UE / Ukraine : analyse des principales productions végétales agricoles

Dans le cadre du processus entamé d’élargissement de l’Union Européenne à l’Ukraine, Farm Europe a analysé à la fois le poids et la compétitivité comparée des principales filières végétales de l’Ukraine par rapport à celles de l’Union Européenne.

Le différentiel de compétitivité s’affiche entre 19 et 39% selon les filières, l’essentiel tenant à des facteurs structurels. A celle-ce doit s’ajouter la compétitivité « carbone » conférée par la richesse naturelle des sols exploités.

Alors que les étapes et conditions d’adhésion vont être à dessiner et que les programmes de pré-adhésion seront définis et lancés, il nous parait important que des données objectives puissent être la base (ou contribuer) à définir la feuille de route de l’Union Européenne, sans oeillères ni faux-fuyants.

Ukraine & Union européenne : chiffres clés des principales productions végétales agricoles 

En 2022, la surface agricole utile ukrainienne s’étendait sur 41,3 millions d’hectares, dont 32,7 millions d’hectares de terres arables (Service national des statistiques d’Ukraine (SSSU)). Cette surface agricole fait de l’Ukraine le plus grand pays agricole du continent européen. 45 % de la surface du pays est composée de sols riches en humus, particulièrement fertiles, appelés tchernozioms “riches”.

Marqué par son passé communiste, le secteur agricole ukrainien est caractérisé par 110 énormes entreprises agricoles intégrées verticalement, appelées agro-holdings, qui contrôlent tout ou partie de la chaîne de production (culture-élevage, transformation, commerce). Celles-ci ont un objectif de rentabilité des capitaux investis, et investissent pour cela dans des équipements de pointe, de grandes dimensions, ainsi que dans l’utilisation des intrants. Vingt d’entre elles détiendraient 14 % de la Surface Agricole Utile (SAU) ukrainienne. 57 % de la SAU est exploitée par des entreprises agricoles de plus de 1 000 ha. L’agriculture joue un rôle économique majeur pour le pays, représentant 10,9 % du PIB en 2021 et près de 14,7 % de l’emploi. 

Sucre

Le secteur sucrier ukrainien est caractérisé par un schéma d’organisation et de compétitivité très différent de celui européen : les agro-holdings, énormes exploitations intégrées verticalement, exploitent 93 % de la surface betteravière. La surface moyenne cultivée est de 23 700 ha, soit 1 763 fois plus qu’ en Union européenne.

L’Ukraine dispose d’un coût de la main d’œuvre et de coûts d’investissements bien moindres. De plus, la présence de sols fertiles permet une utilisation plus faible d’intrants pour les cultures : jusqu’à 1,5 fois moins de fertilisants qu’en Union européenne.

L‘ouverture du marché européen à l‘Ukraine s‘est traduite par un afflux de sucres qui a entraîné une augmentation des stocks européens. Les exportations de sucre de l’Ukraine vers l’Europe ont augmenté de 230% entre 2022 et 2023, avec une capacité annoncée d’exportation sur l’UE de 800 000 T à 1 MT. La mise en place de mesures de sauvegarde limite désormais les exportations, pour le temps de leur application.

Analyse détaillée pour la filière sucre

Céréales

La production céréalière n‘est pas autant dominée par les grosses structures agricoles que la filière sucrière: 51 % de la production est réalisée par des structures de moins de 1 000 ha. A noter toutefois que 22% de la production est réalisée par des entreprises de plus de 3 000 ha. 

Si l’Ukraine venait à entrer dans l’Union européenne, le pays représenterait 20 % de la production céréalière européenne, soit 49 % de la production de maïs et 15 % de la production de blé.
Les coûts de production céréaliers ukrainiens sont en moyenne 30 % moins chers que ceux européens. 

Pour ces raisons, les importations de céréales depuis l’Ukraine ont doublé entre 2019/21 et 2023. L’Union européenne est devenue un pilier du soutien à l’économie ukrainienne, représentant 51 % des exportations de blé en 2023, contre 30% en 2021.

Analyse détaillée pour la filière céréales

Tournesol

Si 58 % de la production est réalisée par des structures de moins de 1000 ha, les entreprises de plus de 3000 ha représentent toutefois 17 % de la production. En 2023, la production ukrainienne seule était supérieure à l’ensemble de la production de l’UE. Ainsi, si l’Ukraine venait à entrer dans l’Union européenne, le pays deviendrait le premier producteur européen de graines, mais également d’huile de tournesol.

L’Ukraine est le premier fournisseur en huile de tournesol de l’UE depuis déjà une dizaine d’années. L’ouverture du marché européen à l’Ukraine n’a pas eu d’impact significatif sur les flux d’huile de tournesol en provenance d’Ukraine.

Analyse détaillée pour la filière tournesol

Colza

Les structures de moins de 1000 ha réalisent 73 % de la production de graines de colza, mais la production d’huile est dominée par 5 entreprises responsables de 92 % en 2021.
En 2020, le coût de production de colza ukrainien était en moyenne 1,5 fois moins cher que le coût de production français.

Par rapport à la moyenne 2018-2021, les productions ukrainiennes de graines et d’huile de colza ont augmenté de 57% et 174%. Parallèlement, les exportations ont augmenté de 37% et de 170% respectivement. Si l’Ukraine venait à entrer dans l’Union européenne, elle deviendrait le premier producteur de colza au sein de l’UE et représenterait 24 % de la production de graines et 4% de la production d’huile et de tourteaux.

