NGTs: LES LAURÉATS DU PRIX NOBEL APPELLENT À L’APPROBATION DU RÈGLEMENT, L’UE DÉBAT ET LES VOIX BAVAROISES S’ÉLÈVENT

Des lauréats du prix Nobel et des coalitions scientifiques appellent le Parlement européen à adopter les nouvelles techniques génomiques pour le climat et la sécurité alimentaire. Au sein de l’UE, les débats s’intensifient sur le point de breveter ou non les plantes génétiquement modifiées.

Le Parlement européen a adopté sa position de négociation, tandis que la présidence du Conseil est toujours à la recherché d’une majorité pour adopter sa position sur les NGT, ce qui ouvrirait la voie à des trilogues.

Parallèlement, la FAO étudie l’impact des biotechnologies sur les petits exploitants agricoles.

Farm Europe souligne que la souveraineté agricole de l’UE reste à construire

Aujourd’hui, Farm Europe présente son Indicateur Systèmes Alimentaires Durables (*) à l’ouverture du 7ème Global Food Forum, à Bruxelles, en présence de David Clarinval, Vice-Premier Ministre et Ministre de l’Agriculture représentant la Présidence belge du Conseil, Janusz Wojciechowski, Commissaire européen à l’Agriculture, Dacian Ciolos, Membre du Parlement européen, ancien Premier Ministre et Commissaire européen ainsi que Arnaud Rousseau, Président de la FNSEA et Ettore Prandini, Président de la Coldiretti.

Cet indicateur montre que la souveraineté agricole de l’UE reste à construire. Il montre également les forces et les faiblesses de chaque État membre. L’analyse de tous les indicateurs montre que, si l’UE reste une puissance agricole mondiale, elle est aussi fragile, exposée aux jeux géopolitiques, aux risques climatiques et à la dépendance à l’égard des aliments pour animaux et des engrais. En outre, l’UE ne profite pas des opportunités offertes par la bioéconomie (bioénergie et biomatériaux).

Le niveau d’interdépendance de chaque État membre au sein de l’UE est élevé. Dans la plupart des pays de l’UE, la plupart des indicateurs économiques agricoles sont au rouge : le revenu par hectare a diminué de 12 % au cours des 20 dernières années, l’UE a perdu 37 % de ses agriculteurs et les paiements directs ont diminué de 31 %. Globalement, les consommateurs et les finances publiques ont été les grands gagnants des politiques de l’UE, tandis que les agriculteurs sont les grands perdants.

Les transitions environnementales sont en cours dans tous les États membres, à l’exception d’une poignée d’entre eux, comme les Pays-Bas et le Danemark. Avec la Finlande, la Hongrie et la Lituanie, ces cinq pays n’ont pas fait de l’environnement une priorité. Pourtant, au cours des 20 dernières années, à l’échelle européenne, les émissions ont baissé de 8 % dans le secteur agricole, et de 20 % pour les cultures arables. L’utilisation des produits phytosanitaires les plus dangereux a été réduite de 43 % depuis 2011.

Au cours des 20 dernières années, les faiblesses de la production de l’UE et l’urbanisation ont entraîné la perte de 10 millions d’hectares. Dans le même temps, l’UE a augmenté son impact sur l’utilisation des terres en dehors de l’Europe avec 11 millions d’hectares de déforestation importée, notamment en raison de sa dépendance en matière d’aliments pour animaux.

La République tchèque obtient le meilleur score, avec la France, la Roumanie et la Pologne, pour sa capacité à assurer la durabilité sociale, environnementale et économique. En revanche, les systèmes de production de la Finlande, de la Suède, de Chypre et, dans une certaine mesure, de l’Allemagne sont les plus en difficulté.

L’Irlande, les Pays-Bas et l’Allemagne ont donné la priorité aux prix bas pour les consommateurs. Les meilleures dynamiques environnementales sont en cours en Grèce, en Roumanie, mais aussi en Irlande, en France et en République tchèque. Les paramètres économiques sont moins négatifs que dans les autres pays en République tchèque, aux Pays-Bas et en Roumanie, tandis que la meilleure dynamique de production est en cours en Pologne et en Lettonie. La Hongrie est le seul État membre à connaître une réelle dynamique en matière de bioéconomie.

(*) L’indicateur de durabilité de Farm Europe fournit une vue d’ensemble des paramètres clés de la durabilité sociale, économique et environnementale. Il s’appuie sur 12 indicateurs de situation et de tendances et donne une image cohérente de la situation actuelle de l’agriculture européenne et de chaque État membre. Il reflète 20 ans de choix politiques, ainsi que les défis climatiques, sociaux et géopolitiques. Il est basé sur des ensembles de données structurelles, économiques et environnementales provenant d’institutions internationales et européennes (Eurostat, Comext, RICA, FAO, etc.).

