui se pose donc est « que fait l’Europe » ou « que peut faire l’Europe » au-delà du simple constat qu’il « y a trop de lait sur le marché », posé en juillet par le Commissaire européen à l’Agriculture, Phil Hogan ?

D’ores et déjà, l’été l’a montré : au-delà des mesures de court terme, il s’agit désormais de réfléchir à des adaptations structurelles de la Politique agricole commune, elle-même, pour retrouver, à l’échelle européenne, une vision commune de l’avenir de l’agriculture et une stratégie collective. Ce chantier de grande ampleur est le seul à même de permettre à nos entreprises agricoles, partout en Europe, d’être plus résilientes face aux crises et d’éviter une renationalisation à grande vitesse de la gestion des aléas.

Face à des besoins alimentaires mondiaux en très forte croissance, et alors que les marchés communautaires, eux, sont matures, l’Europe a tous les atouts pour être un grand fournisseur. Elle dispose des technologies et d’un climat très favorable pour y parvenir. Toutefois, pour cela, elle devra apporter, à l’échelle européenne, les réponses pertinentes aux défis liés à cette croissance qui doit être durable sur tous les plans – environnemental, économique, et social. Et en particulier apprendre à mieux gérer les soubresauts des marchés. Cette crise n’est pas la dernière, loin de là. Les aléas météorologiques, économiques et géopolitiques sont de plus en plus fréquents, et violents.

Force est de constater qu’à ce jour, l’Europe n’est pas armée. Pire, l’absence d’outils efficaces de stabilisation du revenu agricole exacerbe la volatilité. Pleinement acteurs du marché, la plupart des producteurs sont poussés, pour répondre aux signaux du marché, à produire plus quand la demande est élevée pour profiter de bons prix, et à produire plus, aussi, quand les prix sont faibles, pour compenser les prix bas par le volume, en espérant que leur voisin, lui, produise moins ou disparaisse.

Cette spirale infernale risque fort d’alimenter une concurrence malsaine entre producteurs, faute de sursaut européen et de réinvestissement dans la Politique agricole commune. Il est urgent de répondre à l’enjeu économique majeur des prochaines années à savoir la gestion de la volatilité.

La dernière réforme de la PAC s’est concentrée sur un grand sujet, celui de la durabilité des pratiques agricoles – avec la mise en place du verdissement. Celui-ci devrait permettre d’investir près de 100 milliards d’euros en 7 ans dans l’amélioration de l’empreinte environnementale de l’alimentation produite en Europe. Il est nécessaire désormais de traiter sérieusement de la durabilité économique du secteur, à travers une sécurisation des revenus et une structuration de filières performantes. L’économie et l’environnement sont deux pans incontournables de la durabilité de l’agriculture européenne, deux éléments clefs pour attirer des jeunes vers ces métiers, et des investissements.

A court terme, faute d’avoir su anticiper, l’Europe devra gérer avec les moyens du bord: enrayer l’hémorragie, limiter la casse et le découragement de producteurs dynamiques, capables de structurer les économies rurales de demain, qui sont ceux qui manifestent aujourd’hui.

La palette de mesures ayant potentiellement un effet favorable est limitée. Il est possible de relever le prix de déclenchement du stockage public (intervention) de 21,7 cents à 25 cents, pour le mettre en phase avec la réalité économique du secteur, sans alimenter une surproduction artificielle, comme cela s’est vu par le passé.

D’aucuns attendent également de la Commission qu’elle dégage une « enveloppe financière » pour le secteur laitier. Ce serait également utile. Mais, pour éviter le saupoudrage budgétaire et l’affichage politique sans réel impact économique, les mesures devront être ciblées sur les zones et les défis rencontrés par les secteurs en difficultés : défi des charges financières liés aux prêts contractés par ceux qui ont investi récemment pour préparer l’avenir ; défi des exploitations modestes présentes en zones plus défavorisées et touchées par ricochet quand bien même leurs marchés sont beaucoup plus locaux ; défi de la prolongation de la fermeture du marché russe ; défi de la conquête de nouveaux marchés et donc des investissements de promotion à réaliser sachant que les bénéfices nécessitent a minima de 12 à 18 mois avant d’être tangibles.

C’est en gérant au mieux les prochains mois, et en ouvrant le chantier de la PAC de demain rapidement que l’Europe montrera son ambition pour l’économie agricole et agroalimentaire du continent, non seulement à travers son budget – qui reste conséquent – mais aussi à travers sa capacité à porter une vision et une stratégie pour ses agriculteurs, partout en Europe. Au-delà du signal économique, c’est aussi un signal politique qui est nécessaire pour redonner des perspectives d’avenir à ceux qui produisent quotidiennement l’alimentation des 500 millions d’Européens.