L’UE A BESOIN D’UNE NOUVELLE POLITIQUE COMMERCIALE AGRICOLE
L’impact de la crise du Covid-19 se fait encore sentir, mais une leçon peut déjà être tirée : garantir sa sécurité alimentaire est un impératif pour l’Union Européenne.
Dans certains secteurs stratégiques, le manque de disponibilités intérieures a été assez aigu, mais heureusement, l’agriculture dans l’UE a assuré son rôle fondamental de nourrir nos citoyens.
Au cœur de la crise, de nombreux pays ont eu recours à des interdictions et des restrictions vis à vis de leurs exportations, y compris dans le secteur agroalimentaire. Que se serait-il passé si l’UE avait été aussi vulnérable en matière d’approvisionnement alimentaire que pour certains équipements médicaux ?
Contrairement aux pays qui ont imposé des restrictions à leurs exportations de denrées alimentaires, l’UE a assuré sa part de l’approvisionnement mondial. Ce n’est pas un élément mineur ou secondaire, car la pénurie alimentaire est un risque réel dans de nombreuses régions pauvres du globe, et en premier lieu en Afrique.
Aujourd’hui, le moment est venu de revoir la politique commerciale de l’UE, en particulier dans le domaine de l’agriculture, à la lumière de l’expérience passée et des enseignements de la crise du Covid-19.
De façon synthétique, la politique commerciale actuelle de l’UE pourrait être décrite comme étant disposée à conclure le plus grand nombre possible d’accords de libre-échange (ALE) avec le plus grand nombre de pays possible.
L’hypothèse sous-jacente pour l’UE, et ses partenaires commerciaux, est que bénéficier d’un commerce plus libre accroît la richesse.
L’agriculture fait toujours partie des ALE, comme l’exigent les règles de l’Organisation mondiale du commerce (OMC).
Un autre élément stratégique qui sous-tend la politique commerciale de l’UE est la conviction qu’un commerce plus libre sous l’égide de règles internationales est un élément clé de la mondialisation, et un moyen de réduire les lignes de faille et d’améliorer une approche coopérative des questions planétaires.
Cette approche globale a conduit la Commission européenne (CE) à négliger de procéder à des analyses approfondies de l’impact de chaque ALE, et à ne pas se prononcer sur leurs propres mérites. Les analyses d’impact de la CE s’appuient systématiquement sur des évaluations globales et ignorent les impacts spécifiques dans des secteurs particuliers.
Les conséquences de cette situation ont été particulièrement aigues dans le secteur de l’agriculture.
L’agriculture et la sécurité alimentaire n’ont pas été au premier plan des préoccupations européennes lors des négociations commerciales qu’elle a menées. Certes, il a été reconnu que les secteurs agricoles très vulnérables (généralement le bœuf, le sucre et, dans une certaine mesure, le porc) ne devraient pas être pleinement exposés à une concurrence extérieure sans entraves, mais jamais au point de mettre un terme à l’augmentation constante de l’accès au marché de l’UE ou d’aider ces secteurs sensibles à faire face à une concurrence accrue. De plus, certains secteurs, comme celui de la viande ovine et caprine, ont été largement laissés à eux-mêmes alors que leur situation économique s’est détériorée avec l’augmentation des importations.
Farm Europe estime que le moment est venu d’adopter une politique commerciale plus équilibrée.Après le Covid-19, nous avons besoin d’un changement de politique qui intègre l’impératif de sécurité alimentaire. Nous devons trouver un meilleur équilibre entre les avantages de la libéralisation des échanges et ses effets négatifs asymétriques. Nous avons besoin de moins de politique idéologique et de plus de pragmatisme et de réalisme.
Il ne s’agit pas d’être contre le commerce, ni contre la négociation d’ALE au profit des producteurs et des consommateurs. Les ALE apportent des avantages réels qu’il convient non seulement de préserver mais de faire fructifier.
L’UE est un des principaux exportateurs nets de produits agroalimentaires. En 2019, la valeur des exportations de produits agroalimentaires s’élevait à un total de 151,2 milliards d’euros, tandis que les importations représentaient 119,3 milliards d’euros. L’excédent commercial a atteint un niveau record de 31,9 milliards d’euros. Il est indéniable que le commerce apporte de la richesse et des emplois au secteur.
L’isolement à l’intérieur de nos frontières entraînerait une baisse de la production, des revenus agricoles, des emplois, des agro-industries, un ralentissement du progrès technologique et de l’innovation stimulée par la concurrence internationale.
Sans les exportations agroalimentaires de l’UE, la sécurité alimentaire de nombreux pays, et notamment en Afrique, serait compromise. Alors que la demande de denrées alimentaires augmente, le rôle de l’UE en tant que premier exportateur mondial est primordial.
L’excédent commercial de l’UE sur les produits agroalimentaires masque cependant le fait que l’excédent de l’UE sur les produits agricoles bruts est faible, les chiffres globaux étant largement aidés par les performances de l’UE en matière d’exportation de produits transformés, en particulier de haute valeur.