L’UE était déjà le premier importateur des produits issus de colza d’Ukraine avant la guerre.Toutefois, les importations de graines ont augmenté et l’UE reçoit désormais 93% des exportations ukrainiennes de graines, contre 83% en 2020/21.

Analyse détaillée pour la filière colza

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QUELLES NOUVEAUTÉS DANS LE DERNIER TEXTE DE L’ACCORD UE-MERCOSUR ? 

La Commission européenne est parvenue à un accord révisé entre l’UE et le Mercosur en décembre 2024, qui présente quelques changements par rapport à l’accord précédent de 2019.

L’accord de Paris sur le changement climatique est désormais inclus. Il permettrait la suspension de l’accord si un pays quitte l’Accord de Paris et également s’il cesse d’être partie « de bonne foi ». Mais quelles sont les obligations des pays en développement, comme ceux du Mercosur, dans le cadre de l’accord de Paris ?

  • Planification de l’adaptation : les pays en développement doivent s’engager dans des processus de planification de l’adaptation et mettre en œuvre des actions pour renforcer la résilience au changement climatique. Cela inclut : d’évaluer les impacts du changement climatique et la vulnérabilité ; de formuler des actions prioritaires ; de surveiller, évaluer et tirer des enseignements des plans et actions d’adaptation.
  • Les pays en développement doivent également préparer, communiquer et maintenir leurs contributions déterminées au niveau national (CDN), qui sont leurs actions climatiques pour l’après-2020. Les CDN comprennent des actions visant à réduire les émissions de gaz à effet de serre et à renforcer la résilience au changement climatique. 
  • Les pays en développement doivent régulièrement rendre compte de leurs émissions et des progrès réalisés dans la mise en œuvre de leurs CDN. 

Aucune de ces obligations ne comporte d’objectifs spécifiques ou quantifiés. En outre, l’Accord de Paris ne prévoit aucune sanction en cas de non-respect. Il n’y a pas d’engagements de réduction de GES à respecter, ni aucun autre engagement chiffré.

Par conséquent, si un pays du Mercosur ne quitte pas l’Accord de Paris ou ne cesse pas de préparer son NDC, son inclusion dans l’Accord UE-Mercosur n’implique pas de conséquences prévisibles.

Une nouvelle annexe au chapitre sur le Commerce et le Développement Durable (CDD) a été négociée, qui aura le même caractère juridiquement contraignant que le chapitre CDD lui-même. L’une des principales caractéristiques de l’annexe est qu’elle contient de nouveaux engagements en matière de déforestation : « Chaque partie réaffirme ses engagements internationaux pertinents et met en œuvre des mesures, conformément à ses lois et réglementations nationales, pour prévenir toute nouvelle déforestation et intensifier les efforts visant à stabiliser ou à accroître le couvert forestier à partir de 2030 ». Mais l’annexe précise également : « Ils reconnaissent en outre que leurs politiques doivent tenir compte des défis sociaux et économiques des pays en développement et de leur contribution à la sécurité alimentaire mondiale. » Ils soulignent également la nécessité d’un soutien et d’investissements accrus pour atteindre ces objectifs, notamment par le biais de ressources financières, de transferts de technologie, de renforcement des capacités et d’autres mécanismes prévus dans le présent accord.

D’après le texte ci-dessus, il est loin d’être évident que, si une partie comme le Brésil ne parvient pas à arrêter la déforestation à partir de 2030, alors qu’elle a mis en œuvre des mesures à cet effet, cette partie enfreint l’accord. En outre, cette partie ne pourrait-elle pas faire valoir qu’elle n’a pas bénéficié d’un soutien accru de la part de l’UE, y compris d’un soutien financier, pour atteindre ces objectifs ? 

La nature précise de l’engagement à mettre fin à la déforestation à partir de 2030, et son efficacité réelle, sont loin d’être claires. En outre, une référence est ajoutée au règlement de l’UE sur la déforestation (EUDR), soulignant que « l’UE reconnaît que le présent accord et les mesures prises pour mettre en œuvre les engagements qui en découlent doivent être considérés favorablement, parmi d’autres critères, dans la classification des risques des pays ». Ce point ne doit pas justifier l’abaissement de la catégorie de risque EUDR du Brésil ou d’autres pays du Mercosur en raison de l’accord, ni biaiser l’évaluation factuelle attendue par la Commission européenne lors de la classification des risques.

Dans le calendrier de libéralisation tarifaire, quelques modifications concernent les concessions commerciales et les mesures de sauvegarde pour les voitures, mais ce qui frappe le plus sont les concessions supplémentaires accordées à l’agriculture au bénéfice du Paraguay :  un quota supplémentaire de 1500 tonnes de porc et un quota supplémentaire de 50 000 tonnes de biodiesel.

En ce qui concerne les droits à l’exportation de matières premières et les marchés publics, quelques changements et des concessions ont été accordées.

Mais l’accord prévoit un nouveau, et potentiellement plus significatif, mécanisme de rééquilibrage. Si une partie estime qu’une mesure de l’autre partie annule ou altère considérablement ses avantages en vertu de l’accord, elle peut demander à un panel de se prononcer sur cette question. Le mécanisme de rééquilibrage concerne les effets commerciaux de mesures que le plaignant n’aurait pas pu anticiper lors de la conclusion de l’accord. Ce nouveau mécanisme de rééquilibrage pourrait, par exemple, concerner l’application du Mécanisme d’Ajustement Carbone aux Frontières (CBAM) par l’UE. Comme les taxes du CBAM ne seront appliquées qu’à partir de 2026, il semble probable que les pays du Mercosur pourraient amener l’UE devant un panel de règlement des différends bilatéral, dans le but de retirer des concessions en vertu de l’Accord UE-Mercosur, ou de demander une compensation, dans le cas où le CBAM taxerait leurs exportations.

