Dialogue stratégique : retrouvons le chemin des bonnes nouvelles pour l’agriculture européenne

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La présidente de la Commission européenne a lancé, aujourd’hui, les travaux du dialogue stratégique pour l’agriculture. Ce débat intervient en fin de mandat de l’actuelle Commission européenne, et dans un climat très particulier. Tour d’horizon des enjeux agricoles.

Au l’échelle de l’Union européenne, plus de 16 pays en moins de 18 mois ont été touchés par des manifestations agricoles d’ampleur, ce qui montre qu’il s’agit bien d’une crise européenne, au-delà des étincelles nationales qui déclenchent les mouvements. 

Ce ras-le-bol généralisé s’explique à la fois par des tendances de long terme et de court terme. 

En 1992, le choix politique pour la Politique agricole commune a été de faire baisser les prix, et de compenser des prix agricoles structurellement bas par des aides directes. En deux étapes 1992-1996 puis 2000-2006, l’Europe est passé d’un système de prix garantis à un système de soutien à des prix 50% inférieurs à ceux du passé. 

Depuis, les aides directes n’ont cessé de baisser du fait de la baisse du budget de la PAC — entre 2008 et 2027, elles auront perdu plus de 40% de leur valeur, alors qu’elle représentent en moyenne plus de la moitié du revenu agricole. En plus de cela, elles sont devenues de plus en plus difficiles à percevoir pour les agriculteurs à travers des exigences environnementales accrues (plus de coûts), mais aussi à travers des mécanismes d’aides plus complexes (paperasserie) : il faut justifier, documenter, et s’exposer à des contrôles. 

Le résultat est simple: le revenu par hectare baisse depuis 30 ans. Il est au même niveau que celui de 1995 malgré une charge de travail qui augmente et un climat d’incertitude beaucoup plus grand que par le passé du fait de la volatilité des prix et du changement climatique. 

Pour maintenir leur niveau de vie, les agriculteurs n’ont eu d’autre choix que d’agrandir leurs exploitations, d’investir (notamment pour répondre aux nouvelles contraintes règlementaires), et donc de s’endetter davantage. Résultat, au premier retournement des marchés, ils sont encore plus exposés que par le passé. 

En 2021 et 2022, des aides exceptionnelles ont été versées aux agriculteurs dans la plupart des pays (montants qui représentent l’équivalent de 15% du budget de la PAC a été ajouté par les Etats membres qui le pouvaient IT, DE, FR en tête), ce qui a masqué temporairement la réalité d’une baisse forte des aides directes sur la période 2021-2027. 

Avec la fin du quoi qu’il en coûte, 2024, est l’année du retour à la réalité crue du choix politique réalisé en 2019: celui d’une augmentation du niveau d’ambition environnemental, associé de façon paradoxale à un recul net de ces soutiens publics, plus complexes à percevoir. Dans un contexte où les cours plongent. 

Car c’est le paradoxe de cette période, et des prochaines années si un nouveau cap n’est pas construit. Dans le même temps, les pouvoirs publics se sont progressivement désengagés des problèmes économiques du monde agricole, et ils ont multiplié les initiatives environnementales venant très directement affecter la compétitivité des exploitations, disant aux cultivateurs comment cultiver et aux éleveurs comment élever. 

Alors, certes une bonne partie des nouvelles normes européennes du Green Deal n’est pas encore entrée en vigueur, mais la PAC mise en place en 2023 en intègre déjà quelques-unes  (c’est le volet PAC du green deal), notamment à travers les éco-régimes, et certains Etats membres ont choisi d’anticiper certaines obligations se retrouvant dans les propositions  A cela s’ajoute la complexité accrue pour toucher des aides plus faibles, cela, les agriculteurs le voient bien depuis 2023. 

Le pari réalisé avec le Green Deal était ce qui a été appelé la montée en gamme: les consommateurs allaient payer leur alimentation plus chère, compte tenu des enjeux environnementaux auxquels ils sont sensibles, et les investissements nécessaires pour réaliser les transformations agricoles se feraient grâce à l’argent pas cher — ce qui était la réalité de l’époque. C’était l’idée d’avoir moins d’aide, plus de prix. Et donc faire payer les consommateurs. 

Sauf que ce contexte initial dans lequel cette stratégie a été conçue appartient totalement au passé. L’argent public n’a plus les effets de leviers — parfois totalement irréalistes — qu’avançaient la Commission européenne à l’époque. Et les consommateurs ont déserté les segments premium, contraints, du fait de l’inflation de chercher le prix. L’agriculture bio en est la première victime. Mais l’ensemble de la stratégie de montée en gamme est prise à contre-pied. Les productions locales sont remplacées par les importations plus compétitives. L’histoire de la désindustrialisation se réécrit pour l’agriculture. La pollution ne baisse pas, elle s’exporte, avec un bilan négatif pour la planète et pour l’économie. 

A cette réalité crue s’ajoute une forme de légèreté de la part de la Commission européenne dans son approche de la stratégie commerciale, qui persiste à vouloir avancer sur l’accord Mercosur qui serait une catastrophe pour certains secteurs agricoles, et qui a ouvert les vannes des importations de produits agricoles en provenance d’Ukraine sans en mesurer les conséquences pour les agriculteurs européens. 

De facto aujourd’hui, l’agriculture ukrainienne fait parti du marché intérieur européen, sans aucune préparation ni transition. Il ne s’agit pas d’une perspective lointaine, c’est une réalité économique déjà présente. Pourtant, le modèle agricole ukrainien est celui des grands domaines, la moyenne est de plus de 1000ha — avec une centaine de domaines de plusieurs dizaines voire de plusieurs centaines de milliers d’hectares. La moyenne européenne est autour de 20 hectares, autour de 70 pour la France à titre d’exemple.

Notre modèle agricole est donc confronté à un double défi: celui d’une transition environnementale low cost, et la confrontation directe avec une puissance agro-industrielle aux antipodes de la réalité économique de nos fermes, et qui entre sans respect pour des normes actuelles et futures. 

Les manifestations sont les symptômes d’une équation impossible à résoudre pour les agriculteurs. Il est maintenant de la responsabilité de l’Union européenne de remettre sa politique agricole sur les bons rails et de développer les solutions— qui existent — au plan européen pour une gestion ordonnée des transitions environnementales en gardant l’ambition de rester une puissance économique agricole de premier plan, et donc avec un volet production sur l’ensemble des segments de marché. C’est un sursaut européen qu’il faut construire en corrigeant les défauts du Green Deal avec un nouveau Farm Deal européen. Il s’agit là certainement de l’enjeu du Dialogue stratégique, mais plus encore des prochaines élections européennes.