RAPPORT DE LA BANQUE MONDIALE & et de L’IFPRI
SUR LA RÉORIENTATION DES POLITIQUES ET DES AIDES AGRICOLES
Février 2022
La Banque mondiale vient de publier une étude, avec l’Institut international de recherche sur les politiques alimentaires (IFPRI), intitulée « QUESTIONNER LES POLITIQUES ET LE SOUTIEN AGRICOLES ».
Dans cette étude, différents scénarios ont été analysés. D’un scénario de statu quo à la modélisation de l’impact de la restructuration du soutien (maintien du soutien à l’agriculture aux niveaux actuels, mais restructuration soit en passant à des taux d’aide uniformes pour tous les produits, soit en favorisant les produits à faible émission), en passant par l’introduction de la conditionnalité (subordonner le soutien à la réduction des émissions), ou par la réaffectation de soutiens à l’innovation verte (qui réorienterait une partie du soutien national vers des investissements ciblés sur des technologies qui améliorent la productivité et réduisent les émissions).
Certaines des conclusions du rapport parlent d’elles-mêmes :
« Le rapport constate que les émissions de gaz à effet de serre augmenteront considérablement à l’avenir si les politiques actuelles restent inchangées. Le simple réaménagement, voire la suppression, des aides actuelles n’entraînerait pas les changements nécessaires à la durabilité. » « Dans le cas d’un scénario de maintien des soutiens actuels, les émissions de GES dues à l’agriculture augmenteraient de 58 %, et 56 millions d’hectares seraient convertis en terres agricoles d’ici à 2040.«
Mettre fin au soutien actuel ne serait pas non plus une bonne option : « Les régimes actuels de soutien à l’agriculture n’ont pas été conçus pour réduire la pauvreté ou améliorer les régimes alimentaires, mais leur suppression entraînerait probablement une hausse des prix des denrées alimentaires, ce qui contribuerait à accroître la pauvreté (bien que de façon marginale) et à augmenter le coût des régimes alimentaires sains.«
« La conditionnalité politique liant le soutien à l’adoption de pratiques agricoles respectueuses de l’environnement mais à plus faible rendement pourrait potentiellement réduire les émissions, mais génèreraient des effets négatifs pour les personnes, la nature et la prospérité économique avec une production agricole plus faible, une pauvreté plus élevée, une utilisation plus importante des terres agricoles et une augmentation du coût des régimes alimentaires sains.«
« Il faut à la fois modifier les incitations et investir dans des innovations qui visent simultanément à améliorer la productivité et à réduire les émissions de gaz à effet de serre pour obtenir des gains importants et durables”. “Les résultats de la simulation suggèrent que les investissements dans les innovations conçues pour réduire les émissions et augmenter la productivité de 30 pour cent pourraient réduire les émissions de l’agriculture et de l’utilisation des terres de plus de 40 pour cent, rendant 105 millions d’hectares de terres agricoles aux habitats naturels, tout en offrant des gains substantiels en matière de réduction de la pauvreté, de nutrition et d’économie globale.«
« L’option de réaffectation, qui consiste à réorienter une partie du soutien national vers des investissements ciblés dans des technologies qui permettent à la fois d’accroître la productivité et de réduire les émissions, semble offrir la possibilité de réaliser un triple avantage pour la santé de la planète, de l’économie et des populations. La croissance tirée par la productivité réduit la pauvreté et rend plus abordables les régimes alimentaires adéquats sur le plan nutritionnel. Dans ce scénario, l’extrême pauvreté dans le monde diminuerait de 1 %, tandis que le coût d’une alimentation saine baisserait de 18 %.«
Ce rapport d’une organisation internationale bien connue et respectée donne un poids supplémentaire aux rapports et analyses qui montrent que l’approche de la Commission F2F et biodiversité – le scénario de « conditionnalité » dans le rapport de la Banque mondiale/IFPRI – serait préjudiciable à la production agricole, à la pauvreté et aux régimes alimentaires sains, et conduirait probablement à une augmentation de la déforestation.
Le scénario préféré, selon le rapport, est celui de la « réaffectation pour l’innovation verte ». Le principal changement de politique dans ce scénario est une réaffectation du soutien aux investissements qui réduisent les émissions et augmentent la productivité en même temps. Ou, comme l’a formulé Farm Europe, des investissements de double performance.
Le rapport de la Banque mondiale/IFPRI fait largement appel à la modélisation et à un certain nombre d’hypothèses, qui peuvent toujours être remises en question ; les résultats quantifiés sont fonction de ces hypothèses et du modèle utilisé. Par exemple, le rapport suppose « …un consensus international, en vertu duquel tous les gouvernements réorienteraient le soutien vers des objectifs mondiaux communs« , ce qui peut être trop optimiste.
Cela dit, l’enjeu n’est pas tant l’ampleur des résultats que leur orientation – et le rapport est on ne peut plus clair : la réduction de la production agricole n’est pas la bonne voie, bien au contraire.
La proposition de réorienter les ressources publiques vers des investissements à double finalité, afin de favoriser une croissance durable de la productivité, va dans le sens de la pensée actuelle de l’USDA, telle qu’exprimée par le secrétaire américain à l’agriculture. Cela montre que l’approche de la Commission trouve peu d’écho en dehors de l’UE et qu’elle suscite au contraire un nombre croissant de critiques et de propositions alternatives.