En résumé, les modifications apportées en 2024 à l’accord UE-Mercosur semblent échanger des engagements principalement déclaratoires du Mercosur sur le changement climatique et la déforestation, contre la possibilité pour le Mercosur de demander des concessions de rééquilibrage si l’UE applique de nouvelles mesures ayant des effets sur le commerce, comme le CBAM ; et ajoute quelques concessions sur l’agriculture (porc, biodiesel) en faveur du Mercosur. 

L’UE semble avoir payé un prix pour conclure l’accord, car elle était manifestement la partie la plus intéressée dans les négociations.

BioMonitor4CAP : Nouveaux outils pour l’agro-biodiversité

Depuis 2022, Farm Europe est un membre actif du projet BioMonitor4CAP, financé par le programme de recherche et d’innovation Horizon Europe, aux côtés de vingt-deux organisations partenaires (écologistes, agronomes, scientifiques des données, etc.) issues de dix pays européens et du Pérou.

Le suivi de l’agro-biodiversité est aujourd’hui reconnu comme essentiel pour une gestion efficace des agro-écosystèmes et pour la mise en œuvre appropriée et efficace de stratégies et politiques visant à préserver la biodiversité. Les pratiques agricoles non durables étant l’un des principaux facteurs affectant la diversité des habitats et des espèces dans les paysages agricoles de l’UE.

Le projet BioMonitor4CAP vise à développer des systèmes simples et avancés de surveillance et de suivi de l’agro-biodiversité pour soutenir et mettre en œuvre des politiques axées sur les résultats dans les paysages agricoles européens.

INDICATEURS DE BIODIVERSITÉ

Le suivi de la biodiversité repose sur quatre domaines principaux : la télédétection, les sols, les insectes et les oiseaux.

RECHERCHE DE TERRAIN : NOUVELLES TECHNOLOGIES DE SURVEILLANCE

Traditionnellement, l’évaluation de la biodiversité reposait principalement sur la collecte de données de terrain. Ces méthodes classiques sont souvent chronophages, coûteuses en main-d’œuvre et limitées en termes de couverture géographique. Ces dernières années, les technologies basées sur la télédétection ont émergé comme un outil précieux pour le suivi de la biodiversité, permettant de collecter des données à grande échelle et à intervalles réguliers.

Le projet BioMonitor4CAP vise à développer des méthodes de collecte de données sur l’agro-biodiversité via des approches multiples et complémentaires. Les relevés classiques in situ et ex situ (observations et mesures de terrain) seront combinés à de nouvelles méthodes : échantillonnage d’ADN environnemental (eDNA), méthodes optiques, capteurs acoustiques, drones et télédétection.

FACILITER L’ADOPTION DU SUIVI DE LA BIODIVERSITÉ ET DES BONNES PRATIQUES AGRICOLES

L’identification des groupes de parties prenantes et la compréhension de leur perception de l’agro-biodiversité sont essentielles pour le développement de mesures politiques efficaces visant à promouvoir des décisions positives en faveur de l’agro-biodiversité. 

  1. Les perceptions des agriculteurs concernant l’agro-biodiversité et leurs motivations à adopter les pratiques définies par les politiques agricoles ont été étudiées. Les agriculteurs reconnaissent le lien entre leurs pratiques de gestion, les programmes agro-environnementaux et la biodiversité, ainsi que les effets positifs de cette dernière sur l’agriculture. Cependant, les activités de conservation, la gestion des exploitations et les politiques agricoles associées entrent souvent en conflit avec les décisions de gestion des agriculteurs.  Les résultats préliminaires d’une revue de la littérature suggèrent des éléments clés pour la conception de mesures politiques favorisant l’agro-biodiversité :
  • Formation théorique et pratique sur l’agro-biodiversité pour les agriculteurs : les formations augmentent la compréhension et la motivation des parties prenantes envers l’agro-biodiversité ;
  • Incitations au suivi et l’amélioration de l’agro-biodiversité : diverses mesures pour favoriser l’adoption et le développement de pratiques agricoles préservant l’agro-biodiversité ;
  • Soutenir la coopération entre agriculteurs et les autres acteurs de la chaîne de valeur agricole : encourager et intensifier les échanges d’informations, la définition d’objectifs communs et l’adoption de bonnes pratiques pour un impact positif sur l’agro-biodiversité tout au long de la chaîne de valeur agricole.
  1. Les préférences alimentaires des consommateurs influencent indirectement les décisions de production des agriculteurs. Les perceptions des consommateurs et leurs choix alimentaires peuvent jouer un rôle significatif dans la conservation de l’agro-biodiversité. Les citoyens apprécient la valeur intrinsèque de l’agro-biodiversité, en contraste avec les agriculteurs, qui mettent davantage en avant ses valeurs instrumentales. Pour les citoyens, l’agro-biodiversité est principalement associée aux valeurs esthétiques, en particulier pour ceux qui privilégient des paysages restaurés et traditionnels. Les résultats préliminaires de la revue de littérature suggèrent des considérations clés pour concevoir des mesures politiques favorisant l’agro-biodiversité :
  • Information sur l’agro-biodiversité des produits alimentaires pour les consommateurs : sensibiliser les consommateurs aux impacts des produits sur l’agro-biodiversité ainsi qu’aux mesures prises par les agriculteurs pour améliorer l’agro-biodiversité, renforce l’orientation des consommateurs vers des choix alimentaires plus durables ;
  • Assurer un financement et des activités de diffusion sur la recherche en agro-biodiversité : sensibiliser l’ensemble des parties prenantes – représentants d’entreprises, les autorités, les enfants et les étudiants – pour souligner l’importance de l’agro-biodiversité dans la production alimentaire.