NGTs : une bonne nouvelle pour les agriculteurs, ternie par une demande d’étiquetage

Avec 307 voix pour, 263 contre et 41 abstentions, le rapport sur le cadre juridique des nouvelles techniques génomiques (NGT) a été approuvé par le Parlement européen. C’est une bonne nouvelle qui donnera aux agriculteurs de nouveaux outils pour s’adapter au changement climatique et utiliser moins de produits chimiques.

Cependant, le Parlement européen a voté pour une position qui diffère à bien des égards de celle de la Commission européenne et qui le rend beaucoup plus prudent à l’égard des NGT. Alors que la Commission mettait les NGT1 sur un pied d’égalité avec les variétés conventionnelles, le Parlement européen exige que les NGT1 répondent à des critères de durabilité et fassent l’objet d’une évaluation environnementale avant d’être mises sur le marché. En outre, Farm Europe regrette que le vote d’aujourd’hui demande d’imposer l’étiquetage non seulement du matériel végétal de reproduction, mais aussi des produits finis contenant des NGT1.

Alors que la Commission a évité la question des brevets en la reportant à une autre législation, le Parlement impose une interdiction de brevet sur les nouvelles techniques génomiques. Sur le plan biologique, l’exclusion des NGT est confirmée, mais la Commission est invitée à réviser cette décision sept ans après l’entrée en vigueur du règlement. Ce texte devra ensuite être négocié avec le Conseil une fois que les 27 États membres se seront mis d’accord sur une approche générale. Cet après-midi, la présidence belge du Coreper tentera d’avancer dans cette direction.

Normes de production : problèmes de sens, de multiplication et de bureaucratie

L’une des causes de la détresse des agriculteurs, souvent évoquée dans les manifestations de ces derniers jours, est l’excès de bureaucratie auquel ils doivent faire face pour accéder aux fonds de la PAC. Les agriculteurs ont l’impression que Bruxelles leur dicte leur façon de cultiver et d’élever le bétail. Ce sentiment est certainement justifié à la lumière des récents développements politiques, tant au niveau européen que national. Les raisons en sont multiples. Elles ne sont pas toutes imputables à la PAC en tant que telle, mais toutes nécessitent une réelle volonté politique pour être surmontées.

Tout d’abord, il faut souligner que le budget européen alloué à la Politique agricole commune (PAC) est évidemment très important. Il nécessite donc des contrôles et des garanties appropriés pour s’assurer que l’argent public est utilisé de manière responsable et pour minimiser le risque de fraude. Chaque fonds européen nécessite des coûts de gestion et de contrôle, et ceux de la PAC ne sont pas plus élevés que ceux des autres fonds européens. Pour les organes administratifs, le total des coûts administratifs annuels est estimé à environ 3 % du budget de la PAC. Pour les agriculteurs, la part des coûts administratifs correspond à environ 2 % des coûts internes.

Cependant, il est également vrai que la dernière réforme de la PAC a augmenté la bureaucratie avec l’introduction de mesures vertes – en particulier lorsqu’il s’agit de se conformer aux définitions des zones d’intérêt écologiques (ZIE). Pour les administrations des États membres, il s’agit là du principal facteur d’augmentation des coûts liés au respect des exigences en matière de contrôle et à la cartographie de ces zones. Pour les agriculteurs, elle est liée à la déclaration correcte des ZIE (longueur de la déclaration, localisation et précision des dimensions) et à l’augmentation du nombre de contrôles d’audit dans les exploitations.

Cette complexité croissante s’est accélérée avec la dernière réforme de la PAC. Les éco-régimes introduits en 2023 ne sont pas seulement une reconnaissance des bénéfices environnementaux de certaines pratiques agricoles. Ils entraînent également des coûts d’adaptation, parfois importants. Ce changement est d’autant plus difficile pour les agriculteurs que les fonds de la PAC ont diminué en termes économiques réels : entre 2003 et 2023, l’enveloppe européenne de la PAC a perdu 40 % de sa valeur.

