Réforme de la PAC: détermination et pragmatisme contre brouhaha et postures
Farm Europe n’a pas souhaité commenter l’échec de la négociation de la semaine dernière, et apporter son lot d’accusations au brouhaha véhiculé à coups d’invectives stériles sur les réseaux. Celles-ci ne facilitent en rien la recherche d’un compromis. La réaction visiblement sincère et mesurée du président de la commission de l’Agriculture, Norbert Lins, appelant chacune des institutions à s’interroger sur sa responsabilité dans l’échec sonne juste.
Au-delà des tweets rageurs, la recherche d’un compromis ambitieux, utile et pour la société et pour les agriculteurs ne passe pas par des postures comme peuvent se le permettre les ONGs. La PAC a un impact direct sur la vie de millions d’exploitants, sur nos écosystèmes par nature complexe et sur notre alimentation. Elle mérite mieux qu’un slogan, et doit se traduire par des outils et des actes concrets. On ne peut se permettre un compromis hasardeux aux airs d’expérimentation à l’échelle du continent, mettant en jeu notre alimentation.
Il est donc utile de se pencher sur les raisons de l’échec et de tenter d’apporter des pistes permettant l’émergence d’un compromis solide et utile pour l’Union.
Tout d’abord, il est nécessaire de remonter aux sources de la proposition initiale, et, avant d’accuser tel ou tel, penser à ceux qui ne sont d’ailleurs plus autour de la table! La proposition discutée a quelques forces, mais aussi un certain nombre de faiblesses qui expliquent aujourd’hui une grande partie des blocages et difficultés. En effet, comment oublier qu’une bonne partie des paramètres clefs de l’architecture verte étaient tout simplement une page blanche dans la proposition ? Chose peu classique, il revient aux co-législateurs de définir eux-mêmes des orientations clefs, de reconstruire les bases du socle environnemental de la PAC à travers le paramètrage des bonnes pratiques agro-environnementales exigées des agriculteurs et donner de la consistance aux écoschemes qui étaient au départ une boite vide. La Commission entendait reporter ces éléments à sa seule prérogative lors de l’examen des plans stratégiques nationaux, qu’elle aurait validé (ou pas) selon des critères non définis ou non publics. Mais une telle approche bureaucratique, pour des éléments aussi importants, ne devrait pas être acceptable. Cela reviendrait à confier la décision au libre arbitre de la Commission. Or, les ministres ne peuvent rester dans l’incertitude quant à des paramètres qui mettent en jeu des pans entiers de leur agriculture. Et le Parlement européen en tant que co-responsable politique peut-il accepter de ne pas avoir de la visibilité et se limiter à faire confiance à l’administration de la Commission ? La Politique agricole commune appelle à des décisions politiques. Formuler de telles décisions au fil de la négociation, lorsqu’elles sont insuffisamment préparées par l’institution qui détient l’exclusivité du droit d’initiative n’est naturellement pas simple.
Ensuite, il convient de rappeler que la PAC est désormais en co-décision, ce que semblent parfois oublier certains intervenants dans la négociation. Ceci a plusieurs implications. D’une part, le dialogue ne peut reposer sur une discussion bilatérale entre le Conseil et la Commission. Les co-législateurs doivent assumer leurs responsabilités politiques, ce qui passe forcément par d’intenses négociations et engagements directs entre le Conseil – la présidence – et l’ensemble des forces politiques clefs du Parlement européen, et pas seulement la commission de l’agriculture. Ce dialogue n’a pas eu lieu. Le Conseil n’a pas encore véritablement engagé de négociations directes avec le Parlement. C’est maintenant urgent ! D’autre part, cela signifie que, certes, la Commission a un rôle d’aide à la rédaction des compromis. Mais que ce rôle ne peut plus être exclusif. Nous l’avons bien vu lors du dernier trilogue : la Commission n’a tout simplement pas souhaité jouer ce rôle de facilitateur. Elle s’est engagée de façon partisane et déséquilibrée dans le débat, cassant la confiance nécessaire pour remplir pleinement cette mission. Tant côté Parlement que côté Conseil, les négociateurs doivent donc se doter d’une capacité propre à rédiger les compromis dans leurs aspects juridiques les plus complexes pour avancer même lorsque la Commission rechigne ou sort de son rôle. Cette capacité est désormais d’autant plus nécessaire que la Commission se veut être une entité politique et non plus technique comme ce fut le cas par le passé, et que cette ambition, parfois, paralyse son fonctionnement et sa capacité à proposer des compromis. Dès lors que la Commission fait de la politique, les co-législateurs doivent être en mesure de s’en émanciper pour réellement construire des compromis en se détachant, sur certains points de la proposition initiale.
Désormais, l’heure n’est plus aux postures, mais à la recherche de solutions équilibrées et fortes, qui prennent en compte la diversité des réalités locales. Il s’agit de façonner le Green Deal en actes et non pas en incantations, de traduire des objectifs en chemin concret. Chaque Etat membre doit être placé sur un chemin de progrès et non pas confronté à des objectifs irréalistes enfermant la PAC dans une voie sans issue ou plus simplement obscurs. Car, au final, un tel scénario donnerait raison à ceux qui réclament la remise en cause pure et simple de la PAC, sans se soucier des résultats sur le terrain. Environnement et profitabilité économique doivent aller de pair. A ce stade, certains compromis semblent sacrifier la durabilité économique aux objectifs environnementaux, alors même que les deux peuvent parfaitement cohabiter par l’investissement et l’innovation qui permettront de transformer les systèmes. Ce n’est pas en appauvrissant le monde agricole que l’on préservera davantage l’environnement, bien au contraire!
La négociation tourne maintenant autour d’un nombre de points très restreints qui incarnent comment façonner le green deal: les BCAE 8 et 9, les moyens alloués aux ecoschemes, la capacité à investir dans la transition économique et écologique des exploitations à travers un fléchage budgétaire d’une partie du second pilier, les garanties en matière de bon respect des droits sociaux, les moyens alloués à la gestion des risques et des crises, notamment à travers la constitution d’une réserve financière européenne, et tout ceci associé à une convergence interne et externe des paiements directs devant être praticable pour les Etats membres compte tenu des impacts cumulés de la baisse du budget et des réaffectations financières associés à la nouvelle PAC.
Le Green Deal à travers la PAC devra démontrer qu’il permet de jeter les bases d’une durabilité à la fois économique, environnementale et sociale.