CONSEIL AGRICOLE : LE CONCEPT TROMPEUR DE « PROTÉINES VERTES ».

L’UE a besoin de toute urgence d’une stratégie sur les protéines d’origine végétale. Toutefois, ce travail doit viser à accroître l’autonomie stratégique de l’UE, et non à élaborer des raccourcis ou des récits simplistes conçus pour favoriser des intérêts spécifiques au détriment du secteur animal de l’UE. Les deux types de protéines sont complémentaires et nécessaires.

Aujourd’hui, le Conseil « Agri-pêche » de l’UE débat des stratégies en matière de protéines. Il est largement reconnu que l’UE est confrontée à un déficit important en matière de production de protéines végétales et qu’il convient d’y remédier afin de répondre aux besoins en matière d’alimentation humaine et animale, tout en renforçant l’autonomie stratégique de l’UE.

Toutefois, le document présenté par l’Allemagne et le Danemark reste vague sur le nouveau concept proposé de « protéines vertes ». Plutôt que l’ambition d’autonomie stratégique de l’UE, ce concept semble plus aligné sur l’agenda des protéines alternatives. Cet agenda, souvent promu par certaines ONG et entreprises mondiales, préconise les protéines synthétiques comme solution principale.

Dans ce contexte, le débat agricole est une fois de plus confronté à des concepts trompeurs qui tentent d’opposer et de diviser le secteur à un moment où la complémentarité doit être encouragée. Dans le document présenté, le terme « protéine verte » est utilisé comme un outil de marketing, basé sur des affirmations non scientifiques et non fondées.

Vérifier les faits :

1.  L’augmentation de la production végétale européenne : Au cours des trois dernières décennies, l’augmentation de la production végétale européenne a été largement stimulée par le développement de l’industrie des biocarburants. Dans l’UE, il existe une relation complémentaire entre la production alimentaire et la production de biocarburants, avec plus de 13 millions de tonnes de protéines de haute qualité coproduites par l’industrie des biocarburants de l’UE, valorisant les matières premières de l’UE, augmentant la chaîne d’approvisionnement en protéines de l’UE, en plus de réduire les émissions dues au transport.

2.  Consommation de protéines animales : Contrairement à ce qu’affirme le rapport sur le dialogue stratégique, la consommation de protéines animales dans l’Union européenne est restée stable et n’a pas diminué. Selon les dernières perspectives agricoles de l’UE, la consommation de viande devrait légèrement augmenter en 2024, pour atteindre 66,8 kg par habitant. Si l’on tient compte des déchets alimentaires, ce chiffre est conforme aux recommandations internationales de l’UE et de l’OMS en matière de santé.

L’Union européenne doit aller au-delà d’une communication simpliste sur les « protéines alternatives » en Europe et promouvoir le droit des consommateurs à faire des choix éclairés entre les sources de protéines végétales et animales et à comprendre pleinement les processus qui sous-tendent chaque produit, y compris l’utilisation potentielle d’OGM, d’hormones, d’antibiotiques, de facteurs de croissance et l’impact énergétique. La définition proposée de «sources de protéines alternatives au soja ou aux produits animaux conventionnels» présente le concept comme une baguette magique sans aucune évaluation tangible de leur capacité à réduire l’utilisation des terres et les émissions et à être plus respectueux de la nature et de l’environnement.

Les décideurs politiques devraient suivre les traces du futur commissaire européen à l’agriculture et à l’alimentation, Christophe Hansen, qui a souligné lors de l’audition au Parlement européen qu’« il est délicat d’imposer d’en haut qui doit manger quoi… les produits carnés font partie d’un régime alimentaire équilibré ». Les protéines végétales et animales sont complémentaires et doivent être encouragées.

LES ALIMENTS VIENNENT DES AGRICULTEURS, PAS DES LABORATOIRES !

Il est inacceptable que des récits trompeurs influencent le débat autour du secteur de l’élevage durable, impactant la Commission européenne et les décideurs politiques.  

Farm Europe et Eat Europe sont reconnaissants d’avoir été invités cette semaine à participer à l’atelier organisé par la DG Grow de la Commission européenne sur les produits laitiers fermentés, ou – en d’autres termes – les produits laitiers cultivés en laboratoire. Cela a été particulièrement éclairant !  

Un atelier censé être basé sur la science et les faits ne devrait pas commencer par des hypothèses trompeuses – comme décrire les vaches comme « un bioréacteur 10 fois moins efficace ». Une telle allégation – qui a été le leitmotiv de tous les panélistes – démontre clairement que l’approche fondée sur les preuves et les évaluations rigoureuses n’est pas au cœur du système alimentaire qu’ils promeuvent.  

Cette approche a sciemment laissé sans réponse des questions que tous les consommateurs européens se posent. Quel rôle sociétal et environnemental joue l’utilisation d’organismes génétiquement modifiés (OGM) ? Comment l’efficacité est-elle mesurée ? Comment l’utilisation de l’énergie est-elle calculée ? Comparée à quel modèle de production animale ? Sur quelle base les produits laitiers synthétiques ou cultivés en laboratoire peuvent-ils être présentés comme ayant un « meilleur goût » ou comme un « meilleur ingrédient » ? Qu’en est-il de l’acceptation par les consommateurs de mettre des aliments chimiques dans leurs assiettes ?  