Des fonds plus faibles, plus difficiles à percevoir

En ce qui concerne la PAC actuelle, entrée en vigueur le 1er janvier 2023, il est bien sûr trop tôt pour quantifier l’impact sur la charge bureaucratique pesant sur les agriculteurs. Il est normal qu’une phase de mise en œuvre génère une période d’adaptation considérable. Si, pour les administrations, l’introduction des éco-régimes et le renforcement des exigences en matière d’écoconditionnalité ont certainement représenté une augmentation considérable de la bureaucratie, du moins dans la phase initiale, pour les agriculteurs, le changement constant des règles est en soi un problème majeur, associé à un stress permanent qui explique, du moins en partie, le ressentiment des agriculteurs à l’égard de la charge bureaucratique. Pour eux, les exigences administratives supplémentaires sont réelles et durables si rien n’est fait pour les alléger.

De plus, la bureaucratie à laquelle les agriculteurs doivent faire face n’est pas seulement liée au volet européen de la PAC ; dans certains cas, ce sont des exigences nationales qui s’ajoutent, par choix de l’État membre, aux conditions à remplir pour bénéficier des fonds européens. Cette tendance s’est renforcée avec le nouveau modèle de mise en œuvre de la PAC. Une grande partie des règles relève de la responsabilité des États membres eux-mêmes, dans le cadre de leurs plans stratégiques, approuvés par la Commission européenne, mais élaborés au niveau national.

Les autorités nationales gérant les paiements de la PAC, il n’est pas possible pour les agriculteurs de faire la distinction entre les exigences administratives européennes et locales. Le niveau de mise en œuvre et la gouvernance des différents États membres (centralisée ou régionale) font que les exigences bureaucratiques imposées aux agriculteurs ne sont pas les mêmes dans toute l’UE. Cependant, une conclusion s’impose d’ores et déjà : le transfert des règles au niveau des États membres n’est pas un gage de simplification, et il s’accompagne d’un effet collatéral néfaste, qui compromet l’égalité des conditions de concurrence au sein du marché intérieur, générant une concurrence déloyale d’un pays à l’autre.

Quoi qu’il en soit, il existe des solutions concrètes pour simplifier ce cadre, et Farm Europe a déjà proposé certaines d’entre elles en 2019.

  • Afin de simplifier considérablement la charge administrative de la PAC et des plans stratégiques nationaux, il est possible de limiter les règles et les audits associés aux plus ambitieux. Lorsqu’un agriculteur met en œuvre un éco-régime, qui est par nature plus ambitieux et plus efficace que l’exigence de base (conditionnalité) associée aux paiements directs, ses efforts devraient être considérés comme supérieurs aux règles de conditionnalité par définition. Par conséquent, il ne devrait plus être soumis à aux contrôles portant sur la conditionnalité elle-même. Il s’agirait d’une mesure d’équivalence automatique, garantissant une simplification considérable sans perte d’ambition pour la PAC. Au contraire, elle renforcerait l’attractivité des éco-régimes et soutiendrait ainsi les agriculteurs dans leur démarche positive de transition.
  • Par ailleurs, un groupe de travail devrait être créé au sein du Conseil, composé d’experts agricoles de chaque État membre, afin de veiller à ce que les règles de mise en œuvre de la Politique agricole commune soient aussi simples que possible et ne faussent pas la concurrence sur le marché intérieur. A cet égard, des échanges structurés de bonnes pratiques entre Etats membres devraient être encouragés, afin de s’assurer que chacune des règles de conditionnalité soit soumise à un niveau d’ambition équivalent, cohérent avec la diversité des situations agronomiques.
  • Enfin, dans le cadre du débat actuel sur la simplification des règles, il convient d’autoriser les États membres à réviser leurs plans stratégiques nationaux en vue de simplifier les conditions d’éligibilité à partir de 2024. La Commission européenne devrait s’engager à approuver ces plans stratégiques nationaux révisés dans les meilleurs délais.

En tout état de cause, c’est plus encore le sens des mesures et la prolifération des règles, parfois contradictoires, que les problèmes administratifs en tant que tels qui semblent poser problème.

Poursuite de la simplification et de la réduction de la bureaucratie

Pour un échantillon d’agriculteurs interrogés dans le cadre de l’étude de la Commission européenne (1), le temps médian consacré aux activités strictement administratives liées à la PAC est de 15 heures par an (sans prendre en compte la surcharge de travail dans les champs). Ce chiffre comprend tout le temps consacré aux activités administratives par l’agriculteur, les membres éventuels de sa famille ou les travailleurs rémunérés. Mais ce temps varie considérablement si l’on prend des agriculteurs de différents États membres.

