REPLACER LA SÉCURITÉ ALIMENTAIRE EN HAUT DE L’AGENDA POLITIQUE EUROPÉEN
Comme la paix, la sécurité alimentaire a longtemps été tenue pour acquise en Europe.
La guerre aux frontières de l’Europe a provoqué une prise de conscience : il faut se préoccuper de l’approvisionnement en matières premières, tant énergétiques et qu’agricoles.
La sécurité alimentaire est à nouveau entrée dans notre agenda politique et nos préoccupations.
L’opinion publique a appris que le jaune du drapeau ukrainien représente l’importante production de céréales et que les pays européens (en particulier l’Allemagne et l’Italie) sont largement dépendants des importations de gaz russe. La Russie et l’Ukraine représentent ensemble près d’un tiers des exportations mondiales de blé, 19 % du maïs exporté et 80 % des exportations d’huile de tournesol.
Selon l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), les prix mondiaux des produits alimentaires avaient déjà augmenté de 20,7 % en février 2022 par rapport à février 2021, les portant à un niveau record. L’augmentation pour les céréales était de 14,8 % supérieure au niveau d’il y a un an. Février a vu des augmentations pour toutes les principales céréales, reflétant en grande partie les incertitudes renouvelées de l’offre mondiale en raison de la guerre en Ukraine. Ces augmentations sont liées non seulement aux niveaux de production, mais aussi à l’instabilité et aux problèmes d’approvisionnement dans les secteurs de l’énergie, des engrais et des aliments pour animaux.
Tous ces facteurs tendent à comprimer les marges des producteurs agricoles. Jusqu’à présent, l’augmentation du coût des intrants et de l’énergie a absorbé largement, si ce n’est plus, les hausses des prix agricoles.
La crise qui se déroule sous nos yeux affecte :
– les consommateurs les plus vulnérables et les plus modestes de l’Union européenne, ainsi que les populations fragiles des pays méditerranéens et africains dont la capacité à faire face à ces hausses de prix et à assurer un approvisionnement suffisant est limitée – le spectre de l’instabilité politique dans les pays du sud de la Méditerranée provoquée par les hausses des prix de l’énergie et l’alimentation en 2006/2007 est bien présent -;
–les agriculteurs, que la hausse des prix des intrants les met dans une situation très difficile pouvant conduire à une baisse de la production, alors que l’enjeu pour l’Union européenne est d’accroître sa sécurité alimentaire et de répondre à la demande de ses partenaires commerciaux traditionnels et voisins, pour amortir le choc de l’arrêt des exportations de la mer noire.
Aujourd’hui, l’UE doit prendre des mesures immédiates et s’engager sans délai pour assurer la sécurité alimentaire de l’UE et contribuer à celle de nos voisins.
Sans délai, elle doit:
1) Mobiliser les 479 millions € de la réserve de crise de la PAC, mais aussi s’engager à l’augmenter en 2022 dans la mesure nécessaire en dehors du budget de la PAC et à la reconstituer en 2023 également en dehors du budget de la PAC. Dans une situation de crise généralisée, cela n’aurait aucun sens de prendre de l’argent aux agriculteurs en réduisant leurs aides directes de la PAC et de le restituer en aide de crise via la réserve ;
2) Instaurer des aides financières aux exploitations agricoles pour l’achat d’engrais et d’aliments pour le bétail ;
3) Renforcer la production européenne de protéines ; notamment par la levee temporaire des obligations de jachère ;
4) Définir les mesures de crise spécifiques à chaque secteur à activer en cas de besoin, tant pour faire face aux crises liées à la fermeture de certains marchés qu’aux baisses de consommation résultant des hausses de toutes les dépenses obligatoires des ménages (alimentation, transport, chauffage) ;
5) Effectuer un suivi fin – au moins mensuel – pour tous les secteurs avec une analyse détaillée de la production, des exportations, des importations et des stocks. Cet exercice de transparence est nécessaire pour éviter les risques de surchauffe liés à la pure spéculation.
6) Il est également nécessaire de donner sans tarder à la Commission les moyens d’assurer un équilibre permanent du marché et agir autant que de besoin.
Au-delà de ces mesures à prendre à très court terme, il est de la responsabilité des décideurs européens d’ancrer l’Europe dans une sécurité alimentaire renouvelée.
Cette sécurité alimentaire renforcée n’est pas antinomique du Green Deal européen et des objectifs de la stratégie Farm to Fork (F2F). La transition verte est nécessaire. Il ne s’agit pas de la remettre en cause.
Cependant, la F2F et le Green Deal ne peuvent pas être des stratégies de décroissance comme le propose la Commission. Les surcoûts qui en résultent ne sont pas supportables pour la majorité des Européens. La Commission propose des moyens d’action élitistes, avec comme pierre angulaire de ses réflexions les classes socio-économiques aisées, en laissant de côté les Européens les plus pauvres. Le Fonds de solidarité suggéré ne répond pas à l’ampleur du problème.
Dés lors, il est urgent que la Commission revoie sa copie et propose des moyens pour parvenir au Green Deal et à la F2F qui allient performance économique et environnementale. Cette idée est réaliste et réalisable. Elle implique un effort important et immédiat d’investissement dans les technologies innovantes existantes.
Pour l’agriculture, cela signifie un plan d’investissement massif immédiat de 15 milliards d’euros dans l’agriculture de précision et l’agriculture numérique, financé hors PAC à hauteur de 7 milliards d’euros.
Conséquence de tels investissements, des bénéfices immédiats seraient obtenus : réduction de la consommation d’engrais d’au moins 15 % en moyenne, réduction substantielle de l’utilisation des produits phytosanitaires, tout en maintenant, voire en améliorant le niveau de la production européenne.