Les agriculteurs et les producteurs alimentaires devraient avoir la possibilité de répondre à ces préoccupations dans un débat équilibré et de prendre une position forte. Comme l’ont souligné Farm Europe et Eat Europe – notamment lors du débat – la fermentation n’est qu’un des processus de laboratoire en jeu, mais le débat doit être global, en tenant compte des aspects éthiques et environnementaux, ainsi que des conséquences pour la compétitivité du secteur agroalimentaire européen, en évitant des affirmations simplistes non fondées sur une science unanime.  

Lorsqu’il s’agit du rôle et de l’impact du secteur de l’élevage, le débat devrait également être basé sur la science et des chiffres réels, prenant en compte non seulement les émissions du secteur de l’élevage, dont personne ne nie l’impact – même si elles sont en baisse depuis plusieurs décennies – mais aussi les externalités positives du cycle de production animale ainsi que les différences entre les émissions et leurs effets sur l’environnement (le CO2 reste dans l’atmosphère entre 300 et 1 000 ans, alors qu’après 100 ans tout le CO2 émis au temps zéro sera encore présent dans l’atmosphère, tandis que l’émission initiale de méthane (CH4) disparaîtra après 11,2 ± 1,3 ans).  

Par ailleurs, 80 % de l’eau « consommée » dans le cycle de production d’une vache retourne au champ avec une meilleure qualité en matière organique, contribuant à rendre nos sols plus sains. Qu’en est-il de l’eau et des eaux polluées issues d’un processus de bioréacteur ?  

Le fumier et les sous-produits produits par une vache sont transformés dans un modèle vertueux de bioéconomie, en énergie (biogaz, biométhane) ou en engrais organique (digestat, Renure), pour ne citer que quelques exemples.  

Les bioréacteurs nécessiteraient une grande quantité d’énergie, supposée provenir de sources renouvelables, alors que nous savons que même l’énergie renouvelable est limitée, à moins que nous ne décidions de réserver nos terres agricoles uniquement à la production de panneaux solaires. La photosynthèse est la seule énergie gratuite, et elle est à la base même de la production animale dans l’UE.  

Enfin, n’oublions pas les risques d’abandon des zones rurales en réduisant la compétitivité du secteur de l’élevage au profit de quelques grandes entreprises capitalistiques ambitionnant de concentrer la production alimentaire entre leurs mains. Qui souffrira en premier ? Les agriculteurs situés dans des zones reculées : sommes-nous prêts à accepter tous les risques associés, tels que l’érosion des sols, l’instabilité hydrogéologique ou la désertification ?  

Sur le cadre législatif, comme rappelé dans une lettre que nous avons envoyée à la Commission européenne et soutenant les appels du Conseil agricole de l’UE et du Parlement européen, il est nécessaire d’évaluer si le règlement sur les « nouveaux aliments » est adapté, en envisageant des modifications futures qui aligneraient certains aspects de l’évaluation des aliments produits en laboratoire sur les procédures d’évaluation des médicaments, notamment en incluant des études précliniques et cliniques comme critères pour évaluer la sécurité des produits cultivés en laboratoire, en tenant dûment compte des réglementations sur les OGM et en abordant les enjeux éthiques.

Déforestation : Farm Europe se félicite de la simplification pour les agriculteurs de l’UE, tout en maintenant le niveau d’ambition.

Le Parlement européen a fait un pas en avant dans son vote sur la déforestation importée (EUDR-2023/1115). Cette position supprimera les formalités administratives inutiles pour les agriculteurs de l’UE, tout en maintenant le niveau d’ambition dans la lutte contre la déforestation.

Le champ d’application du règlement couvrant les opérateurs et les négociants reste inchangé. Le délai est limité à un an, nécessaire pour finaliser les actes d’exécution de ce règlement qui est la pierre angulaire de la réciprocité commerciale, de la durabilité et des chaînes de valeur équitables pour les produits agricoles et alimentaires.

Les députés ont approuvé les amendements introduisant une nouvelle catégorie « sans risque » pour les pays, qui vient s’ajouter aux catégories existantes de risque de déforestation « faible », « standard » et « élevé ». Les pays désignés comme « sans risque » – définis comme ceux dont les zones forestières sont stables ou en croissance – seraient soumis à des exigences de conformité considérablement réduites.

La version actuelle du texte a été approuvée par le Parlement par 371 voix pour, 240 voix contre et 30 abstentions. Il est maintenant essentiel que le Conseil de l’Union européenne rejoigne l’approche du Parlement dès que possible et que la Commission achève la mise en œuvre du règlement, y compris la plateforme fournissant un « système d’alerte précoce » pour aider les autorités compétentes, les opérateurs, les négociants et les autres parties prenantes concernées, comme le prévoit le considérant 31.

La Commission devrait également achever un cadre d’évaluation comparative par pays d’ici le 30 juin 2025.

Déforestation (EUDR) : réduire les formalités administratives pour les agriculteurs de l’UE en préservant l’ambition globale, c’est possible !

Le règlement sur la déforestation (2023/1115) est la pierre angulaire de la réciprocité commerciale, de la durabilité et des chaînes de valeur équitables pour les produits agricoles et alimentaires. Un report d’un an est désormais inévitable compte tenu de la présentation tardive des règles de mise en œuvre, mais tout retard supplémentaire devrait être évité.

