Présentation des résultats et recommandations du Global Food Forum 2017
Discours d’ouverture de Michel DANTIN, MPE.
Monsieur le Président, Chers collègues et amis,
Je suis ravi de vous accueillir aujourd’hui au Parlement européen pour cet événement de rendu des recommandations du Global Food Forum 2017, qui nous avait réunis en octobre dernier en Italie.
Nous venions de boucler la négociation du règlement Omnibus, ce fameux bilan de santé de la PAC, opéré en trio avec Albert DESS et Paolo DE CASTRO.
Mais ce temps parait déjà lointain et la réforme, la fameuse réforme de la PAC est en route suite à la Communication du Commissaire Phil HOGAN du 29 novembre dernier.
Le Parlement européen est déjà au travail, avec l’action résolue d’Herbert DORFMANN et de Clara AGUILERA, et le Conseil prépare des conclusions avec pour ambition de commencer à travailler dès le mois de juin prochain.
Vous avez pris connaissance des ballons d’essais du Commissaire : nouveau système de mise en œuvre, nouvelle architecture verte et redistribution des paiements directs sont les principales mesures proposées.
À la lecture de la Communication, la réflexion suivante m’est apparue : 30 ans après la réforme MacSharry de 1992, ne fallait-il pas rentrer dans une refonte plus globale ?
Dès lors, la réforme à venir est-elle une véritable réforme ? N’est-elle pas qu’une évolution plutôt qu’une révolution, un ajustement technique plutôt que politique ?
Est-ce enfin qu’une réformette pas vraiment à la hauteur des enjeux ou plutôt une manière maline de faire face à la réforme administrative de la DG AGRI, aux coupes à venir dans le budget agricole et proposer une nouvelle manière de faire coopérer les niveaux européens et nationaux ?
Comme souvent au niveau européen le diable est dans les détails et les détails coûtent parfois chers.
Contexte de la réforme
Il n’a échappé à personne que l’Union européenne traverse des crises sans précédent dont les impacts budgétaires, commerciaux, politiques et administratifs auront de véritables conséquences sur la PAC. Ces crises ont les doux noms de BREXIT, SECURITE, DEFENSE ET MIGRATION.
Impacts budgétaires, puisque le départ des Britanniques laisse un trou béant dans le budget européen, je parle sous le contrôle de notre Président de la Commission des Budgets, Jean ARTHUIS : pas moins de 6 à 10 milliards de perte sèche.
Le maintien du budget de la PAC dans ce contexte sera un combat de tous les instants. Additionnée à l’émergence de nouvelles priorités budgétaires, la contribution demandée à la PAC au Brexit est à l’heure actuelle une baisse entre 5% à 10% de ses crédits, soit entre 3 à 5 milliards d’euros. Ce qui devrait correspondre à une baisse du revenu agricole en Europe entre 6,5 à 10,4%.
Impacts commerciaux, puisque le départ des Britanniques, selon ses modalités, aura des conséquences sur nos exportations au Royaume-Uni, je pense aux fruits et aux légumes français, à la viande de boeuf irlandaise ou encore au Prosecco italien.
Impacts politiques, puisque le référendum britannique et la montée des nationalismes et des populistes en Europe ont ébranlé jusqu’au 13ème étage du Berlaymont. La Commission entends donc pour sauver l’Union laisser en apparence la main aux États membres et promouvoir de nouvelles coopérations fondées sur un principe de subsidiarité renforcé. La Commission doit aussi faire face à des baisses d’effectifs consacrées aux vieilles politiques aux profits des nouveaux enjeux : sécurité, défense et migration.
Il convient alors pour faire face à ces défis de proposer une formule magique permettant de répondre aux enjeux
=> budgétaires – faire des économies dans la mise en œuvre ;
=> commerciaux – permettre aux secteurs touchés de s’adapter via un cadre agricole flexible et enfin
=>politique – redonner la main aux États membres pour les engager politiquement et les pousser à prendre leurs responsabilités, lorsque la PAC est mal mise en œuvre ou lorsque les objectifs ne sont pas atteints.
Je vous laisse juge des réponses apportées par la Communication à ces enjeux.
Une autre question alors émerge : aurons-nous le temps ?
Calendrier de la réforme
En dépit de l’importance de ces enjeux, je considère que la PAC a connu de nombreuses réformes au cours des 20 dernières années.
Il existe une vraie demande dans les campagnes pour une période de stabilité, mais aussi pour une autre logique qui rende sa fierté au chef d’entreprise, sa capacité d’innovation à l’entrepreneur.
