L’IMPACT DES STRATEGIE DE LA FERME À LA FOURCHE ET BIODIVERSITÉ – BEAUCOUP DE PEINE POUR PEU DE GAIN
Après avoir longtemps tergiversé, la Commission a finalement publié une étude sur l’impact de ses propositions de stratégie F2F et biodiversité sur le secteur agricole.
Les principaux engagements qui affectent directement le secteur agricole de l’UE comprennent la réduction de l’utilisation de pesticides chimiques de 50 % et d’engrais de 20 %, la définition d’au moins 10 % de la superficie agricole sous des caractéristiques paysagères à forte diversité et d’au moins 25 % sous un mode d’agriculture biologique.
Les résultats de l’analyse de la Commission de ses propositions sont sidérants : la production est réduite de 10 à 15 % dans les filières clés, céréales, oléagineux, viande bovine, vaches laitières ; de plus de 15 % dans le porc et la volaille, et de plus de 5 % dans les légumes et les cultures permanentes.
La position commerciale nette de l’UE se détériore (à l’exception des produits laitiers, une utilisation moindre pour l’alimentation animale et l’amélioration de la génétique compenseraient la forte baisse du cheptel laitier).
Les revenus s’effondrent, à l’exception des cultures maraîchères et permanentes, et du porc (du fait d’hypothèses de fortes hausses de prix qui seront analysées ci-après), avec une baisse moyenne de 2 500 à 5 000 € par exploitation (subventions comprises). Les plus pénalisés seraient les céréaliculteurs et les producteurs laitiers (-5 000 €), avec des baisses de revenus moindres pour les autres filières. Les revenus des fruits et légumes augmenteraient d’environ 2 500 €, et du porc jusqu’à 10 000 €.
La réduction des émissions de GES dans l’Union Européenne, de moins de 30 %, est en réalité réduite d’au moins de moitié, car l’UE augmente ses importations et donc le reste du monde augmente sa production.
Pour le dire avec concision, beaucoup de peine pour peu de gain.
Les résultats de l’étude sont similaires à l’évaluation d’impact réalisée par l’USDA-ERS qui a estimé que les propositions de la Commission réduiraient la production agricole de l’UE de 12 %, augmenteraient les prix de 17 %, réduiraient les exportations de 20 %, augmenteraient les importations de 2 %, réduiraient le revenu agricole brut de 16%, et augmenter le coût alimentaire annuel par habitant dans l’UE de 130 euros.
Farm Europe a également récemment publié une évaluation des propositions de la Commission montrant que la production connaîtrait une baisse importante et rapide, -12% pour le blé, -10% pour le maïs, -7% pour la betterave, -25% pour les oléagineux, -7% pour viande rouge, -4% pour le lait, -1% pour le porc, -3% pour la volaille. La conséquence estimée pour les exportations serait une baisse de 20 %, parallèlement à une augmentation significative des importations de protéines végétales (soja) pour faire face à la baisse de la production européenne d’oléagineux. Le résultat serait loin des incantations d’un plan protéines pour une plus grande autonomie de l’Union européenne et la lutte contre la déforestation importée. Les revenus agricoles chuteraient de plus de 8 %.
De fait, toutes les analyses publiées montrent des résultats similaires, laissant peu de doutes sur le fait que nous serions confrontés à une fort scénario de décroissance de l’agriculture dans l’UE due à des décisions politiques.
Dans son étude, la Commission s’efforce, en outre, d’atténuer les impacts négatifs de ses propositions. Un examen plus attentif des hypothèses qu’elle prend montre que l’impact serait très probablement encore plus sévère.
– Commençons par ce qui est laissé de côté dans l’analyse : la proposition de la Commission de planter 3 milliards d’arbres. Cela détournerait beaucoup de terres agricoles vers la foresterie : entre 1,5 et 2,7 millions d’ha, selon les espèces et les conditions écologiques.
– Viennent ensuite les hypothèses optimistes de l’étude. L’augmentation attendue des revenus des producteurs de porc dépend d’une hausse des prix du porc de plus de 40 %. Les exportations diminueraient quelque peu et les importations augmenteraient, mais loin d’être suffisantes pour freiner une augmentation aussi spectaculaire des prix.