Afin de se conformer aux exigences de l’OMC et de garantir un traitement équitable à tous les opérateurs dans le monde, le règlement sur la déforestation a été conçu pour couvrir l’ensemble de la planète, quel que soit le niveau de risque de déforestation dans les pays concernés.

Une procédure simplifiée de diligence raisonnable a été mise en place pour éviter d’imposer une charge disproportionnée aux opérateurs qui produisent et commercialisent des matières premières provenant de pays présentant un faible risque de déforestation.

Toutefois, comme l’a souligné Farm Europe dans une analyse précédente, cette procédure simplifiée de diligence raisonnable ne permet qu’une dérogation partielle aux exigences administratives et à la collecte de données, ce qui fait peser une charge déraisonnable sur les opérateurs présentant un risque de déforestation faible ou nul.

Simplification oui, démantèlement non.

Par conséquent, les propositions d’amendement visant à créer une catégorie « sans risque » vont dans la bonne direction. Mais toute autre modification changerait la nature du règlement et porterait atteinte à son niveau d’ambition. En particulier, pour garantir un règlement solide, la responsabilité des grands opérateurs mondiaux ne doit pas être diluée.

Les corrections doivent être limitées aux parties du texte qui menacent sa propre crédibilité, à savoir le risque ultime d’avoir une nouvelle norme qui pèserait plus lourdement sur les agriculteurs et les producteurs de denrées alimentaires de l’UE, confrontés à une mise en œuvre tatillonne et disproportionnée du règlement, que sur les acteurs mondiaux.

Ces changements devraient être apportés rapidement, en tenant compte de la nécessité de limiter autant que possible le retard dans la mise en œuvre de ce règlement important, afin d’éviter de déstabiliser les chaînes de valeur européennes et de menacer leur fragile équilibre économique.

Une mise en œuvre complète de la part de la Commission européenne est nécessaire.

Entre-temps, la mise en œuvre du considérant 31 du règlement, qui invite la Commission européenne à créer une plateforme fournissant un « système d’alerte précoce » pour aider les autorités compétentes, les opérateurs, les négociants et les autres parties prenantes concernées, doit être pleinement mise en pratique, ce qui n’est pas le cas jusqu’à présent.

Cette plateforme a été ajoutée par le co-législateur à la proposition initiale de la Commission afin d’assurer « une surveillance continue et une notification rapide des activités possibles de déforestation ou de dégradation des forêts », et d’être opérationnelle dès que possible. Il s’agit d’un élément constitutif d’une mise en œuvre facile, uniforme et simplifiée du règlement par les pays tiers, et en particulier par les pays en développement qui devraient être mis en place.

UE/Mercosur : le volet agricole, incompatible avec la cohérence politique de l’UE

Alors que la pression sur les négociateurs de l’UE pour conclure l’accord avec le Mercosur augmente en raison de la tempête parfaite qui affecte les constructeurs automobiles européens inondés par les producteurs chinois, cet accord reste antagoniste aux intérêts agricoles de l’UE et annihilerait la plupart – sinon tous – les efforts des producteurs de l’UE sur la voie difficile de la transition climatique.

Il ne saperait pas seulement les principales chaînes de valeur agricoles de l’UE, mais aussi, en l’état, la cohérence et l’alignement des politiques de l’UE, comme l’ont demandé plusieurs rapports récents. Un fond dédié serait loin d’être suffisant pour compenser ses impacts économiques compte tenu de la puissance de feu du secteur agroalimentaire du Mercosur, sans parler des effets néfastes sur l’Amazonie, le poumon de la planète.

Par conséquent, Farm Europe regrette l’engagement renouvelé hier du commissaire Šefčovič de faire avancer les négociations avec le Mercosur et considère que les conditions ne sont pas réunies pour inclure l’agriculture dans cet accord. Les accords de libre-échange peuvent offrir des opportunités importantes pour l’économie de l’UE, mais seulement si et quand les principes de réciprocité sont dûment pris en compte, en particulier pour l’agriculture de l’UE. Ces conditions ne sont pas remplies et sont loin de l’être dans les négociations du Mercosur.

Déforestation

  • L’Union européenne a connu une réduction de plus de 10 millions d’hectares de sa surface agricole au cours des trois dernières décennies (ce qui équivaut aux deux tiers de la surface agricole de la Pologne). Les forêts de l’UE ont augmenté de 12 millions d’hectares.
  • Dans le même temps, le Brésil a perdu 90 millions d’hectares de forêts. L’UE est devenue le deuxième importateur de forêts tropicales et d’émissions associées (16 % de la déforestation tropicale est liée au commerce international). Au cours des 30 dernières années, on estime que les importations de l’UE ont entraîné la déforestation de plus de 11 millions d’hectares.

Pesticides

  • L’utilisation de pesticides dangereux a diminué de plus de 25 % dans l’UE en moins de 10 ans.
  • Dans la zone du Mercosur, l’augmentation des surfaces cultivées en soja, en maïs et en canne à sucre a entraîné une hausse significative de l’utilisation des pesticides. Rien qu’au Brésil, le volume de pesticides vendus a quadruplé entre 2000 et 2020. Mais il ne s’agit pas seulement d’une question de quantité : 27 % des produits utilisés au Brésil en 2020 sont interdits dans l’UE. Le chlorothalonil, un fongicide, est interdit dans l’UE depuis 2019, et un insecticide comme le Novaluron a été interdit en 2012. Ce ne sont là que quelques exemples.

