Plus de 4,6 milliards d’euros de mesures d’urgence agricoles financées par des aides d’Etat en 2022

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Un marché intérieur qui se fragmente

Le déclenchement par la Russie de la guerre en Ukraine a provoqué une onde de choc sur le secteur énergétique, mais aussi sur le secteur agricole à travers, notamment une explosion des coûts de l’énergie pour les secteurs fortement consommateurs, ainsi qu’un renchérissement du coût des intrants, au premier rang desquels, les engrais azotés. 

Pour y faire face, la Commission européenne a, dès le mois de mars, annoncé le déclenchement de la réserve de crise, prévue par la Politique agricole commune à hauteur de quelque 500 millions d’euros – une première historique, cet outil créé en 2013 n’ayant jusqu’à présent jamais été utilisé. 

Dans le même temps, la Commission européenne a, également, annoncé la possibilité pour les Etats membres d’abonder largement ce soutien au secteur agricole à travers des aides nationales : 

  • en autorisant les Etats membres à financer sur deniers nationaux à raison de 2 pour 1 les aides venant de la réserve de crise, soit 1 milliard d’euros ;
  • en validant des programmes d’aides nationales sous l’égide du cadre temporaire de crise sur les aides d’Etats dans le contexte de l’invasion de l’Ukraine par la Russie, avec un plafond qui devrait désormais être porté à 250 000 euros. 

Parallèlement, le plafond desaides de minimis, aides nationales pouvant être mises en œuvre sans autorisation préalable de la Commission, a été relevé à 25.000 EUR sur 3 ans. 

Autant de flexibilités auxquelles les Etats membres ont largement eu recours pour faire face aux défis de ces derniers mois, et faute de réponse communautaire d’ampleur. 

Ce sont près d’une vingtaine de programmes dédiés à l’agriculture qui ont été notifiés pour 2022 auprès de la Commission européenne, pour un montant total de près de 4 milliards d’euros. Cela représente quelque 10% du montant des aides directes. Une partie de ces aides — environ un tiers — a été mobilisée pour faire face à la flambée des prix des engrais, avec une répartition géographique et sectorielle très inégale. 

De l’Italie, en passant par la Suède, la Pologne, l’Autriche et la Bulgarie, des volumes financiers considérables ont été débloqués, allant bien au-delà de l’inflation enregistrée au sein même de ces pays, et procurant donc plus qu’une simple compensation de la perte économique liée à l’inflation et à la perte de valeur afférente des paiements directs pour leurs agriculteurs. Un soutien net à l’agriculture qui ne se retrouve pas dans les autres Etats membres. 

Un second groupe de pays se dégage, comprenant notamment les Pays-Bas, la France, l’Allemagne, l’Espagne, l’Estonie, la Slovénie mais aussi la Hongrie. Pour donner un ordre de grandeur de l’ampleur des aides, on peut estimer que ces pays ont compensé le choc inflationniste, sans placer l’agriculture parmi les secteurs phares aidés en priorité face à la crise liée à la guerre en Ukraine. 

Enfin, un troisième groupe d’Etat membres, parfois eux-mêmes frappés de plein fouet par la crise, n’a pas été en mesure d’apporter un soutien conséquent à son secteur agricole pour des raisons politiques ou budgétaires. C’est notamment le cas de la République tchèque, de la Grèce, de la Belgique, ou encore du Danemark. 

Ces chiffres — bien que déjà considérables — ne donnent qu’une vision partielle de la situation réelle des aides attribuées par les différents Etats membres, celles-ci allant bien au-delà des programmes strictement agricoles notifiés dans le cadre du TCF. 

D’une part, au titre du soutien à l’économie dans son ensemble pour faire face à la guerre en Urkaine, il convient de relever que plus de 450 milliards d’euros d’aides d’Etat ont été débloquées à travers les programme-cadres destinés à l’ensemble de l’économie, qui concernent également le secteur agricole. Et ce, sans intégrer le programme de 200 milliards d’euros supplémentaires annoncé par l’Allemagne. 

Au total en une année, c’est pratiquement le montant total de l’aide d’urgence européenne pour faire face au COVID qui a d’ores et déjà été débloqué par les pays de l’UE en ordre dispersé, plutôt qu’à travers à une aide coordonnée à l’échelle européenne. 

D’autre part, à ces presque 4 milliards aides ciblées sur le secteur agricole dans le cadre de la guerre en Ukraine s’ajoutent d’autres aides d’Etat notamment celles versées à l’agriculture au titre des programmes résiduels liés à la pandémie de Covid-19. Près de 900 millions d’euros ont été encore débloqués au cours de l’année 2022, ce qui fait grimper l’intensité des aides d’Etat à quelque 12% du montant du premier pilier. Pour une analyse équitable, il conviendrait également de mentionner les 25 milliards d’euros débloqués de surcroit par les Pays-Bas dans le cadre de leur plan national de transition agricole, soit 2 milliards par an. 

En parallèle à l’urgence du soutien nécessaire et légitime au secteur agricole confronté à une grave crise, une réflexion devrait se tenir d’urgence sur la multiplication des aides à l’échelle nationale plutôt qu’à l’échelle communautaire, pour un secteur couvert par une politique commune forte. La réserve de crise a montré à la fois son utilité, mais aussi sa dotation budgétaire dérisoire à l’échelle de l’Union européenne lors d’un choc touchant l’ensemble des secteurs agricoles.

L’absence, désormais, de marge budgétaire au sein de la PAC exige d’entamer une réflexion en profondeur sur les modalités d’action pour faire face aux crises. Comme le montre l’ampleur des volumes financiers débloqués à l’échelle nationale aujourd’hui, une très nette réévaluation à la hausse de la réserve de crise est nécessaire pour que celle-ci soit être en mesure d’être le principal levier de solidarité envers le secteur agricole européen, pour allier réactivité et équité, tant entre Etats membres qu’entre secteurs.