Mobiliser le fond de relance européen agricole pour une transition accélérée vers une agriculture européenne de double performance

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L’agriculture de précision permet de proposer aux agriculteurs et aux éleveurs des solutions adaptées à leur contexte. Les données issues de capteurs, de caméras, de satellites, de stations météorologiques sont traitées par des algorithmes qui procurent par le biais d’Outils d’Aide à la Décision (OAD) des conseils quant aux actions les plus pertinentes pouvant être réalisées.

L’utilisation de ces outils assure au niveau de l’exploitation une meilleure efficience des intrants. Ces derniers sont ajustés aux besoins quantifiés des cultures et des animaux tout en assurant l’optimisation des rendements. Ils constituent un outil crucial d’une transition de l’agriculture européenne vers une agriculture de double performance : plus économe en intrants et prenant soin de l’environnement, plus efficiente économiquement.

L’agriculture digitale a aussi le potentiel de simplifier le fardeau administratif, tant au niveau de la mise en œuvre et du contrôle des mesures de la PAC, qu’au niveau des données entrées par les agriculteurs.

Si les études mettent en exergue les bénéfices de tels outils, le passage du stade « recherche » à la sphère agricole se fait encore lentement. A ce jour, l’agriculture digitale reste peu démocratisée.
A cela s’ajoutent d’autres principaux freins : le coût de ces technologies, la crainte que de tels investissements de long terme ne deviennent rapidement obsolètes.

Or, au regard de leurs avantages économiques, sociaux et environnementaux, il serait urgent de généraliser au sein de l’Union Européenne l’utilisation des outils liés à l’agriculture de précision en production végétale ainsi que l’utilisation de capteurs et de robots en élevage.

L’Union Européenne doit être acteur de la démocratisation de ces outils, les rendant accessibles à tous les agriculteurs et éleveurs quel que soit le type et la taille des exploitations agricoles, leur pratiques agricoles, leurs formations.

Mobiliser 60% du plan de relance pour soutenir les investissements innovants de précision en agriculture en 2021 et 2022 permettra un plan choc de 10 milliards d’investissements pour une transition accélérée de l’agriculture européenne vers la double performance. Les investissements de ce plan pourraient être soutenus à hauteur de 53% (part EU fond de relance 90%, 10% contrepartie Etat membre), mobilisant 4,8 milliards des 8 milliards du dit plan de relance.

Les 3 milliards complémentaires de ce fond de relance devraient être affectés, en synergie, aux actions d’acquisition de compétence et de promotion des produits européens.

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Quelles incitations pour une transition accelérée ?

Alors que 8 milliards € viendront abonder les financements du 2nd pilier de la PAC au titre de la relance des filières agricoles, relance à opérer en cohérence avec les objecifs Green Deal, il conviendrait d’utiliser ces fonds de façon ciblée, pour préparer réellement l’avenir et le rebond des filières agicoles europénnes.

Cela implique de financer prioritaiement les investissements de transition de double performances, ainsi que des mesures pour accroître la compétence des agriculteurs en matière de techniques innovantes, pour renforcer la structuration des filières et la promotion des produits européens.

Dés lors, l’objectif serait de consacrer au moins 5 milliards d’euros de cette dotation au soutien aux investissements de l’agriculture de précision au cours des années 2021 et 2022, en complément des mesures « investissements » qui seront mis en œuvre dans le cadre de la PAC réformée à compter de 2023 (et celles poursuivies durant la période de transition). Ces 5 milliards d’euros constitueraient une incitation décisive d’un plan choc de 10 milliards € d’investissements afin de répendre largement l’usage des OAD sur l’ensemble des surfaces agricoles européennes et accélérer l’accessibilité des outils digitaux aux élevages.

Cette mutation sera porteuse d’économies substantielles d’intrants, gages d’une plus forte durabilité et rentabilité des productions européennes, réponse opérationnelle :

–  aux attentes des citoyens sur l’environnement, la qualité des aliments…

–  aux attentes des citoyens sur l’environnement, la qualité des aliments…

–  et aux impératifs de compétitivité en matière de coûts mais aussi de valorisation de démarches de qualité.

Ces investissements devront être raisonnés de différentes façons pour s’adapter à la diversité des exploitations. Si les exploitations au-delà d’une certaine taille peuvent réaliser les investissements seules, il sera aussi opportun de favoriser des investissements collectifs dans d’autres cas de figures, et notamment dans les régions au sein desquelles les exploitations peuvent être de plus petites tailles. Des investissements dans le cadre de coopératives, des CUMA ou d’un organisme porteur tiers, comme le fait GAIA en Grèce, doivent trouver toute leur place dés lors qu’ils s’avèrent porteurs d’efficacité. Le financement de la coordination entre les producteurs, ainsi que de l’appui technique et la maintenance des équipements peut et doit ëtre réalisé par les coopératives. La traçabilité des produits finaux et des traitements qui leurs sont apportés devra également être assurée par ces dernières.