La possibilité de recourir à une aide extérieure a également un impact significatif sur le temps que les agriculteurs consacrent à la paperasserie. Dans le même échantillon, 43 % des agriculteurs ont eu recours à une aide extérieure (rémunérée) pour les tâches administratives liées à l’aide. Cette aide est souvent fournie par des coopératives ou des organisations professionnelles et, dans une moindre mesure, par des banques ou d’autres prestataires de services. Ces services sont souvent couverts par les cotisations des coopératives ou inclus dans les frais bancaires. Le recours à cette solution est plus répandu en Italie, en Espagne et en Suède, où les demandes d’aide sont rarement faites en interne. En revanche, moins de 30 % des agriculteurs interrogés à Malte, en France, aux Pays-Bas, en Allemagne et en Estonie le font.

Le niveau de numérisation dans les différents États membres a également un impact majeur sur la simplification de la paperasserie – depuis la dernière réforme, la numérisation des procédures s’est généralisée. L’automatisation, la numérisation et l’utilisation des nouvelles technologies pour la gestion et le contrôle de la PAC ne devraient pas seulement créer des avantages pour l’avenir, mais ont déjà prouvé leur efficacité.

L’étude susmentionnée estime que les coûts encourus par les administrations pour le verdissement représentent l’un des principaux postes de dépenses dans la gestion et le contrôle des paiements directs. Cependant, la situation varie fortement d’un État membre à l’autre, les petits États membres supportant des coûts plus élevés que les grands. Pour les exploitations agricoles, la situation varie également en fonction du coût de la main-d’œuvre dans les différents États membres. Le traitement des demandes et les contrôles sur place nécessitent des coûts de main-d’œuvre importants.

Le FEADER (Fonds de développement rural) est un fonds dont la charge administrative est relativement élevée en raison du type, de la taille, de la variété et de la conditionnalité de ses interventions. Les erreurs ajoutent une charge et un coût supplémentaires pour les agriculteurs et les entreprises, ainsi que pour les administrations publiques. Lorsque de telles erreurs se produisent, des clarifications et des échanges de données supplémentaires sont nécessaires.

En 2017, le règlement Omnibus comprenait déjà une proposition visant à simplifier davantage les quatre règlements de la PAC au profit des agriculteurs et des autorités nationales. Cependant, il est nécessaire d’aller plus loin.

Propositions :

  • Travailler sur le sens des règles et la cohérence entre elles.
  • Considérer que les agriculteurs sont automatiquement éligibles aux règles de base de la conditionnalité dès lors qu’ils s’engagent dans des programmes plus ambitieux (éco-régimes).
  • Préserver la concurrence sur le marché intérieur en évitant les règles nationales qui désavantagent les agriculteurs d’un pays par rapport à un autre, en créant un groupe de travail au sein du Conseil associant le monde agricole et les institutions.
  • Ouvrir la possibilité à tous les Etats membres de simplifier les règles initialement prévues dans les plans stratégiques nationaux à partir de 2024.

Dialogue stratégique : retrouvons le chemin des bonnes nouvelles pour l’agriculture européenne

La présidente de la Commission européenne a lancé, aujourd’hui, les travaux du dialogue stratégique pour l’agriculture. Ce débat intervient en fin de mandat de l’actuelle Commission européenne, et dans un climat très particulier. Tour d’horizon des enjeux agricoles.

Au l’échelle de l’Union européenne, plus de 16 pays en moins de 18 mois ont été touchés par des manifestations agricoles d’ampleur, ce qui montre qu’il s’agit bien d’une crise européenne, au-delà des étincelles nationales qui déclenchent les mouvements. 

Ce ras-le-bol généralisé s’explique à la fois par des tendances de long terme et de court terme. 

En 1992, le choix politique pour la Politique agricole commune a été de faire baisser les prix, et de compenser des prix agricoles structurellement bas par des aides directes. En deux étapes 1992-1996 puis 2000-2006, l’Europe est passé d’un système de prix garantis à un système de soutien à des prix 50% inférieurs à ceux du passé. 

Depuis, les aides directes n’ont cessé de baisser du fait de la baisse du budget de la PAC — entre 2008 et 2027, elles auront perdu plus de 40% de leur valeur, alors qu’elle représentent en moyenne plus de la moitié du revenu agricole. En plus de cela, elles sont devenues de plus en plus difficiles à percevoir pour les agriculteurs à travers des exigences environnementales accrues (plus de coûts), mais aussi à travers des mécanismes d’aides plus complexes (paperasserie) : il faut justifier, documenter, et s’exposer à des contrôles. 

Le résultat est simple: le revenu par hectare baisse depuis 30 ans. Il est au même niveau que celui de 1995 malgré une charge de travail qui augmente et un climat d’incertitude beaucoup plus grand que par le passé du fait de la volatilité des prix et du changement climatique. 