Hormones

  • Depuis les années 1980, l’Union européenne a établi une interdiction d’utiliser des hormones de croissance chez le bétail ; cette interdiction a été renforcée à plusieurs reprises dans les années 1990 et en 2006 avec l’exclusion des antibiotiques utilisés comme facteurs de croissance.
  • Dans un rapport d’audit récemment publié sur les contrôles des résidus de substances actives, de pesticides et de contaminants dans les animaux et les produits d’origine animale, la Commission européenne a reconnu la nécessité de suspendre les importations de bovins en provenance du Brésil en raison de l’absence de garanties sur l’utilisation d’hormones. Sachant que même si les importations en provenance de la zone Mercosur de viande dont la production implique l’utilisation d’ hormones de croissance pour le bétail sont interdites, cette contrainte est en partie surmontée par l’utilisation de certains antibiotiques en tant que facteurs de croissance.

Il est donc urgent, plutôt que d’ouvrir grand les portes de l’Union européenne aux géants agricoles d’Amérique latine, à l’heure où les producteurs de l’UE sont confrontés à des défis difficiles :

  • D’être crédible dans la lutte contre la déforestation avec une mise en œuvre simple et solide du règlement de l’UE sur la déforestation pour les normes et les pays à haut risque, tout en évitant les charges administratives pour les pays à risque faible ou nul, en particulier pour les producteurs de l’UE ;
  • Protéger notre agriculture contre la concurrence déloyale, non seulement en ce qui concerne la sécurité des consommateurs, mais aussi en ce qui concerne les normes environnementales de l’UE, avec une réciprocité totale en matière de normes de production ;
  • Et, bien sûr, élaborer une nouvelle vision pour l’agriculture et l’alimentation de l’UE, qui corresponde à une véritable ambition pour le « Made in Europe ».

Audition de Christophe Hansen : au-delà du dialogue stratégique ?

Le 4 novembre sera un moment fondateur pour la prochaine politique européenne dans le domaine agricole, à l’occasion de l’audition par le Parlement européen du commissaire désigné Christophe Hansen. Saura-t-il tracer sa propre voie politique ou mettra-t-il strictement ses pas dans ceux du dialogue stratégique ? C’est la principale question que se poseront les députés européens à l’issue de l’audition pour savoir si un commissaire fort prend la barre de l’agriculture européenne en cette période de tempêtes.

Le candidat commissaire connait parfaitement les arcanes du Parlement et ses dynamiques politiques. Il a eu l’occasion de pratiquer le Parlement en tant qu’assistant parlementaire au début de sa carrière, puis de député européen. Il s’est fortement impliqué sur des sujets commerciaux — le Brexit notamment — ou encore la déforestation, dont il été rapporteur.

Les députés européens de la commission de l’agriculture seront chargés d’évaluer la compétence du candidat sur le portefeuille attribué, mais aussi le respect des valeurs de l’Union et sa capacité de communication. Le Commissaire a déjà eu l’occasion de donner de premières orientations politiques dans les réponses au questionnaire écrit que lui ont adressé les députés.

L’audition débutera par une déclaration introductive de 15 minutes, suivie de questions venant de tous les groupes politiques, le candidat ayant deux fois la longueur du temps pris pour poser la question pour répondre à celle-ci. Lors de l’audition, à n’en pas douter, de nombreux sujets seront abordés — l’avenir de la PAC, et des paiements directs en particulier, l’enjeu de l’élargissement à l’Ukraine pour l’agriculture européenne, l’approche du candidat pour réformer la chaine de valeur alimentaire, lutter contre les pratiques commerciales déloyales et améliorer le revenu des agriculteurs, ou encore sa relation au commerce avec, en particulier la question des négociations avec le Mercosur.

Au-delà de ces sujets importants, il est clair que c’est surtout la question du dialogue stratégique et des suites à donner à cet exercice dans lequel le Parlement n’a pas été impliqué, qui retiendra l’attention des députés européens. Le Commissaire-désigné aura la difficile tâche de s’inscrire dans les pas de la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, qui a placé la mise en oeuvre du dialogue stratégique au coeur de sa lettre de mission, tout en prenant des distances avec les recommandations spécifiques de ce groupe pour affirmer son autonomie et sa propre identité politique, indispensable pour acquérir sa stature de commissaire européen.

C’est avant tout dans cet exercice d’équilibre et de dosage subtile que sa prestation sera évaluée et permettra de rassembler les soutiens politiques dont il a besoin, non seulement pour remporter l’adhésion des rapporteurs représentant 2/3 des voix de la commission, mais aussi, entamer son mandat et bâtir sa propre vision stratégique des cinq prochaines années de politique agricole.

Cette capacité politique sera d’autant plus importante et nécessaire que la majorité qui a porté Ursula von der Leyen pour un second mandat à la tête de la Commission européenne ne sera pas suffisante pour obtenir une confirmation lors de la première audition. S’il entend être confirmé sans passer par une seconde audition et un vote à la majorité, le commissaire-désigné devra convaincre au-delà des groupes PPE, S&D, Renew et Verts, ceux-ci ne lui apportant que 31 voix sur les 33 nécessaires. Il lui faudra donc également le soutien du groupe ECR.

BUDGET 2028-34 : DES IDÉES INITIALES QUI INTERROGENT

Dans son exercice de préparation des perspectives financières pour la période 2028-2034, la Commission européenne se livre à son exercice favori, d’un côté de créer des marges sans marge financière nouvelle, et de l’autre de tenter de forcer la main des Etats membres sur le financement du budget européen tout en gardant un rôle de donneur d’ordres.