 

Productions végétales :

Les outils digitaux liés à la production végétale peuvent être classés en 5 niveaux selon leur degré de précision, le matériel nécessaire et leur coût. L’utilisation d’outils d’agriculture de précision (capteurs, stations météo, images satellites, caméras, OAD de gestion d’intrants) sont présents à chaque niveau. Les stations météo demandent un investissement compris entre 400 € et 2 000 € (Weenat, 2020). Certains OAD sont gratuits. Ceux qui prescrivent les quantités d’intrants à épandre à partir de capteurs et d’images satellites des cultures ont un coût maximum de 20 €/ha/an (Farm Europe, 2019).

– Le premier niveau, le plus accessible, consiste à utiliser les informations données par ces outils pour ajuster les applications à l’échelle d’ensemble de parcelles présentant les mêmes conditions pédoclimatiques et risques phytosanitaires. Le second niveau consiste à ajuster les intrants à l’échelle de la parcelle.

– A partir du troisième niveau, en grandes cultures, ces outils sont associés aux outils de modulation des doses. Il s’agit entre autres des pulvérisateurs de précision qui ont un coût plus conséquent. Les plus accessibles coûtent environ 3 000 € et sont raccordés à un service de cartographie des besoins. Les pulvérisateurs modulant les doses à partir des données issues de caméras embarquées peuvent coûter plus de 40 000 €. La modulation des doses d’azote assure une économie d’engrais variant entre 4 et 47% selon les productions et les environnements tout en maintenant ou augmentant le rendement jusqu’à 10%. Le financement d’un tel pulvérisateur peut avoir lieu sur 5 à 10 ans. Une économie de 11 à 90% est constatée, selon les cas, concernant les pesticides (herbicides, fongicides et insecticides). Une augmentation de la marge brute allant de 7 à 38€/ha/an est possible.

La direction assistée et les systèmes de gestion d’une circulation raisonnée complètent ce niveau, élevant la précision des actions réalisées. Ces technologies permettent d’éviter de croiser les trajectoires lors des traitements et de gagner en précision à l’échelle intra- parcellaire. Leur coût varie de 1 300 € environ si le tracteur est déjà équipé de GPS et peut aller jusqu’à 50 000 € pour ceux contenant le plus d’options. La direction assistée permet une économie de 2% des semences et engrais, de 6,32 à 10% de carburant et de 6,04% de main d’œuvre. Elle permet d’augmenter la marge brute entre 38 et 612€/ha/an. La circulation raisonnée complète la direction assistée avec l’analyse des données des itinéraires et des traitements issus des années précédentes. Elle permet une économie de 3 à 15% d’engrais, 25% de pesticides, de 25 à 70% de carburant et de 70% de la main d’œuvre. Une augmentation de 15% du rendement a aussi pu être observée. Des augmentations de 40 à 80% de l’efficience de l’azote ont été évaluées, permettant d’augmenter la marge brute de 57 à 115€/ha/an (Balafoutis et al., 2017).

– Les niveaux 4 et 5 additionnent aux outils des niveaux précédents la robotisation comme alternative aux pesticides pour la gestion des bio-agresseurs (adventices, maladies et ravageurs) ainsi qu’une irrigation de précision. Le but de la robotisation est qu’il n’y ait plus de résidus de fertilisation et de pesticides détectables. L’ajustement des intrants a lieu à l’échelle intra-parcellaire pour le niveau 4 et à l’échelle de la plante pour le niveau 5. Les robots désherbeurs coûtent entre 25000€ et 80000€. Ils permettent de réduire les quantités de pesticides de 20 fois par rapport à une protection standard. Ils réduisent également l’utilisation de carburant ainsi que le temps de travail.

L’irrigation de précision permet d’ajuster les quantités d’eau irriguées aux besoins des cultures, à l’humidité du sol et aux prévisions météo. Les systèmes les plus aboutis peuvent déclencher automatiquement l’irrigation si ces paramètres sont sous un certain seuil. Les contrôleurs de débit des systèmes d’irrigation pivot sont les plus accessibles à partir de 1 300 € et les systèmes de gestion de l’irrigation par contrôle du pivot peuvent coûter jusqu’à 35 000 €. L’irrigation goutte à goutte coûte environ 40€/ha. Une économie allant jusqu’à 34% est observée selon les systèmes d’irrigation. Leur effet sur le rendement est plus contrasté allant d’une réduction de 18% à une augmentation de 31%. L’efficience des intrants varie donc de -12% à 97% pour les systèmes contrôlant les pivots. Une économie d’eau d’environ 30€/ha/an a été constatée au Royaume Uni (Balafoutis et al., 2017). C’est

autour de la méditerranée que l’irrigation de précision a le plus grand potentiel. La consommation d’eau et d’énergie est réduite de 10 à 14% en moyenne (FIGARO Irrigation Platform, 2016). En Grèce, le bénéfice net peut aller jusqu’à 480€/ha pour une culture de coton (Balafoutis et al., 2017).