Force est aussi de constater que la Commission proposera des propositions législatives probablement trop tard pour espérer conclure un accord politique avec le Conseil et le Parlement européen avant les élections européennes de 2019.
Nous n’aurions donc que 8 mois pour boucler une réforme de la PAC avec deux semaines maximum de négociations en trilogue alors que nous avions mis 22 mois de 2011 à 2013 ? Ce n’est pas réaliste !
Dans ce contexte, je crois qu’il est essentiel de donner du temps au temps !
Ne mésestimons pas les conséquences, principalement commerciales, du Brexit sur le secteur agricole.
Travaillons ensemble pour répondre aux enjeux véritables qui impactent l’agriculture européenne aujourd’hui.
Préparons ensemble une réforme d’envergure dès le lendemain des élections de 2019 pour répondre de manière efficace et réaliste aux enjeuxde la compétitivité et de la durabilité environnementale de l’agriculture européenne, de la résilience de nos systèmes de production et du développement de nos territoires ruraux.
Enjeux de la réforme
Ayant ces éléments en tête, permettez-moi de vous faire part de ma conviction profonde :
L’Europe doit avoir une stratégie pour son agriculture.
Parce que nous sommes un vieux continent, fort d’une présence humaine quasi généralisée, nous devons garder des territoires actifs, ouverts. Afin d’accompagner les transformations et faire face aux défis de notre temps, nous avons besoin d’une agriculture forte, durable et innovante.
Pour faire face aux enjeux de la mondialisation, de la sécurité alimentaire, du changement climatique et des demandes croissantes de nos citoyens, l’agriculture européenne devra de manière croissante produire plus avec des ressources limitées – pour cela nous avons besoin d’une PAC !
Pour assurer la viabilité économique des exploitations agricoles, relever les défis économiques et sociaux des zones rurales et remplir les objectifs climatiques et environnementaux de l’Union européenne – nous avons également besoin de la PAC !
S’appuyant sur les propositions du Commissaire HOGAN et selon le calendrier que nous aurons décidé au Parlement et au Conseil, nous nous devons d’avoir le courage de proposer une adaptation du cadre actuel, sans pour autant nous complaire dans un statut quo confortable ou des satisfécits déplacés.
La proposition de mettre en place un nouveau modèle de mise en œuvre ne sera une bonne proposition que si il assure une véritable simplification, pas seulement pour la DG AGRI et les États membres, mais surtout pour les agriculteurs.
De même, je ne suis pas opposé à la mise en place de plans stratégiques par les États membres, car il est essentiel d’assurer la cohérence des choix nationaux entre l’ambition agricole et alimentaire de la PAC et d’autres ambitions au niveau national : aménagement du territoire, politique sociale ou enjeux environnementaux par exemple.
Mais je tiens à réaffirmer que la PAC est et doit rester une politique commune. Elle est la garante du bon fonctionnement du marché intérieur des produits agricoles, d’une alimentation saine et équilibrée qui doit être accessible à tous. Toute renationalisation de cette politique est à proscrire.
En outre, le Parlement européen et le Conseil doivent dans cette nouvelle architecture être toujours à même de fixer les règles communes, les standards de base, les outils et les allocations financières pertinentes tout en aménageant une marge de manœuvre pour les États membres dans le respect des règles du marché intérieur.
Cela est en soit une ligne rouge.
Mais tous les aspects que je viens d’évoquer sont le « comment », il est pourtant essentiel de débattre des réponses que la PAC doit apporter au secteur agricole.
À quoi doit servir la prochaine PAC ?
Résilience
La PAC doit apporter des réponses pour assurer la résilience des secteurs agricoles afin qu’ils continuent à assurer notre sécurité alimentaire tout en faisant face à la volatilité des prix sur les marchés, l’augmentation des coûts de production et les aléas climatiques et sanitaire ;
En cela, les paiements directs sont légitimes comme éléments essentiels du revenu agricole et outils rémunérateurs de biens publics que seuls les agriculteurs sont en mesure d’apporter à la société.
Ils doivent être maintenus et toute proposition de cofinancement du premier pilier, qu’elles soient d’ailleurs obligatoires ou volontaires, est une ligne rouge. Une telle mesure constitue la fin de la solidarité européenne, donc du caractère commun de la PAC, et un risque non négligeable de fragmentation du marché intérieur.
Herbert a souhaité lancer le débat sur les références historiques et la répartition des aides, ne nous voilons pas la face, c’est un débat que nous devions avoir et aurions dû avoir depuis longtemps.