Pour maintenir leur niveau de vie, les agriculteurs n’ont eu d’autre choix que d’agrandir leurs exploitations, d’investir (notamment pour répondre aux nouvelles contraintes règlementaires), et donc de s’endetter davantage. Résultat, au premier retournement des marchés, ils sont encore plus exposés que par le passé. 

En 2021 et 2022, des aides exceptionnelles ont été versées aux agriculteurs dans la plupart des pays (montants qui représentent l’équivalent de 15% du budget de la PAC a été ajouté par les Etats membres qui le pouvaient IT, DE, FR en tête), ce qui a masqué temporairement la réalité d’une baisse forte des aides directes sur la période 2021-2027. 

Avec la fin du quoi qu’il en coûte, 2024, est l’année du retour à la réalité crue du choix politique réalisé en 2019: celui d’une augmentation du niveau d’ambition environnemental, associé de façon paradoxale à un recul net de ces soutiens publics, plus complexes à percevoir. Dans un contexte où les cours plongent. 

Car c’est le paradoxe de cette période, et des prochaines années si un nouveau cap n’est pas construit. Dans le même temps, les pouvoirs publics se sont progressivement désengagés des problèmes économiques du monde agricole, et ils ont multiplié les initiatives environnementales venant très directement affecter la compétitivité des exploitations, disant aux cultivateurs comment cultiver et aux éleveurs comment élever. 

Alors, certes une bonne partie des nouvelles normes européennes du Green Deal n’est pas encore entrée en vigueur, mais la PAC mise en place en 2023 en intègre déjà quelques-unes  (c’est le volet PAC du green deal), notamment à travers les éco-régimes, et certains Etats membres ont choisi d’anticiper certaines obligations se retrouvant dans les propositions  A cela s’ajoute la complexité accrue pour toucher des aides plus faibles, cela, les agriculteurs le voient bien depuis 2023. 

Le pari réalisé avec le Green Deal était ce qui a été appelé la montée en gamme: les consommateurs allaient payer leur alimentation plus chère, compte tenu des enjeux environnementaux auxquels ils sont sensibles, et les investissements nécessaires pour réaliser les transformations agricoles se feraient grâce à l’argent pas cher — ce qui était la réalité de l’époque. C’était l’idée d’avoir moins d’aide, plus de prix. Et donc faire payer les consommateurs. 

Sauf que ce contexte initial dans lequel cette stratégie a été conçue appartient totalement au passé. L’argent public n’a plus les effets de leviers — parfois totalement irréalistes — qu’avançaient la Commission européenne à l’époque. Et les consommateurs ont déserté les segments premium, contraints, du fait de l’inflation de chercher le prix. L’agriculture bio en est la première victime. Mais l’ensemble de la stratégie de montée en gamme est prise à contre-pied. Les productions locales sont remplacées par les importations plus compétitives. L’histoire de la désindustrialisation se réécrit pour l’agriculture. La pollution ne baisse pas, elle s’exporte, avec un bilan négatif pour la planète et pour l’économie. 

A cette réalité crue s’ajoute une forme de légèreté de la part de la Commission européenne dans son approche de la stratégie commerciale, qui persiste à vouloir avancer sur l’accord Mercosur qui serait une catastrophe pour certains secteurs agricoles, et qui a ouvert les vannes des importations de produits agricoles en provenance d’Ukraine sans en mesurer les conséquences pour les agriculteurs européens. 

De facto aujourd’hui, l’agriculture ukrainienne fait parti du marché intérieur européen, sans aucune préparation ni transition. Il ne s’agit pas d’une perspective lointaine, c’est une réalité économique déjà présente. Pourtant, le modèle agricole ukrainien est celui des grands domaines, la moyenne est de plus de 1000ha — avec une centaine de domaines de plusieurs dizaines voire de plusieurs centaines de milliers d’hectares. La moyenne européenne est autour de 20 hectares, autour de 70 pour la France à titre d’exemple.

Notre modèle agricole est donc confronté à un double défi: celui d’une transition environnementale low cost, et la confrontation directe avec une puissance agro-industrielle aux antipodes de la réalité économique de nos fermes, et qui entre sans respect pour des normes actuelles et futures. 

