Avis scientifique de l’EFSA sur le sucre : des travaux supplémentaires nécessaires pour donner une réelle orientation aux autorités sanitaires

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1er mars 2022

Hier, l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) a publié son avis scientifique sur l’apport maximal tolérable de sucres dans l’alimentation[1], c’est-à-dire un niveau maximal d’apport qui ne nuirait pas à la santé des consommateurs, en réponse à la demande de cinq pays nordiques (Danemark, Finlande, Suède, Islande et Norvège). Des niveaux supérieurs (UL) ont déjà été définis par l’EFSA pour certains micro[2] et macro-nutriments tels que les fibres alimentaires, les graisses, les protéines, etc[3]

Dans son avis, l’EFSA soutient qu’il n’est pas possible de définir un niveau supérieur d’apport en sucre (sous la forme d’un seuil spécifique), mais elle recommande de maintenir l’apport en sucre « aussi bas que possible ». Cette formulation présente au moins deux inconvénients majeurs : 

Premièrement, elle laisse ouverte l’interprétation qu’il n’existe pas de niveau sûr d’apport en sucre et qu’il faudrait donc éviter le sucre à tout prix, quelle qu’en soit la quantité, ce qui constitue une brèche au principe nutritionnel de base d’un régime équilibré. L’EFSA souligne que les études analysées et les examens systémiques sur la relation entre le sucre et la santé convergent vers une corrélation linéaire supposée, et non vers une courbe en forme de « S » : un niveau supérieur, donc une zone de sécurité, ne peut être déterminé.

Néanmoins, l’EFSA elle-même déclare dans son avis scientifique qu’à « des niveaux d’apport en sucres ajoutés et libres inférieurs à 10E%, l’incertitude est grande quant à la forme et à la direction des relations entre l’apport en sucres ajoutés et libres et le risque de maladies métaboliques« . Cette déclaration devrait lever tous les doutes sur le fait que les preuves scientifiques montrent qu’en dessous d’un certain seuil  — indicatif —d’apport énergétique total en sucres, les effets négatifs sur la santé ne peuvent pas être directement liés au sucre, mais sont le résultat de nombreux facteurs. Cette déclaration contredit l’approche linéaire et montre en fin de compte qu’à ce stade, en émettant la déclaration « le plus bas possible », l’institution fait de la politique plutôt que de la science, lançant des slogans de communication sensationnalistes plutôt que de fournir des lignes directrices aux autorités sanitaires fondées sur des messages scientifiques rigoureux.

Des titres de communication plutôt que des lignes directrices en matière de santé

Deuxièmement, la formulation de l’EFSA ne donne aucune orientation concrète aux autorités nationales pour la mise à jour des lignes directrices diététiques, donc la définition des profils nutritionnels. Après avoir analysé des dizaines de publications et de revues scientifiques sur le sujet, mis à jour sa base de données alimentaire (Foodex2), consulté les parties prenantes, « le plus bas possible » est la solution de facilité. En cela, elle n’aide pas à faire face aux problèmes de santé croissants des adultes et des enfants européens.

D’autres institutions (organismes internationaux et nationaux) ont déjà réussi à fixer leurs limites supérieures — ce qui, comme le rappelle l’EFSA, n’est pas un objectif vers lequel nous devrions tendre, mais plutôt un seuil maximal au-delà duquel les risques pour la santé augmentent. 

En outre, l’EFSA elle-même a déjà défini des seuils spécifiques et des fourchettes de sécurité pour d’autres nutriments tels que le sel[4] (2,0 g/jour de sodium), les graisses[5] (un apport quotidien compris entre 20 et 35 % de l’énergie), les glucides (compris entre 45 et 60 % de l’énergie totale) et les fibres alimentaires (25 g/jour)[6] en utilisant une méthodologie similaire à celle utilisée pour son analyse du sucre.

L’EFSA doit poursuivre ses travaux 

En conséquence, la déclaration de l’EFSA sur le sucre UL ne définit pas à ce stade de niveaux de sécurité spécifique pour les apports en sucre. Cela peut prêter à confusion pour les autorités de santé publique (chargées d’élaborer des directives diététiques), les transformateurs de produits alimentaires et les consommateurs (qui souhaitent améliorer leurs produits et leur santé). Par conséquent, l’EFSA devrait aborder ce point et approfondir son travail sur cette question. Ceci est d’autant plus important si l’on considère que la publication de l’avis scientifique de l’Autorité européenne de sécurité des aliments sur les doses maximales tolérables de sucres pourrait être utile dans le contexte de la révision du règlement FIC (Food Information to Consumer). Mais, à ce stade, il est tout simplement impossible de l’utiliser comme base d’une politique de santé publique solide et bien informée.  

Contexte

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L’approche générale de l’EFSA pour établir un AMT comprend l’analyse de vastes ensembles de données et de la littérature scientifique, après quoi un graphique en forme de « S » (comme celui ci-contre) est utilisé pour exposer graphiquement la corrélation entre l’apport en nutriments et les risques pour la santé. Comme on peut le constater, il existe une « fourchette de sécurité » dans laquelle les quantités d’apport en nutriments sont considérées comme sûres ; au-delà de cette fourchette, des effets négatifs sur la santé commencent à apparaître, selon la littérature scientifique. Le niveau supérieur correspond à la dernière quantité d’apport en nutriments au-delà de laquelle les effets négatifs sur la santé commencent à se manifester.

La fourchette de sécurité varie selon le nutriment et elle est calculée comme une moyenne pondérée de l’ensemble des données et de la littérature scientifique sur le sujet. Pour les sucres alimentaires, l’EFSA souligne qu’il est impossible d’établir une telle courbe car la corrélation est supposée être linéaire à ce stade, ce qui empêche de déterminer une fourchette de sécurité. Mais les données de 0 à 10 E% de l’apport ne sont pas suffisantes (très incertaines) pour soutenir cette conclusion linéaire.


[1] https://efsa.onlinelibrary.wiley.com/doi/epdf/10.2903/j.efsa.2022.7074

[2] https://www.efsa.europa.eu/sites/default/files/assets/UL_Summary_tables.pdf

[3] https://www.efsa.europa.eu/sites/default/files/2017_09_DRVs_summary_report.pdf

[4] https://www.efsa.europa.eu/en/efsajournal/pub/5778

[5] https://www.efsa.europa.eu/fr/efsajournal/pub/1461

[6] https://www.efsa.europa.eu/fr/efsajournal/pub/1462