Les ALE ne doivent pas compromettre la viabilité des secteurs les plus vulnérables. Les ALE ont fait des gagnants et des perdants dans l’agriculture, et les perdants ont été laissés seuls pour faire face aux conséquences.
Bien que les ALE prévoient individuellement de protéger les secteurs les plus sensibles en limitant le libre-échange dans le cadre de quotas, l’accumulation des ALE, entre autres facteurs, entraîne une détérioration de la situtation des secteurs vulnérables comme la viande bovine, ovine et caprine.
Une nouvelle politique commerciale devrait rechercher les avantages de la libéralisation des échanges tout en protégeant complètement les secteurs agricoles vulnérables ou en adoptant des programmes spécifiques pour aider ces secteurs à faire face à la situation (et fournir des ressources communautaires obligatoires pour financer ces programmes).
La CE devrait, dans son évaluation préalable à l’engagement de négociations d’ALE, évaluer soigneusement le degré d’ouverture des frontières dans les secteurs clés et intégrer dans son évaluation, le cas échéant, la conception et les ressources nécessaires pour aider ces secteurs à faire face à une concurrence extérieure supplémentaire.
Une nouvelle politique commerciale doit aussi respecter des conditions de concurrence équitables entre l’UE et les pays tiers, en ce qui concerne les contraintes environnementales, sanitaires et phytosanitaires.
S’il est vrai que les importations dans l’UE doivent respecter les normes sanitaires et phytosanitaires de l’UE, dans de nombreux pays exportateurs, des substances interdites dans l’UE sont largement utilisées. Le niveau des contrôles à nos frontières doit être à la hauteur de ces dangers.
Dans le domaine de l’environnement, la situation est encore pire. Les accords de libre-échange existants ne comportent que quelques clauses d’adhésion aux conventions des Nations unies.
L’UE importe un large éventail de produits provenant de zones déboisées, de la viande de bœuf à l’huile de palme. C’est inacceptable : l’UE devient ainsi un acteur actif de la déforestation par sa demande pour ces produits.
L’UE doit adopter une politique commerciale claire qui interdise les importations en provenance des zones déforestées et d’autres zones à haute valeur environnementale. L’UE dispose de moyens indépendants pour contrôler la déforestation et identifier les produits originaires de ces régions, et ne doit pas laisser la certification des produits déboisés à la bonne volonté des pays tiers ou à d’autres parties. L’UE devrait fixer une date butoir dans le passé pour l’acceptation des importations en provenance de zones précédemment déboisées et à haute valeur environnementale, en interdisant toutes les importations en provenance de zones dégradées après cette date.
Les contraintes environnementales de l’UE sont les plus strictes au monde. Cela a un coût pour le secteur, et ce coût n’est pas supporté par ses concurrents. En particulier, l’UE ne devrait pas accepter que les importations de produits agroalimentaires qui ont été produits sous des contraintes environnementales nettement moindres bénéficient d’avantages tarifaires.
Les conditions de concurrence dans le domaine des nouvelles technologies sont aujourd’hui en défaveur de l’agriculture européenne. L’UE ne s’est pas ouverte l’utilisation de techniques prometteuses qui ont le potentiel d’accroître la productivité et de réduire l’empreinte écologique, comme les nouvelles techniques de sélection. De son propre fait, l’UE place le secteur dans une position concurrentielle défavorable.
En ce qui concerne les conditions de travail, les règles du jeu équitables sont pratiquement inexistantes. Les ALE existants n’intègrent que l’adhésion aux conventions de l’OIT.
Bien qu’il s’agisse généralement d’une question transversale qui va plus loin que le commerce agroalimentaire, les ALE pourraient comporter des dispositions visant à régler les questions de salaire minimum dans des secteurs particulièrement sensibles. Par exemple, en ce qui concerne le commerce de la viande, le coût d’exploitation des abattoirs est important et la question est donc pertinente pour établir des conditions de concurrence équitables.
Une autre question transversale est la dévaluation compétitive de la monnaie. Il y a de bonnes raisons d’insérer dans les ALE des clauses qui contrent les dévaluations concurrentielles des monnaies.Une dévaluation de la monnaie a souvent un impact plus important en termes commerciaux que les droits de douane, et les politiques monétaires qui dévaluent intentionnellement une monnaie doivent être contrecarrées par des contre-mesures, par exemple en donnant à l’autre partie la possibilité d’augmenter les droits de douane.
Les changements de politique commerciale proposés par Farm Europe doivent être considérés dans le contexte de la réforme de la politique commerciale de l’UE en vue d’une orientation plus pragmatique et plus réaliste.
La nouvelle politique devrait apporter de la cohérence et une vision globale des coûts et avantages commerciaux. En ce qui concerne l’agriculture, elle devrait être en phase avec le modèle d’agriculture promu par l’UE, largement basé sur des exploitations familiales de taille moyenne fonctionnant avec leurs propres ressources limitées en capital.