Les manifestations sont les symptômes d’une équation impossible à résoudre pour les agriculteurs. Il est maintenant de la responsabilité de l’Union européenne de remettre sa politique agricole sur les bons rails et de développer les solutions— qui existent — au plan européen pour une gestion ordonnée des transitions environnementales en gardant l’ambition de rester une puissance économique agricole de premier plan, et donc avec un volet production sur l’ensemble des segments de marché. C’est un sursaut européen qu’il faut construire en corrigeant les défauts du Green Deal avec un nouveau Farm Deal européen. Il s’agit là certainement de l’enjeu du Dialogue stratégique, mais plus encore des prochaines élections européennes. 

Manifestations agricoles : la colère appelle des réponses structurelles de la part de l’UE

Depuis 2019, la crise du Covid et la guerre en Ukraine ont remis l’agriculture et la souveraineté alimentaire sur le devant de la scène, y compris dans les discours politiques. Ce regain d’intérêt pour l’agriculture ne s’est toutefois pas traduit par des actions fortes en faveur d’un secteur confronté aux effets tangibles du changement climatique et à une concurrence internationale féroce.

Les protestations des agriculteurs dans les pays de l’UE s’étendent maintenant à la France et à l’Allemagne. Depuis que le mécontentement des agriculteurs a commencé aux Pays-Bas il y a plus d’un an, il s’est propagé à plus de 15 États membres qui ont connu des manifestations de grande ampleur. Seule une poignée de pays n’a pas été touchée par ce mouvement : Chypre, Malte, l’Autriche, la Croatie, le Danemark, la Suède, la Finlande et, dans une moindre mesure, la République tchèque et l’Italie.

Bien entendu, le déclencheur est différent d’un pays à l’autre. En Europe centrale et orientale, la hausse des importations en provenance d’Ukraine est le principal catalyseur. En Europe occidentale, ce sont les normes qui entraînent une baisse de la production. À cet égard, une récente étude de l’INRAE confirme les analyses antérieures montrant l’impact négatif des mesures envisagées par l’UE à travers le programme Farm to Fork, le volet agricole du Green Deal. Elle évalue la baisse potentielle de la production européenne totale à 15 %, contre 9,6 % précédemment (-26 % pour les grandes cultures).

Il convient de souligner que les principales composantes de ces mesures, encore en discussion – réduction de l’utilisation des produits phytopharmaceutiques et des engrais, augmentation des jachères et de l’agriculture biologique – n’ont pas encore produit tous leurs effets réglementaires au niveau des exploitations, à l’exception de quelques pays qui ont anticipé certaines de ces mesures. Cependant, la dynamique ne peut être ignorée. Elle repose sur une idée initiale : pousser les agriculteurs à s’engager dans les transitions environnementales par de nouvelles contraintes réglementaires qui s’ajoutent à la PAC et les obligent à investir.

Paradoxalement, cette stratégie est largement associée à une réduction des soutiens publics à l’agriculture, pour les réaffecter à d’autres priorités. Elle a été conçue dans un contexte économique et financier aujourd’hui révolu : l’ère du crédit quasi gratuit. Elle repose également sur un autre paradoxe : l’idée que moins de production résoudra les problèmes alors que l’Europe a plus que jamais besoin de ses agriculteurs et de ses produits agricoles pour répondre aux besoins multiples de l’alimentation humaine et animale et de l’économie verte en plein essor.

Il y a un consensus sur le fait que COVID et la guerre en Ukraine ont plongé l’Europe dans un monde nouveau, où l’alimentation est une chaîne de valeur stratégique à part entière, utilisée comme une arme géopolitique par la Russie de Poutine, mais aussi par toutes les autres grandes puissances. Il est urgent d’en tirer toutes les conséquences au sein de l’Europe, afin que les agriculteurs ne soient pas pris entre des injonctions contradictoires et une équation insoluble : plus de coûts, moins de production. L’enjeu majeur des mouvements actuels et des réponses qui y sont apportées est de repositionner l’agriculture comme un secteur stratégique par des actions concrètes favorisant à la fois la performance économique et la performance environnementale.

Un chiffre illustre la situation actuelle. L’inflation est de retour, faisant fondre la valeur économique des subventions de la Politique agricole commune (PAC) comme neige au soleil. L’accord budgétaire pour la période 2021-2027 a déjà tiré un trait sur l’équivalent d’une année d’aides directes en euros constants. Avec l’inflation, ce sont au minimum deux années d’aides directes aux agriculteurs qui disparaîtront de l’équilibre économique des exploitations agricoles de l’Union européenne.

Au total, les revenus agricoles se situent aujourd’hui, en euros constants, au même niveau qu’en 1995, malgré, pour les agriculteurs qui le peuvent, des structures plus importantes et l’obligation d’une plus grande utilisation du capital. Ce qui ne manque pas de créer des situations financières dramatiques au moindre faux pas des marchés.