Le mode de fonctionnement du modèle utilisé dans l’étude ne permet pas de saisir la dynamique réelle du commerce mondial, où les importations hors quotas ont lieu lorsque la différence entre les prix de l’UE et les prix mondiaux est si élevée qu’elles deviennent rentables malgré l’application des tarifs hors contingent.
De même, l’étude JRC prévoit des prix du bœuf qui devraient bondir de plus de 20 %, ce qui, dans le monde réel, induirait des importations supplémentaires importantes.
Ce problème est reconnu dans l’étude, sans toutefois conduire à ajuster les résultats : « Cela s’est vu avec l’ampleur des réactions de prix lorsque la production chute de manière significative (ie les activités de viande), conduisant à l’utilisation d’un modèle supplémentaire et au changement de certaines hypothèses de modélisation à des fins de comparabilité. Même lorsqu’on entreprend une analyse de sensibilité, les réactions des prix sont importantes et la réaction des marchés mondiaux est potentiellement trop rigide pour saisir leur capacité d’adaptation, en particulier à long terme« .
– l’étude ne saisit pas non plus l’impact probable du Brexit, qui réduira nos exportations vers un marché britannique ouvert aux pays tiers. Nos exportations de viandes, de produits laitiers et d’autres produits chuteront très probablement, ce qui déprimera à la fois la production de l’UE, les prix et les revenus des agriculteurs. N’oublions pas que le Royaume-Uni est un marché d’exportation de premier plan pour l’UE, nos pertes sur ce marché auront un impact énorme.
– Un autre domaine où les hypothèses de l’étude sont trop optimistes concerne l’adoption de technologies d’atténuation, comme l’agriculture de précision et les digesteurs anaérobies, clés pour réduire les émissions de GES. L’étude suppose que le plan européen de relance (2021 et 2022) pour le secteur réduirait les coûts d’investissement des technologies d’atténuation de 30%. Le montant pris en compte est en fait le double de ce qui a été décidé – 15 milliards contre 8,1 milliards d’euros. Supposer, comme le fait l’étude JRC, que 60 % de l’agriculture de l’UE utiliserait l’agriculture de précision en 2030 semble trop optimiste, d’autant plus avec des revenus des agriculteurs qui devraient baisser. Comment s’attendre à ce que les investissements augmentent autant et si rapidement alors que les agriculteurs seraient moins bien lotis qu’aujourd’hui ?
– Ces hypothèses ont à leur tour un impact significatif sur les réductions réelles de GES attendues. L’atténuation représente la moitié de toutes les réductions de GES, et l’agriculture de précision et d’autres technologies d’atténuation sont le deuxième contributeur le plus important.
Une analyse plus sobre et avec moins de contorsions de la Commission montrerait des baisses de production et de revenus encore plus importantes. L’impact commercial net serait pire et l’adoption de technologies d’atténuation plus modeste. Par conséquent, la réduction des émissions de GES serait plus faible et montrerait une fuite encore plus élevée car l’UE devrait importer davantage.
Encore plus de douleur pour des gains moindres.
Pour conclure, les propositions de la Commission sur la stratégie de la ferme à la fourchette et de la biodiversité entraîneraient une chute sans précédent de la production agricole de l’UE, une forte baisse des revenus des agriculteurs, une dégradation de la position commerciale nette du bloc et une augmentation des prix à la production qui augmenterait les prix des denrées alimentaires.
Les avantages environnementaux seraient très ténus, avalés par la pollution induite par la réduction de la production européenne car les importations de l’UE augmenteraient, entraînant des émissions de GES plus élevées dans le reste du monde.
La manière dont la Commission européenne envisage actuellement de mettre en œuvre les objectifs du Green Deal dans l’agriculture se traduirait in fine par un appauvrissement global du secteur et des zones rurales européennes, un affaiblissement de notre sécurité alimentaire et une inflation des prix à la consommation. Les filières agricoles seraient confrontées à une restructuration massive, avec l’abandon des terres les moins productives et une réduction drastique du nombre d’exploitations.
Il est difficile d’imaginer un cas pire.