Traditionnellement, la Commission sondait avant tout les capitales sur les coupes acceptables des budgets des principales politiques européennes et l’acceptabilité d’un budget européen total un peu en croissance. Dans cet exercice de premier round, la PAC était proposée comme à toiser (proposition jusque – 30% en 2018…).

Dans le contexte actuel de frugalité budgétaire, la Commission tente un autre chemin, en s’inspirant finalement de la proposition de réforme (administrative) de la PAC qu’elle avait faite en 2018.

Elle propose de regrouper les 530 programmes européens (représentant un total de budgets de plus de 12 trillions d’euros) en un seul grand fond européen, nommé Pilier I. A côté de ce pilier, deux autres existeraient : un visant le fonctionnement des services (permettant ainsi de découpler un peu plus les négociations sur le budget de fonctionnement de la commission des discussions sur le financement des politiques européennes) et un troisième relatif à l’élargissement et des grands investissements d’interêt collectif européen dont la défense (Pilier pour lequel l’argent reste à trouver).

Au sein du Pilier I, toutes les grandes politiques européennes seraient donc regroupées. Les Etats membres seraient priés de définir des plans stratégiques nationaux, établissant leurs priorités et leurs souhaits quant à la mobilisation de l’argent qui leur est alloué au titre des différentes politiques.

La création d’un tel fonds induit, sans doute aucun, un certain degré de fongibilité des budgets antérieurement affectés à telle ou telle politique. On peut supposer que tant la PAC que la politique de cohésion – dont les budgets attisent toujours les convoitises à défaut d’autres politiques réellement communes- ne verraient plus leurs financements sanctuarisés sur la période de programmation. Les financements seraient calés en début de période en fonction des priorités nationales et sans doute ajustables en cours de route, notamment si les décaissements se profilaient moindres que prévus.

Dans ce schéma, les transferts aux Etats membres des financements reliés aux différentes politiques seraient conditionnées au respect de l’état de droit et à la mise en place de mesures prioritaires, définies au niveau européen. Ensuite, les Etats membres pourraient activer des mesures prévues par les différentes politiques qui agiraient comme des boites à outils que les Etats membres pourraient activer ou non.

Dans le cas de la PAC, la commission illustre son propos avec deux exemples qui interrogent un peu sur la connaissance fine des problématiques agricoles par les argentiers de la commission européenne. Elle imagine comme mesure conditionnant l’accès des Etats membres à l’argent de la PAC le fait de promouvoir l’agriculture biologique. Exemple original s’il en est quand il est clair que l’objectif avancé par la Farm to Fork de 25 % de terres en agriculture biologique ne correspond ni aux attentes des marchés, ni aux impératifs de souveraineté alimentaire, ni à ceux de la durabilité en Europe. Quant au chapitre « investissements » de la PAC, la commission prend l’exemple des paiements directs. Si ces paiements sont certes vitaux actuellement pour les revenus des agriculteurs, cet exemple est-il le plus pertinent quand on vise les investissements pour gagner résolument le défi de la double performance : retrouver les chemins de la rentabilité pour l’agriculture européenne tout en poursuivant la voie de la durabilité renforcée ? Sans parler de l’arrivée de l’Ukraine.

Cette suggestion de refonte du budget européen et de son fonctionnement pose un certain nombre de questions que le Parlement européen avait posées lors de la proposition PAC de 2018 de la commission avant de la re-formater pour lui redonner un sens commun minimal.

Ce schema renverrait aux Etats membres le soin de mettre en oeuvre l’essentiel des politiques européennes selon leurs priorités nationales du moment, hormis les quelques mesures « portes d’entrée » aux financements, condition que le Conseil européen (qui doit statuer à l’unanimité sur les questions financières) édulcorerait sérieusement sans doute.

Nous sommes bien, comme dans la proposition PAC de 2018, dans un schéma de renationalisation large de toutes les politiques européennes du dit pilier I. l’Europe ne resterait finalement commune en vérité que pour le pilier III (élargissement, grands plans européens d’investissements).

Dés lors, qu’en est-il du marché commun ?

Quelle serait l’efficacité économique d’un tel dispositif dénationalisé, avec la tentation de certains de concentrer les financements sur quelques secteurs afin de les subventionner plus pour qu’ils puissent avoir un avantage sur leurs concurrents européens ? L’argent ainsi utilisé ne ferait pas de croissance européenne, mais plus de fractures et au final de la gabegie des impôts payés par les européens.

Cette idée de grand pot commun est sans doute à mettre aussi en relation avec le leitmotiv de la présidente de la commission ces dernières semaines (au moins vis à vis de la PAC) d’avoir un budget plus ciblé et des mesures plus ciblées. Si l’objectif est d’avoir des mesures plus efficaces, tout le monde peut en convenir. S’il s’agit d’une réthorique pour faire accepter un budget à la baisse en expliquant que, malgré tout, tout ira bien moyennant plus de ciblage, les doutes sont permis. Or, à ce stade, le doute existe sur les intentions de l’exécutif européen vis à vis de l’agriculture et son financement.

Un seul chiffre : si le budget PAC pour la période 2028-2034 était maintenu en euros courants, cela signifierait que l’Europe fait le choix d’une PAC dont la valeur économique en 2034 (si l’inflation redevient faible) ne sera plus que de 46% de celle de 2020. Avec en face de nous les défis de la souveraineté, de la perte de compétitivité depuis 2 décennies, de l’élargissement à l’Ukraine…