 

Élevage :

L’élevage de précision s’appuie sur l’utilisation de capteurs et de robots.
Les capteurs peuvent être sur les animaux pour surveiller leur santé (troubles métaboliques, infectieux, boiteries, mamelles, chaleurs, gestations et vêlages). Des GPS permettent de surveiller la localisation des animaux. Ces contrôles peuvent se faire grâce à des colliers qui coûtent environ 120€ l’unité, auxquels s’ajoutent 4 000€ pour le stockage et l’interprétation des données et 180€ de frais annuels. Ces capteurs embarqués permettent d’économiser jusqu’à 100€ par vache, de gagner jusque 30% de productivité et jusqu’à une heure de travail par jour (IDELE, 2019; LITUUS, 2019). Le stockage et la qualité des aliments peuvent également être évalués, tout comme la composition du lait. Les analyses de lait permettent d’anticiper les infections, chaleurs… Un éleveur va détecter 50 à 55% des chaleurs tandis qu’un détecteur automatisé en détectera 50 à 99%. L’anticipation liée à ces analyses permettent un gain de 2 000 € environ (Huneau & Gohier, 2017).

La robotisation permet de simplifier la traite, le nettoyage des étables ou la distribution de la paille et l’alimentation (mélange, quantité d’aliments distribuées, nombre et heure de passage et raclage des refus). Un robot d’alimentation, préparant les mélanges et distribuant les rations coûte environ 230 000 € pour 150 vaches laitières. Ce type de robot peut être financé durant 12 ans et amorti en 15 ans. Le coût annuel d’investissement est entre 25 et 44% supérieur à celui d’un tracteur et d’une mélangeuse, une économie d’environ 50% des frais d’entretien et des charges a lieu par rapport à ces derniers. De même une réduction de 15 à 20% de la main d’œuvre est observée. Au final, certaines études pointent une économie de près de 60% annuellement par rapport à l’utilisation d’un tracteur et d’une mélangeuse. D’autres études estiment qu’il y a une augmentation du coût de production de 6 097€/an mais une économie de 400h de travail (Autellet, 2019).

Un robot de traite coûte environ 120 000 € pour 80 vaches. Bien qu’ils réduisent le temps de travail, les robots de traite augmentent la consommation de concentré, et donc les coûts liés à l’alimentation. Une augmentation du nombre de cellules somatiques, réduisant la qualité du lait peut avoir lieu. Associé au coût de l’investissement et de l’installation des robots cela réduit la rémunération final pour 1 000 litres de 70€ à 48€. Cette perte est compensée par une augmentation moyenne de 11% du volume de lait par vache et par an (Autellet, 2019; Cogedis, 2019).

 

Acquisition des compétences :

Quel que soit l’outil et son coût, des formations sont nécessaires. Leurs coûts varient entre 420 et 1 400€ (Idele, 2020).

Liste des références :

Autellet, R. (2019). Robotisation en élevage : état des lieux et évolution. Académie de l’Agriculture de France.

Balafoutis, A., Beck, B., Fountas, S., Vangeyte, J., & Wal, T. van der. (2017). Precision Agriculture Technologies Positively Contributing to GHG Emissions Mitigation, Farm Productivity and Economics. Sustainability, 9(1339), 28.

Cogedis. (2019). Le passage en traite robotisée s’accompagne d’une augmentation de la productivité. Plein Champ.

Farm Europe. (2019). Etude des performances économiques et environnementales de l’agriculture digitale.

FIGARO Irrigation Platform. (2016). FIGARO’s Precision Irrigation Platform Presents Major Water and Energy Savings. http://www.figaro-irrigation.net/outputs/the-figaro- platform/en/

Huneau, T., & Gohier, C. (2017). Agriculture de précision robotique et données. In Fermes numériques (Vol. 1, Issue). https://doi.org/10.1017/CBO9781107415324.004

Idele. (2020). Idele formation.
IDELE. (2019). Inventaire et tests de capteurs.

http://idele.fr/no_cache/recherche/publication/idelesolr/recommends/inventaire-et-

tests-de-capteurs.html
LITUUS. (2019). Monitoring des bovin au service de la performance.
Soto, I., Barnes, A., Balafoutis, A., Beck, B., Sánchez, B., Vangeyte, J., Fountas, S., Van der

Wal, T., Eory, V., & Gómez-Barbero, M. (2019). The contribution of precision agriculture technologies to farm productivity and the mitigation of greenhouse gas emissions in the EU. https://doi.org/10.2760/016263

Weenat. (2020). Communication personnelle.