On comprend que, dans une telle situation, les agriculteurs aient le sentiment de ne pas être soutenus dans leur transition, ni par les pouvoirs publics, ni par les consommateurs, dont les dépenses alimentaires continuent de baisser, malgré les récentes poussées inflationnistes qui ont pénalisé les plus fragiles d’entre eux. Pourtant, chacun sait qu’il n’y a pas de transition à bas coût, en agriculture comme ailleurs. Il faudra la financer, sauf à délocaliser notre alimentation ailleurs dans le monde, quitte à fermer les yeux sur les impacts économiques, sociaux, environnementaux et géopolitiques d’un tel choix.

Face à tous ces défis, il est clair que la nature des manifestations en Europe, et en particulier dans les pays occidentaux de l’Union, ne relève pas de problèmes conjoncturels ou d’une mauvaise humeur passagère. Il s’agit de déséquilibres structurels, liés à des orientations politiques concrètes, qu’il convient de corriger.

Pour rétablir l’équilibre, l’Union européenne devra retrouver l’ambition politique de sa plus grande politique commune, la PAC. Au fil du temps et des réformes, la PAC a eu tendance à devenir moins politique, moins agricole et moins commune. Sa composante économique a été largement désarmée. Inversons la tendance et retrouvons la voie de l’investissement dans l’avenir et de la solidarité avec le monde agricole à l’échelle européenne. Plutôt que moins d’Europe, la situation actuelle appelle à un sursaut de souveraineté agricole européenne.

Le débat stratégique annoncé par la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, peut en être l’occasion. Il doit nous permettre de nous accorder sur un constat objectif et sincère de la situation, associé à une réelle volonté de soutenir les agriculteurs au niveau européen face aux nombreux défis – y compris économiques – auxquels ils sont confrontés, et d’apporter à ce secteur stratégique le soutien qu’il mérite face aux bouleversements du monde en cours. Des solutions existent.

IED : un besoin de cohérence et de travail collectif

Les institutions européennes sont parvenues, hier, à un accord provisoire sur la révision de la directive sur les émissions industrielles (IED), après des débats très tendus sur l’inclusion ou non de certains secteurs agricoles dans le champ d’application de cette réglementation.
Finalement, grâce à la détermination du rapporteur du Parlement européen, les colégislateurs ont décidé de ne pas inclure le secteur de l’élevage des ruminants, une décision saluée par Farm Europe.
Ils ont également décidé de renforcer les seuils pour les secteurs déjà couverts par ce règlement. Les producteurs de porcs et de volailles seront affectés par ce nouveau règlement.
Cependant, tous les secteurs de l’élevage sont concernés par deux dispositions importantes — et à saluer — obtenues par le Parlement européen en vue de la révision de 2028 :

  • Tout d’abord, il est demandé à la Commission européenne « d’évaluer, et de faire rapport au Parlement européen et au Conseil sur la nécessité d’une action de l’Union pour traiter de manière globale les émissions provenant de l’élevage, en particulier des bovins, en tenant compte de la gamme d’instruments disponibles et des spécificités du secteur », d’ici à décembre 2026. Il s’agit là d’une reconnaissance du fait que les spécificités de l’agriculture devraient être couvertes par un règlement adéquat, et non par la directive IED. En d’autres termes, cette disposition ouvre la voie à l’exclusion potentielle de tous les secteurs de l’élevage. L’agriculture devrait sortir du champ d’application de ce règlement et être couverte par un cadre spécifique. Dès lors que les agriculteurs travaillent avec la nature et des animaux vivants, ils ne devraient en aucun cas être assimilés à des activités industrielles. Un cadre adapté devrait donc être mis en place pour saisir la complexité de l’agriculture en ce qui concerne son empreinte environnementale, mais aussi mieux appréhender ses co-bénéfices.
  • Deuxièmement, « la Commission devrait évaluer et faire rapport au Parlement européen et au Conseil de la nécessité d’une action de l’Union pour traiter de manière globale les émissions provenant de l’élevage, en particulier du bétail, en tenant compte de la gamme d’instruments disponibles et des spécificités du secteur ». Cette disposition couvre toutes les activités d’élevage et invite la Commission à mettre en place des conditions de concurrence équitables pour tous les produits mis sur le marché de l’UE, qu’ils soient fabriqués en Europe ou importés. À l’heure où l’Union européenne multiplie les efforts pour favoriser les échanges, les producteurs ne comprendraient pas, à juste titre, d’être confrontés à la concurrence déloyale de viandes importées dont l’empreinte environnementale est plus élevée. De facto, l’Europe se tirerait une balle dans le pied en augmentant la charge qui pèse sur ses producteurs, tout en ouvrant largement son marché.
    Par conséquent, si le compromis atteint par le trilogue n’est certainement pas parfait pour tous les producteurs, il contient des dispositions qui ouvrent la voie à une approche améliorée et plus cohérente. Elle appelle à un travail collectif de tous les éleveurs, en amont des clauses de révision.