De même sur la convergence des aides entre États Membres, on ne peut éclipser ce débat. Mais il convient encore aujourd’hui d’adopter une vision juste de cette question en ayant à l’esprit la différence de niveau de vie des pays, des coûts de production et d’une approche globale des soutiens dans le cadre de la PAC.
Les paiements directs doivent être également complétés de manière volontaire, mais croissante – assumons cette orientation, par des outils de gestion des risques ou de type assurantiel pour faire face aux risques climatiques, sanitaires et économiques croissants. Un premier pas a été franchi dans le cadre du règlement Omnibus, il convient de continuer cette marche.
Mais les outils de gestion des risques ne sont pas la solution miracle pour faire face à tous les risques. L’Union doit se doter d’un outil plus efficace pour faire face aux crises agricoles : un fond de crise mobilisable facilement, qui serait placé en dehors du principe d’annualité budgétaire.
Ce fonds pourra être fondé sur une réforme ambitieuse de la réserve de crise actuelle qui a montré ses très grandes limites. Il conviendra de fixer les modalités de son utilisation, mais pourquoi ne pas l’utiliser également comme un mécanisme de réassurance ?
Enfin, pour renforcer la résilience des secteurs, il convient que les agriculteurs tirent plus de revenu du marché – aujourd’hui en moyenne moins de 50% des revenus agricoles sont issues de la vente de leurs produits…Est-ce durable? Est-ce responsable ?
Une des raisons, même si ce n’est pas la seule, est une chaine d’approvisionnement qui ne fonctionne plus correctement. Il s’agit d’un vieux débat…dont certaines solutions ont été obtenues de haute lutte dans le cadre hier du règlement Omnibus, je pense au droit de la concurrence et aux OP ; et demain grâce à la volonté du Commissaire HOGAN avec une proposition législative pour lutter contre les pratiques commerciales déloyales et améliorer la transparence des marchés. Nous avançons.
Compétitivité et durabilité du secteur agricole
La PAC doit également permettre de renforcer la compétitivité et la durabilité du secteur agricole. Il s’agit de construire aujourd’hui et préparer demain.
Assumons une vérité simple que nous partageons tous, d’ailleurs : la PAC est avant tout une politique économique ! La PAC n’a pas vocation à être seulement une politique environnementale, car sans durabilité économique du secteur et des territoires, les agriculteurs ne pourront pas remplir nos objectifs environnementaux et climatiques.
La PAC doit donc redevenir une politique d’investissement, de soutien au progrès scientifique, à la recherche et à l’innovation et d’accès au financement. Il convient d’accompagner les agriculteurs à remplir les exigences à la fois économiques et environnementales que la société attend d’eux. Ajoutons aux politiques territoriales du 2ème pilier, des possibilités pour les États membres de mettre en place des véritables politiques de filières ! En cela les exemples des programmes Vin et Fruits et Légumes doivent nous inspirer.
Pour libérer le potentiel économique du secteur agricole et lui permettre d’assumer une véritable ambition environnementale : la PAC doit également sortir d’une logique prescriptive.
Une PAC qui rend plus de liberté à ses paysans, c’est une PAC qui rouvre les portes de l’innovation à chaque paysan !
La PAC doit donc adopter une nouvelle approche de ses outils environnementaux. La complexité de la mise en œuvre du verdissement de la PAC et la nature prescriptive de ces outils ont tué la capacité d’innovation du chef d’exploitation et crée de la défiance de toute part !
Je considère qu’il est impératif de remettre l’agriculteur au centre de cette politique. Le paiement vert doit donc être simplifié et orienté vers une politique plus territorialisée, laissant plus de place à l’innovation et fondée sur le résultat, sans pour autant mener à une fragmentation de la politique commune au nom d’une subsidiarité débridée.
Il nous faut développer la certification et les mesures d’équivalence par rapport à une liste commune de pratiques de base vertueuses en matière environnementale fixée au niveau européen.
En outre, je suis convaincu que les nouvelles technologies, l’agriculture de précision et le programme européen Copernicus sont une des réponses aux enjeux de compétitivité et de durabilité du secteur agricole. Soutenons-le comme un itinéraire technique !
Enfin, la PAC doit continuer à assurer le développement des territoires européens et le renouvellement des générations.
En cela, La déclaration de Cork 2.0 en faveur d’une politique de développement rural forte et les appels en faveur de politiques plus ambitieux en matière de renouvellement des générations doivent guider notre action.
C’est ainsi l’esprit avec lequel j’aborde la réforme à venir et c’est ces quelques remarques dont je souhaitais vous faire part avant de donner la parole au Président du Global Food Forum.
Je vous remercie.