IED : AU-DELÀ DE LA POLITIQUE, DE BONNES RAISONS DE NE PAS INCLURE L’ELEVAGE RUMINANT

Les négociations finales sur la directive relative aux émissions industrielles aborderont des questions majeures pour l’avenir de l’élevage européen. Il y a de bonnes raisons de ne pas commettre l’erreur d’inclure l’élevage dans le champ d’application de ce règlement.

Nous considérons que l’inclusion de l’élevage ruminant dans le champ d’application de la directive sur les émissions industrielles aboutirait même exactement à l’inverse de ce qui est visé, en encourageant la tendance de ce secteur à l’intensification, alors que les décideurs visent à promouvoir l’élevage extensif en raison de ses multiples co-bénéfices, notamment pour le stockage du carbone, les caractéristiques du paysage et la biodiversité.

C’est pourquoi nous soutenons pleinement l’approche du Parlement européen sur ce dossier et considérons que les États membres de l’UE devraient suivre cette voie, en excluant l’élevage ruminant du champ d’application de ce règlement et en abordant le défi des émissions dans d’autres cadres réglementaires spécifiques, afin de mieux appréhender la complexité et la nécessité d’approches holistiques de ce secteur.

Traiter de la durabilité de ce type d’élevage uniquement sous l’angle des émissions offrirait une prime aux modèles les plus intensifs, en position d’optimiser au maximum la gestion de leurs émissions, et de passer à côté de toutes les aménités positives associées à l’élevage à base d’herbe.

La directive sur les émissions industrielles prévoit le développement des meilleures techniques agricoles disponibles (MTD) pour tenir compte de chaque type d’élevage. Les ministres de l’environnement envisagent une dérogation pour l’élevage extensif, afin d’exclure les exploitations ayant moins de 2 bovins par hectare. En soi, ces idées démontrent la spécificité du secteur, et sa complexité. Mais dans certains cas, si ces dérogations sont une réponse à la charge administrative liée à IED, elles ne résolvent pas le problème le plus fondamental : l’évolution future du marché, qui donnera l’orientation de l’élevage à l’avenir.

Si, à l’avenir, certains élevages peuvent être parés de vertus sur la seule base des émissions, c’est sur ce seul paramètre que les grands acheteurs, notamment ceux qui sont cotés en bourse, feront leurs choix d’achat pour se conformer aux paramètres ESG valorisés par les marchés financiers. Pour eux, la priorité sera donnée à la réduction des émissions de l’amont agricole, au détriment de tous les autres co-bénéfices, y compris le bien-être animal, la biodiversité et le développement régional équilibré.

Ainsi, plutôt que de réglementer l’élevage par une approche simpliste, il convient de développer une trajectoire ad hoc de réduction des émissions dans un cadre plus large qui tienne compte de la capacité de stockage des prairies et de tous les autres paramètres propres à ce type d’élevage, y compris la biodiversité, l’impact sur le paysage et la contribution au développement économique des zones reculées.

En d’autres termes, il faut reconnaître la réalité : l’élevage de ruminants n’est pas une activité industrielle en Europe. Il n’a pas sa place dans une directive sur les émissions industrielles.

NGTs: LES ONGs ET LES DÉTAILLANTS RÉAGISSENT À LA PROPOSITION

Les propositions de la rapporteur PPE en COMENVI du parlement européen suscitent l’opposition des partis de gauche en ce qui concerne l’autorisation d’utilisation des NGTs de catégorie 1 en agriculture biologique tout particulièrement.

Parallèlement au parlement européen qui a accéléré le rythme de ses travaux, le Conseil des ministres de l’agriculture discute à nouveau le 20 novembre de ce dossier en vue d’adopter une approche générale du conseil (position de négociation du conseil avec le parlement européen).

En Allemagne, les grands groupes de distributeurs divergent sur le dossier des NGTs et le besoin d’étiquetage ou non.

Des chercheurs d’Afrique et d’Amérique latine finalisent la mise au point des pommes de terre résistantes au mildiou.